jeudi 20 novembre 2025

Trilogie de Capri: la maison ensorcelée Partie III: Chap 3 Une maison avec vue n'a pas de prix

La maison ensorcelée ou Trilogie de Capri

Partie III Chapitre III

Maison avec vue et espoir de musique divine à la Villa Rosa

Cette fois, la maladie asséchait notre éternelle soif de la vie à Capri.
La toux emportait l'Homme- Mari dans des élans maussades, la fièvre me donnait le vertige menant droit à la déprime absolue. Salvo ne valait guère mieux que les amis français, lui si énergique, si réconfortant, sombrait comme un bateau tourmenté par les vents amers tourbillonnant sur le golfe en novembre .
Flavia avait promis de nous accompagner à une soirée musicale , mais serait-elle capable de mettre un pied devant l'autre sur les deux cent mètres la séparant de la Villa Rosa,  cette délicieuse maison romantique qui ce soir-là, serait vouée aux airs les plus délicieusement romantique, rendant  aux hauteurs d'Anacapri son âme vibrante, occultée par un bon siècle de tourisme tapageur ...
 Je passai la journée à grimper sur les traverses afin de nous sustenter en faisant les courses, puis , incapable de bouger, installée en plein soleil dans le jardin aux deux citronniers, 
Il était indispensable de s'adonner au farniente, c'était une question de survie, d'équilibre mental, surtout avec une pile de mouchoirs en papier posé contre une pyramide de livres vantant le passé glorieux, les mérites et  les amours des excentriques qui s'étaient pris de passion envers  l'île des dieux. 
 Je me sentais franchement terne et timide à côté de  ces grands audacieux, moi qui,  immobile et souffrante, ennuyée à l'avance du moindre mouvement, redoutait l'instant fatal où le rendez-vous de la Villa Rosa m'obligerait à faire bonne figure.  Et bien pire, à grimper vers la via Capodimonte, itinéraire facile et charmant mais qui me semblait une ascension épique dans mon triste état.
 L'Homme- Mari  s'était replié à l'autre bout du rez-de-jardin que nous avions l'insigne chance de louer, deux fois l'an, à une piquante, sémillante, virevoltante juriste native de Naples et véritablement Napolitaine de la tête aux pieds.
Antonio notre premier propriétaire, et ami sincère, nous aimait toujours, mais son appartement du haut, celui agrémenté d'une tourelle qui se donnait des airs de phare, abritait des locataires à l'année, notre ancien et tant- aimé paradis blanc nous narguait... Surtout le soir, quand des personnes inconnues, invisibles et pourtant très pesantes, allumaient les lampes du salon que avions orné avec un amour un peu intempestif de belles gravures du Capri d'autrefois ...
Mais, qui sait ? Antonio ne nous oubliait jamais et  à chacun de nos séjours, en revenant de Capri,nous devisions à Naples en sa compagnie, attablés devant un café bien noir et bien fort  et une corbeille de gâteaux suintant de sucre. 
Ce bon Samaritain insistait pour guetter notre bateau afin, dés notre traversée de la passerelle, de prendre soin de ses amis français qu'il ne cessait de considérer comme des porcelaines fragiles à mettre aussitôt en sécurité .
Nous cultivions ensemble cette habitude napolitaine de remplacer un mot échappé à notre vocabulaire par des gestes prouvant une ardeur très appréciée !
 Justement, il est temps que j'augmente mon niveau en italien, mes amis ont beau donner dans l'indulgence amusée, je ne suis lucide, je baragouine un italien fantaisiste, seuls des devoirs de vacances m'aideront à remédier à ce gros défaut. En soupirant et éternuant, j'ouvre un Assimil usé au point de perdre ses pages lambeaux sur la pelouse humide de rosée au coeur de la journée...  
Rien de surprenant à ce que nous soyons si faibles et si malades dans ce jardin perpétuellement  spongieux, alimenté sans doute par une source profonde et ignorée...
N'habitions- nous via Rio Caprile ? Ce nom indiquait la présence d'un torrent, peut-être ses vestiges formaient- ils un marécage juste en dessous de notre minuscule logis ?
Le bruit d'une pathétique quinte de toux en provenance de la pièce la plus éloignée, me fait comprendre que l'Homme- Mari serait d'accord avec ma belle intuition historique...
 soudain, un autre bruit  succède aux rauques gémissements de l'Homme- Mari, le portail en contre-bas grince, et le vacarme strident de la sonnette aggrave ma migraine ;
Qui ose déranger deux Français victimes d'un mal de saison ?
une tête brune surgit, des yeux perçants scintillent en contemplant la façade blanche et les fières colonnes de la loggia, voici  maintenant l'intégralité d'un visage bronzé affectant une moue impavide! 
Suit la moitié d'un corps replet, et enfin l'ensemble se présente au milieu du jardin: c'est assurément le Signor de M, un homme des plus curieux, un promeneur bavard qui connaît tout le monde de Marina Grande à la villa Lysis, et de Capri -village aux sentiers les plus rocailleux de la montagne d'Anacapri.
Horreur, un vague rendez-vous me revient à l'esprit ! 
 Obsédée par notre grippe, je l'avais purement et simplement relégué dans le grenier de ma mémoire...  La honte attise ma fièvre et déclenche une toux fort peu esthétique  Comment oublier  un rendez-vous avec un tel personnage ? Surtout faire comme si je l'attendais avec ravissement ! Le vexer serait périlleux ...
Le Signor de M fait partie des gens extravagants que je rencontre à chaque retour, et dans chaque coin d'Anacapri.
Je ne manque jamais  de les saluer, en manifestant l'enthousiasme requis par la coutume ancestrale recommandant de parler avec tout un chacun sur l'île divine. 
Cet art de la conversation  improvisée, vive et malicieuse s'ancre dans le roc depuis la conquête des corsaires Grecs, et elle reste un des charmes de l'île.
Un second personnage bizarre persiste à clamer que je suis la reine de France, et qu'il me présentera à d'autres princes ou rois heureux de vivre dans les maisons les plus décaties d'Anacapri. 
"Je parle un bon français car j'ai passé vingt ans aux Baumettes, à Marseille!" proclame-t-il tout guilleret, et je n'ai jamais eu le courage de lui demander s'il s'agissait du quartier ou de la prison ... 
Je n'oserai jamais ! 
Bien différent est le Signor di M, un aristocrate avenant mais sévère, toujours prêt à remettre les Anacapriotes sur le droit chemin,  tenue impeccable obligée pour chaque victime de son autorité bienveillante ! 
C'est assurément un personnage mythique  (et Dieu sait à quel point les mythes ont une extrême importance sur l'île !) que l'on croise à chaque heure du jour, la mine sombre, le regard  observateur, le sosie d'un sénateur de l'ancienne Rome, dont il a aussi la démarche majestueuse.
Il s'incline, et, en me considérant, toute sa personne indique un certain désarroi... Suis-je à ce point affreuse ? Cette grippe me rend hideuse, j'en suis la première affligée, il me semble  de peu de goût de souligner ma ressemblance avec une ruine ambulante ...
Non, la désapprobation évidente du digne Signor de M prend sa source ailleurs que dans ma piteuse apparence:
" Contessa,  si nous ne partons pas tout de suite, nous risquons  d'arriver dix minutes  en retard, c'est vraiment très grave,  jamais le propriétaire  ne nous pardonnera ce qu'il jugera un affront prémédité, je dois téléphoner,  auriez-vous l'obligeance de m'offrir un verre d'eau ? Davvero, cette Villa a quelque chose d'extraordinaire, non, pas celle que je désire vous montrer, celle où vous louez vos appartements la plus belle d'Anacapri, après bien sûr la Villa San Michele, la Villa Rosa, la Casa Rossa,  la Casa Caprile en restauration en ce moment mais les artisans économisent leurs forces, et la Villa de notre dentiste via Capodimonte.
 Quelle chance cela serait pour vous si vous souffriez  d'une violente rage de dents...
La Villa du vétérinaire est très intéressante également, mais vous laissez vos animaux en France,  allora mieux vaudrait vous plaindre d'un bon abcès, vous en profiteriez pour visiter cette demeure extraordinaire, ne voulez-faire un effort ? 
Cela n'est pas si compliqué de souffrir des dents!
 Une Villa aussi préservée, non, vous ne trouverez jamais l'équivalent, votre époux est-il revenu en France ? Je n'entends rien, à part peut-être un chien . Je vous demande pardon, j'ai confondu un éternuement avec un aboiement, l'erreur est humaine.
Encore malade ! Mais nous ne pouvons visiter sans lui, mon ami en serait blessé... Ah ! vous voilà,  caro amico, vous toussez, vous toussez beaucoup..."
 Le Signor de M ne déteste rien tant que les manquements à l'étiquette et à l'esthétique, la toux de l'Homme- Mari vaut à ce dernier un regard offusqué, une pareille toux ne saurait être que typiquement française ! Elle gâche l'air parfumé de Capri ... 
Ce désagrément nous épargnera- t-il l'ennui de la visite d'une maison décevante, décrite à l'instar d'un palais à peine décrépit par l'habile et rusé Signor de M ( descendant du dieu Hermés qui lui a transmis son inimitable talent de l'éloquence enjôleuse ) ?  
Hélas ! le piège se referme sur nos personnes trop épuisées pour protester.
 L'auguste Signor de M nous ordonne d'un geste courtois mais ferme de le suivre, et nous le suivons, le nez enfoui dans nos mouchoirs, et le dos cassé par les attaques de la toux.
 Impitoyable et hautain, notre mentor nous oblige à gravir un raidillon au-dessus de la vallée de Caprile, puis accepte de nous laisser souffler sur une via tranquille, longeant de beaux Cyprès  vert- émeraude, gardiens, de vastes et taciturnes domaines, encerclés de vigoureux murs dont le travail harmonieux ranime l'antiquité.
L' architecture de l'ancienne Rome se devine encore, c'est grâce à son génie que l'île garde sa puissance intangible; et pourtant Capri est Grecque par l'esprit, la désinvolture, la poésie de l'instant et de l'éternité ...
 Capri frissonne en laissant ses bosquets d'amples Pins Parasols soupirer sous la brise d'automne, Capri en octobre est un bateau ensorcelé qui cherche désespérément la mer ...
Si seulement notre bon Signor de M nous emmenait vers une ces Villas ravagées qui subsistent par la force de leurs pierres romaines au sein des vallons perdus !
 Mais, je suis toujours étonnée de sa détermination à nous présenter les pires maisons d'Anacapri, taudis insalubres, dénuées de la moindre commodité, ce qui importe peu, et d'élégance, ce qui est impardonnable. 
Hélas, trois fois hélas, une fois in situ, la même ritournelle chante à nos oreilles irritées: "Cette vue !  Regardes, voyez, comprenez, cette vue ! unique, prodigieuse, incomparable, comment exiger autre chose ?
 Le confort ne compte pas, l'exiguïté ? Un détail, l'état insalubre général ? Une peccadille ! Le soleil ne purifie-t-il l'humidité ? , surtout au dernier étage, vous dormirez sur le toit , un paradis , songez aux étoiles qui se pencheront vers votre matelas...
 L'escalier raide ? Basta ! Seriez-vous capricieuse, contessa  ou souffreriez- vous d'arthrose précoce ? Le jus des citrons de Capri vous serait salutaire en ce cas... 
Oui, vous ne disposerez que d'un toit et d'une chambre, mais l'eau peut se prendre en bas, dans la rue, et une cuisine est facile à organiser, voyez ce réchaud, et surtout cette vue ! 
Ischia, Procida, et les Pontines par beau temps, une vue grandiose, cela n'a pas de prix, enfin si, vous vous en doutez, bien sûr, un million, pour vous nous descendrons un peu, vous comprenez, vous êtes à Capri ..
L'endroit le plus coûteux, le plus demandé, le plus inouï, ne réagissez- pas de façon si brutale, vous allez me vexer..  
La vieille maison  derrière son portail rouillé, celle du vallon de Caprile ? Oui, je m'en souviens, comment ne pas s'en souvenir
de cette ruine pittoresque qui aurait appartenue à votre ancêtre, le héros  inconnu de l'époque de Murat ? 
Dai ! Elle vous filera sous le nez, les Enchères vous en priveront, votre imagination vous perdra, pourquoi vous entêter depuis si longtemps ? Tout le monde ici, à Anacapri, vous plaint beaucoup, de si aimables Français, et complétement fous, obsédés, anéantis, envoûtés par le souvenir d'un souvenir, le rêve d'un rêve, est-ce une malédiction typiquement française ? 
Ou cette folie n'appartient- elle qu'à vous ? Que dites-vous ? 
Les Sirènes ? Mais, carissima, les Sirènes, croyez-vous qu'elles raffolent des Français qui prennent leurs désirs pour des futures réalités ? Les Sirènes s'amusent à vous ensorceler, puis elles se divertissent en vous abandonnant sur une falaise, tristes et mélancoliques, comme si Capri elle-même vous rejetait ...
Moi, par contre, je ne vous lâche pas !
 Allora ? Que pensez-vous de cette vue ?" 
Cet refrain fastidieux nous échauffait assez vite l'humeur ! Toutefois, le Signor de M nous séduisait et nous amusait, sa prestance le plaçait au-delà des mortels ordinaires, et ses discours pompeux laissaient toujours la porte ouverte à l'espoir. 
La prochaine maison serait peut-être en harmonie avec sa description embellie ?
 D'ailleurs, grâce à ces marches éreintantes dans le sillage de l'ombrageux Signor de M, qui ne cessait de s'arrêter pour entamer des discussions incompréhensibles et véhémentes avec d'obscurs habitants d'Anacapri, ne finissions -nous par connaître les alentours aussi bien qu'un natif fier de compter Ulysse, Tibère ou Auguste dans la foule pittoresque de ses ancêtres ?
 Sans oublier Parthénope, Psinoé ou Aglaophone, Sirènes  moqueuses et parfois féroces....
Cet après- midi-là, fidèle à ses petites manies, le très hautain Signor de M nous tourne le dos pour apostropher  un vague ami qui lève aussitôt les mains vers le ciel poudré d'or pâle, et invoque les dieux de l'Olympe ou le cortège des Saints du Paradis à propos d'un sujet dont la gravité nous saute à la figure, toutefois, nous ne saisissons absolument goutte à sa cause profonde.
 Les deux compères s'expriment à la vitesse de la lumière, et de surcroît s'éloignent de nos oreilles curieuses, au risque de choir du haut d'un minuscule belvédère veillant sur la mer, en froufroutante robe violette à cette heure.
Or, le rendez-vous  approche à pas de géant, si nous ne courrons pas vers la maison prétendument mirobolante et mirifique, on nous accusera d'un retard volontaire, une atteinte à l'irrémédiable courtoisie capriote !
 Pire, nous ferons attendre ensuite notre amie Flavia!
 Là- encore,  nous sommes soumis à un rendez-vous d'une précision helvétique ; comment aurions-nous l'audace d'envahir un concert au sein de la gracieuse Villa Rosa, restaurée de frais, en bouleversant les fougueux et méritants jeunes pianistes  d'Anacapri ? Je ne peux l'imaginer en dépit de cette imagination délirante que déplore l'infernal Signor de M, grand bavard en service commandé !
Mais, voici le coupable qui quitte son ami, un sourire crispé accroché à ses lèvres maussades. D'un geste, il nous accable et sa voix stridente martèle ces mots qui m'offusqueraient si je n'étouffais de rire:
" Dai! nous avons perdu beaucoup trop de temps ! Il faut se dépêcher maintenant, le propriétaire vient d'envoyer un message, il n'est pas content ...
Sans se démonter, l'Homme- Mari désigne le chemin divisé en deux affluents:
"Eh bien, ouvrez la route, à gauche ou à droite ou devant ? Et fonçons !"
J'en profite pour insister sur mon rendez-vous à la Villa Rosa, ce qui manifestement agace le Signor de M, offusqué de mon angoisse irréaliste :
"Votre amie, je la connais, qui ne connait cette exquise famille, n'a qu'à traverser la via pour se rendre au concert, et d'ailleurs, nous ne sommes pas des Suisses, débarrassez- vous de cette peur d'arriver en retard, à l'occasion d'un événement mondain, amoureux ou frivole.
Par contre, s'il s'agit d'un rendez-vous immobilier, là, nous devons respecter l'heure établie ...
Les affaires dictent leur loi, voyez-vous ... 
L'heure indiquée sur une affiche ou un carton n'indique rien, à l'inverse, un rendez-vous donné de vive- voix ne doit souffrir d'aucun contre-temps, et vraiment vous me décevez, vous allez trop lentement... " 
Luttant afin de garder sang froid et humeur charmante, nous avançons à grandes enjambées,  et enfilons une corniche posée à l'instar d'un bijou scintillant entre le roc et un cortège de jardins disparates, le style des maisons laisse à désirer, on les devine construites à la va-vite, sans idéal particulier, le beau toit en coupole renversé ne se montre guère, les loggias se font rares et les colonnes sont remplacées par des poutres de fer.
Ce bizarre quartier ni ancien ni nouveau constitue une curiosité dans l'île, au pied des domaines secrets de la Migliera, et en surplomb des villas cossues  piquetant les vallons de la route du Faro.  
Lisant dans nos pensées, le Signor de M insiste sur la splendeur de l'horizon déjà rougi par le bain annoncé du soleil au sein de la mer tranquille, qui du violet vire au gris- perle irisé de pourpre.  L'homme d'affaires se métamorphose en poète et nous craignons un désastre...
Assis sur un muret grossier, rareté à Capri, un monsieur potelé boude au milieu d'un paysage d'une beauté n'appartenant guère à ce monde.
Le contraste est d'autant plus prenant que ce monsieur rébarbatif nous conspue dans un dialecte obscur mais parfaitement clair ! Le Signor de M essaie de prouver notre bonne foi, de montrer notre bonne mine, l'autre n'en a cure.
Je m'en réjouis , la maison juchée sur une fragile avancée juste en -dessous du muret ne me plaît pas, on dirait un couvre-pied fabriqué de plusieurs morceaux,  son jardin s'afflige d'une nudité regrettable, chose bizarre sur une île fleurie à outrance, j'ai une seule envie : fuir ! 
Bon prince, l'Homme- Mari tente d'amadouer le rude heureux propriétaire, en vain. Soudain, alertés par la grosse voix de ce malotru, encore une rareté, voici qu'une troupe nous entoure, ce sont les frères, cousins, fils, filles, enfin, cette maison déborde de propriétaires, tous persuadés que le Signor de M a capturé deux Français aux poches remplies de pièces d'or !
 Je tire l'Homme -Mari par la manche, mais, le Signor de M le tire de son côté !
 "Prenons cinq minutes, faisons semblant d'admirer la vue, et fuyons ! "
L'Homme- Mari a parlé et en bonne Femme -Epouse, j'obéis !
Le visage fermé et l'intonation blanche, le Signor de M redoutant un drame, nous explique que la maison est l'oeuvre des grands-parents, sans plan, sans modèle, ils ont réussi ce tour de force: édifier la maison la plus hideuse de toute la Campanie.
 La vue exceptionnelle ne se partage pas, toutefois, avoue le Signor de M, d'un ton de plus en plus embarrassé,  mais la maison oui, et encore davantage le jardin, et aussi le portail, et l'accès à ce dernier. Un futur acheteur devra ainsi convaincre chaque propriétaire d'une partie de lui céder cette dernière...
 En réalité, cette masure tient à la fois du casse-tête chinois et du hangar délabré, et tant pis pour sa vue!
  Signor de M a beau vanter la  sublime vue, il est le seul à la contempler !
Dix personnes hostiles sur nos talons, nous traversons des pièces encombrées, réussissons à ne pas trébucher, n'osons rien regarder de peur d'être indiscrets, esquissons quelques sourires et saluts et regagnons le chemin comme si une horde de lions reniflaient notre odeur.
"Vous n'aimez pas cette maison, déplore le Signor de M, quel dommage, j'avais réussi à faire baisser le prix d'ensemble, ensuite à vous de négocier les parties qui vous plaisent..., Moins d'un million, c'est très correct,  pensez à la vue ..."
Cette fois, la moutarde nous pique le nez !
 "Pas de vue ! nous détestons la vue, des arbres, pas de vue ! des fleurs, et une cabane, mais à nous... si cela n'existe pas ici, tant pis, nous ne chercherons plus... On peut être heureux sans maison à Capri, sans million, et sans vue, d'ailleurs l'appartement que nous louons n'a vu que sur son jardin de poupée...  La vue ? Mais vous la trouvez en sortant de chez vous, depuis chaque arrête de bus, chaque banc, cà chaque tournant, en haut de chaque escalier ! Il en faut si peu pour être heureux..."
La philosophie de l'Homme- Mari suscite la colère froide du Signor de M qui nous plante- là en battant l'air du soir d'une main indignée.
"La Villa Rosa a-t-elle une vue à propos?" 
Mon Dieu ! Flavia patiente déjà, vue ou pas vue, c'est tout vu, nous repartons à une allure olympique sur les traverse d'Anacapri, si nos poumons n'éclatent pas, si on ne nous interdit pas l'entrée au concert de la villa Rosa,  peut-être la fougueuse musique de Chopin nous apaisera- elle coeur et corps, avant que nous ne nous écroulions, ravagés aux pieds des jeunes et vaillants pianistes de l'île...

A bientôt pour la suite de ces concerts en l'île,
 
 Nathalie-Alix de La Panouse ou Lady Alix

 Trilogie de Capri: La maison ensorcelée




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