mercredi 11 novembre 2015

Martial, héros des "contes de la demi-brigade": le fringant brave-coeur de Jean Giono


En 1952 ,Jean Giono, l'homme de Manosque, écrivain farouche et entier, portant son idéalisme à la pointe du sabre, décide d'en finir avec les nébuleuses envolées philosophiques .
Il était temps! certains de ses romans frôlant l'ennui parfait , à la différence de la saveur lyrique de "Colline", son premier récit écrit sur les ailes du vent dans les senteurs de myrte et de thym de sa Provence encore intacte...
Sur les traces de Fabrice, le héros traînant tous les cœurs et chevauchant vers toutes les épopées, chevalier étourdi et fou d'amour de la "Chartreuse de Parme", voici soudain Angelo, le "hussard sur le toit "traversant comme un brigand, un prince, un amoureux, la Haute-Provence attaquée par un ennemi  atrocement visible: le choléra.
La France est prise d'un vertige de l'amour envers ce jeune fou cherchant le bonheur, quête stendhalienne obligatoire pour tout individu littérairement constitué, dans sa chevauchée fantastique, héroïque, et enflammée par le visage de déesse guerrière de la frêle et opiniâtre petite marquise de Théus.
Un peu après, en inventant les fougueuses nouvelles ou "récits de la demi-brigade, Giono lance un second chevalier, Martial,l'ancien héros d'un roi sans divertissement" plus mûr, plus détaché, mais riche de l'intense passion de vie animant le jeune et bondissant Angelo. Ce gentilhomme d'aventures est le capitaine de la demi-brigade de la gendarmerie s'évertuant à faire régner un semblant de calme sur une terre sauvage s'étendant entre les montagnes et bois épineux de la Haute-Provence des années 1835.
Brigands pillant avec allégresse les diligences locales, belles femmes osant défier la mort pour une  cause perdue, paysans rebelles, assassins de toute espèce, sans oublier la caste, jamais vaincue et  téméraire au profond de l'âme, des royalistes légitimistes s'acharnant à poursuivre leur impossible idéal de l'ancien régime par des attentats inopinés et cruels, forment une ronde intenable autour du capitaine fidèle à un roi qu'il n'a pas choisi:
."Le territoire dont j'ai la surveillance va de Saint-Maximin à Châteauneuf-le Rouge et des confins de la Sainte Baume jusque dans les bois profonds de la Gardiole, de la Séouve et du Sambuc, où l'on a pris soin de ne pas délimiter exactement mes frontières ".
Mouvementé, audacieux, le "journal de bord" du capitaine Martial ne se contente toutefois pas des orages belliqueux des romans de "capes et d'épées"; le héros rêve entre deux coups de sabre à un monde fraternel en union avec la nature, parfois embelli de figures gracieuses et, en dépit des envies mesquines et des événements sordides, touché par la grâce de l'humanisme, utopie qu'il sait parfaitement irréalisable, mais sait-on jamais...
La poignée de nouvelles formant "les récits de la demi-brigade" ne se peut dévoiler sans gâcher l'esprit d'aventure qui leur  donne vie. Il faut rêver à cheval, en écoutant craquer et bavarder la garrigue et sentir assez souvent "des démangeaisons dans la poignée de son sabre".
La redoutable petite marquise de Théus a une rivale auprès de l'impavide capitaine: la nuit provençale et ses sortilèges cachant les drames sournois; ainsi, le soir d'un bal, invitation flatteuse, un peu trop officielle, et destinée à le tenir à l'écart de manigances politiques et criminelles, le capitaine, encore sous le charme d'une valse avec la légère Pauline de Théus, reprend le sens de sa mission en respirant la Provence nocturne:
 "La petite marquise valsait si bien qu'on y prenait le plus grand plaisir, mais aucune gloire. Ce fut mon bal. Rentré à Aubagne, je repris mon cheval. Il faisait une nuit d'été somptueuse; dans les vallons frais, des rossignols attardés multipliaient les étoiles. J'aime ce chant qui est comme un silence et ce fourmillement de lumière qui est la nuit ".
Son acuité poétique ne le rend pas aveugle au complot tramé encore et toujours par le "clan légitimiste" dont l'adorable marquise est un séduisant pilier:
+ "restait à définir le regard qu'avait eu la marquise en dansant avec moi. Je l'ai dit: son habileté la rendait semblable à du vent. Qui peut se flatter de tenir le vent dans ses bras ? Son regard n'était pas un regard de victoire mais un regard intelligent. C'est autre chose; et qui ne m'apportait pas la paix dans ces vallons sonores ".
Pauline de Théus, l'amazone troublante et intrépide du "Hussard sur le toit  est une âme forte enfermée dans une silhouette gracile. La dure morale de" l'Ecossais ou la fin des héros", le récit le plus farouche  relaté par l'admirable capitaine ne s'étonnant  ni de l'épouvantable ni de l'inutile, attire l'éclat d'un soleil d''hiver sur cette jeune femme au caractère de louve romaine.
"l'Ecossais", c'est l'histoire d'un crime, d'un cas de conscience et d'un choix inhumain.
 Le capitaine Martial se trouve face à un meurtre... la routine ?
Que non pas, on a assassiné un soldat veillant sur la voiture transportant un vrai trésor public :" les fonds des Messageries et la caisse du payeur général".
L'acte est d'une barbarie révoltante et son mobile obscur:
 "il est rare que dans une opération de ce genre on cherche autre chose que de l'argent ".
 Martial reçoit l'ordre de son colonel de venger le soldat avant que leur collègue d'Aix-en-Provence ne s'empare de l'affaire dans le but d'obtenir la croix d'honneur. Un indice extrêmement bizarre va lui servir de guide.
Il s'agit d' un ravissant et sans doute fort coûteux boléro de grande dame à la mode que le capitaine a décroché d'un buisson à la pointe du sabre non loin d'une bergerie abandonnée.
En retournant à cet endroit, Martial, chevauche dans un paysage désert qui l'apaise et le libère:
 "J'étais seul. Le calme absolu qui précède les lourdes chutes de neige m'environnait étroitement. Les lointains étaient de ce bleu sombre un peu funèbre que prend la mer sur de grands fonds. Quant la solitude a ce visage, mon âme est en paix".
 A cet instant, Martial se dédouble, le valeureux capitaine au service d'un roi qu'il n'estime qu'avec une réserve fataliste, joue son jeu, celui dont les règles épousent l'action. Il est le seul maître des événements à venir et sait qu'il ne rendra de compte qu'à sa foi en  un certain sens de l'honneur et de la fidélité. La piste du boléro incongru le mène de manière aussi élégante qu'incompréhensible à la marquise.
 Celle-ci lui avoue ce dont il se doutait: le crime odieux est l'œuvre d'un légitimiste trop exalté qui du même coup a rompu avec l'honneur du combat. Le coupable ayant eu la triste lâcheté du silence, un sacrifice est nécessaire afin de payer comme il se doit cette dette honteuse.
Pourquoi ces révélations ?
A cause du caractère particulier de Martial:
"nous avions besoin de quelqu'un qui comprenne un certain état d'âme ".
Une victime innocente doit payer pour laver le groupe entier des légitimistes d'un acte barbare salissant la pureté de leur idéal; l'époux de la petite marquise s'étant proposé, sa femme supplie le capitaine:
 "tuez-moi à la place de mon mari. Vous préférez que je me tue moi-même ? "
Martial admire ce détachement antique face à la mort, il admire mais ne veut tuer personne.
Ni la délicieuse gravure de modes au cœur de tigre ou de loup, ni son distingué époux, pas davantage leur compagnon d'armes écossais, descendant d'une lignée habituée à donner son sang contre l'ennemi anglais...
 "Pourquoi ne vous êtes-vous pas fait sauter la cervelle sans histoire ? demande-t-il à l'imposant marquis ? Et l'autre d'expliquer que le capitaine a été choisi comme créancier de la dette du sang...Martial réclame un autre paiement: la vie. Il oblige ces aristocrates à la pire des déchéances: ne pas mourir ! Le destin décidera à sa place...
Mais, cette rencontre avec la marquise ivre d'honneur et d'amour marque le récit du sceau du romantisme absolu !
Héros malgré lui, optimiste et joyeux coûte que coûte, le capitaine de cette mythique demi-brigade galope, sabre au clair, à la recherche du bonheur né de l'action juste et de l'amour d'une terre nourrissant l'homme de beauté toujours intacte, renouvelée, miraculeuse...
Les vieux classiques procurent souvent des joies neuves !

A bientôt, peut-être vers la Russie ou vers un château en Hongrie encerclé de bois noirs où courent les loups...

Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse

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