vendredi 2 juin 2017

Contes du vieux château : L'art de vivre dans l'insouciance: la Café Society !

La Café Society ?
Qui peut encore en nos jours pragmatiques avouer une exquise fascination envers cette étoile filante peuplée d'heureux du monde empaillés dans leurs fêtes éternelles?
Qu'était-ce d'ailleurs au juste ? Une confrérie du narcissisme? Une secte vouée au plaisir de l'instant et au culte de l'égoïsme doré sur tranches? Un cercle bizarre, fermé et très ouvert, européen en diable et cosmopolite avec ivresse, qui étira ses divertissements extraordinaires des années vingt au début des années soixante ?
On dit qu'il y existe toujours du bon même chez les plus tristes personnages, cela s'applique-t-il aussi à ces dandies hautains, à ces esthètes exclusifs, à ces hommes et femmes s'exténuant à oublier derrière les lourdes portes de leurs citadelles raffinées, que sur terre, le destin n'en fait qu'à sa tête et que les Dieux punissent ceux qui croient se soustraire à la faiblesse mortelle?
Il faut de tout pour faire un monde, dit un dicton plein de bon sens populaire !
La Café Society brassait ainsi des fées, des dilettantes, des cerveaux pétris d'esthétisme insensé , des créateurs du délicieux , des passionnés du frivole , des oiseaux de paradis et des barons emplumés, des ennuyés invétérés, des jolies femmes habillées de l'air du temps, et des élégantes qui lançaient les modes et anoblissaient les couturiers naguère relégués au rang assez mesquin de "fournisseurs" du grand monde.
Ruisselant d'incertitudes incertaines, les membres les plus en vue de ce nuage voguant bien au dessus des sinistres contingences, exaspèrent, attendrissent ou étourdissent encore en nous proposant un art d'exister brandi comme  un oriflamme .
Bien mieux qu'un savoir-vivre bourgeois, un défi glorieux bravant la vulgarité des usages autant que la médiocrité des esprits .
Ce sillage étincelant a libéré une poignée de Chevaliers à l'armure de tweed et de Dames chamarrées  de diamants.Trois fées se détachent de ce lot brillant : une ambassadrice évaporée,et deux écrivains aux bavardages railleurs.
Toutes trois observent d'un regard souverain leurs étranges amis:
ces héros purs et quasi désincarnés quêtant le Graal entre les salons de l'hôtel Lambert, les jardins de l'ambassade d'Angleterre, les palais Vénitiens, les restaurants feutrés où pépie le "Tout-Paris";
elfes errant des châteaux secrets d'une province civilisée aux villas romaines de Capri, avant de regagner leurs  douces retraites de la Riviera en hiver.
Un ange qui aurait par hasard trouvé un corps se métamorphose en Notre-Dame de la vie mondaine : elle sème la tempête amoureuse et récolte le vent de la passion chez les poètes, écrivains, peintres, photographes, danseurs, aristocrates et ambassadeurs.
Ce miracle frémissant, c'est, Lady Diana Cooper, une" Madame De"qui aurait épousé son damné "ambassadeur d'Europe".
D'ailleurs, cette beauté a sans nul doute prêté ses traits à l'héroïne de ce roman cynique de Louise de Vilmorin, amie infiniment proche de ce couple extravagant:
l'ambassadeur d'Angleterre, Sir Duff  Cooper et l'excentrique adorable lady Diana.
En poste à Paris, au lendemain de la seconde guerre mondiale, d'abord naufragés dans une ambassade d'Angleterre décrépite et décatie, l'ambassadeur, cachant ses faiblesses envers ses collections féminines sous un masque austère, et sa femme-enfant d'épouse figureront au bout de quelques semaines, par un tour de force miraculeux, l' incarnation diplomatique de la Café Society.
Lady Diana Cooper flotte à l'instar d'un cygne oublié sur les âmes de ces enragés mondains prenant le thé au fond de leurs villégiatures de l'au-delà.
Créature diaphane et un peu perdue, outrageant avec une fougue libertine et un panache charmant les préceptes et moeurs des bien-pensants.
Cultivant avec soin son charme décadent d'aristocrate appartenant à "this delightful Dixuitième"(sa formule favorite!),Lady Diana Cooper oppose aux snobismes ou aux calomnies, son naturel de fille de duc éduquée à ne s'étonner de rien et à ne se plaindre que du mauvais temps.
A Paris, toutefois, à la Libération, elle commence par sombrer dans l'ennui d'une ambassade inconfortable, attirant exclusivement des barbons du monde diplomatique, au lieu du joyeux "tout-Paris" encore bouleversé par la guerre.
Un soir chez les Polignac qui ont l'audace de recevoir autour de leur unique feu de cheminée, période de restriction oblige,  Lady Diana remarque une dame encore jeune à la pâleur éminemment distinguée et d'une réserve assez exténuante pour que l'ambassadrice soit tentée de s'en offusquer .
Se méfierait-elle cette inconnue ?
Ou  cette distance polie signifierait-elle un léger dédain à l'égard des nouveaux venus ?
Lady Diana ne reste pas longtemps perplexe ; elle le raconte elle-même:
"Le lendemain, j'apprenais qu'il s'agissait de Louise de Vilmorin,poétesse de haut-mérite, qui habitait avec ses trois frères dans la banlieue de Paris .Une semaine plus tard , elle nous invitait à dîner.Jean Cocteau, Cecil Beaton, étaient là avec beaucoup d'autres. En rentrant chez nous, cette nuit-là, nous avons senti ,Duff et moi, que notre vie parisienne allait être complètement différente."
Un dîner et la vie s'emballe !
 Les soirées élégantes laissent toujours une impression ineffaçable, mais, en ces temps où le raffinement était un défi, où le bonheur palpitait sous la chape de plomb des années de guerre, ce premier "vrai" dîner" pétillant "d'art de vivre à la française"ressemblait sans doute à l'expérience irrésistible vécue par le personnage majeur du roman "Le cher ange"(The Blessing") de Nancy Mitford: Grace de Valhubert.
Cette timide lady, jeune épouse d'un aristocrate français, Charles-Edouard, héros de la Résistance et séducteur incorrigible. a participé à l'effort de guerre et enduré les privations et dangers avec un stoïcisme admirable.Elle n'a que des idées fausses sur les Français, s'imagine que les femmes de ce pays sont aussi laides que bien vêtues et les hommes "petits et bruns".La voici arrivant dans le salon de son hôtesse ; en face de ses yeux incrédules se déploie le merveilleux spectacle d'un monde renaissant de ses cendres, un mélange de Café Society et de "vieille-noblesse":
"La porte s'ouvrit sur un éblouissant kaléidoscope.
Les femmes, presque toutes des beautés, portaient d'énormes crinolines d'où jaillissaient leurs épaules nues et leurs seins presque aussi nus, miroitant de bijoux. elles déplaçaient de capiteuses effluves de parfum, leurs visages étaient gaiement fardés sans aucune prétention à imiter la nature, leurs cheveux semblaient mieux lavés et plus lustrés que toutes les chevelures qu'il lui eût été donné de voir.
Mais plus encore, peut-être, Grace fut étonnée par les hommes grands, beaux et admirablement habillés."
Une assemblée de mannequins de mode ? Les apparences sont trompeuses! Cette société cultive le fameux goût du bonheur stendhalien: la saveur acide de l'égotisme mêlé au piment doux du marivaudage. "Le jeu de l'amour et du hasard" dérivant en une pirouette vers "Les fausses confidences" venues conclure ces "Surprises de l'amour" et d'autre chose ...
Grace est un oiseau chutant de son nid, toutefois l'essentiel lui saute à la figure :
"Qu'il planât une atmosphère franchement sexuelle, ne fut pas pour surprendre Grace: elle s'émerveillait simplement que la sexualité pût se donner cours si librement,hors d'une chambre à coucher."
Deux secondes de vie rêvée et une douche glacée ! voilà une duchesse ou marquise, certainement sortie des pages de Proust, qui apostrophe son époux bien-aimé, l'irrésistible Charles-Hubert:
"Vous êtes toujours amoureux d'Albertine ?
Ce à quoi imperturbable, Charles -Edouard réplique:
"Non. Je suis marié à présent, et j'ai un fils de sept ans ."
Balayant d'une main musclée par le poids de ses cailloux précieux , ces arguments insignifiants, la duchesse centenaire de rétorquer:
"C'est ce qu'on m'a dit, mais je ne vois pas le rapport ."
Scandale ? Eh bien non, pas pour la cohorte de convives indulgents et amusés. Affolée en son for intérieur, Grace tente désespérément de comprendre les codes de ce monde qui la guette à l'instar d'une armée de chats épiant une minuscule petite souris.Le dîner s'achève par une migraine et une souffrance morale. La jeune Anglaise aura au moins appris une loi d'une extrême importance : des élégants dignes de ce titre envié doivent, sous peine d'être déchus, s'envoler dans un tourbillon de réjouissances d'une intensité assez harassante pour y perdre la santé! il s'agit -là d'un strict devoir
mondain se traduisant par la fréquentation d'une quarantaine de maisons par semaine
Ne convient-il de jongler au quotidien, entre un déjeuner, trois cocktails et un dîner?  Les bals, mis en musique par Francis Poulenc, exaltés par Picasso, Chanel ou Jean Cocteau,  couronnant cette effervescence absurde en célèbrent la fabuleuse apothéose  ...
Les bals ?De nos jours,grâce au ciel, il en s'en donne encore ! de Vienne à Paris, en ondoyant de la Belgique aux Pays-Bas vers les tournoiements des soirées protocolaires de la "vieille-Europe", cet art de vivre reverdit comme un printemps amoureux.
Le bal: "expression esthétique d'une civilisation" ne succombera jamais tant que le mot raffinement ne sonnera pas dans le vide glacé de la course à la consommation ,ou, pire à l'étroitesse d'esprit.
Or, si le bal resplendit toujours, c'est qu'il unit l'ancien au nouveau monde, l'aristocratie européenne à la richesse cosmopolite du continent américain, les Arts et les Lettres à la Finance, les nouveaux-fortunés et les désargentés courtois, les cheveux blonds, les cheveux gris, en parsemant de  poésie allègre la destinée humaine.
D'ailleurs, les bals touchent tous les milieux, bal de promotion, bal des pompiers, bal d'un cercle militaire, bal du 14 juillet, bal de fête de village, le bal est un principe bien plus démocratique que les sots poncifs ne le laissent croire .
 Louise de Vilmorin, "fauchée" professionnelle, s'exclamait souvent :" L'argent me ruine !"; cela ne l'empêchera jamais d'étinceler au bal, en voilant l'éclat des très riches américaines de l'époque ... Humanisme qui s'ignore ou désinvolture impertinente, l'allure était plus admirée que les diamants au sein de ce théâtre permanent de la Café Society.Et, c'est pour cette raison d'une simplicité biblique qu
Grace de Valhubert (finalement, on imagine en cette héroïne une Lady Diana Cooper qui aurait eu la regrettable  étourderie d'épouser un Français de la Café Society cousu de bonne noblesse) manquera de mourir de fatigue, puis de chagrin face aux liaisons dangereuses de son cher Charles-Edouard.
Comme le sang anglais façonne des tempéraments indestructibles, la jeune femme survivra ! mieux: elle saura s'acclimater à la longue aux saisons tumultueuses de sa nouvelle planète.
Nancy Mitford la laissera en paix, sous la forme d'une ravissante idiote, dans sa suite "Pas un mot à l'ambassadeur"(Don't tell Alfred). L'écrivain adorera par contre se livrer aux délices de la plus suave ironie à l'égard de la véritable Lady Diana Cooper.
 Ne dépeint-elle cette malheureuse, incapable d'accepter que la mission de son ambassadeur d'époux soit dûment achevée, se cachant dans la loge du gardien de cette ambassade qu'elle s'obstine à ne pas quitter ? Une affaire diplomatique déclenchant une crise d'une gravité inconcevable !
Lady Diana Cooper prit à l'époque le généreux parti de rire de cette plaisante caricature ...
Quoi de plus naturel ? Nancy Mitford n'avait-elle eu la franchise de souligner que la première ambassadrice avait reçu le soutien absolu de la Café Society ? au contraire de la suivante, victorieuse en droit, et perdante sur les terres mondaines ...
Une "victoire à la Pyrrus"!
Louise de Vilmorin s'éclipsera de la Café Society lançant ses derniers beaux rayons, pour un retour de flammes avec Malraux, à l'âge où on l'on cultive l'art d'être grand-mère ! serait-ce la  preuve que cette passion de la vie, ce souci de perfection, gardent en état de jouvence coeur, corps et âme ?

A bientôt !

Lady Alix
Carton d'invitation à dîner portant le nom de Lady Diana Cooper:
un joli exemple du savoir-vivre dans l'insouciance !
                                                                                            Château de St Michel de Lanès
                                                                                           Cabinet St Michel Immobilier CSMI

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