lundi 22 septembre 2025

Un mariage à Capri épisode II "La maison ensorcelée" partie II chap 37

 L'art de bien recevoir se cultive de façon exquise sur l'ensorcelante île des Sirènes, toutefois, certaines aimables personnes poussent ce délicieux savoir-vivre à l'extrême, ce qui déclenche chez les invités payants la sensation surprenante de retomber en enfance .

Ainsi, notre très généreuse logeuse décida que notre bonne mine titillait ses talents de pâtissière émérite. Injonction nous fut donnée de nous lever à une heure fort matinale, de la rejoindre dans sa salle à manger, d'admirer sa décoration raffinée alternant les tons  bleus et blancs à la mode capriote, sa cheminée rehaussée de l'azur le plus profond, sa nappe en soie du plus tendre turquoise, de respecter  l'ordre drastique des couverts et petites assiettes, et de nous gaver de gâteaux à étouffer un berger affamé. L'Homme- Mari, désarçonné par cette pyramide de recommandations, se trompa avec un charmant naturel, allant jusqu'à confondre l'assiette à douceurs et celle préposée à sa grappe de raisin quotidienne, la cuillère à confiture et celle servant à remuer le sucre dans une tasse si fragile qu'elle n'apparut qu'une fois ... Nous étions de tels ours ! ou des Français si désinvoltes !

Je m'évertuai à badiner, à plaisanter, mais notre logeuse ouvrait de grands yeux face à des fautes de goût d'autant plus impardonnables qu'elles nous échappaient purement et simplement ! N'avions-nous tous deux poussé l'inconvenance jusqu'à déposer, l'Homme- Mari un humble morceau de beurre enveloppé de papier, et moi le faire-part du mariage, sans pitié envers la nappe précieuse ?  N'avions-nous osé avouer  en souriant que la recette des sublimes brioches de notre hôtesse s'éloignait de celles emplissant les boulangeries de notre pays ? 

Mais, comment prouver notre gratitude à une bonne dame, capable se se lever à l'aube afin de nous étourdir de douceurs parfumées au citron ? La réponse ne tarda guère... Les dernières bouchées avalées,  et en dépit de notre avalanche de compliments,  nous fûmes priés de déguerpir au plus vite, le ménage n'allait pas tarder, n'avions-nous repris des forces ?

Allons ! qu'attendions- nous pour arpenter  les venelles d'Anacapri et admirer le soleil luisant sur la mer depuis la Migliera dont nous venions étourdiment  de chanter les merveilles ?

Une marche dans l'air parfumé, voilà ce qui nous préparerait à ce fameux mariage dont tout Anacapri bruissait ! Miracle de l'atmosphère capriote, au lieu de regimber, nous obéissons, dociles et disciplinés comme de charmants écoliers. Que ne ferait-on pour satisfaire une dame  si occupée ? 

Notre maîtresse de maison a bien d'autres soucis qu'une invitation à un beau mariage à Capri ! Honte à nous, oisifs et flâneurs !

 Le jardin est long comme un jour de pluie. Sa pelouse à l'anglaise, parfaitement arrosée, et taillée aux ciseaux, sans doute selon le voeu des anciens propriétaires britanniques qui la cultivaient  avec un soin prodigieux, en souvenir de leur  patrie abandonnée au profit des merveilles de Capri. Autour de nous, haies touffues  et buisson robustes libèrent les effluves d'un tourbillon de pétales bleues ; une vraie mélodie en bleu majeur encerclant la villa massive dont les arches altières cachent les secrets de notre hôtesse.

 Au sein de maison vaste et majestueuse, on nous a gratifié d'une pièce qui fut certainement un placard dans des temps plus cossus... Qu'importe ! Il nous fallait un toit et du silence afin de nous montrer dignement à ces noces d'aujourd'hui, nous sommes comblés ! Enfin, presque ...

"Oui, dit l'Homme- Mari, toi, tu te contentes d'un rien pourvu que tu sois à Capri, moi, j'aurai préféré une chambre où l'on puisse respirer, as-tu remarqué que la fenêtre avait disparue ? La porte ne suffit pas à laisser l'air entrer, si jamais je venais à suffoquer, j'irais dormir sur la pelouse, mais, cela va scandaliser la bonne dame !"

"Tu seras privé de gâteaux  et mis au piquet !"

 Nous arpentons au hasard la via Filietto, étroite, serpentine, étirée devant des hauts murs à l'austérité adoucie de glycine soyeuse. Il est encore bien tôt, le soleil darde ses rayons avec une intense délectation sur les roches levées autour  du village. Ces remparts forgés par les Titans, rougissent sous la lumière qui coule en ruissellements  pourpre, fauve et vert sur les pentes des montagnes. Pourtant, l'ombre veille au fil des recoins encombrés de pots de lauriers- roses de ce labyrinthe humide, pareil à un gros ruisseau éparpillé en de multiples affluents !

 Le Monte-Solaro  libéré de ses brumes, nargue le ciel et monte une garde farouche sur la paix du bourg. A peine englués dans les venelles, nous croisons un ami  qui surgit de la fraîcheur matinale. Exclamations, embrassades, comment, nous déjà ? Ah ! le mariage ! Non, hélas, il n'a pas eu l'honneur d'être convié à ces noces qui se préparent à vive allure, on s'active du côté de l'église, on  y monte des colonnes, des arches, des  guirlandes  de roses et d'orchidées, et l'effervescence grimpe, à l'instar des fleurs merveilleuses....

"Mais, cari amici, demain  au petit bar, devant la Casa Rossa, vous me raconterez tout, si vous êtes levés bien sûr !  vous danserez tellement, comment se lever ensuite ? Ah ? Votre logeuse exige que vous preniez vos brioches à une heure si matinale ? Mais cette dame ne sait-elle que l'on se divertit trop à des noces capriotes pour sortir tôt de son lit le lendemain ? Comme je vous plains !  Ah ! Cette dame est Napolitaine, ces Napolitains ! Dansez en tout cas, pendant un mariage  de chez nous, l'amour, l'affection  dansent ensemble." 

J'ai très envie de méditer sur ces paroles  chantantes, mais la venelle me fait perdre la tête, et nous voilà perdus  entre deux porches intimidants, perdus à deux pas de l'église, à trois pas de la casa Rossa, à cinq de la via Giuseppe Orlandi, rue en principe  piétonne,  vouée aux lentes errances des touristes,  et aux bavardages des gens du cru  qui semblent y poursuivre  une  tumultueuse conversation perpétuellement recommencée.

 L'Homme- Mari est perplexe, un sortilège nous force à repasser plusieurs fois devant le même portail, la même courette, le même mur sur lequel se prélasse le même chat ironique, un beau chat de Capri, hautain et rouquin. Je lutte pour ne pas céder à la mélancolie, je songe à ce chat blanc au regard d'aigue-marine envolé vers une autre vie dans mes bras, voici si peu de temps, et sur cette île où les félins de compagnie goûtent aux charmes  éternels du paradis terrestre...

Cette maudite via Filietto devient terriblement oppressante,  pourtant, l'espoir jaillit, un détail me revient, le salut est proche  si nous refusons la tentation de tourner encore et encore: "Filons tout droit ! " L'Homme- Mari accepte, faute de mieux et  nous sortons du labyrinthe, un flot de lumière vive nous accable, nous avançons sur la place favorite des promeneurs du soir,  et butons presque sur la statue  en bronze verdi de la chèvre tenace et hardie montant sur son échelle, symbole d'Anacapri, la montagnarde obstinée. On nous a vu, et des appels fusent !

 Impossible d'avancer !  A chaque pas, jaillit un flot de paroles, de prières de "tout raconter" et de "Danser",  je m'aventure à promettre de façon inconsidérée un récit détaillé de ce mariage de l'année à une kyrielle de gens qui m'implorent de revenir le lendemain, de la fruitière de la place au Palazzo bleu, à la dame du magasin de plantes et d'aliments pour chiens et chats, nous pleurons d'ailleurs ensemble sur nos animaux envolés,  sans oublier la jeune fille de la jolie boutique à une seconde de l'église, qui profite de la tentation de l'Homme- Mari envers  un polo bleu azur, pour me supplier de décrire ma robe de fête,  alarmée de cette modestie , elle exige que je rallonge au moins ma voilette. Ai-je un collier de perles de famille ? Ah ! Combien de rangs ?deux seulement, quel dommage, mais lui aussi ce collier, vous pourriez le rallonger ... non ?"

 "Un mariage à Capri, cara signora, c'est un mariage extraordinaire, tout le monde va verser des larmes,  votre coiffure doit surprendre, vos bijoux étinceler, toutes les invitées vont briller, j'ai de la chance, le cortège passera juste devant mon magasin, mais, venez chercher un second polo demain,  je vous ferai une réduction, et vous me raconterez la soirée ..."

A l'autre bout de la rue piétonne, un bosquet de citronniers fait l'attrait d'un haut lieu de festivité, un endroit à la renommée cosmopolite où nous sommes priés afin d'entourer les jeunes époux de notre affection, à l'heure où le soleil  rouge piquera droit au sein de la mer de lait. Poussés par la plus élémentaire curiosité, nous allons aux nouvelles, en cheminant  avec une nonchalance trop affectée pour être sincère, arborant la mine la plus indifférente, et scrutant le moindre mouvement , le plus infime bavardage. Or, rien ! Le silence absolu règne sur ce lieu voué aux fêtes les plus élégantes !

 Un horrible doute nous serre le coeur, nous serrions- nous trompés  de jour ? 

"Mais non ! ' s'amuse franchement Arturo, notre ami écrivain sensible et créateur des lunettes les plus poétiques qui soient jamais sortis de l'imagination capriote.

" Vous savez, ici, les horaires ne signifient pas grand chose, le mariage aura bien lieu, le reste ? Vous verrez bien ! On ne parle que  de cette fête, cela prouve qu'elle vous attend, et de notre balcon dominant le bosquet de citronniers, nous vous observerons en cachette ! Venez dîner demain soir, vous nous raconterez, pensez que la musique nous empêchera de dormir, heureusement, notre petite ne revient à l'école que dans quinze jours, bien plus tard que chez vous, pauvres petits Français !

 Allora ?  nous sommes tellement heureux de vous montrer notre premier foyer, nous avons enfin trouvé notre appartement, et nos racines en même temps, vous visiterez notre toit, on y assiste aux plus beaux couchers de soleil du village , à huit heures, non, rien, votre présence est une cadeau .. Et, j'y songe, la maison abandonnée en bas, celle de votre ancêtre, aucune nouvelle ?

 Vous savez qu'elle menace de s'effondrer ? Je suis désolé, vous aviez encore un espoir ... Tout peut arriver, vous êtes à Capri!"

 L'enthousiasme de notre plus ancien ami d'Anacapri ne nous gagne guère cette fois. Mais, cette folle histoire d'une cabane à Capri ne doit pas amoindrir notre fierté de marier notre belle nièce de coeur dans  moins d'une heure !

Une musique argentine résonne dans l'air réchauffé par un soleil complice.

 "Mon Dieu! Les cloches sonnent déjà ! Au secours ! "

Nos tenues à la française endossées, notre belle simplicité affichée, ma voilette maigrelette se balançant sur mon front inquiet, nous nous hâtons à travers les rues désertes, le souffle court et le rouge aux joues, comme si une escouade de Carabiniers moustachus menaçait notre liberté de Français invités à un mariage à Capri.

La ravissante placette sur laquelle s'élève à l'instar d'un éventail gracieux l'église de Santa Sofia n'est peuplée que d'un vol de pigeons insolents. Le soleil frappe les deux colonnes de roses immaculées  entourant la porte fermée. Les cloches cristallines ont cessées leur tintement harmonieux, pourquoi ce silence, ce vide ? Le soupçon éprouvé ce matin m'étreint à nouveau ... Soudain l'heure inscrite sur le faire-part tinte majestueusement ... Personne ne surgit pour autant ! Serions-nous les seuls invités à respecter outrageusement  l'heure imprimée ? Quelle faute de goût ! Devrions-nous rebrousser chemin et cacher notre honte ?

 Non, il fait vraiment trop chaud !

"Entrons à l'abri, nous verrons bien quelque chose de rassurant, les musiciens accordant leurs violons, d'autres invités étourdis, d'habitude en France, si vous arrivez à l'heure, toute l'assistance vous lance un regard courroucé, et là, nous allons passer pour fous !"

L'église bruisse doucement, sur l'autel, une fontaine de roses déverse son parfum, trois personnes en tenues négligées agitent les mains afin de rythmer de passionnantes confidences, on nous scrute sans grande sympathie,  mais à notre immense soulagement, une jeune fille  s'efforce de déployer sur l'allée principale un chemin de papier blanc, c'est très bon signe ! Toutefois, la quiétude l'emporte sur  la fièvre et l'agitation ... 

Derrière nous une dame caresse son chien en priant la Madone, un léger vacarme filtre sous la porte refermée... Une autre jeune fille aux yeux impérieux répand de mignons carnets sur les bancs, nous sommes sauvés, ce sont les livrets du mariage ! L'écho montant du dehors se précise, la porte est secouée comme par un vent furieux, et déferle une vague  puissante de jeunes gens  en sombres costumes cousus sur leurs corps, chaussures à l'éclat de miroir, chevelures luisantes dans le cou, barbes de trois jours, et lunettes noires du plus farouche effet.

Nous n'avons pas une seconde pour nous remettre de cette vision sidérante,  voilà que dans ce sillage typiquement Napolitain, tournoie maintenant  un opulent bouquet de jeunes filles en robes jaune, verte, rouge, rose,  dont les talons d'une altitude extrême froissent le tapis de papier . Les regards sont de braise ou d'eau de mer, les chevelures se balancent sur de puissantes hanches, les décolletés ont franchi les limites du risqué ...  Or, nous sommes en Italie du sud, la ferveur n'est pas un vain mot ou un sentiment ignoré, l'aréopage de jeunes séducteurs à la napolitaine se signe, le nuage de jeunes beautés capriotes s'agenouille, et nous prions pour le bonheur de ces mariés qui ne se montrent pas !

Un murmure respectueux  bourdonne, c'est le prêtre de la paroisse, un géant débonnaire à la bonté chevillée au corps qui gagne la sacristie en distribuant des paroles bienveillantes, les musiciens disparaissent à sa suite,  et un cortège distingué envahit les bancs. 

Le mariage à l'italienne va commencer !

Une clameur  couvre presque le tintement des cloches vigoureuses, la porte s'ouvre à grand fracas, les invités  rayonnent de joie, le prêtre tend les mains, et le jeune marié le regard noyé d'émotion  s'avance, une main dans celle de sa mère en larmes, l'autre dans celle de sa grand-mère plus réservée...

 La traversée de l'église prend l'allure d'un voyage  initiatique, l'assistance tente de garder calme et sérieux, les jeunes capriotes envoient des baisers, les jeunes Napolitains des gestes d'encouragement, le témoin vient donner l'accolade à ce fiancé sur le point de s'exiler par amour à Capri. 

Que Naples sera vide sans lui !Quelle épreuve pour sa mère ! Que ses amis seront déchirés !

L'amour est un maître redoutable ! Bienveillant et patient,  le prêtre arbore un large sourire en dépit des sanglots maternels... La mère de la mariée s'installe avec une touchante dignité  au bras de son fils, très élégant et serein, sa jeune épouse à la mode de Milan arrache un cri d'admiration, sa robe impossible à porter sauf par elle, une envolée de satin jaune d'or, chatoie comme un rayon de soleil, sa beauté mutine et classique trouble les esprits pourtant habitués aux visages parfaits partout répandus sur l'île des Sirènes.

 L'église frissonne d'impatience joyeuse, les chants sont entonnés avec fougue, les cloches s'obstinent à annoncer la mariée qui se fait désirer ...

Viendra-t-elle ? Des applaudissements éclatent en fanfare sur la placette sans couvrir un grondement de moteur, le jeune fiancé pleure de joie, la mariée et son père sont au rendez-vous !

"Dans une Fiat bleu ciel !  ils ne vont pas entrer en voiture dans l'église ? "

A très bientôt pour la suite de ce mariage à Capri !

 Nathalie-Alix ou Lady Alix de la Panouse

 

 


 

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