mercredi 18 octobre 2017

Contes du vieux château : Lettre à un ami qui me croit en Italie

Je ne vous écris pas d'Italie, mais presque...où suis-je ?
Tout d'abord, voici le fleuve jaune étoilé de reflets glauques, le Palais Rose, la cathédrale au toit vert, la danse lourde des statues de bronze, aux formes féminines bien amples, la ronde légère des cariatides élancées, bien grecques, et la majesté des colonnes à la blancheur rosée le long des belles Allées.
 On reconnaît des souvenirs florentins et un plan romain, une gravité protestante et une opulence païenne de fruits et de fleurs et de confiseries. Et cette atmosphère insouciante qui se mire sur les eaux d'or -vert du Tarn paresseux et de son Tescou, affluent placide qu'Octobre triomphant teinte de feuilles enflammées.
Le ciel est bleu par dessus les toits de tuiles grenat clair ou rouge foncé,et les rangées de balustres blancs ou rouges. Les pavés des rues envoient des reflets d'aigue-marine. Au centre de la place tutélaire, un cadran solaire irradie de sa radieuse pierre ocre, les dentelles de fer dessinent un poème de guirlandes et feuillages aux tons verdis. Au gré de ma balade, le regard bienveillant d'un grand lévrier de terre cuite vieux-rose effleuré d'or me dévisage du haut de son piédestal à la patine blanchie.
Est-ce une ville ou un arc-en-ciel  ?
Voici, une église forte et fragile, ancrée depuis les temps chevaleresques à l'entrée de la vieille-ville. Une poignée de rues, et je rêve devant "l'ancien-collège", vaisseau de rubis rosé qui avant d'être un collège de Pères Jésuites , magnifia la puissance d'un receveur des Tailles, le sire de Coulomb, au temps du Roi-soleil.  Ce géant austère me semble  impeccable, si différent du gouffre de mes souvenirs ! ce monument hiératique porte peut-être en ses robustes flancs " l'Académie des Belles Lettres " qui depuis Louis XIII s'efforce d'encourager au bien et au beau, aux Arts, aux Sciences et aux Lettres toute la population de la citée.
Cet esprit exalte mes souvenirs de conférences aux sujets élevés, incompréhensibles à ma cervelle de petite fille ! mais que j'admirais père et grand-oncle subjuguant de doctes et sérieuses assemblées !
je ne comprenais pas grand mot, mais ma patience n'avait aucune bornes avec l'aide d'un livre de "Fantômette" dissimulée dans ma poche  et un paquet de "fraises tagada" comme compagnon de route...
Au hasard heureux de ma lente et fantasque promenade, c'est encore l'Italie : une place rose  aux dalles gris-perle usées par les siècles, des arcades soutenant de nobles maisons qui furent bourdonnantes de fièvre et de révolte en des temps troublés...
Ma balade se déroule comme un ruban de soie. C'est le tour du théâtre aussi harmonieux qu'un air de Mozart, puis, dans un vallon à deux pas du "Pont -Vieux", du  village de terrasses, balcons, loggias et jardinets.
Ce paradis italien, blotti sur les rives d'un ruisseau disparu, tire son nom mélodieux et sa douceur voluptueuse de son égérie d'autrefois: "La Mandoune", plantureuse, tumultueuse et orageuse beauté dont la ville célèbre l'enivrant souvenir ! à peine plus loin, un ascenseur "Belle-Époque" me fait remonter le temps en descendant vers " Le Jardin des plantes " bordant le fleuve.
En cet immense parc couvert de feuillages, coupé de pelouses, abritant en sa fraîcheur sur les rives de l'affluent immobile, un  banc extravagant formé d'un seul couple d'amants en pierre;  un couple à la passion,immobile tout frémissant d'éternité amoureuse .A chaque fois, ce spectacle sublime  pique mes yeux de larmes.
La pierre a  donné vie à l'amour parfait  !
L'ombre douce de ma grand-mère si aimable avec les oiseaux, si sensible aux fleurs éparses, si indulgente envers mes sottises (n'avais-je un jour inventé de nourrir les poissons rouges de la fontaine en les gratifiant de ma médaille d'or ?) me mène au bout du monde enfantin par un pont tremblant. Me voici en l'île secrète, de l'autre côté de la ville; et je reviens sur mes pas, pensive, craignant que le tendre mirage ne s'efface trop vite ...
Ensuite un faubourg aristocratique aux grâces de "fêtes galantes" roses et rouges, dont les jardins descendent vers le fleuve à l'abri des regards, une émouvante grotte de la Vierge, des jardins secrets  et des maisons amples et cossues où passent les ombres des élégants de la "Belle-Epoque".
Mais, le coeur de la ville est doué d'un pouvoir de fascination quasi entêtant. 
J'y reviens en flottant sur une houle de nostalgie qui me fait naviguer vers un colosse gardant l'entrée du Palais.
Rien moins que le plus généreux des dieux que l'on pleure toujours, un  "Centaure" de bronze qui n'en finit pas de mourir ...Le robuste génie de Bourdelle !
La cour du Palais me tente comme un amie retrouvée. Mais un caprice m'oblige à  m'enfoncer dans les rues droites aux façades empourprées, roses nuancé de fauve ou encadré de blanc.
Je suis de retour comme Ulysse après son long voyage, je suis chez moi au coeur de la citée de mon enfance et, de nouveau crédule et rêveuse,  j'entends de curieux échos en arpentant les "couverts"; galeries harmonieuses, presque musicales, corridors venteux  sous leurs arcades de briques rougissantes
Ces chemins abrités et ouverts ceinturent la place écrasée par les siècles qui règne à l'instar d'une clairière au fond d'une ancienne citée obscure. Les "Couverts", lieu de réunion, lieu de révolte, lieu de fêtes et de bavardages nocturnes, lieu qu'il faut craindre car si vous effleurez une pierre "maudite", vous n'en sortirez jamais !
Est-ce une ville rose ou un labyrinthe noir ?
Pour vous, peut-être amateur de paysages fabuleux et de villes grandioses, d'horizons sublimes et de monuments admirables, cela n'est jamais qu'une charmante ville du Sud-Ouest de la France.
Une "Calviniste" vaincue  dont le passé tourmenté est mis au fond d'un tiroir ! vous en ferez ce que vous en déciderez, vous êtes libre de vos goûts et votre ironie ! rassurez-vous aussi, je ne cherche pas à   écrire une apologie ou un article d'architecture, et pas davantage un pamphlet historique, ni même une lettre inspirée.
Sauf à vous qui m'inspirez toujours...
Ce fleuve couleur de terre, ces parcs au charme suranné, ces ombres et lumière entre passé et présent annoncent mon escale au pays bleu de l'enfance, mon pèlerinage sur l'épaisseur du passé.
J'évolue  en  une ville que je vois d'hier et d'aujourd'hui et qui garde un peu de mes années éparpillées au vent de l'oubli.
Une ville raide, austère, mais rieuse en octobre, mais pimpante au printemps, enjouée en toute saison, une ville où je marche en compagnie de l'enfant que je fus (et que je suis toujours, on ne cesse jamais d'être un enfant !).
Cette ville aux belles nuances d'arc -en -ciel, c'est Montauban.
Montauban ? Une préfecture dévorée d'un mortel ennui ? Montauban, ville incomprise qui se meut entre d'impalpables dimensions.
Citadelle de briques idéalisée par une lumière d'automne assez glorieuse pour lui rendre son beau visage d'odalisque à la manière de son enfant, le génial, l'intraitable, le beau garçon brun, bouillant et emporté comme Achille: Ingres !
Déjà, le Palais Rose, bâti sur les vestiges d'un château-fort conquis par  le cruel Prince Noir, fils farouche du roi Edouard III, qui tyrannisait la contrée à la fin de la Guerre de Cent ans, a échangé son nom ensanglanté de barbarie contre celui  de Musée Ingres.
 Hommage romantique et généreux à l'artiste qui offrit à sa ville bien-aimée son chef d'oeuvre d'amour et d'espoir: "Le voeu de Louis XIII".
Quel étrange choix d'ailleurs que ce thème paternel si touchant ! pourquoi Ingres se toqua-t-il de ce monarque encore détesté dans la vielle ville ? L'artiste étourdi , enlevé par sa passion oublia-t-il les convulsions terribles de l'été et l'automne 1621, le siège de Montauban , citée héroïque résistant au rythme des psaumes, luttant, de toute la force de ses enfants, contre les boulets de l'armée royale ?
Tant pis pour ces épisodes guerriers, j'aime arpenter, sur la pointe des pieds, la pénombre sereine de la Cathédrale, et lever les yeux vers le pan de mur,sur lequel la Vierge souriante écoute l'humble prière d'un roi malheureux.
Toute la confiance douloureuse d'un homme privé d'un fils, d'un souverain privé d'héritier, d'un mortel invoquant sa mère céleste coule en source lumineuse.
C'est un tableau peint avec l'âme et coloré par le coeur.
J'entends un murmure, la voix de mon père qui dit  à une petite fille extasiée :
" Vois-tu , c'est le plus beau des tableaux d'Ingres, même "Le songe d'Ossian ne l'égale pas."
Je suis une enfant, je confonds Ossian et Merlin l'enchanteur ! mon imagination court le chercher au Palais, musée Ingres, maison des merveilles à l'âge  où justement un rien vous émerveille.
Je ne suis plus une enfant et j'hésite dans la cour du Musée Ingres.
Vais-je oser y revenir ? une mode bizarre tend à métamorphoser les palais et châteaux gardiens des collections précieuses en cliniques ou maisons de repos immaculées.
On s'acharne sur le décor désuet comme si c'était un ennemi impitoyable ! on ôte les tentures, on clôt les passages mystérieux, on filtre le jour, on range les dessins dans des cages de verre, on chasse l'apparat exquis des générations d'esthètes  qui eurent la fierté d'être un tantinet dandy.
Et on finit par rendre un retentissant et splendide musée provincial qui embaumait la cire d'abeille et cachait des baisers volés, aussi insipide qu'une morne plaine balayé par le vent du nord.
La petite fille d'autrefois se souvient de ses fugues à l'heure des inutiles"permanences" et "colles" infligées en son école des Ursulines, grosse caserne à la mine courroucée ouvrant les suaves Allées de Mortarieu, ou plus tard en son beau collège Ingres à la paisible et vaste salle de dessin sous les toits.....
Quand l'impression d'enfermement se faisait trop lourde, le Musée Ingres me servait de refuge.
J'avais ainsi scruté les ténèbres protégeant, derrière une grille close, l'accès du souterrain construit plusieurs siècles auparavant sous le fleuve ...Mythe ou tunnel salvateur ?
Je ne le saurai jamais !
La salle du Prince Noir avec ses instruments de torture ne m'angoissait pas, et le barde Ossian était l'image un peu baroque du grand-père que j'aurais voulu connaître !
Parfois, il est sage de laisser dormir en paix les douces illusions de l'enfance...
Je salue la vaillante église St Jacques, indestructible en dépit de ses destructions et reconstructions multiples, symbole de la tenace volonté de la ville depuis l'époque de la troisième Croisade, et en profite pour chuchoter une prière devant l'autel signé d'Ingres, mais le père !
Jean-Joseph, artiste sculpteur de stuc, de terre et de bois, main habile et esprit délicat, auteur de médaillons de terres cuites chantant la ronde allègre des saisons, et magicien couvrant vers 1790, le plus beau salon de la ville d'envols de fleurs et de fruits et de violons est un conteur ailé.
Ingres le fils aurait-il atteint sa gloire et son brio sans Ingres le père, moins éclatant mais si vif au coeur de la ville ?
Une rue plus loin, et les pots débordant d'orchidées à la délicate nuance de neige fraîchement tombée m'attire dans la boutique tenue par une fleuriste au sourire amusée . Cette artiste de l'arrosoir agite ses mains fines sur un jardin intérieur, une cour égayée d'une fontaine et agrémentée de la plus ravissante ferronnerie qui se puisse créer au dessus de la grosse porte dérobant l'escalier.
Cet éventail virevoltant crispe ma mémoire, je ressors affolée du "Lilas blanc" en priant la jeune rieuse de veiller sur mes achats. J'en ai pour une minute ! c'est tout simple, j'ai rendez-vous chez un antiquaire chez lequel j'entrais en tremblant l'année de mes dix ans, et je viens de réaliser que c'est juste là, au beau milieu de cette rue de la Résistance brillante et nacrée.
Toujours les volutes et arabesques des balcons de fer, l'arc-en-ciel chatoyant des façades crémeuses, ocrées, rosées, rougies, mais que de souvenirs fracassés, d'images en miettes, je ne retrouve rien ... Mon antiquaire distingué qui inventait en vitrine le boudoir d'une marquise s'est envolé en emportant sa collection d'éventails à monture d'ivoire, et mes éblouissements d'écolière devant cette mise en scène de la"douceur de vivre".
 Il me reste la consolation de vous écrire place Nationale, je choisis une carte postale avec soin car vous avez un goût trop parfait pour que je l'outrage ! les pigeons froufroutent, les passants me distraient, les nobles demeures me fascinent, mon stylo cesse de vous infliger d'illisibles jambages.
Soudain, une cloche argentine tinte encore du fond de ma mémoire.
Je lève les yeux vers une haute fenêtre sous une frise en terre cuite, à gauche du cadran solaire qui fait l'orgueil de sa maison.
On dirait que l'on m'appelle...
Une once de bonheur pur brouille le présent;  je replonge ...
C'est un matin d'hiver, le matin du 24 décembre, je dois avoir atteint l'âge honorable de 7 ou 8 ans, mon père m'entraîne chez un vieil ami, un érudit, mon père ne connaît que des érudits, distraits du monde, recueillis et pensifs en leurs bibliothèques.
C'est le 24 décembre et nous nous apprêtons à offrir des griottes à un très vieux monsieur, très bon et très austère qui éprouve une légère crainte face aux enfants, ces êtres souvent barbares qui peuvent détruire l'ordre des appartements remplis de manuscrits en grec ancien et de statues antiques.
Je suis une enfant à la fois rebelle et respectueuse; j'aime les tableaux, les livres et l'harmonie des voix parlant bas en un lieu qui me semble immense. Notre vieil ami se rassure, sa gouvernante m'accable de sucreries, elle est si contente de recevoir" une enfant aussi bien élevée" dit-elle, à mon jeune père qui s'étonne presque de ce compliment.
Je ne peux vous écrire tant je suis émue, je sais que vous me comprendrez
Savez-vous que ,je pense à l'enfant que vous étiez ?  Revenez-vous parfois, vous aussi, au "vert paradis" que chanta Baudelaire ?

A bientôt,

Nathalie-Alix de La Panouse

Lady Alix
Jardin des Plantes de Montauban
Les amants éternels, transformés en pierre par un enchanteur ! 

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