mardi 12 août 2025

L'heure des Sirènes ou Roman à Capri" La maison ensorcelée" Partie II chapitre 34

 A Capri, l'heure des Sirènes, avril 2025 crédits photos réservés V de L P


  L'art de ne plus savoir à quelle Sirène se vouer:

Entre invitation à un beau mariage capriote et maison disparue 

Cela faisait plusieurs années que nous parvenions à nous échapper de façon égoïste et opiniâtre sur les falaises d'Anacapri, le village des antiques bergers du rocher de Capri, connu même des esquimaux ou des Papous et en réalité inconnu au commun des visiteurs s'évertuant à s'enquérir de ce qui "en vaut le coup" entre le bateau du matin et celui de l'après-midi.

Cela faisait aussi un nombre assez remarquable d'années que nous nourrissions le rêve absurde d'acheter à un prix raisonnable une masure des plus tentatrices édifiée sur le roc d'un sentier fréquenté par une poignée de promeneurs et une flopée de chats, tous unis par la recherche invétérée de la plus inaltérable solitude. 

 Notre bel engouement s'était encore accru après la découverte que l'humble ruine aurait sans doute abrité un de mes ancêtres, officier  qui déploya une bravoure sublime  en boutant les Anglais de la roche capriote en octobre 1808, avant, une fois l'île sauvée de l'ambition britannique et de la possession française, de s'y réfugier corps et âme, tout en offrant un toit aux peintres et poètes de passage.

Cette générosité est maintenant ensevelie sous le sable du temps, l'atmosphère de la maison, le rossignol  du vieux jardin, le froissement mélodieux des ramures des immenses pins sur son allée, en parlent encore toutefois.

Au détour d'un chemin ne menant nulle part si ce n'est aux escaliers interminables descendant vers la mer, et après avoir écouté les conseils bizarres d'un gentilhomme affublé d'un chapeau un peu désuet, ce qui est le cas de beaucoup d'hommes élégants en Italie, le hasard, qui n'existe pas à Capri, m'avait incité à suivre un chat fort déterminé qui me guida jusqu'à un portail en fer verdâtre veillant sur le plus vétuste et le plus parfait des escaliers de Capri.

J'étais arrivé au port ... Le jardin qui hantait mes songes enfantins frémissait de ses buissons échevelés derrière la grille décatie. Cette certitude atteint son comble avec l'assentiment subit de mon Homme-Mari qui pourtant ne comptait dans sa glorieuse troupe d'ancêtres aucun fou disparu jadis au bout d'un sentier d'Anacapri. Cette ruine, flanquée d'une terrasse aux balustres cassés, aux majoliques fendues, à l'harmonie proprement capriote, était la nôtre, depuis les temps immémoriaux, les Pélasges Grecs venus de la haute -mer, les corsaires , les Sirènes d'Ulysse et celles dont les noms se sont perdus dans les brumes de l'antiquité ...

Hélas, nous avions oublié que sur l'île des anciens dieux et des nouveaux Heureux du monde, le moindre tas de gravas valait son pesant d'or fin !D'espoir en bataille, de fausse nouvelle d'héritage insensé, aux méchancetés des princes de l'immobilier, nous arrivions à la déroute d'une vente aux enchères par le tribunal de Naples. Quand, combien ? 

L'obscurité s'épaississait chaque jour davantage, pourtant, si la maison ,proposée certainement à son prix excessif,  restait invendue, elle reviendrait à la baisse. Le temps allait peut-être se montrer notre allié ... si les Sirènes voulaient bien nous donner un petit coup de main ...

Or, ce soir, la veille de notre retour en France, nous ne pouvions nous permettre que des séjours fugaces, Capri semblait nous témoigner son soutien :

On nous y invitait à un mariage ! Faveur rare, honneur insigne !

Notre merveilleuse petite nièce de coeur, la douce, la ravissante, le sourire de Capri et la grâce d'Anacapri réunies sur une seule exquise jeune fille allait enfin épouser son éternel fiance, un jeune apollon qui n'avait qu'un défaut: être Napolitain au lieu de descendre d'Auguste ou de Tibère ou des pirates Grecs conquérants de Capri. Ne parlons pas de la fugace influence française sous le règne du volcanique et éblouissant Murat !  

Je n'ose bien sûr avouer que nous venons, le jour- même, de réserver notre logis habituel, un mois juste après le déroulement de ces noces  qui promettaient de répandre tant d'amour et d'amitié dans l'air pur de l'île que même le monte-Solaro risquait d'en fleurer le consolant parfum. Or, il nous incombe de lancer un appel urgent aux dernières chambres encore libres au moment de ce mariage dont, raffinement oblige, les campanelles chanteraient l'allégresse à la fin de la haute- saison.

Peut-être serions-nous obligés de goûter au confort des rochers ou des prairies à pic-des précipices !a ce moment de l'année, la terre ne se précipite-t-elle sur les terrasses de Capri ?

J'ai soudain la crainte extrême que la messe soit célébrée en l'église ombrageant la Piazzetta !

Autant dire, l'équivalent d'un mariage aux invalides, ou en l'église de la Madeleine, et sur la place la plus encombrée au mode de juillet à la mi- septembre ... Mais, il faut observer les coutumes du pays, et tant pis si celles de la contrée des Sirènes s'amusaient à bouleverser les amateurs de solitude et de paix que nous restions, à Capri ou dans notre campagne reculée...

"C'est un signe du Ciel, notre anniversaire de mariage se fête le jour des noces de Giulia!

 J'ai assez d'économies pour retenir le séjour, et l'Homme- Mari se fera une joie de nous prendre les billets d'avion ..."

 L'Homme- Mari, un peu pris au dépourvu par cette invitation aussi séduisante que peu raisonnable, ne sait quoi répondre et  se contente d'approuver d'un sourire; puis, devant les visages radieux de nos amis, .l'attendrissement et l'affection qu'il éprouve à l'égard de notre Giulia, l'emportent et le voilà congratulant l'heureuse et généreuse famille.

 "Bien sûr, dit Giulia, mon fiancé et moi désirons une cérémonie très simple, mais très belle, très fervente, et bien sûr, ici , chez nous, en notre église de Santa Sofia, la plus charmante d'Anacapri. Pourquoi descendre en bas ?"

L'Homme- Mari laisse échapper un soupir heureux, et j'embrasse la future mariée sans chercher à feindre mon soulagement !

 Nous resterons sur la montagne, au pays des bergers, et des rêveurs, la noce grimpera bravement les traverses de l'ancien hameau de Caprile avant de resplendir dans cette église pareille à un coquillage immaculé de Santa Sofia, nous sommes sauvés de l'agitation irrépressible de Capri  et de la horde de curieux prenant un beau mariage pour un spectacle offert par l'Office du tourisme !

 C'est le coeur léger que nous revenons sous les étoiles claires , la mer laiteuse au loin ne bouge pas  pus qu'un lac paisible, sa voix se fait refrain ténu, et les buissons  aux  roses fleurs de Câpres  frémissent sur le sentier bordant les maisons de pierre aux jardins de citronniers blottis au pied du Monte-Solaro.

L'Homme- Mari me rappelle que demain  nous faisons une ultime folie: un déjeuner dans le jardin le plus vanté d'Anancapri, un cadeau à Arturo et Léna, notre écrivain, créateur de lunettes extravagantes, opticien zélé et dévoué, violoniste sensible, homme d'affaires et doux rêveur,, mélange typiquement capriote, et sa jeune femme courageuse et patiente

.Ensuite, sonnera l'heure du départ ...

Ne pas acheter cette maison maudite qui nous nargue depuis plusieurs années, s'amuse à nos dépens, ne doit pas nous aigrir, qu'importe après tout , sur ce rocher antique, sur ce morceau de Grèce flottant, ce souvenir vif de l'Odyssée, nous comptons désormais des amis fidèles, nous existons  en dépit de la rapidité de nos séjours et de notre absence totale de dépenses mirobolantes !.

Toutefois, quelque chose m'oblige à ne pas abandonner, demain, avant le rendez-vous, je filerai vers le portail vert outragé, et je tenterai de défier le destin. J'ai l'intuition que quelqu'un a besoin de moi,..

Cette certitude m'ôte le sommeil, et m'envoie à l'heure du premier bus sur les marches usées de la traversa couverte d'herbes humides aboutissant au chemin ignoré que je connais trop bien ...

 Voici le portail toujours ravagé, le jardin aux broussailles toujours échevelées, et un miaulement rauque, plaintif, l'appel au secours d'une créature souffrante 

Je n'hésite plus, tant pis pour les Carabiniers, les officiers de justice, les visiteurs étranges, animés des pires intentions certainement et qui plus est à l'égard des Françaises romantiques et amies des bêtes, j'avance entre deux fentes du mur, et cherche quelle bestiole céleste ou terrestre gémit de façon lamentable au sein de ce paradis en détresse..

sous un amas de feuillages , dissimulé par quelques branches cassées, un chat qui fut blanc comme neige, endure une douleur violente, le coeur serré, je me précipite, caresse le malheureux animal, et l'emporte dans mes bras.

 Les rares passants me lancent un regard approbateur, par contre, qu'il est pénible de garder la pauvre bâte contre ma poitrine sans lui infliger d'autres souffrances ... L'Homme- Mari, entouré de sacs, me voit entrer sur la point des pieds et installer un chat  presque inconscient,, à l'ombre de la loggia, à l'heure où il est grand temps de nous poster au restaurant, avant  les adieux et la descente au port.

 "Je ne pars plus, je ne déjeune plus avec nos amis, rien de cela n'a d'importance,  dis- je d'un ton définitif, ce chat a besoin de soins, le vétérinaire se trouve deux rues plus bas, à l'entrée du quartier Boffe, Salvo qui aime tant son chie,  et tous nos amis ou connaissances adorant leurs compagnons, m'ont expliqué qu'il avait sauvé des animaux dans un état désespéré..

Vois-tu,  s'il reste une chance de rendre ce chat à sa vie heureuse, je m'en voudrais toujours de ne l'avoir pas tentée ! Capri me le demande, les Sirènes aiment les chats blancs, c'est un signe, un défi, et de toute manière, je ne peux abandonner un animal qui m'a supplié de lui venir en aide, je l'ai entendu gémir dans le jardin de "notre" maison, essaie de comprendre : que nous habitions ou non cette maudite cabane en ruines, je sauverai son chat- gardien.

Je t'en prie, envoie un message aux amis, et explique à quel point la situation est grave, ils comprendront, ce sont des braves coeurs !"

L'Homme- Mari est loin de ce beau discours,  mais cela ne l'empêche pas de caresser le chat , histoire de me montrer sa bonne âme, enfin, pensant que ma folie momentanée va s'évanouir face à la réalité impitoyable, il désigne nos sacs amoncelés devant la porte.

"  Oui, Arturo et Lena nous pardonneront, cela ne sera que partie remise, mais tu ne vas pas rester seule ici, et où d'ailleurs, la charmante propriétaire s'attend à notre départ, nous avons du travail en France, et même plongée dans l'étourdissement habituel de Capri, tu t'en souviens ?

 Ce chat mérite d'être confié à un vétérinaire qui soulagera ses derniers instants, la bonne action sera accomplie, on ne t'en demande pas davantage , allons, c'est la tristesse du départ qui te fait réagir comme une enfant!  Nous avons juste le temps de déposer ton protégé, je vois très bien où, un porche splendide devant lequel les amis des bêtes piétinent".

"Non, je ne quitterai pas ce chat avant ... son envol chez Saint-François...

 C'est impossible, c'est ridicule, absurde, mais Capri l'exige, j'obéis à Capri."

 L'Homme- Mari soupire lugubrement, ouvre son portable, et  consulte les horaires variés des bus, bateaux et avions, moyens modernes de nous évader de l'emprise des Sirènes ou de la demi -démence suscitée par la l'île ensorcelée.

 " Je t'accorde ce dernier jour, mais ce soir, nous ne pouvons nous permettre de manquer l'avion, sinon, nous serons bloqués ici, obligés de louer n'importe quelle chambre je ne sais où, et risquant de perdre la confiance de nos associés divers .. Nous ne vivons pas de l'air du temps et tes Sirènes ne se soucient  de gagner leur  pain ou de régler leurs impôts !."

  Dix minutes plus tard, le ciel nous tombe sur la tête.,

Le vétérinaire est pris ailleurs, très loin, à Sorrente, ou Amalfi, ou les deux ! le cabinet fermé, la rue déserte, Salvo ne répond pas, l'Homme- Mari s'impatiente, passe des coups de fil, se querelle de l'autre côté, et me tance ..

 Mais, ce chat  aux yeux d'aigue-marine se meurt dans mes bras et je resterai avec lui  jusqu'au bout  ...

 Or, voici que chatoie le ciel rose, que soupirent les vagues de nacre et de miel, c'est l'heure des sirènes et je sens que ces bizarres filles du dieu de la mer  approuvent la décision d'une mortelle..

 A bientôt pour la suite de ce roman à Capri, 

 Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse


 

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