mardi 25 juillet 2017

Le roi des "aristo-chats": le roman d'Adelphos premier

On entend souvent parler de ces félins singuliers décorés à tort ou à raison du titre pompeux "d'aristo-chats".
 Or, tout le monde s'est pâmé d'attendrissement à l'âge tendre devant les amours agitées de Duchesse, aristo-chatte immaculée, et du boucanier O'Malley, chevalier-chat de La Gouttière. L'enfance a ses plaisirs, l'âge, tristement adulte, ses leçons de morale, vraies ou fausses.
En dépit des ricanements mesquins, les beaux mythes perdurent, preuve que la planète tourne rond.
 " Les aristochats" sont ainsi entrés dans la légende !
Vous ricanez ? Vous vous moquez ? Vous haussez les épaules en coeur dur incapable de saisir la finesse d'un petit félin sur un humain borné ?
Vous osez me dire bien en face un flot de choses heurtant mon âme sensible :
quelle touchante invention, cette histoire de chats de La Vieille-Noblesse Féline ( La remarquable VNF;  à ne pas confondre avec l'ANF: association d'entraide de la noblesse française...) dominant leur prochain d'un adroit coup de patte éminemment distingué !
Vous énoncez cette certitude avec une arrogance implacable. Or, les certitudes sont aussi vaines que l'amour de soi .
 Vous vous égarez, vous trompez, vous vous fourvoyez, vous n'êtes qu'un ignorant des moeurs raffinées de cette caste d'anciens demi-dieux qui s'est donné pour vocation de dresser l'homme ! en usant pour cela d'une science de la diplomatie qu'envierait même le plus avisé et sagace des héritiers de Talleyrand et Metternich...
Si les chats naissent et meurent à priori égaux en liberté et esprit rebelle, certains portent dans leurs gènes la fier souvenir des adulations dont ils furent l'objet voici 30 siècles et davantage .
En réalité, je soupçonne le chat des cavernes d'avoir déjà su gouverner le piteux chasseur humain, aussi malodorant que sa  peau de bête, au point de lui extorquer, d'un simple frémissement des moustaches, son dernier os de mammouth ou autre monstrueuse bestiole à ronger.
Son descendant direct trône depuis une bonne dizaine d'années en notre manoir décati après une hésitation d'environ mille jours !
L'ami Saint-Exupéry préconise une recette assez touchante si se lance dans l'art d'apprivoiser un renard : patienter chaque jour à la même heure et parler avec les yeux du coeur .
Cela vaut peut-être pour compère Goupil, toutefois un chat retourné par la faute de maîtres ingrats à l'état sauvage exige bien davantage. Notre chat des cavernes pointa entre les buissons bordant la cour une grosse tête aux bajoues éraflées de guerrier impénitent un joli soir d'avril . L'Angélus tintait sur les hauteurs du village, le fauve à la robe noir me considéra d'un regard vert-océan et je crus l'entendre prononcer d'une voix éraillée:"J'ai faim, donne-moi à manger."
On oublie trop souvent que chez un chat normalement constitué le chemin menant au coeur emprunte la large route d'une abondante nourriture.
Ce félin de ce côté-là raffolait autant de la quantité que de la qualité.
Habitude fut prise ainsi, à l'instant précis où les notes de l'Angélus croulaient sur les toits, de remplir une assiette de porcelaine ébréchée afin de rassasier cet animal inconnu qui tenait de l'ours pour la démarche et la corpulence, du chat pour la politesse, et du hérisson pour la gloutonnerie...
Le singulier manège amusa ma famille, étonna nos invités et horrifia notre chatte; une espèce de tigresse qui n'avait aucune intention de se laisser conter fleurette par ce chat de combat! elle méprisa ostensiblement son nouveau soupirant qui empestait le gentilhomme d'aventures, le fauve mal-lavé, le général de la Gouttière portant les stigmates de ses luttes sanglantes contre l'instinct de domination des impétueux jeunes mâles.
Guerrier ténébreux au dehors, le fauve plus grognant que rugissant redoutait surtout l'intérieur de notre maison.La seule perspective d'en passer le seuil l'épouvantait purement et simplement . Astucieux jusqu'au bout des griffes, il imagina une stratégie nous imposant une gêne considérable:
son postérieur restait étalé dehors, le reste de sa puissante anatomie veillait de l'autre côté. Par beau temps, nous l'enjambions en nous répandant en excuses qu'il daignait accepter d'un frisson hautain. Nous étions des intrus chez nous ! et nous fîmes bonne figure car ce chat à l'aspect insolite s'était emparé de nous: magie, faiblesse, tendresse, nous étions persuadés qu'un grand coeur se dissimulait sous cette rude apparence.Tous ceux qui ont apprivoisé un animal me comprendront .
Cette belle harmonie se gâtait terriblement sous la pluie ou les frimas. Nous plaignions de tout notre coeur ce pauvre animal qui recevait avec un stoïcisme remarquable l'eau du ciel et le vent du nord sur son arrière-train.Quant à nous ...
Il était absolument impossible de convaincre notre combattant harassé d'avoir la bonté de nous permettre de fermer la porte d'entrée. L'homme-mari tempêtait, les enfants suppliaient, je déposais sou le nez de l'entêté une provision de mets succulents et la promesse d'un confort extraordinaire, notre chatte dédaigneuse rentrait ses griffes en plantant des yeux de jade énamourés dans ceux de son soupirant, en vain !
Au bout d'une longue attente,  le froid , la tombée du jour et l'obligation de verrouiller la porte nous obligeait à pousser le pauvre froussard côté jardin.
Nous n'en étions vraiment contrits et le remords nous torturait ...Le chat nous pardonnait sans l'ombre d'une hésitation : invariable au contraire de la météo ou de la politique, insoucieux de nos sautes d'humeur, tenace en dépit de nos absences, il revenait au petit matin, appréciait un mot aimable, un croissant(les chats sont des gourmets aux goûts exagérément civilisés, n'importe quel "maître" vous le dira en soupirant) disparaissait et se matérialisait, comme une créature venue d'un univers troublant, pays des fées ou monde parallèle, à chaque Angélus.
Au bout de quelques mois, le prénom grec d'Adelphos me vint à l'esprit. En français, ce mot signifie "frère".
Et si quelque animal nous témoignait une sorte d'affection fraternelle, c'était bien lui .
L'étrange attitude de ce seigneur des félins si brave parmi les siens et si peureux face une maison peuplée d'amis, dispensant une abondante nourriture pour la joie d'obtenir un regard vert- doré plein de gratitude, dura presque trois ans.
Gagner la confiance d'Adelphos constituait un défi aussi chimérique que la recherche du trésor enfoui dans les entrailles de notre maison depuis bien avant la nuit des temps. Notre situation était tellement incongrue que personne ne nous prenait plus au sérieux . Un chat frappé d'agoraphobie ! voilà , disaient les mauvaises langues, ce que l'on reçoit en affublant un félin du ruisseau d'un prénom remontant au siècle de Périclès : une maladie habillée en grec !
Je crois que St François d'Assisse eut enfin pitié de notre famille injustement vilipendée et de ce chat qui ne voulait être ni dedans ni dehors, ni en bonne compagnie ni traité en vieux solitaire.
 Face à cet amateur de combat au coeur tendre, ce preux, victime de sa couardise envers les humains, Freud nous aurait certainement expliqué qu'Adelphos souffrait d'un traumatisme infligé par la cruauté de sa première famille. On m'avait chuchoté les détails épouvantables de son abandon: un soir, le malheureux avait gratté contre une porte close. Ses maîtres étaient partis pour toujours, sans un adieu, sans même avoir prié des voisins compatissants de subvenir aux besoins de cet animal innocent. Adelphos ne guérissait pas de son hantise de la porte fermée .
 Cela relevait de la science, c'était un cas des plus originaux, et totalement désespéré. Or, les savants songent à tout sauf à l'amour sincère, cette force irréfragable, silencieuse, patiente, qui souvent accomplit des prodiges.
 Adelphos réfléchissait, le derrière exposé au vent glacé, la tête pensive observant la maisonnée. Nous étions peu à peu devenus familiers, pas au point d'oser caresser cette bizarre réunion d'un ourson, d'un loup et d'un gros chat sauvage.
Sa réputation nous impressionnait, sa réserve hautaine nous en imposait. Pourtant, nous devisions ensemble, nous lui racontions nos journées, nos tristesses, nos victoires, nos incertitudes, et il buvait notre langage avec la même passion employée à se gorger de nos restes de poulet. Il réussissait ce singulier tour de force d'être un indépendant altruiste.
Hélas, sa masse dérangeait toujours le côté jardin, les enfants éternuaient, ma gorge rougissait en raison d'angines chroniques, l'homme-mari s'arrachait les derniers cheveux poussant sur son chef . Nous étions au bord du gouffre, de la fracture familiale ... Prisonniers d'un chat entêté ! d'un commun accord, nous priâmes St François. Chacun à sa façon; moi avec conviction, les enfants avec affection, l'homme-mari en signe de protestation ...
 Un matin de décembre, en entre-baillant la lourde porte donnant sur le jardin, nous ne respirâmes plus, notre gardien n'était plus à son poste, endormi sur le seuil.
Avait-il succombé pendant la nuit gelée ? A l'appel de son nom, un rauque grognement répondit, immobile, blanc de givre, le félin noir semblait de pierre.
J'avais toujours eu un peu peur de ses réactions, cette fois, je n'écoutai aucune prudence, je me précipitai, le pris dans mes bras et courus m'installer au coin du feu .Adelphos ouvrit ses yeux vert constellés de ces points noirs qui annoncent une double vue, et s'étala contre moi. Je n'osai bouger. Je n'osai respirer. Trois heures coulèrent, toute la famille marchait sur la pointe des pieds...Adelphos gémissait dans un sommeil fiévreux qui cessa soudain.
Je sentis sa langue râpeuse parcourir ma main. Nous étions le 24 décembre et cette nuit-là, Noël se passa avec un chat sorti de l'état sauvage pour atteindre le statut enviable de puissance dominante au sein d'un foyer. Nous venions de vivre un épisode des temps préhistoriques, la chaleur du feu avait réconcilié un chat sauvage avec l'homme, cet inconnu !
 Le gueux de la Gouttière imite dorénavant le lion Clarence de la série Daktari,(une madeleine de Proust !) : allongé avec noblesse sur notre seuil, il fait mine de terroriser les intrus, et rugit sans conviction en attendant que  ses maîtres soumis et respectueux garnissent son estomac insatiable.
Mais, à la différence des humains, ingratitude est un terme que les chats ignorent: en récompense de nos loyaux services, notre fauve de château nous entoure d'indéfectible sollicitude, compassion, et vaillance.
Je l'ai vu gueule rageuse et poil hérissé s'interposer entre moi et un visiteur fort peu recommandable, je l'ai vu encore défendre les deux chattes de la maison, contre un chien de chasse qui fut proprement chassé;  j'ai sentis son museau humide se poser sur ma main lors d'un deuil douloureux et d'une mélancolie insoutenable.
Esope et La Fontaine en auraient inventé une fable, je me contenterais de cette morale :
En tout chat du ruisseau sommeille un monarque bienveillant, un "aristo-chat" au noble coeur qui ne demande qu'à se réveiller !

A bientôt,

Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse

Adelphos 1er, monarque pour l'éternité en son château français

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