lundi 5 octobre 2015

Balzac et Diane de Cadignan: secrets et mensonges !


Je vous écris d’un jardin de la rue de Miromesnil au printemps 1839.
L’œuvre de Balzac ressemble assez à une falaise dure à escalader; on s’égare sur les rochers, on s’épuise à poursuivre tant de destinées qu’un esprit  fécond et puissant noue  et défait.
Toutefois  une étoile du soir anime de sa grâce d’ange déchu  la subtile intrigue des « Secrets de la Princesse de  Cadignan ».
Cette princesse fut d’abord une duchesse bien connue des lecteurs du vigoureux écrivain: le modèle de la femme fatale, ne craignant ni Dieu, ni Diable :
« elle avait passé sa vie à s’amuser, elle était un vrai don Juan femelle, à cette différence près que ce n’est pas à souper qu’elle eût invité la statue de pierre, et certes elle aurait eu raison de la statue. »
Mais, la ruine est venue à force de folies coûteuses désastre financier  aggravé encore par l’établissement des Orléans au pouvoir; une ruine totale et aussi un nouveau nom; la sulfureuse duchesse de Maufrigneuse a hérité du titre de princesse de Cadignan.
On peut être princesse et vivre chichement. Diane de Cadignan  accepte de se retirer rue de Miromesnil  en compagnie de ses souvenirs et des épaves de son immense fortune, elle loue quelques pièces et un jardin tenu comme un jardin de curé, adorable salon de plein air où, sous le jasmin, ses confidences éclosent sans craindre l’indiscrétion et la calomnie. 
Sa réputation grandement blessée guérit peu à peu:
«Le monde, dont elle fut l’ornement, lui savait gré d’avoir pris en quelque sorte le voile en se cloîtrant chez elle".
Après les amours faciles,
les passions audacieuses, les conquêtes boulimiques, la princesse se consacre à  son  fils de 20 ans, l’héritier d’une noble lignée, qui ne doit en aucun cas pâtir du passé orageux de sa mère.
Elle s’est juré de le marier dans les cinq prochaines années à une riche jeune fille…
A l’horizon, hélas , elle ne voit qu’ennui et solitude…
 «Elle aima d’autant mieux son fils, qu’elle n’avait plus autre chose à aimer».
Or, Diane approche à peine de la quarantaine, à l’époque de Balzac, autant dire qu’elle compte déjà un pied dans la tombe !
Pourtant, elle éclate de jeunesse, à l’instar des séductrices ayant profité d’un repos forcé, sa beauté reste étonnante, le destin l’a-t-il réellement mise à l’écart de la vie ? Amoureux de sa créature, Balzac vole au secours de cette Marie-Madeleine du grand monde.
Il n’a pas cherché bien loin, une étonnante histoire d’amour courait les salons parisiens au même moment: les mauvaises langues cancanaient sans vergogne sur les nouvelles amours de l’austère ministre Guizot et de l’indomptable princesse russe à la voix rauque: Dorothée de Lieven. Balzac eut peut-être ainsi l’idée fort romantique d’une surprise du sentiment entre deux êtres  qui n’auraient jamais dû se rencontrer, à un âge où l’on s’imagine qu’aucune pousse verte ne viendra métamorphoser les cœurs blasés.
Tout commence par une promenade au jardin, un bel après-midi de mai, la douceur de l’air fait fleurir les aveux, la princesse ose révéler à sa "meilleure ennemie "(il n’existe pas d’amies féminines, seulement des complices ) la Marquise d’Espard, qu’elle a accumulé les séductions sans éprouver la flamme:
 «Comme vous, peut-être ai-je été plus aimée que ne le sont les autres femmes; mais à travers tant d’aventures, je le sens, je n’ai pas connu le bonheur.»
La princesse cherche toujours un homme providentiel, un homme  de génie; denrée rare à Paris… Rêveusement, elle laisse échapper un nom: celui de Michel Chrestien, « un jeune homme aux yeux de feu », auquel elle est sûre d’avoir inspiré une «sainte et belle passion».
 Il n’en faut pas davantage à l’esprit inventif de la Marquise ! Ce fou, mort pendant les journées de Juillet, elle en a entendu parler ! Et justement par un « homme de génie », l’écrivain et homme politique d’Arthez.
Un caractère entier, une personnalité solitaire, un homme  se moquant des ragots et rumeurs d’un milieu qui lui inspire méfiance et dédain… Un plan s’échafaude à toute vitesse dans la tête de la Marquise;
 « Voulez-vous vous  trouver un soir avec d’Arthez chez moi ? Vous causerez de votre revenant. »  
La stratégie réussit à merveille: le naïf d’Arthez n’a jamais vu femme plus ravissante que cette princesse aux « exquises manières », incapable de deviner les manigances d’une experte en science de la séduction, il sent son cœur devenir parfaitement adolescent.
C’est certain: il vient de rencontrer la femme idéale:
 « la réunion d’un esprit fin et d’une belle âme ».
 Mais, la princesse aussi  repart reverdie,  une sorte de fièvre s’empare d’elle, elle comprend qu’elle est victime du charme qu’elle a jeté… Pour la première fois de sa vie, elle voudrait être une autre,: « Elle voulut être digne de cet amour ». La princesse n’y va pas par quatre chemins, d’Arthez la croit férue d’art, de littérature, de philosophie, elle ne le décevra pas ! Et la voici se lançant dans une épuisante course: ses nuits se passent à s’user yeux et cerveau sur tout ce qu’elle peut glaner: elle lit à s’en rendre malade ! A commencer par les œuvres de l’innocent d’Arthez, ému de susciter tant d’intérêt  et d’éloges…
En conquérante avertie, elle sait que l’amour  se nourrit d’invention afin d’atteindre sa  propre vérité. la voici qui s’invente aussitôt un passé d’abnégation et de sacrifices aussi éloigné de sa vie que l’Inde ou la Chine . Qu'importe !
Elle sait ce que d’Arthez a besoin d’entendre et par là de croire…
Au comble de l’indignation ironique, les anciens amants de la redoutable princesse lancent une cabale à son encontre !
 D’Arthez monte au créneau avec la vigueur de l’homme violemment épris à l’âge mûr et l’intelligence de l’écrivain mis au défi  devant les attaques odieuses outrageant son « roman humain».
Habile et déterminé, il trouve les mots afin «de venger une femme sans la défendre»…
Mais est-il dupe lui-même ?
Va-t-il renoncer à cette princesse que le véritable amour a poussé aux plus inconcevables tromperies ?, Si la lucidité lui vient, d’Arthez aura-t-il pitié de cette femme    emportée par une passion inconnue ? Rue de Miromesnil, Diane attend :
 «Pour la première fois de sa vie, cette femme souffrait dans son cœur et suait dans sa robe». D’Arthez se fait annoncer, la princesse est quasiment mourante , «elle aimait D’Arthez; elle était condamnée à le tromper car elle voulait rester  pour lui l’actrice sublime qui avait joué la comédie à ses yeux».
 Le dénouement approche…
 Il aura l’énergique inconscience de l’amour fou récompensé…
Le mot de la fin appartient à une autre princesse, russe celle-là, cette Dorothée de Lieven qui « enleva » au galop le froid ministre et ambassadeur François Guizot au point de réchauffer cette statue trempée dans la glace de l’ambition politique en lui insufflant son romantisme libre et  poignant:
 «Je vous aime, je vous aime, je vous attends, je vous le dirai autrement quand vous serez là devant moi, près de moi !»
 Ou encore:
 « Ce n’est qu’avec vous que je sais parler, ce n’est que vous que j’aime à entendre. Je n’ai que tristesse et ennui là où vous n’êtes pas ».

A bientôt pour d’autres lettres aussi touchantes ! pourquoi ne pas croire au romantisme absolu ?

Lady Alix

Je n’ai pas oublié la croisière promise sous l’égide de Lawrence Durrell , dès que les vents  seront favorables, au pays de la belle Pasiphaé et des « Parisiennes » dansant  aux murs du palais de Minos

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