L'art d'être invité à des noces extraordinaires à Capri I
"La maison ensorcelée " Partie II
Chapitre 36 « La maison ensorcelée"
L’heure était incertaine, dans un jardin qui ne nous
appartenait pas, nous avions confié à la terre de Capri un chat que nous
connaissions à peine, un ami oublié et retrouvé qui nous avait demandé notre
affection avant de quitter sa vie de seigneur et de commencer la suivante,
selon les rites de la déesse Bastet.
Hélas ! en dépit
de cette certitude, nous l’avions tout de même perdu, et ce drame bizarre me
serrait le cœur. Or, notre tristesse sincère, mes sanglots torrentiels venaient
de trouver une récompense prenant la forme d’un petita coffre de bronze, enfoui
depuis l’âge d’or de ces Grecs de haute taille, les Tyrrhéniens superbes, qui
laissèrent leur nom de pirates à la mer roulant ses flots d’aigue-marine, de
Naples à la Sicile.
Mais, nous n’osâmes y toucher, cela aurait outragé notre
deuil, ce chat, je l’avais aimé, coffre au trésor ou boîte de Pandore, cette
trouvaille meurtrie par les siècles attendrait un peu. A part nous, qui aurait
l’idée de la débusquer au sein de ces broussailles ?
La nuit s’écoula sans daigner me gratifier ne serait-ce que
d’un quart d’heure de sommeil dans notre palais blanc, nous occupions désormais
le logis du bas. L’appartement allongé de sa tourelle était, toujours, à notre
désespoir, loué pour deux ans , et sans la consolation de la vue sur le
Monte-Solaro piqueté de lumières, je tournai en rond entre la loggia aux
colonnes massives, œuvre d’un architecte Suisse qui s’était efforcé de préférer
la pesanteur à la grâce, et le jardin de poupée planté de son vénérable
citronnier.
De vagues visions
m’assaillaient, des paroles indistinctes, et toujours ce chat me fixant de ses
yeux si bleus, si énigmatiques, et bienveillants, un Seigneur, un vrai
Seigneur, que voulait-il me dire depuis son voyage dans les limbes invisibles
aux yeux mortels ?
A l’aube, je laissai l’Homme-Mari dormir, et m’élançai au jardin interdit, me glissai comme la veille entre les grilles disjointes, et vit un buisson de jasmin surplombant l’humble mausolée du chat -seigneur, des broussailles, de la terre remuée, une rosée généreuse ranimant les frêles fleurs rouges, roses, jaunes et blanches, ouvrant leurs corolles sous la fraîcheur de l’air. Aucun vestige antique, nul coffre aux ciselures blessées, au métal meurtri… La fortune, si cet espoir avait existé, s’était envolée.
De retour, l’âme lasse, au charmant logis, je m’écroulai
devant la cafetière réconfortante.
« Quelqu’un nous a observés, c’est certain, et s’est
emparé de ce coffre, qui de toute façon, ne nous appartenait pas … Je ne sais
quoi en penser, je regrette surtout de n’avoir pu sauver ce pauvre chat si
malade… ».
Je m’y attendais, dit sombrement l’Homme- Mari, de
toute façon, il aurait fallu déclarer ce trésor, à la mairie, aux Carabiniers,
aux archéologues, à l’état Italien, que sais-je, à une pyramide de quémandeurs ! Nous
n’en aurions même pas tiré de quoi déjeuner dans un restaurant à
touristes. Cesse de pleurer, sur cet animal. Ecoute, où
qu’il soit maintenant, ce chat blanc éprouve de l’affection et de la gratitude
envers cette dame qui l’a veillé jusqu’au bout…
Oublions cette
aventure, revenons aux affres de la réalité, et soyons -heureux et honorés de revenir
si vite, même s’il s’agit d’une folie, en tant qu’invités à notre premier
mariage capriote, c’est une preuve de confiance assez rare, cela effacera ce
drame, toi qui aimes tant les animaux, je comprends à quel point tu restes
marquée … Le temps guérira ce sinistre chapitre capriote …et ce mariage en
ouvrira un tellement réjouissant ! »
L’Homme- Mari avait sans doute un solide bon- sens, mais ce
chat ne se laisserait jamais oublier, j’étais certaine que nos routes ou nos
vies nous ramèneraient l’un vers l’autre, cette intuition m’était chuchotée par
l’île, et ses habitants immatériels …
Toutefois, après deux mois à n’oser plus souffler mot de
Capri autour de nous, et à s’évertuer à subir l’épreuve de la fameuse réalité,
nous débarquons, les traits ravagés de fatigue, sur la terrasse Napolitaine du
très raffiné Gambrinus, lieu de prédilection des voyageurs encore un tantinet
romantique, en face du Teatro di San Carlo, cher à Stendhal.
Le mariage de l’année au pied du Monte-Solaro, dans l’église
la plus exquise d’Anacapri, était annoncé le lendemain, et nous ignorions le
moindre des rites capriotes. Je me souvenais d’un beau tableau exposé à la Casa
Rossa, cette maison extravagante juchée comme une tour orientale, dans un
carrefour d’Anacapri, œuvre d’un excentrique colonel sudiste ayant embrassé la
vocation de la médecine, tout en tombant amoureux d’une ou plusieurs filles de
l’île, L’homme venu du nouveau monde, était célèbre à l’époque pour son
caractère proprement infernal : « Frappe et soigne » son surnom
en disait long …
Mais, reconvertie en musée, la maison portant une bienvenue
en grec ancien sur sa porte, présente aux esthètes ou curieux, les œuvres de
peintres amoureux de l’île, en particulier, une évocation émouvante d’un attachant
« Rito matrimoniale à Capri ».
L’artiste y a magistralement saisi une belle jeune mariée à genoux, dans une pose alliant le respect à la grâce, qui embrasse la main de sa future et ravissante belle-mère, quasiment aussi jeune qu’elle, une minute avant d’entrer à l’église devant cortège nuptial patient et famille attentive…
Les spectateurs
sont à la fois fort distingués et méditatifs, leurs tenues modestes mais
soignées, l’intérieur témoigne d’un quotidien rustique et laborieux, un art de
vivre difficile et honorable, voué à la dignité d’une grande famille. Cette
merveilleuse scène nous fait entrer dans l’intimité mystérieuse d’un véritable
clan insulaire, en suggérant une réalité dure soutenue par la Foi et
l’espérance.
Je me doutais bien sûr que cette fort honorable coutume,
fixée pour l’éternité par le charmant français Edouard- Alexandre Sain, vers
1860 n’était plus exigé par les belles-mères modernes !
» Ne vous inquiétez- pas, mes amis, nous avait martelé Salvo,
ce sera juste un petit mariage, vraiment, une fête très simple, habillez- vous
comme vous voulez, tout ira bien ! Pas de cadeau, votre présence,
vous qui venez de loin, suffira à nous combler, les jeunes époux n’ont besoin
que de vos sourires et de votre gentillesse. »
Sur ces courtoises paroles, éminemment capriotes, un
faire-part des plus raffinés, noué de fleurs du jardin de la fiancée, avait
déployé ses ailes vers la France, afin de nous convier à une messe en la
blanche et gracieuse église de Santa Sofia, suivie d’une fête dans un endroit
célèbre pour son bosquet de citronniers, juste au bout de la rue.
L’esprit inquiet, j’optai pour des tenues affectant une sobriété désinvolte, volants froufroutants mais à la discrète nuance marine pour moi, et veste classique pour l’Homme- Mari. Ce « mariage simple » le serait-il réellement ? Le doute m’envahissait au fur et à mesure que la date se rapprochait …
Consultés au sujet du don
rituel, les jeunes mariés de l’an passé, en personnes d’expérience, nous
conseillèrent de participer à la future Lune de miel… Porcelaines, argenterie
et autres bagatelles avouant un art de vivre désuet étant reléguées d’office à
la cave ou au grenier !
Nous sommes à la veille de ce matrimonio caprese, et tentons
de reprendre des forces après le marathon habituel, lever à trois heures du
matin, parking lointain à quatre, formalités à cinq, envol à six et
atterrissage à Naples à huit, rythme éperdu et accepté avec bonheur par les
fervents amoureux de la côte Amalfitaine. Voici le cœur de Naples, entre Santa Chiara et la Piaaza
del Plesbiscito. Le port n’est pas si loin, et l’air frais monte de la mer, les
promeneurs s’énivrent des clameurs s’élevant de la grouillante via Chiaia. Le
Palazzo Reale s’allonge, rouge et noir comme un roman français. Bien à l’ombre,
sur la longue terrasse du Gambrinus, nous jouons aux désœuvrés désinvoltes, choyés
par un essaim de camerieri en uniformes blancs et noir, s’efforçant de vous
donner la touchante illusion que Naples salue votre arrivée avec un
enchantement sincère …
« Mais vous partez si vite ! », dit
Simonetta, notre amie Napolitaine de la tête aux pieds, adorée des camerieri,
et étonnée de notre désir de grimper à bord du premier bateau en cette belle
matinée qui voit Naples en ce début septembre chatoyer sous l’opulente lumière
de l’été.
Je confie nos affres, nos doutes, nos désirs de bien faire,
un mariage à l’italienne, déjà, c’est tellement impressionnant, mais à
Capri ! Et nous serons les seuls Français, les seuls étrangers ! Et
si nous froissions les susceptibilités, sans le savoir ? Et si nous
arrivions en retard à la cérémonie ?
« Oh, cela, c’est impossible, les mariages ne
commencent jamais à l’heure indiquée ! Pourquoi ces angoisses ? Tu as
pensé à une robe longue et d’une couleur éclatante ? non ? Ah !
Eh bien après tout, une Française se doit d’être plus ou plutôt moins … Dai !
une petite robe, mais pas de noir, sous peine d’infliger un affront, ou porter
malheur, du noir à un mariage, qui y songerait ? Oh, des
volants, bien ! Tu me
rassures ! du bleu marine ? Dio mio, tu es d’humeur mélancolique en
ce moment ? En dépression ? Non ? Alors vraiment fatiguée…Ma
pauvre, reprends- toi, écoute une amie, je ne peux te laisser assister à un
mariage de chez nous en bleu marine, comme si tu étais une écolière ou une
femme qui n’a plus de passion de la vie.
Franchement, juste à côté, via Chiaia, il y un choix de tenues
d’invitées à un vrai mariage de chez nous. Des robes magnifiques, rouge carmin,
jaune citron, vert pistache, oui, voilà la nuance qui te flattera, le vert
pistache, adoucit le visage et donne de l’éclat au regard, surtout avec une
immense écharpe argentée, pourquoi ris- tu ? Longues, amples, ou moulantes, peu coûteuses,
je te le jure, les robes parfaites ! Pas le temps ? Quel dommage, le
bateau attendra, il y en a toute la journée des bateaux !
Oh, vous serez quand même très appréciés, après tout, vous
avez le droit de porter ce que vous voulez, les Français gardent toujours leur
chic, même s’il semble un peu triste… Tu me raconteras ! et surtout,
dansez ! Pas de réserve, pas de timidité, faites plaisir aux mariés, à
leurs parents, parlez beaucoup, mangez beaucoup, buvez beaucoup, dansez comme
des jeunes gens, dansez, toute la nuit bien sûr, enfin, bonne chance, vous
allez reverdir ; vous verrez, ce mariage vous rendra votre printemps,
c’est cela un mariage à l’italienne ! L’amour, l’affection, l’amitié,
vous les respirerez comme un bouquet parfumé. Et, vous dites que l’époux vient
de Naples ? Alors, ses amis le suivront, et le mariage sera
extraordinaire, les Napolitains ont cela dans le sang, la musique, le chant, le
goût de la vie … »
A l’instant des
adieux, notre amie s’amuse encore de nos gros sacs en bandoulière sur nos
épaules courbées, de nos mines de personnes ayant du sommeil à rattraper
d’urgence, de mon inquiétude ridicule. Voilà le taxi, Simonetta agite la main,
et scande sur l’air d’une chanson : » Dansez ! Dansez, mes amis ! n’oubliez- pas, il faut
danser, pensez à Zorba le Grec ! Capri est une île grecque… La danse,
pour vivre sur les ruines, pour sourire au destin même s’il vous tourne le dos
… »
« Bien, nous danserons, mais quoi ? La tarentelle ?
J’en frémis d’avance !»
L’Homme- Mari réplique d’un ton épuisé :
« Pour le moment, c’est le bateau qui va danser,
regarde la houle, nous souffrons d’une espèce de malédiction, à chaque fois que
nous traversons le golfe, la mer s’énerve, aucune importance, cela nous
réveillera, et Capri vaut bien quelques secousses ! »
L’île danse au loin, voilée de soie grise, austère,
hiératique, citadelle monumentale et divine, à nulle autre pareille, ce matin,
d’humeur maussade et hautaine.
Le bateau remue des gerbes d’écume, le vent nous malmène
avec hargne, le ciel se fâche, serions-nous rejetés du paradis perdu ?
Or, comme à l’accoutumée, le soleil scintille sur les eaux tranquilles du port resplendissant, les falaises se teintent de reflets d’or vert, en grimpant vers le bourg, les maisons blanches luisent entre les lauriers-roses et les jasmins, le Monte-Solaro lève sa tête de lion impassible, et le grand Sphinx de la villa San Michele, veille toujours sur la Scala Fenicia du haut de son balcon de marbre.
« Quoi de neuf, ? » s’enquiert l’Homme- Mari auprès
du taxi taciturne et bienveillant qui frôle avec l’habituelle maestria de ses
pairs, le cortège des bus remplis de sardines humaines (sort qui sera le nôtre
dans un avenir proche !)
« Humidité ! trop d’humidité et pas assez de
monde, vous revenez déjà ? Un mariage ! Oui, demain, un beau mariage
alors ! Ah, oui, je connais le padre de la spoza, un homme très bien, une famille
de l’île depuis la nuit des temps, cela
valait la peine d’avancer votre séjour, un vrai mariage de chez nous, joyeux,
familial, pas comme ces gens qui
viennent se marier ici pour être chics, mais cela rapporte de l’argent, on ne
crache pas dessus. Vous partez ensuite ?
Vous revenez à l’automne, quand tout le monde s’en va, vous avez raison,
donc, cela vous coûtera moins, dites- moi, vous ne pouvez vivre loin de Capri, et
l’humidité, vous la supportez ? »
J’essaie d’explique que notre ancienne maison en France
souffre d’une humidité qui transforme celle si abhorrée sur l’île en
sécheresse.
Le chauffeur ne me croit pas ! mais, en capriote
courtois, il se contente de me sourire, et sans exiger de somme exorbitante, de
nous déposer avec douceur à l’entrée du quartier le plus resserré d’Anacapri,
un vrai filet à papillons, formé de venelles dérobant une enfilade de jardins
secrets, un lieu où l’on se perd et se retrouve, un labyrinthe peuplé de chats
silencieux et de passants discrets, le cœur inconnu du bourg …
Nous voici devant une Villa déployée sur ses arches blanches, jadis élevée par un couple d’excentriques Anglais. En ses robustes murs à la mode romaine, (sous l’égide d’une dame fort respectable et un peu méfiante, les Français ont-ils si mauvaise réputation ?) une chambre modeste, mais à une encablure du mariage, nous permettra d’avoir un toit …
« A presto, et surtout, dansez demain ! Ne soyez pas timides, dansez ! »
Un bosquet de fleurs bleues, une treille de raisins blancs,
et, au-dessus de nous, le Monte-Solaro délivrant son impériale tête de sa
couronne de nuages, c’est de bon augure pour demain …
Demain, nous danserons ! A deux pas de cette maison ensorcelée où dort l’étrange chat blanc au regard bleu, dans un
jardin qui a toutes les chances de ne jamais nous appartenir …
A bientôt pour la suite de ce mariage à Capri,
Natahlie-Alix ou Lady
Alix de La Panouse
« La Maison
ensorcelée » Roman capriote, partie II, chapitre 36
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