samedi 5 septembre 2015

Coup de foudre dans un grenier: "Julietta" de Louise de Vilmorin

Les surprises de l'amour ; coup de foudre dans un grenier

Les greniers sont des endroits où l'on retombe immédiatement en enfance, mais certains font encore mieux: ils vous entraînent dans les replis cachés de votre âme.
Le grenier, antre obscur où l'on avance, maladroit, le coeur battant d'une heureuse prémonition, vers une fée inventant sa vie...
C'est ainsi que Louise de Vilmorin  nous raconte de sa voix au timbre étouffé et aux accents voluptueusement amusés la surprise de l'amour entre le jeune et beau avocat André Landrecourt et une très jeune fiancée en fuite, Julietta.
 Ce roman tient à priori la comédie endiablée, dansant d'une péripétie à une facétie, virevoltant d'une gare, d'un jardin, du salon à la  bibliothèque, émouvante figure de proue d'une maison de famille "équipée comme un bateau en partance pour une longue traversée."
 Toutefois, entre les rapides et faciles sursauts de l'intrigue, une lame de fond d'une poésie exquise enlève  les personnages  à leur pittoresque banalité et les métamorphose en les guidant au sein  d'une dimension ensorcelée. Landrecourt rendu à moitié fou par les caprices de sa maîtresse,
une ravissante mondaine incapable de ressentir le moindre attrait pour la maison peu trop vieillotte qu'elle imagine sa rivale, éprouve une fascination agacée envers la fugitive Julietta, cachée par lui-même dans le grenier.
 Le malheureux embarrassé au plus haut point par cette situation risquant de lui ôter la confiance de  la souverainement élégante et parfaitement sophistiquée Rosie essaie de faire quitter sa retraite à la jeune personne enchantée de jouer une farce au prince d'Alpen, son encombrant fiancé.
Julietta n'est pas l'étourdie que croit André Landrecourt, et, au contraire de la snobinarde Rosie, elle vient de trouver en cette austère maison, à la fois manoir, château des souvenirs, maison de campagne abritant "un je ne sais quoi d'artiste, de vrai, de profond et recueilli qui révélait au visiteur le souffle et les empreintes d'un couple passionné", sa raison d'être:
"inventer sa vie".
 Or, Landrecout rejoint justement l'homme de ses chimères, celui dont "elle aimerait la forte et grave tristesse nourrie par la campagne ."  Pour obliger ce Landrecourt, qui n'a qu'une idée en tête: la chasser, à réaliser qu'elle est l'envoyée du destin, elle va tirer des entrailles du grenier un monde parfait, écho harmonieux de la maison tutélaire, invention, intuition , et surtout traduction gracieuse des sentiments inavoués .
"Ainsi, avec autant de conscience que d'inconscience, autant d'abandon que d'opiniâtreté travailla-t-elle pendant des heures". Et, à l'unisson de son grenier plein d'esprit et d'amoureuse espérance, la rusée Julietta attend de dire à son hôte luttant contre lui même mais subjugué par cette jeune fille élue par le génie des lieux:
 "Faites comme chez vous " et il répondrait: "Ou suis-je?".
 Pour le moment Landrecourt est accablé : " Il maudissait Julietta ". Tout en la maudissant , il ne cesse de l'imaginer dans son grenier et, perdu dans ses incohérences, néglige la volubile Rosie.
Soudain, happé par une force jaillie de sa maison, incapable de résister à l'appel du grenier, il ose disparaître sous un faux prétexte et, d'un coup, devient celui que désirait Julietta:
 "Immobile, il avait, en regardant autour de lui,le visage stupéfait qu'aurait probablement un homme transporté de la misère en un lieu enchanté".
 Mais, il a beau murmurer " vous êtes ma fantaisie", les chemins menant au dénouement se compliquent avec un désordre étincelant d'humour . Le fiancé de la fugitive arrive, sur les instances de la belle Rosie qui ne supporte plus les sautes d'humeur de Landrecourt et la mauvaise atmosphère d'une maison où objets, tableaux et produits de beauté s'ingénient à aller et venir comme animés par un invisible plaisantin. D'ailleurs elle pose à son ami sa dernière condition qui, elle ne s'en doute pas, scellera le deuil de leur amour:
 "André, c'est à prendre ou à laisser: c'est la maison ou c'est moi ".
Dans un premier temps, Landrecourt joue contre lui-même et fait mine de se soumettre. La vérité se fait jour au moment précis où il a l'audace d'annoncer l'odieuse nouvelle de la vente de sa maison bien-aimée en employant des mots furibonds qui sont une cascade de déclarations:
"Je vends cette maison parce qu'elle est hantée. Oui, hantée par vous, ma fiancée refuse d'y vivre  et moi vous m'en chassez, vous me poursuivez, vous menacez ma vie, vous m'obsédez, je vous vois partout, je ne pense à rien d'autre ."
Ce à quoi, Julietta répond :
 "Je vous livre un secret , je vous montre qui je suis et vous vendez ma vie inventée, vous me vendez, moi ."
Les maisons ont heureusement la manie de choisir leurs habitants; celle de Landrecourt étant douée d'une forte personnalité ne fera pas exception à cette règle mystérieuse, l'histoire finira par ces paroles adorables prononcées par une Julietta rassurée:
 "Le bonheur rend malade, je ne m'en remets pas ".
Louise de Vilmorin, jongleuse des jolis mots, ne mérite pas d'être ensevelie sur les tristes étagères provinciales, rendez-lui la vie, lisez cette conteuse qui ranime amours, châteaux, saisons et greniers ...

A bientôt, pour de nouvelles histoires mystérieuses,

Nathalie-Alix de La Panouse

Lady Alix


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