dimanche 13 septembre 2015

Le plus étrange roman de Daphné du Maurier:"La maison sur le rivage"



Le nom mélodieux de Daphné Du Maurier cache une romancière inspirée par les drames ensevelis sous le mur du temps. Habiter une maison  extrêmement ancienne, c'est partir, en tenant haut la lampe de son intuition, dans les bas-fonds de l'inconnu jusqu'au glissement  vers l'impossible...
"La maison sur le rivage" échappe au bon sens à l'instar de son naïf et fort sympathique héros, un anglais bien tranquille, parfaitement courtois et trop sagement soumis à sa pragmatique épouse américaine.
 A l'étroit dans son existence ordonné, ce jeune éditeur accepte l'offre d'un vieil ami, digne scientifique amateur de solitude austère et de recherches sur les cellules du cerveau ,de séjourner quelques jours sans sa famille en Cornouailles.
 Il sera l'hôte d'une maison, mi-ferme-mi-manoir, portant avec fierté le nom immémorial de "Kilmarth", bâtie ainsi qu'un belvédère au dessus de la mer, et y attendra les instructions  de son mentor: s'il se prête à une bizarre expérience, un nouveau monde palpitera devant ses yeux médusés... Une drogue suffit et voilà notre disciple ébahi, enthousiaste, émerveillé, en train d'arpenter les rivages de la Cornouailles du XIVème siècle:
 "J'aspirai goulûment l'air vif, en remplis mes poumons. Le seul fait de respirer me procurait une joie jusqu'alors inconnue, paraissait  relever d'une sorte de magie. Mais il m'était impossible d'analyser ces impressions, impossible de laisser ma raison disséquer ce que je voyais: dans ce monde d'une enivrante nouveauté, je n'avais plus d'autre guide que l'intensité des sensations que j'éprouvais."
Toutefois, le voyageur est invisible aux êtres du passé, il ne peut les toucher, juste les entendre, les dévisager et les aimer... Curieusement son esprit semble relié à un homme rude et loyal, un cavalier qui, sans le savoir, introduit peu à peu l'intrus des années 1960, sur les terres du seigneur Henry Champernoune vers 1329.
 L'enchantement se brise brutalement et, à sa stupéfaction, le héros malgré lui de ce roman fantastique se retrouve la main en sang, occupé à briser une fenêtre de la cuisine-laboratoire, au sous-sol de la maison dont il est l'invité solitaire mais, l'appel du passé devient aussi puissant que celui de la vie ou de la liberté; notre héros bien tranquille repart, potion avalée, à la rencontre de ces gens si proches et si lointains, englués dans leurs luttes familiales, leurs complots politiques  et leurs passions amoureuses.
 La maison de son ami serait-elle un axe essentiel au sein de ces conflits et de ces tumultes ? Ou un manoir au nom sonore de "Tiwardrai", la maison sur le rivage, disparu corps et bien sous le sable du temps. Surtout qui fut, qui est encore, Isolda, très belle de figure et amante du rebelle au jeune roi, ( le fils d'Isabelle de France), Otto Bodrugan ? Notre visiteur évanescent n'éprouve nullement les vagues émois d'un fantôme quand il croise le chemin de cette "beauté non pareille" tenue enfermée "entre les murs" de son manoir de Carminowe.
Morte depuis six cent années ou éclatante et amoureuse en 1329, qu'importe, Isolda emporte l'âme et le coeur; elle devient la raison d'être et la déraison rayonnante d'un homme rangé qui assistera en spectateur épouvanté, à sa tragédie: "il est dans le destin de tout homme, je suppose, d'apercevoir un jour ou l'autre, parmi la foule, un visage qu'il ne peut oublier. "Interrogé , le professeur étonné et envieux confirme à son  jeune ami qu'il est le seul des deux à avoir eu cette plaisante expérience du coup de foudre médiéval...
Le cavalier, Roger, ne lâche pas prise: notre intrus réalise soudain que la mystérieuse maison de Kilmarth, lumineuse et pittoresque au XXème siècle, abritait sous une forme bien plus humble l'homme des années 1330 et sa famille. L'esprit du fidèle Roger enlève-t-il celui de l'anglais aventureux ? Ou la potion magique du professeur est-elle réellement la source de ces épisodes sortis des abysses d'une charmante villégiature en bord de mer ? Le roman avance sans s'égarer entre deux siècles en suivant Isolda, sensible  et tendre amante évoluant au bord du gouffre...Vie et mort se confondent, le temps s'abolit, les destins se mêlent avec un naturel désarmant dû au grand art de cette fée de Cornouailles que fut la ténébreuse Daphné du Maurier.
Il faut  humblement se dépouiller des sottes certitudes et suivre le cœur léger et l'imagination libérée
les méandres suggérés par des maisons qui, à la manière des amours toujours recommencées, n'en finissent  jamais de vous surprendre et de vous hanter. "la maison sur le rivage"brille ainsi qu'un diamant ou un soleil noir sur les plages envahies de pluies et de brumes d'une Cornouailles, autrefois rebelle, où l'on assassinait sous les yeux de leurs amantes les partisans d'une reine venue de France.

A bientôt, cette fois pour une comédie le jour d'un mariage , ou une lettre écrite avec l'épée du fond d'un manoir normand ...

Lady Alix


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