mardi 1 septembre 2015

"Je vous écris d'Italie": la citadelle perdue d'un amant romantique



"Je vous écris d'Italie"est un roman de Michel Déon.
Ce titre d'une fervente et éclatante simplicité, ces mots recelant une magistrale puissance de suggestion  annoncent le roman d'une citadelle: Varela, lieu clos, palais et bourgade réfugiés dans leur splendide isolement. C'est l'Ombrie, et sans doute le bout de notre fol univers, les remparts, léchés par la marée montante des destins tumultueux de leurs mythiques seigneurs, ont pourtant ouvert la grande porte en  en 1944 à des soldats et officiers français venus les libérer.
Quelques jours qui depuis n'ont cessé de compter bien davantage que sa vie réelle pour un jeune historien, Jacques Sauvage. Nous sommes cette fois en plein été brûlant de 1949,  le rêve se dissipera-t-il devant la statue du Condottiere Francesco de Varela  et surtout après la nouvelle rencontre d'un jeune idéaliste nourri de Stendhal avec la descendante directe du "seigneur de la Renaissance ": la Contessina Beatrice ? Hélas, le Condottière souffre:
 "son visage à la bouche tordue exprimait une telle concentration dans la violence qu'il aurait terrifié les visiteurs si, par une triste dérision, les ramiers ne l'avaient ignominieusement maculé."
L'effet produit par le premier donne la mesure de l'atmosphère de noble décadence dans laquelle baigne la citadelle de ses ruelles étroites, à son palais revêtu du seul prestige de la splendeur enfuie en passant par sa place "une des plus belles du monde", son église où vivent dans l'ombre éclairée par les rosaces les poignantes images de l'infirmerie qui y fut installée 5 ans auparavant , (près de cette colonne, le sergent Lévy, un étudiant d'Alger, était mort d'une blessure que l'on avait cru insignifiante)
.Enfin la maison Varela; maison patricienne qui servira de passerelle initiatique emprunté avec un intense étonnement par le jeune français vers de très singuliers aspects de la vie au coeur de cette citadelle peuplée de regards invisibles, d'aspirations interdites, de désirs inconnus et de confidences épistolaires à mi-chemin entre le romantisme de bon ton et l'érotisme absolu...
"Je vous écris d'Italie" est un conte de fées à l'envers, le héros se trompe de Belle à la Citadelle Dormante : une morte l'ensorcelle autant que trois vivantes, il dérape, se perd, croit se retrouver et sombre aux portes de l'amour et de la folie...
La citée faussement moribonde prépare une farce ou une fête, une descente vers un paganisme décidé, orchestré, légué par son seigneur voici trois siècles.
Mais tout d'abord, notre héros blessé de l'indifférence de l'anorexique Francesca, énigmatique et silencieuse soeur de la rayonnante Contessina, se venge en  dépouillant avec un zèle immodéré les archives et lettres familiales. Le voilà vite amoureux de la première Béatrice, née de Granson de Bormes, épouse en apparence résignée d''Hugo III, dernier souverain de Varela; son portrait la fige pour l'éternité en jolie personne attifée selon la mode de son temps, 1749;  pastel délicat que l'on croit avoir vaguement contemplé sans s'y arrêter plus d'une minute. Ses lettres évoquent au contraire la sincérité absolue d'une passion cachée :
 "Le style de Béatrice surprenait, on découvrait, au fur et à mesure que les lettres prenaient de l'ampleur, une aisance de ton, des bonheurs d'expression, une libre élégance qui étaient bien dans la manière du XVIIIème."
 Jacques est ensorcelé par cette "fraîcheur d'invention" au point d'éprouver une inextinguible et puérile jalousie envers l'amant,"Amadeo Campari, qui lui volait son bien ".
Toutefois, le français oublie son fantôme amoureux au fil  des préparatifs  de l'inconcevable fête, un vrai bal des célibataires réglé par Hugo III et des rencontres avec les étranges émanations humaines d'une citadelle de pierre: poète maudit, peintre assassin, couple plein de fougue dans sa ferme au parfum de paradis perdu, descendante obèse de l'amant  impudent, admirable demi-soeur adolescente de la Contessina, une créature à la nature aussi ardente qu'évanescente dont le charme vert pourrait être fatal, chien fidèle, petit garçon rusé, insaisissable officier allemand, "jeune homme romantique qui décide à lui seul d'assumer une culpabilité immense"et amant triste d'une Francesca désabusée, grotesques dames de la ville vivant pour la glace vespérale offerte par leurs époux sur la place adoucie d'une fontaine portant vers le ciel sa nymphe à la beauté ruisselante et tout le noir bataillon des libertés refoulés ...
Varela, une prison, un enfer historique ? Peut-être pas :
 "Je ne m'arracherai jamais de Varela, dit Francesca. Ici, Beatrice et moi, nous existons. Ailleurs nous ne sommes rien."
Et c'est ainsi que finit le conte: la citadelle gardera farouchement ses belles sauf une, la plus jeune , la seule dotée d'un impérieux désir de vivre... ailleurs...
Roman de palais, de citadelle, roman de pierres victorieuses, "Je vous écris d'Italie" ne laisse pourtant nul goût amer, mais l'irrépressible caprice de fuir à la recherche de cette Varela " volant dans les airs " au dessus des collines de l'Ombrie ...

A très bientôt vers de nouvelles escapades,

Nathalie-Alix de La Panouse

Lady Alix
                 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire