Retour d'hiver à Capri
La Maison ensorcelée
Chapitre XX
Dans la vie, on fait rarement ce que l'on désire, mais, parfois, une porte s'ouvre.
Or, si vous hésitez sur le seuil, la chance offusquée vous tournera le dos comme une amante trahie. Vous resterez solitaire, perdu en vous-même, rejeté du paradis auquel vous n'avez su croire …
Après de pénibles mois passés à guetter le moment idéal afin de revenir à Capri, je viens de me précipiter à la pire époque, celle de la hors-saison froide, et j'éprouve la joie confuse d'Ulysse foulant le sol aride d'Ithaque.
A son instar, je ne sais qui saura me reconnaître. Qu'importe ! l'île se dresse sur la mer retranchée ainsi qu'une citadelle d'un temps immémorial, navire pierreux et immatériel, nuage gris-bleu sur les vagues animées d'étincelles argentées.
C'est un jour d'hiver, ou à vrai dire de fin d'automne, un début d'après-midi de décembre trempé dans une lumière nacrée, subtile, dansante ; la lumière du golfe de Naples sur la mer de cristal, frondeuse et blanchie sous ses jaillissements d'écume.
A l'aube, frileux et hâtifs, nous étions encore dans notre humide campagne française, le périple engagé s'achève. Notre bateau, robuste et autoritaire, pique droit de toute la fumée de ses machines sur ce nuage bleu enserrant l'île comme les bras flous et potelés d'une divinité malicieuse.
Nous sommes sur le bateau et je pleure de joie, ne venons- nous de renouer au Gambrinus avec des amis joyeux et confiants ? Comment se passer de Naples et de son rire, de sa frénésie, de sa fougue, de sa beauté si humaine ?
Comment plus encore s'éloigner de Capri quand un pareil amour vous lie à ce souvenir vif de l'Odyssée, à cette démesure de roche verdie par les pins accrochés au vide, à ces murailles d'or fauve parsemées de sentiers antiques, à ces gouffres fouettés de vagues furibondes, à cette beauté qui vous écrase et vous enivre ?
Comment se priver aussi du bonheur simple qui se cultive avec autant de légèreté que les fleurs mauves couvrant les blanches et grises pergolas narguant avec ingénuité les précipices?
Comment oublier les amis qui ouvrirent leurs cœurs aux voyageurs naïfs que nous fûmes, et que malgré notre attachement irrésistible, nous sommes toujours ?
Ces amis aux noms sonores, aux noms fleuris, aux cœurs chauds, aux gestes véloces, aux conversations enthousiastes et éloquentes, allons-nous les revoir, allons-nous les retrouver ?
L'hiver impose aux îliens un rythme si particulier...
Auront-ils plaisir à nous voir déambuler sans raison sur les chemins rendus à la solitude ? Nous jugeront- sévèrement : « Encore ces fous de Français ! «
« Que viennent- ils chercher, se demanderont- ils étonnés, sur cette île frappée de si bonne heure par la mélancolie du soir ? Vont-ils savoir vivre en ces jours soumis aux morsures des vents, ces cavaliers du dieu Eole qui du haut des « Punte », ces rudes épées rocheuses martelées par un forgeron céleste, envoient leurs flèches rageuses sur les vergers où luisent les oranges mûres ? »
Voilà qu'un cri s'échappe de la bouche de la poignée de passagers, mères de famille revenant de courses à Naples, Capriotes exilés pendant la semaine et enfin en congés, entassés dans la longue cabine du petit ferry, c'est le dernier galop avant l'entrée dans le port, la passe dangereuse est enlevée sous un tourbillon d'écume ! nous tanguons furieusement, puis le calme s'étend sur les flots et notre bateau entre en seigneur dans ce minuscule port qui en hiver n'appartient qu'à lui. La flotte pressée des bateaux de promenade, la procession rouge, verte, blanche des petites barques des pêcheurs de calmars, où se sont-elles cachées ? Dans quelles grottes, dans quels abris ?
Le désordre tumultueux du printemps a cédé le pas à à une léthargie troublante. Nous descendons vers un quai vide, l'eau a un éclat de torrent purifié par les neiges, les rares passagers s'évanouissent comme un nuage dans la bouche du funiculaire ou s'éparpillent vers les maisons glissant des montagnes.
Nous voici absolument seuls, le cœur nourri d'un bonheur enfantin, les yeux aveuglés de lumière blonde, sur le port de l'île la plus célèbre du monde.
Je lève les yeux vers la majesté du Monte Solaro à l'autre bout du port, en retrait sous l'énorme roche déjà ombrée par la lumière fugace de l'aprés-midi hivernale, le Sphinx hieratique de la Villa San Michele resplendit sur son parapet du vertige, je m'incline vers lui et sent aussitôt qu'il me sait gré de ma courtoisie instinctive face à sa présence taciturne et puissante.
Nous sommes de retour et le bonheur m'aveugle, mais quel étrange torpeur nous environne...
Ce port calfeutré par l'hiver, ces monts hautains se haussant comme une arche gigantesque, ce ciel si foisonnant de lumière pure, me donnent à croire que nous évoluons sous un globe de cristal à l'abri du cours du temps.
C'est une autre Capri qui me saute à la figure, un immense temple naturel dans lequel résonnent les tourbillons d'écume raclant les galets, giflant les rochers.
Une voix troue la quiétude, on prononce mon nom, celui de l'Homme-Mari, le silence perd de sa profonde intensité, une voix amicale chasse les sortilèges d'hiver... Arturo notre jeune ami écrivain, musicien, créateur, entre en scène à l'improviste !
C'est bien lui, en chair, en os, en pull chaud, en bonnet de laine, (Fait-il donc si frais ? Je n'éprouve qu'une douce tiédeur !) souriant, et détendu. Soudain, nous ne sommes plus des voyageurs solitaires, des Français idéalistes perdus sur un rocher qui n'a que faire de ces promeneurs égarés dans un siècle qui n'est pas vraiment le leur. Nous existons à Capri !
Le jeune empereur Auguste face à son chêne jauni reverdissant sous ses yeux la première fois qu'il posa son pied impérial sur l'île dût éprouver pareille émotion. Renaissance, retour au pays vu en songe, fin d'un exil intérieur, c'est sur ce rocher que l'on ressent la force de ces vérités. Incarnée par la famille de notre ami, c'est l'île qui nous souhaite la bienvenue d'un mot franc, d'un regard heureux, d'une plaisanterie cachant l'émotion des retrouvailles. A mon tour de remercier en ouvrant les bras, suivie par l'Homme-Mari étonné et ravi.
Avec une simplicité parfaite, nous fondons en une généreuse accolade devant la mer glorifiée par la lumière de miel pâle coulant des montagnes d'or vert et d'or rose.
J'avais bien sûr envoyé des messages, tenté de poursuivre notre bavardage, de dévider nos confidences, j'avais annoncé à tout hasard notre retour en pleine saison fraîche, hors des critères du bon sens ; je ne savais si cette fantaisie, ce désir de se heurter à l'austère Capri des jours d'hiver trouverait un écho chez des amis obligés d'affronter la mauvaise saison sans se plaindre, seuls avec leur île sur la mer violette.
Or, ils sont là ! le jeune écrivain, sa femme à la beauté de médaille romaine, leur toute petite fille sautillant sur les pavés de lave. Sont-ils les seuls à se souvenir de notre séjour sans cesse rallongé du début de l'été dernier, (quasiment trois semaines avant de quitter l'île contraints et forcés, soumis aux exigences de la réalité ...) de nos extravagantes rencontres, de notre quête absurde d'une maison hantée et ruinée, de nos sentiments passionnés envers leur île trop connue pour ne pas rester inconnue ?
Voici que l'infernal portable vrille la paix des dieux, une voix douce y répand sa musique, je manipule l'engin bavard avec un bel espoir. Oui, c'est la merveilleuse Giulia qui s'inquiéte de notre destin, de notre santé, et de notre débarquement. Rassurée, elle gazouille de toute son énergie de Capriote au cœur ensoleillé.
« Quel bonheur! Nous avions peur que vous ne puissiez traverser, la mer était mauvaise ce matin, nous vous invitons à dîner, j'ai choisi moi-même un menu qui vous fera oublier l'hiver. Nous sommes tous si contents et notre chien aboie depuis ce matin tant il est heureux lui aussi ! Ignoriez- vous que -les chiens de Capri descendaient d'Argos le chien qui attendit Ulysse vingt longues années pour mourir sur ses pieds ? Notre chien survivra ! cela ne fait que quelques mois sans vous, mais nous vous attendions de tout notre cœur, nous parlons souvent de ces fous de Français si gentils ! et tous vos petits mots avec ces nouvelles si drôles de votre famille, mille merci ! je viendrai ce soir, vers vingt heures vous chercher Piazza Caprile, sinon vous risqueriez de vous perdre dans la nuit, reposez- vous du voyage! a prestissimo !».
Nous n'osons répandre notre joie de crainte de blesser la petite famille qui patiente sur le quai, toutefois un immense sentiment de gratitude m'incite à danser avec la malicieuse fillette au teint de pêche, aux tresses brunes, la beauté frappante d'une vraie Capriote des anciennes gouaches Napolitaines en réduction, qui éclate de rire en tournoyant dans mes bras. L'Homme- Mari rajeunit à une vitesse folle, d'ici deux minutes, nous aurons vingt ans ! quel bonheur de ne pas être juste des excentriques abandonnés à leurs caprices, ces élans d'amitié nous reverdissent.
Je réalise qu'autour de nous la mer a repris ses droits, les rochers de la plage bordant la falaise du côté du Palazzo a mare, l'antique baignade des empereurs romains, sont recouverts de vagues agacées ; l'eau fustige la roche, et monte, comme poussée par une marée sauvage, en labourant de ses cascades hystériques les falaises hautaines. Nulle charmante pagaille, personne sur les balcons, aucune boutique de corail ou de douceurs, aucune terrasse de café gonflée de foule ahurie, le port capricieux de Marina Grande a fermé son décor de théâtre, le voici retourné à sa vocation première, rendu à ses néréides aux yeux d'aigue-marine, aux frêles corps marmoréens.
Comment un endroit aussi humainement dérangé s'est-il métamorphosé en farouche temple de Poséidon ?
C'est le singulier miracle de l'hiver, je m'en réjouis en romantique attardée que je suis, par contre, l'Homme- Mari ne me suit plus du tout, dans mes divagations romanesques : il meurt de faim et voudrait se venger de ce voyage rapide et épuisant. Amadeo, avec sa finesse d'artiste, saisit ce vœu au vol. D'ailleurs ne sont-ils accourus tous les trois pour nous proposer un déjeuner en famille ?
Mais où aller dans ce désert aquatique et minéral ?
En repli d'une haute villa habillée de bleu céleste, la célèbre Maresca bâtie par un colonel Sudiste qui en fit voir de toutes les couleurs aux Capriotes d'autrefois, le salut de l'estomac de l'Homme- Mari est annoncé : un petit restaurant traditionnel guette les audacieux qui n'hésitent pas à descendre d'Anacapri ou pire à fendre la houle depuis Naples.
« Ce sont des cousins, dit Arturo ,d'abord déjeunons ensemble, ensuite, nous vous conduirons à la maison d'Anacapri, justement, j'ai une voiture française, ne riez- pas ! c'est très chic chez nous, ma femme y tenait beaucoup, l'élégance, c'est sacré ! à quelle heure devez- vous rencontrer votre propriétaire ? »
Hélas ! nous n'en savons rien, l'aimable Antonio a promis de nous rejoindre dans l'après-midi sur le seuil de l'ancienne Villa d'Anacapri dont nous sommes si fiers de louer un tiers. Mais quel tiers ! celui s'enorgueillissant de la fameuse tourelle qui sert de repère au village, en surplomb de la route extravagante longeant les antiques chemins romains vers la crique du Faro. Toutefois, un doute m'envahit, ne suis-je désespérément optimiste ? Et s'il ne venait pas ce charmant Antonio? Peut-être a-t-il cru que nous ne tiendrons pas nos engagements, quelle personne de bon sens viendrait- elle de gaieté de coeur à Capri en décembre? Justement, depuis ce matin, il n'a laissé aucun message sur le récalcitrant portable conjugal ...
Notre acompte était au minimum, peut-être s'est-il imaginé que nous n'aurions pas le courage de traverser le golfe sur un ferry éternuant au sein des flots déchaînés ?
« Aucune importance, dit lHomme- Mari lisant dans mes pensées inquiètes, si Antonio nous délaisse, eh bien, il suffit que nous dormions à l'abri de la Gloriette du jardin, sur les chaises- longues, quoi de plus facile en achetant des couvertures via Caprile, souviens- toi de la boutique inondée de couettes juste à côté. «
L'adorable épouse d'Arturo qui a étudié le Français comprend ces paroles réconfortantes et pousse les hauts cris ! Comment s'agace-t-elle, avant de décrire, d'inventer, une attitude si peu capriote, si indigne d'un vrai Italien, nous devrions lire le menu et ne choisir que ce que les cousins nous conseilleront, ensuite ; son mari lancera un avis de recherche, la famille d'Antonio et surtout celle de sa femme sont établies sur l'île depuis Caligula, on pourrait remonter jusqu'à Auguste, mais rien n'est certain, en tout cas, ce sont des gens très honorables, très gentils, et s'ils ont tous disparu dans les grottes ou se sont noyés en sortant les barques sous la tempête de la semaine dernière qui fit tant de dégâts et obligea les enfants à se claquemurer a casa, alors, ajoute-t-elle d'un ton définitif, nous vous logerons , soit chez nous, mais c'est petit, soit chez les religieuses du couvent San Michele, elles auront pitié de vous, leurs lits sont durs, mais cela vaudra mieux que mourir de froid comme le voudrait l'Homme- Mari.
Eh oui, les nuits sont glacées, les brouillards épuisants, les falaises mortelles, les chats affamés, et les restaurants fermés ! quelle étrange lubie de revenir maintenant ! Certo, vous êtes les seuls Français sur l'île ! heureusement, demain, le bourg de Capri invite tous les îliens à une « passeggiata di Natale », voilà qui vous amusera, et vous mangerez des gâteaux, ne riez -pas, c'est important car vous suivrez notre tradition, oui, le supermercato est ouvert, et le coiffeur, les pharmacies, le docteur, les marchandes de Frutta, l'épicier un peu renfrogné de la Piazza Caprile, celui si aimable de la via Giuseppe Orlandi, et aussi les magasins de vêtements confortables, pratiques, pour nous les Capriotes, pas ceux des touristes, pas des souvenirs ; vous avez raison, nous ne vivons pas sur une île déserte, mais tout de même, les touristes aiment dépenser leur argent, là, vous allez avoir du mal, vous n'achèterez que des oranges ou des pyjamas.
Ah ! vous ne désirez que vous balader comme des chiens ?
Allora... oui, le rizotto de nos cousins est une merveille, vous n'en mangerez jamais un pareil ailleurs, sauf si vous êtes invités dans une famille Caprese. Ce soir, si j'ai bien entendu ? Flavia est une cuisinière incroyable ! vous avez de la chance, mais la signora ne mange rien, comment va -t-elle faire ? Il faudra vous forcer ! pour le signor cela ira tout seul … voyez comme notre petite est contente de votre poupée, une Parisienne, que c'est chic, je vais le lui expliquer, et nous irons ensemble voir la Tour Eiffel l'an prochain, Amadeo me l'a juré ! comme elle adore ce petit service à thé, vraiment, vous l'avez caché dans votre sac rien que pour notre fille ? Quelle Mamma vous êtes ! bientôt une Nonna ?
Vos fils sont si beaux pourtant, pas de mariage ? Ah ! le second déjà ! quand ? Et vous êtes Nonno et Nonna ? Et vous ne le disiez pas aux amis ?
Mais non, vous avez l'air très jeune, Signora cara vraiment, la Zia de votre petite-fille ! je ne m'en doutais pas, quel dommage que nous ne connaissions pas les jeunes époux, vos deux autres garçons sont tellement sympathiques, et ils aiment Capri, je l'ai senti, reviendront- ils au printemps ? Comment ?
Celui qui travaille en Afrique revient en France pour ses vacances et risque de vous rejoindre ces jours-ci ?
Mais c'est un miracle ! prions San Antonio, le patron d'Anacapri pour que le bateau ait la permission de faire la traversée, si le pauvre garçon restait à Naples, quelle tristesse, et où dormirait- il ?Nous avons été bloqués quinze jours sur l'île le mois dernier, aucun bateau ne venait, heureusement, nous avions les conserves de tomates et de courges de la Nonna d'Arturo ... Attention, votre portable sonne! un « cellulare » pour deux, quelle drôle d'habitude. »
Le flot de mots gazouillés se calme, j'en profite pour respirer ! et l'Homme-Mari m'arrache le fameux « portable pour deux ».C'est Antonio !
L'Homme- Mari répond en hâte et en Italien de cuisine, tout va bien ! Antonio est en visite chez sa tante, il nous prépare la maison, s'angoisse pour le chauffage qui ne fonctionne pas, mais son épouse, Maria, empile les couvertures et allume un souffleur dans la salle à manger.
L'Homme-Mari prend soudain conscience de l'enjeu et tente de garder son sang-froid, nous avons décidé de tenter un séjour hivernal à Capri, à nous de relever le gant! Amadeo insiste pour nous réchauffer d'une liqueur tellement traître et exquise que nos doutes glissent vers les bataillons de mouettes palabrant sur le quai tandis que ,libres et joyeux, quelques garnements sautent et virevoltent dans le soleil fugace.
« J'ai une surprise ! Mon dernier livre, et il y a une dédicace pour vous, cara amica. »
Touchée à l'extrême, dans un élan maladroit j'en renverse les desserts ...Je m'engage à lire toute l'intrigue, chapitre par chapitre, avant notre prochain voyage, sans doute au printemps. Mais, au fait, pourquoi bravons- nous la saison d'hiver ? Vais-je mentir ?
Non, ce sont des amis confiants, sincères, je ne les tromperai pas avec de faibles prétextes, la vérité n'a rien d'infâmant d'ailleurs, nous aimons Capri au point d'être certains que son visage d'hiver ne saurait nous décevoir, ensuite, le feuilleton de la maison ensorcelée continue ...Un agent immobilier a persuadé l'Homme- Mari de jeter un coup d'oeil sur une charmante petite Villa d'un goût classique qui fût le séduisant refuge d'un diplomate Romain sur les hauteurs de notre Migliera adorée. Malgré l'attrait de ce chant d'une Sirène de l'immobilier, le rendez-vous aurait pu attendre le mois d'avril, or, comme gagné par un obscur pressentiment, l'homme d'affaires du fâcheux propriétaire de la Maison Ensorcelée nous a intimé l'ordre de revenir au plus vite sur l'île...
Sans nul doute, serons- nous vite manipulés par une bande de personnages se moquant de notre désir idéaliste de jeter l'ancre à Capri.. Or, comment lutter ? Une flamme nous anime, cette maison hantée nous hante, nous dévaste, nous inspire, nous redonne un souffle de vie perdue, une passion miraculeuse, celle qui transfigure la monotonie en éternité vibrante.
Oui, cette maison nous l'avons dans l'âme, enracinée dans notre tête, si se présente une chance, attrapons - là aux cheveux ! donc, nous avons clamé que Capri en hiver était un séjour vivifiant dont mes bronches avaient un urgent besoin.
Cet alibi trompa nos enfants, attristés de m'entendre tousser dans les humides coins et recoins de notre mausolée français, et aussi les personnes sérieuses qui entouraient nos vies.
« C'est indiqué, tout à fait indiqué, me dirent ces braves gens avec l'assurance superbe de ceux qui ignorent de quoi ils parlent ; les voyageurs du Grand- Tour ne fuyaient- ils vers Naples autrefois afin de résister aux sombres maux de l'époque ? Capri a sûrement un climat très sain, les tarifs extravagants du fameux Quisisana ne s'expliqueraient- ils ainsi ? »
A cst arguments romantiques et absurdes, j'ajoutais le souvenir de la reine de Suède, l'amante d'Axel Munthe également ne suivit- elle l'injonction de son docteur en soignant ses refroidissements immodérés sur sa blanche terrasse encombrée d'orangers en pots, sur son toit encerclé de créneaux fantaisistes, sous le soleil subtil des jours d'hiver à Capri...A une encâblure de la Maison ensorcelée...
L'Homme au Panama ne m'angoissait plus, d'ailleurs en hiver, son couvre-chef serait ridicule, déplacé, il ne risquerait de se matérialiser au risque de détonner, faute impardonnable pour un esthète. J'aurai toute latitude à errer sur l'île sous les bourrasques, à grimper à la cime du Monte Solaro noyé de pluie glacée, à traîner sans pitié l'Homme- Mari sur les sentiers de chevriers jusqu'à l'ermitage fabuleux de Cetrella, lieu où souffle l'âme du monde si l'on écoute les antiques légendes.
Une semaine et peut-être davantage, certainement davantage en raison des tempêtes qui nous empêcheraient de prendre le bateau, quel bonheur ! au moins dix jours, hors des tumultes et déraisons ordinaires à goûter à nouveau au fruit défendu, à l'instar des compagnons d'Ulysse sur l'île des Lotophages. Et qui sait remonter le temps à la recherche d'amis disparus, d'amours envolées, de souvenirs flous et limpides au hasard des voies romaines sur lesquelles s'enlacent chèvrefeuille, jasmins et genêts.
Je prie mes amis de m'excuser, l'air me manque et j'arpente le qui en levant les yeux vers la Scala Fenicia. Je suis comme une mouette prête à m'envoler, quelque chose va se passer ...
« Madame, crie une voix distinguée, vous voilà revenue ! nous nous verrons demain bien sûr, je vous attendais. »
Installé sur un promontoire attaqué par les flots enragés, l'Homme de mes vies antérieures me salue en ôtant son feutre un tantinet Autrichien d'une remarquable nuance vert bouteille...
Je le regarde en face et le reconnais enfin, c'est l'inconnu qui me souffla pendant une vente aux enchères cette vue de Capri qui bouleversa ma vie ; c'est l'excentrique inconnu d'un certain âge qui me trouva peu changée au bout de deux siècles …
Le fil d'Ariane serait-il à ma portée ?
A bientôt pour la suite de ce roman à Capri,
Nathalie-Alix de la Panouse ou Lady Alix
![]() |
Arrière- saison à Capri (crédit photo Vincent de La Panouse) |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire