samedi 22 août 2015

Folles héroïnes et vrais châteaux



Les châteaux sont des personnes dictant leurs exigences aux timides mortels qui se font leurs esclaves dévoués.
 Il existe des romans de châteaux et des châteaux de roman. On envoie encore de jolis mots d'amour, d'amitié, de remerciement afin de se montrer digne de la vaste et mystérieuse maison qui a bien voulu vous recevoir en ses murs.
 Les lettres de châteaux se gardent, se donnent, se cachent aussi, et les romans s'écrivent sur le fil des secrets ou à l'abri vert des hauts platanes, des cèdres bleus et noirs, des tilleuls immenses s'élevant sur les pelouses.
Pierre Benoit, auteur hantant les bibliothèques ensevelies sous la poussière provinciale, excelle,
avec un panache qui gagnerait à être admiré de nos jours, à bâtir une intrigue en l'habillant d'un château et d'une femme fatale ! une union fascinante !
Ensorcelantes et fantasques, ses ravissantes héroïnes sont toujours embellies de prénoms commençant par un magnifique A : Alçyone, Axelle, Aédona .
Ces créatures dotées d'un tempérament de feu envoûtent et agacent presque davantage que le château le manoir, la citadelle leur conférant les titres glorieux de déesses lointaines, d'anges déchus, d'ouragans torrides, de capricieuses invétérées ou , osons le mot, d'enquiquineuses exquises.
Le plus merveilleux exemple en reste peut-être le Kalaat-el-Tahara de la ténébreuse comtesse Orlof.
Cette légendaire "châtelaine du Liban" est un savant mélange d'agent double ou triple et de grande dame occidentale vivant une passion orientale.
Sulfureuse, émouvante, touchante, perdue et calculatrice, la brune comtesse Athelstane, sort à la fois d'un roman d'espionnage suranné et d'une chronique mondaine des années 20.
Mais ce côté théâtral est racheté par la magnificence ruinée et ruineuse de la citadelle érigée aux temps lointains des croisades : "le château de la pureté", étrange nom pour une propriétaire dont l'existence se passe à séduire son prochain dans un but assez peu romantique...
La comtesse livrerait-elle son vrai visage grâce à cette passion envers l'écrasante austérité de sa citadelle de la démesure ?
En tout cas, le Kalaat-el- Tahara fait partie intégrante de son charme fatal...
"Le formidable cauchemar produit par ces ruines s'allie à une sorte de fierté mélancolique."nous confie Pierre Benoit avec une délicatesse charmante.
Fière, Athelstane, certainement  mélancolique, qui sait, orgueilleuse et indestructible, victorieuse 
dans l'adversité et ravageuse aussi.
Toutefois, à la fin du roman, une seule grande et sublime image , vision austère , immémoriale,
se détache de ces pages animées d'amour et de folie: celle d'un château "chaos de murailles".
Le roman se referme sur le mystère éternel de cette forteresse accrochée au flanc d'une montagne triste et grandiose , colosse inutile veillant sur une vallée immuable.
Une héroïne bien différente mais encore plus déroutante  emprunte son beau prénom grec au 
rossignol: Aédona.
Sa force et sa tenace douceur, son courage absurde dans une situation mêlant adultère et attachement pur déroute et fascine.elle incarne le charme obscur et lumineux des tragiques héroïnes du singulier Pierre Benoit !
Son tourbillon d'émotions la jetant de la pleine  passion dévastatrice au repentir sincère et enfantin, lui serait inspiré par sa jeunesse sous la protection de la plus bizarre maison de la plus secrète région de Grèce:
"Demeure à la fois caravansérail et château fort, elle étalait sous le ciel délicat de Laconie, 
ses dômes, ses moucharabiehs, les créneaux de ses rouges murailles, ses colonnades de marbre immaculé."
Cette fois, dans le roman "Villeperdue", la citadelle est grecque , mais elle illustre 
également l'épopée des croisés francs.
Ne symbolise-t-elle symbolise la tragédie de la triste Aédona ?
Amante prise au piège d'une passion  violente qui la rattrappe en la rendant victime de ses anciens serments.
Celui qui aurait pu la sauver d'un choix sentimental insensé, d'une descente aux enfers,ce n'est pas une personne, c'est un château , le manoir conjugal ! une gentilhommière rassurante entouré d'un jardin calme, fut la seule capable de ramener Aedona à la raison et, par là même, à son époux !
"Villeperdue", c'est son nom étrange, a l'apparence d'une gentilhommière"remontant à deux siècles, moins élégante que solide, habitée par des gens épris de leurs aises et soucieux de ne pas être incommodés par leurs voisins ".
L'histoire d'Aedona  finira aussi mal  que celle de la tumultueuse "châtelaine du Liban"; et les deux châteaux seront abandonnés ...
Ils auront perdu la bataille mais perdureront dans l'imagination  de ceux pour lesquels ils auront été crées ...
Les amours ne meurent jamais au sein des citadelles de pierre, de coeur, d'esprit .
On peut être soi-même un château fermé sur de cruels tourments .
Parfois aussi, l'on frappe en vain à des portes qui ne s'ouvriront qu'au moment où tout espoir s'est enfui ...
 Les châteaux de romans attendent d'être ranimés avec leur cortège d'amours impérissables !
A bientôt, pour de nouvelles "Lettres de châteaux": confidences chuchotées au fond d'un jardin clos,
ou à l'ombre de tours enguirlandées de lierre...
Rendez-vous dans l'Irlande des années 50, la vie de château dans un climat froid , des jardins baignés de pluie , des aristocrates lunaires cachant leurs sentiments sous leurs vestes de tweed  ; tout un petit monde cinglé par l'humour de Lady Molly Keane .
Mais d'abord , le rêve des troubadours sur un terroir occitan ...
Lady Alix



       
                                                            Le château d'Aédona à Mystra en Laconie




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