Le goût du bonheur dans une Fiat bleu ciel
Mariage à Capri épisode III
Roman à Capri: "La maison ensorcelée", seconde partie
Un frémissement secoue les invités qui n'en croient pas leurs yeux.
A l'entrée de la plus gracieuse église d'Anacapri, La petite Fiat bleu ciel, avec à son bord la jeune mariée tant attendue et son père fier comme Auguste en personne, s'apprête -t-elle à rouler vers l'autel nuptial ?
Rien n'est impossible à Capri surtout quand le bonheur est de la partie, et quel bonheur !
La joie sans bornes de ces nouveaux époux qui vécurent l'immense patience d'un cortège de longues fiançailles.. Toutefois, ce goût inné du bonheur que chaque habitant de l'île divine cultive avec une joyeuse désinvolture ne va pas jusqu'à pousser l'inconvenance dans ses ultimes limites, et notre cher ami Salvo est le premier à respecter ce qui doit l'être !
Ainsi, la petite Fiat bleu azur reste sagement en vue sur le parvis de l'église ! Et c'est au bras de son père cachant mal son immense émotion que la plus exquise des mariées s'avance vers l'autel de son destin ...
La future épousée glisse à l'instar d'une fleur vivante oscillant sur sa longue et fine tige, son cou délicat surgit d'une corolle épanouie, son voile frissonne sous un chignon accentuant son profil pur, son visage reflète le bonheur parfait et la sérénité souriante de celle qui fait confiance à l'amour et à la vie.
Le jeune promis napolitain n'en croit pas ses yeux, son jeune et beau témoin le soutient dans cet instant magnifique qui le voit tendre la main à sa fiancée plus belle que jamais !
L'assemblée trépigne de joie, et soupire d'attendrissement, ce couple fait fondre les coeurs ! Imposant, immense, et majestueux, le prêtre, au comble de la joie, souligne la grandeur des vertus conjugales avec des mots si éloquents que nous les comprenons d'instinct, mais son lyrisme enjoué s'achève par une sentence pour le moins extraordinaire: "L'amour est fatigant!"
La jeunesse proteste, du côté Napolitain, on refuse cette noble parole ! Les belles Capriotes se contentent d'une moue et d'un sourcil relevé ... Qui vivra verra !
Or, les personnes ayant vécu un long chemin ensemble se regardent et approuvent ...Le consentement est demandé, le consentement est donné! La ferveur atteint son paroxysme, pleurs, applaudissements , concert de louanges, les mains éclatent, le concert des violons s'emballe, la liesse manque déborder comme un torrent d'avril, et la statue de San Antonio, protecteur d'Anacapri, semble s'animer et bénir ce couple que le Saint prend avec un vif bonheur sous son aile...
Le prêtre reprend son discours, mais change de ton, le voilà grave, quasi officiel, presque ennuyeux, nous sommes désorientés, que se passe-t-il ? Le prêtre dont nous admirions l'étincelant brio, est maintenant fort appliqué à nous lire laborieusement un texte qui n'en finit plus...Un texte qui ne semble pas très catholique ...
Et pour cause !
"C'est le code civil, j'en suis sûr !" murmure l'Homme- Mari abasourdi.
Nous avons le privilège d'écouter les articles de loi régissant les mariages civils, au sein d'une église et de la bouche du prêtre de la Paroisse, encore une surprise à l'italienne...
Le pensum prend fin, l'assistance, mouvante et excitée, s'empresse de froufrouter, rire, sangloter, chuchoter ou piétiner vers la sortie tandis que nos époux et leurs témoins disparaissent vers la sacristie, mariage italien ou non, les registres ne sauraient être oubliés. Emus et un peu perdus, nous voici soudain les mains remplies de pétales de roses, un cercle d'amateurs passionnés s'agglutine devant la Fiat bleu ciel que son impassible chauffeur en grande tenue s'acharne à protéger de cette manifestation de légitime curiosité. une rumeur galope, la petite machine céleste aurait eu Sophia Loren, reine de Naples , comme marraine !
Sous un ouragan de pétales de roses, et un tonnerre d'acclamations, les jeunes époux se hasardent vers leur carrosse azuré, mais la foule leur réclame un baiser, puis deux, puis trois, la foule reste insatiable, ce spectacle amoureux lui arrache des bénédictions toujours renouvelées !
Les époux posent, sourient et grimpent à bord de la petite Fiat bleu ciel qui s'enfuit vers un horizon que nous souhaitons tous limpide et bleu, comme le ciel aujourd'hui sur Capri...
Mais qu'allons-nous devenir pendant que la petite Fiat céleste caracole sur les promontoires hasardeux au risque de précipiter dans un gouffre le couple audacieux ?
Nous voilà désoeuvrés, abandonnés, la jeunesse Napolitaine s'enfourne dans un bar, les beautés Capriotes s'évanouissent comme des mouettes au fil des ruelles, sans doute vont-elles se repoudrer, se rafraîchir, parfaire un visage parfait et rajuster une robe impeccable !
Cette fois, nous suivrons ce mouvement de fuite, et ignorerons l'heure inscrite sur le faire-part. Nous venons de le comprendre, il est de bon aloi d'oser un retard assez conséquent, sans pour autant frôler l'impertinence. C'est d'un pas extrêmement lent que nous cheminons vers les citronniers plantureux sous lesquels la fête s'épanouira, bercée par les feux du soleil couchant.
Or, serions-nous marqués du sceau de la fatalité ? Serait-ce une plaisanterie des moqueuses Sirènes ou d'un dieu immortel blotti dans l'ombre vespérale ?
En dépit de notre prodigieux retard, nous nous retrouvons en pleine solitude ! Si l'on excepte un essaim de serveurs trop affairés pour prêter attention à ce couple égaré...toutefois, deux magnifiques arches de fleurs immaculées prouvent qu'une soirée de mariage se tiendra bientôt, des bouquets non moins exubérants parsèment les tables,, un buffet copieux prend forme, allons, tous ces détails sont encourageants, mais cela ne suffit guère à nous encourager, en réalité, nous mourons d'envie de nous éclipser... Mais, les divinités capriotes de l'amour matrimonial nous prennent en pitié. Comme par enchantement, le très aimable fils de Salvo nous empêche de filer à l'anglaise !
Nous ne sommes pas du tout en avance, ce sont les autres qui sont en retard!
Cette délicatesse a le don de nous ranimer considérablement ! et nous serrons dans nos bras la superbe épouse, drapée dans un frou-frou de soie jaune d'or de ce courtois jeune homme, et leur blond chérubin d'un an à peine, levant sans peur ses grands yeux impérieux: l'orgueil de la famille !
Salvo manifestement sur un nuage emboîte le pas à un premier arrivage d'invités très distingués, et nous nous témoigne aussitôt la sollicitude réservée à des personnes fragiles, offrons- nous à ce point un aspect défraîchi ? Les invités, familles îliennes et du continent jacassent à coeur-joie, font un sort au champagne, et nous font l'honneur de ne pas sourciller en entendant notre italien capricieux, au contraire, notre présence amuse, attendrit presque: des Français timides et sentimentaux qui plus est amoureux de Capri comme à l'époque du grand Tour, cela existe encore ?
Les bavardages, ponctués de gestes d'une vibrante ferveur, se poursuivent pendant que les facéties des jeunes Napolitains augmentent de plus belle, le jeune époux à peine revenu de ses itinéraires du vertige, manque célébrer son mariage au fond de la piscine, sa jeune épouse obtient sa grâce de justesse! le dîner nous prend par surprise, et son déroulement somptueux, plats capriotes et ballet échevelé des jeunes camerieri, rythmé de chants, de danses, s' embellit encore de la déclaration d'amour chantée par le jeune marié en dialecte Napolitain, sa voix de velours suscite de nouveaux sanglots et une approbation unanime, il a fait son devoir !
Le père de la mariée, notre ami Salvo, en profite pour lui reprendre un long moment sa fille bientôt perdue, en l'entraînant dans une tendre valse où se chuchotent de belles confidences avouant l'amour infini d'un père pour sa fille adorée...L'amour est dans l'air , mais aussi l'affection et l'amitié, et très vite les nourritures terrestres sont oubliées au profit des danses infernales!
Je suis emmenée dans une ronde, puis un sirtaki endiablé, qui rajeunit, reverdit, et ranime l'âme grecque de l'île...La fête vire au tourbillon, même l'Homme- Mari est emporté de force, et se laisse faire, heureux comme un adolescent.
Sur ce flot de spontanéité joyeuse, arrive une immense tour en sucre blanc que les mariés découpent en riant, une lumière subtile, poudrée d'or et de poussière de lune, nimbe le jardin de citronniers, la nuit capriote, à l'instar de la nuit grecque n'est pas la nuit, "c'est seulement l'absence du jour", ainsi que le murmurait le vicomte de Chateaubriand...
Le plus beau des mariages s'achève dans un soupir de bonheur ...et nous repartons, veillé par la masse hautaine du Monte-Solaro, gardien de tant de fêtes, de tant de drames, gardien de l'invisible passerelle capriote qui relie encore entre le monde antique au nôtre ...
Mon éternel fantôme, celui qui a tenté de hanter mes jours sur l'ile se manifestera- t- il désormais ?
Une étrange nostalgie me poursuit malgré la joie simple de ce mariage parfait.
D'où vient ce lien qui m'attache à une île toujours secrète au-delà de sa fausse réputation de paradis perverti ? Qui me donnera la clef d'une histoire perdue ?
Quant à cette maudite maison en ruines blottie au coeur de la vallée la plus mystérieuse de l'île, quel espoir gardons- nous d'y entrer un jour avec un sourire de propriétaires ? Notre rêve nous a emportés trop loin, la réalité ne nous prendra pas au sérieux ...A moins d'un hasard miraculeux, mais le hasard n'existe pas à Capri.
Je commence en à avoir assez de cet attachement un peu absurde, parfois, il est bon de s'éloigner afin de mieux revenir; et si nous allions à l'aventure vers Procida ou la lointaine Ventotene ?
"Pourquoi pas , rétorque l'Homme- Mari, du fond de son charmant état d'invité à un mariage à l'italienne bien arrosé.
Fin de la seconde partie du roman capriote: "La maison ensorcelée"
A bientôt pur la suite de ces péripéties capriotes,
dans le cadre du roman "La maison ensorcelée" ou Trilogie de Capri
première et seconde partie,
et désormais troisième partie
Nathalie- Alix de La Panouse
ou Lady Alix
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L'art de vivre à Capri, sur les rochers du Faro septembre 2025 |
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