jeudi 5 novembre 2015

contes du vieux château : "Madame de" ou l'exquise méchanceté de Louise de Vilmorin

"Madame de" ou l'amour puni

Les histoires les plus frivoles se terminent souvent en tragédie.
 Qui aurait pu se douter, si ce n'est la cruelle Louise de Vilmorin qui avait l'expérience de ces aventures, que deux coeurs en diamants et un bel ambassadeur d'Europe plongeraient "Madame de, élégant" panier-percé", dans l'atroce regret amoureux ?
Le récit de ce naufrage est assez singulier pour unir le rire aux pleurs et la comédie à l'irréfragable désespoir.
Madame de Vilmorin fait preuve d'une piquante méchanceté qui allège le rythme de l'intrigue en accablant d'autant plus la futile, capricieuse et, surtout, menteuse "Madame de ".
On referme le livre dégoûté à vie des diamants ! Mais peut-être pas des ambassadeurs, c'est une consolation ...
Comment ce drame a-t-il commencé ?
 Un joli matin d'automne 1938, l'oisive et parfumée,( sans nul doute "Après l'ondée" signait-il son suave sillage ), "Madame de" reçoit un mot aimable mais ferme de son couturier. Si les réclamations de cet homme sont légitimes, sa cliente, dont le style inimitable ne cesse d'être imité, ne peut, hélas, ni les honorer, ni les ignorer. C'est tout simple; depuis des années, elle cache ses vertigineuses dettes à son mari qui l'admire de s'habiller si bien en le ruinant si peu ! Que faire ? Se tuer ? Tuer le maudit couturier ?
 En femme  étourdie, "Madame de" n'hésite pas une seconde: elle court, à peine vêtue sous son ample manteau de vison, confier au très grand joaillier familial à la fois ses soucis et ses diamants. Ou  plus exactement deux superbes brillants taillés en forme de cœur. La malheureuse l'ignore mais elle vient de lancer le film impitoyable de sa destinée. S'imaginant "Monsieur de " aux abois, une banqueroute  arrive vite, le joaillier débarrasse sa belle et larmoyante cliente de ses bijoux et de ses cauchemars couturiers.
Sauvée, plus éclatante que jamais, "Madame de " se donne le luxe puéril d'inventer la perte de ses diamants sauveurs, le soir-même chez des amis :
 "Ciel! Je n'ai plus mes boucles d'oreilles! Mes deux cœurs ! Je les ai perdus, ils sont tombés ! Voyez, voyez ! "
La comédie trop bien jouée suscite l'agacement des uns et l'effroi du joaillier, les gazettes "laissant entendre qu'il s'agissait d'un vol". Angoissé, l'honnête marchand devient l'instrument d'une absurde série de catastrophes...
Le voici faisant irruption chez le courtois "Monsieur de"qui essaie de garder calme et dignité en apprenant les cachotteries de son épouse.
Le désir de vengeance habitant l'âme humaine dans toutes les couches de la société, le très poli aristocrate offre en cadeau d'adieu les beaux diamants méprisés par sa menteuse d'épouse à sa maîtresse espagnole partant chercher fortune en Amérique du Sud. Pardonne-t-il pour autant à sa femme-enfant ? Inconsciente de la peine qu'elle provoque par ses manipulations ridicules, "Madame de "accepte toutefois d'obéir à son époux, cette fois, elle ment afin de lui être agréable en annonçant avoir retrouvé ses boucles précieuses...
La tempête dans un salon du Faubourg-Saint-Honoré s'apaise.
Ce n'est qu'un répit ! La faute en est aux maudits diamants: exilés un court moment en Argentine, cédés à un bijoutier par la "belle Espagnole "en mal d'argent,les voici déjà de retour, achetés par un esthète prévoyant, un riche ambassadeur d'Europe que le hasard appelle à Paris. La machine infernale  s'emballe..."Madame de " a beau être adorable, elle n'a jamais adoré
 Or, l'ambassadeur a tout pour plaire et même davantage, c'est un demi-dieu , c'est un être extraordinaire , il n'a qu'a paraître pour se laisser adorer ...Hélas ! en caractère lucide et habitué à plaire, à enchanter, à désespérer, il ne le sait que trop !
 Mieux encore, il n'est pas seulement un homme que les divinités de la chance et du mérite ont élevées à une haute position. C'est une âme éprise de franchise, un personnage d'un temps reculé, il se prendrait  presque pour la réincarnation d'un chevalier sans peur et sans reproches si en bon diplomate, le sentiment du ridicule ne lui était ancré au coeur. Coup de foudre ? Eh bien pas pour l'enfantine "Madame de ". D'abord jouer :
"elle ressentait violemment le plaisir de plaire, elle aimait prolonger ce plaisir jusqu'aux limites de l'impatience."
 Le patient ambassadeur s'efforce de rester maître de lui comme de son ambassade... Mais, la comédie amuse et surprend :
 "chaque fois qu'ils se retrouvaient, sans jamais offenser les convenances en prolongeant d'une minute la durée de leur apartés, ils se mettaient à l'écart et l'on aurait dit alors qu'ils avaient quelque chose d'important et d'urgent à se confier ".
 Vaniteuse, "Madame de" s'aveugle  elle-même. L'absence imprévue de l'ambassadeur un soir lui fait entrevoir la vérité des sentiments...
 "Un seul être vous manque et tout est dépeuplé "... Flottant entre désarroi et volonté, elle s'oblige à fuir sur la Riviera . Et de ces rivages bienheureux, elle envoie des lettres, remède traditionnel, éternel et inutile, elle écrit des lettres :
 "qui sans parler d'amour ne parlaient que de cela. Ces lettres porteuses de violettes, de fleurs de mimosa ou de grain de sable prouvaient à l'ambassadeur qu'elle pensait à lui et le mêlaient à chaque instant de ses journées d'exil".
La crise, heureusement pour la santé mentale du patient diplomate, survient une nuit de décembre. "Madame de " se réveille d'un sommeil de cent ans, la vie coule dans ses veines, une fougue neuve anime son élégante nonchalance, miracle, elle pense, elle attend, elle désire... La poupée s'anime :
  "Tout à coup elle se demanda ce qu'elle faisait sur terre et pourquoi elle vivait; elle se sentit perdue, elle chercha sa raison de vivre ".
 Et ces belles interrogations philosophiques ont le magnifique résultat de la ramener sur l'heure à Paris ! L'impatience la possède, le jeu est terminé :
"C'était en décembre. Il y avait juste un an qu'ils s'étaient rencontrés et l'ambassadeur, à sept heures du soir, ce jour-là, appuya ses lèvres glacées par le vent et la neige sur les tendres lèvres que "Madame de " lui donna".
 L'histoire, amorale et classique, est'elle finie ? Le monde aurait pu être si parfait pour ces deux amants si les diamants, pierres doués d'un pouvoir ravageur quasi infernal, n'avaient existé ! Diamants, ennemis des femmes ou du moins de cette étourdie de "Madame de "!
L'ambassadeur follement épris( ce qui prouve que c'est un diplomate des plus extraordinaires), il sort les maudits brillants taillés en cœur de sa poche et les offre en gage d'amour pur à leur ancienne propriétaire qui ne peut y croire. Joignant l'imprudence à la sottise , la voici demandant à son chevalier épris de pureté :
" Permettez-moi de faire un mensonge puisque vous saurez la vérité".
Et la voici repartie dans sa perpétuelle course aux inventions ! Voulant faire croire à son mari que les diamants sont retrouvés au fond d'un tiroir, elle ment à l'ambassadeur : elle arborera ses brillants en expliquant qu'une vieille cousine les aura exhumé en son honneur !
 Elle ment donc à son mari sans savoir qu'il sait quel sort mercantile fut celui de ces bijoux, elle ment à sa femme de chambre, elle ment à ses amis, elle ment à son diplomate.
 Sans l'ombre d'un remords, bien sûr ! hélas !le châtiment fond sur l'inconsciente : l'époux blessé dans son amour propre pense assister à un innocent complot ente son épouse ingénue et son trop aimable admirateur .Ce dernier, en diplomate professionnel , "sans paraître ni surpris ni gêné ", écoute "Monsieur de " exprimer son agacement poli envers "un complot dont l'innocente intention était l'amitié".
L'époux ne se doute absolument pas de l'attachement liant sa femme à l'ambassadeur ;
"Cher ami, dit-il, j'ai de bonnes raisons pour savoir que ma femme n'a pas retrouvé ce soir ses boucles d'oreilles parmi des paires de gants. Pour donner à notre entretien la conclusion la plus simple et la plus amicale, je vous suggère de les remettre à mon bijoutier et de lui dire ce qu'il devra m'en demander ".
L'ambassadeur respecte trop l'allure et la grandeur d'âme de Monsieur de pour refuser.
Mais les confidences du mari ont fait voler en éclats le sentiment qu'il éprouvait envers l'épouse.
Il est froissé, vexé  d'avoir été l'outil d'un plan enfantin et méprisable . Il n'aime plus ou essaie-t-il de s'en persuader. Quand on occupe une situation aussi remarquable que la sienne,  le ridicule ne se peut pardonner ...
C'est ainsi que "Monsieur de " achète une troisième fois les maudits diamants.
Désireux de donner une leçon à son ingrate épouse, il ne s'en tient pas là et oblige la malheureuse à offrir en cadeau de naissance à leur nièce  ces bijoux qui en devenant "bijoux de famille" seront lavés de leur passé tourmenté...
Abandonnée par l'ambassadeur, privée de ces cœurs en brillants, symboles d'un amour avorté mais ô combien vif, "Madame de " prend le deuil de son existence et  se ronge de douleur au sein de la solitude. Au bout de trois interminables semaines, une lumière jaillit: sa nièce, au bord de la ruine, lui demande à qui vendre les maudits diamants, "Madame de" voit soudain une porte s'entrouvrir dans sa prison de tristesse :
 "elle souhaitait de toute son âme posséder ces deux cœurs en diamant liés au souvenir du seul homme qu'elle eût jamais aimé".
Sa prière est exaucée ! "Monsieur de " pour la quatrième fois rachète les brillants !
Hélas !La fatalité ne daigne pas arrêter sa marche... "Monsieur de" exige de son épouse qu'elle se montre à son avantage embellie encore par ses maudits diamants, le soir-même, lors d'une réception de leur élégante société, afin que nul ne se doute que l'ambassadeur ait pu avoir un prodigieux effet sur son cœur.
 Rien de pire ne pouvait être ordonné ! L'ambassadeur, en proie à une regrettable confusion d'esprit, voit dans cette amoureuse délaissée  une mondaine moqueuse, une écervelée flirteuse; une vaniteuse snobinarde, riant de son amour caché aux yeux de tous, mais bien vivant, en dépit de sa froideur diplomatique...
 "Je ne vous pardonnerai jamais " lui glisse-t-il.
"Madame de" tente le tout pour le tout: réunissant ses dernières forces, elle sort au milieu de la nuit glaciale de janvier et frappe vainement sous le neige à la lourde porte de l'ambassade. On daigne enfin prendre son ultime lettre destinée à cet homme confondant amour et amour-propre.
 Le jour point et, rentrée chez elle, "Madame de", si fragile et si épuisée de chagrin, doucement se meurt...
 L'ambassadeur arrive juste à temps pour un adieu qu'elle n'entendra pas...
Mais l'élégance ironique de madame de Vilmorin s'acharne à nous interdire l'attendrissement !
 La grâce de cette histoire vient de sa façon désinvolte d'osciller entre les incertitudes du cœur et la froide mécanique de la raison.
 L'impitoyable , le mesquin, le sot amoureux de son amour-propre d'ambassadeur n'inspire que de la pitié, la frivole "Madame de " se sauve de l'insignifiance par sa passion pure au delà de ses vertiges inventifs.
 Héros de roman démodés ou personnages doués de sentiments éternels ? Ces étranges personnages semblent si vrais , on croit les connaître , on les plaint, mieux , on désire une autre fin.
 Le bonheur dans l'amour, une illusion pour les ambassadeurs ? Peut-être, c'est une race à part , nous explique Louise de Vilmorin  qui s'y connaissait...
 Et pour les romanesques et fantasques "Madame de ",
pour la foule des mortels amoureux? Pas d'amour  heureux?
 Non ! on ne peut y croire ! il faut résister à cette sombre morale.
C'est trop triste ! refusons ce verdict impitoyable de Madame de Vilmorin et soyons certains de cette vérité :
bien plus que les diamants, l'amour sincère est éternel !

A bientôt, vers des horizons moins dramatiques !

Lady Alix
ou Nathalie-Alix de La Panouse
Le visage tendu d'une femme cachant son secret: Madame de !
Ou Merle Oberon , actrice oubliée ...


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