jeudi 8 juin 2017

Contes du vieux château : Allons au jardin ! avec le cyprès d'Italie, la rose antique et l'abeille de Virgile

Autrefois, disons dans les années 70 ou 80, on s'initiait doucement au latin à l'âge tendre de 12 ans.
Nul n'en mourait d'ailleurs ! de courtes phrases s'ingéniaient à apprendre sans y penser quelques lois respectables de cette déesse crainte et vénérée : la grammaire .
La plus suggestive était aussi la plus facile à traduire :
"ambulat in horto".
Donnez-vous votre langue aux chats, animaux raffinés qui n'en voudraient pas, ou une étrange intuition ne vous dicte-t-elle cette simple traduction:
 " Il se promène au jardin" ...
Le jardin latin était déjà un reflet paisible et soigné de ce paradis perdu que nous gardons enfoui dans les abysses de nos chimères. L'écrivain Jean Raspail dirait peut-être que son royaume de Patagonie illustre cette idée du jardin secret, lieu de réconfort et d'amour.
Unique endroit sur cette terre où l'on déambule à pas lents, plongé au sein d'une méditation épousant la rêverie enfantine et l'inspiration du poète oublié qui respire soudain la brise parfumée de ses espoirs en fleurs.
C'est un arbitre des élégances, un délicat, un écrivain un tantinet précieux rendu infiniment sympathique par le roman célèbre "Quo Vadis ",( souvenez-vous des amours contrariées du beau patricien romain Marcus Vinicius et de la princesse barbare, Ligia, otage de l'odieux, de l'incendiaire  Néron ) en un mot,  Pétrone, qui ranime le mieux l'exquise beauté du jardin latin :
"Jardin sous la brise d'été:
Le platane mouvant épanchait ses ombres estivales; avec lui Daphnè (le laurier) couronnée de baies et les cyprès frémissants et les pins taillés dont la cime s'agitait confusément. Parmi les arbres se jouaient les eaux capricieuses d'un ruisseau qui, dans sa fraîche écume, roulait des graviers avec un murmure plaintif.
Lieu fait pour l'amour !
J'en atteste le rossignol des forêts et la citadine Procné (Hirondelle), qui ça et là par les gazons et dans et dans les souples violettes,célébraient de leurs chants leur domaine ."
Ce court poème en prose est limpide à l'instar des fontaines jacassant au coeur des jardins latins.
Pline le jeune et Virgile chantent avec une tendre ferveur le charme incomparable de la vie agreste, toujours abritée par les silhouettes élancées des cyprès.
Or, cet arbre dont le nom évoque la déesse de l'amour, ce panache souple et mystérieux, ce danseur jamais encombrant qui instille de l'esprit au plus insignifiant coin de verdure, est resté le symbole -même de l'Italie.
L'héritage latin s'enracine dans le dessin harmonieux des extraordinaires jardins de Boboli à Florence, de l'Isola Bella sur le lac Majeur; ou, presque surnaturel, celui de la villa Carlotta, fabuleux débordement d'azalées blotties sous les plus extravagants cyprès et magnolias s'épanouissant libres et joyeux sur les rives enchantées du lac de Côme. Stendhal, ragaillardi par ces senteurs capiteuses, souvenir tenace du paradis terrestre, y soupire certainement de bonheur sous la forme évanescente d'un spectre au coeur amoureux...
Le roi cyprès s'élève au delà des allées, des miroirs d'eaux, entre les déesses de pierre et les glycines soyeuses, devant un palais ou une maison de village, statue vert clair ou vert nuancée d'ombre, que la brise froisse comme un velours, vibrante épée se moquant des hivers et redonnant l'espoir du printemps.
 Mais, la reine indétrônable du verger, bosquet, domaine ou cour aménagée en sanctuaire de verdure  chez les anciens romains, et encore davantage chez les gallo-romains, ces créateurs d'une civilisation mêlant le génie bâtisseur des uns et l'art de l'agriculture et de la vie aux bois des autres, voltige et ne se plante jamais.
Le sort de tout jardin,est irrévocablement lié à la plus douée, la plus diligente, la plus admirable des inventions de la nature: l'abeille !
Privée de sa présence active, la campagne meurt à petit-feu . Virgile, dans ses "Géorgiques", défend ainsi le caractère des abeilles dans un plaidoyer bourdonnant ! l'éloquence du poète exalte le labeur dévoué de cet insecte sans pareil :
"Une passion innée presse les abeilles d'amasser, chacune en son office.
aux plus âgées le soin de la ville, la construction des rayons, le modelage des logis travaillés avec art.
Mais les plus jeunes reviennent fatiguées, à la nuit bien close, les pattes chargées de thym:
c'est qu'elles vont butiner ça et là les arbouses, les saules pâles, le daphné, le crocus, qui rougeoie, le tilleul chargé de fleurs et les sombres hyacinthes. Toues se reposent ensemble; le matin, elles se précipitent hors des portes; nulle retardataire; puis, quand le soir les avertit enfin qu'il est temps de quitter les plaines où elles butinent, alors elles regagnent le logis; alors elles songent à se reposer:
on les entend bourdonner, elles murmurent aux abords et sur le seuil de la ruche .Puis, quand elles ont fini de se retirer dans leurs loges, tout se tait pour la nuit, le sommeil s'empare de leurs membres las ."
Comment ne pas aimer Virgile et rêver d'une nouvelle chance donnée aux jeunes générations : s'initier aux richesses extrêmes des beaux textes latins ?
Une autre souveraine des jardins antiques enivre de ses effluves délicates nos refuges rustiques ou nos terrasses citadines, elle aussi parle latin ; rosa , la rose, notre première déclinaison !
Rose sauvage ou déjà élaborée ?
La "rosa gallica" est née voici trente siècles, elle a sans nul doute parfumé le balcon d'Hélène de Sparte devenue princesse de Troie avant d'égayer les villégiatures des patriciens romains, les vergers gaulois, les cours austères des châteaux -forts, les parterres de La Renaissance, et de subir la discipline imposée au sein des parcs à la française.. Rose quasiment dépourvue d'épines, robuste et odorante, elle caresse de ses vigoureux coloris nos souvenirs d'enfance et la majorité des jardins de nos terroirs français.
La rose ne cesse d'être la même et une autre, ce qui ne changera jamais c'est la passion qu'elle suscite. Nous avons tous une rose favorite et celle-ci nous le rend bien !
Visiter un jardin privé en apprend énormément sur son créateur émérite: mesuré, timide, exubérant, désordonné, classique, réservé, obsédé de propreté ennuyeux de rigidité, lassant de confusion, mais attendrissant de franchise, ce qui fait tout pardonner.
Tant pis pour une surabondance de pétunias, une plate-bande ordonnée au cordeau, des buissons échevelés de roses aux nuances violentes, du gravier lavé et brossé à la place d'une pelouse, ou des herbes folles courant sous les arbres, et, pire, du lierre enlaçant les troncs qui crient "au secours!"
Pline le jeune déjà jugeait l'effet ravissant au premier siècle après J-C! l'ignorant ! le lierre étouffe les arbres ! il faut l'arracher sans état d'âme romantique .
Le jardin indique autre chose: un tempérament particulier façonné par la vie dans une contrée précise. Une historienne des jardins, dans les années soixante exprima audacieusement ce principe :
"Remettez deux douzaines de pots de géraniums à un Français, à un Anglais,  à un Italien et à un Portugais, avec la mission de les utiliser selon leur bon plaisir.
Le Français les espacera à intervalles bien réguliers au long d'une allée,l'Anglais les enterrera dans un coin de pelouse, l'Italien les espacera sur les marches d'un escalier, le Portugais les groupera en macarons ..."
Amour des jardins, quand tu nous tiens, on laisse derrière soi tristesse, ennui, déception, amertume et regrets ! on y côtoie une amie qui titille l'imagination : la solitude inspirée. Si vous le voulez bien, cet été, nous voyagerons autour des jardins de notre planète ...
A commencer peut-être, par ceux qui furent jadis plantés par le vicomte de Chateaubriand .
Mais ceci est une histoire qui attendra un peu.
Je vous inviterai la semaine prochaine à un bal à Paris, du côté du Faubourg St Honoré...

A bientôt,
Nathalie-Alix de La Panouse

Lady Alix
Jardin fleuri de roses dans le goût français

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