mardi 24 novembre 2015

Théophile Gautier ou "Le roman de la Momie"



"Le roman de la momie" est une histoire d'amour comme on n'en invente plus.
C'est aussi la découverte pleine d'embûches et de poussières d'une tombe inviolée depuis l'océan des âges.
 Trois mille cinq cent petites années séparent deux prodiges de la nature: lord Evandale, idéal britannique et Tahoser, fille d 'un grand prêtre du Pharaon qui régnait à l'époque biblique par excellence, celle de Moïse et des flots levées de la mer rouge...
Théophile Gautier l'illustre inventeur de l'utopie hiératique de l'art pour l'art s'humanise au point de renouer avec la fougue romantique de sa jeunesse excitée !
 "Le roman de la momie" nous fait quitter "l 'ornière du temps", descendre le "mur des siècles" en passant par une vallée funèbre, "terre décharnée plus morte encore que les morts qu'elle renfermait", et côtoyer la foule hétéroclite des rues de l'antique Thèbes sous le soleil d'un Dieu- Pharaon amoureux lui-même de l'étoile Tahoser.
 Chaîne de douleur et d'amour formée par Tahoser qui aime Poéri, bel hébreu s'apprêtant à fuir, et Pharaon, demi-dieu, empêtré dans son splendide isolement ,cette histoire vibrante jaillit du rouleau de papyrus déposé aux pieds d'une momie éclatante de vie dans ses bandelettes mortuaires.
Lord Evandale sera l'ultime maillon de ces amours inextinguibles; malédiction immémoriale ou bonheur ineffable d'aimer la beauté pure à l'abri de son sarcophage ?
 L'élégant aventurier cherchait confusément la conquête de l'impossible en navigant vers l'Egypte en cet été précédant de plusieurs décennies l'entrée de l'archéologue Carter au seuil de la tombe de Toutankhamon. Déjà, une légende courait bon train à propos d'une reine à l'extraordinaire opulence dérobée aux simples mortels dans les enceintes d'un tombeau inviolé. Souveraine rescapée de l'Atlantide, princesse sacrifiée par sa propre volonté ?
Femme parfaite, aimée d'un Pharaon qui la combla de trésors prodigieux ? Grâce à la ténacité d'un grec outrageusement astucieux, digne héritier d'Ulysse aux mille ruses, la réalité allait rehausser d'or, de lapis, de tempête épique et de fièvre amoureuse les fables orientales.
Tout commence étrangement là où tout se termine  à l'ouverture d'un sarcophage:
 "un cri d'admiration jaillit en même temps des lèvres de Rumphius (le savant austère engagé par le jeune Lord à bord de sa croisière archéologique) et d'Evandale à la vue de cette merveille".
 Les laborieuses étapes se dressant entre les aventuriers du monde civilisé et l'entrée dans la dernière salle du tombeau gardé sous le roc par d'invisibles puissances et bon nombre de pièges archaïques, reçoivent une inestimable récompense, elle-même estimée à vingt-cinq mille francs de l'époque, une petite fortune, par l'entêté guide, le retors, brigand, mais tenace Argyropoulos .
Celui qui, selon ces propres mots "déterre des pharaons et les vends aux étrangers. Le Pharaon se fait rare, au train où l'on y va; il n'y en pas pour tout le monde. L'article est demandé, et l'on n'en fabrique plus depuis longtemps ".
Les dieux ont eu pitié des efforts de ce grec pragmatique ! Ou, peut-être, la rencontre du jeune anglais beau comme un ange avec la princesse Tahoser, âme épuisée cherchant un vain repos, avait-elle été décidé de toute éternité... La description des salles resplendissantes, cachant perfidement l'ultime sanctuaire, regorge de détails ciselés, d'images d'une précision si extraordinaire que l'on croirait que Gautier relate ses souvenirs d'une vie antérieure.
 A cette époque,aucune tombe n'avait encore révélée tant de splendeurs, l'intuition de l'artiste s'élance au delà des travaux scientifiques en animant de poésie le palais d'une morte: ce n'est nullement une  divinité qui accueille les visiteurs blêmes d'émotion, c'est le plus anodin, le plus humain, le plus commun et pourtant inattendu des vestiges, une empreinte de pied,:
"le pied du dernier prêtre ou du dernier ami qui s'était retiré, quinze ans avant Jésus-Christ, après avoir rendu au mort les honneurs suprêmes"...
 L'or entassé, les fresques rutilantes  des parois ne sont que bagatelles à côté de ce pas immortel ! Au moment fatal où il  se présente enfin  au seuil du tombeau, Lord Evandale éprouve d'honorables scrupules qui suscitent notre sympathie tout en éveillant nos doutes sur sa prétendue vocation archéologique. L'esprit du savant amateur cède sous l'emprise immense  d'une civilisation inconnue qui ignore son nom et son rang:
 "Une main invisible avait retourné le sablier de l'éternité, Moïse vivait, Pharaon régnait, et, lui, Lord Evandale, se sentait embarrassé de ne pas avoir la coiffe à barbes cannelées, le gorgerin d'émaux et le pagne étroit, seul costume convenable pour se présenter à une momie royale. une sorte d'horreur religieuse l'envahissait ".
Mais, trop tard ! Rumphius, le professeur passionné veille !
"Le sarcophage est intact!" il n'est plus question de reculer... D'autant plus q'illuminées par les humbles fellahs, les extravagantes peintures des murs surgissent d'une nuit de trente cinq siècles "la salle dorée flamboya, des rouges, des bleus, des verts, des blancs, d'un éclat neuf, d'une fraîcheur virginale, d'une pureté inouïe, se détachaient de l'espèce de vernis d'or qui servait de fond aux figures et aux hiéroglyphes, et saisissaient les yeux avant qu'on eût pu discerner les sujets que composaient leur assemblage ".L'enchantement ne dure qu'un soupir extasié , ordre est donné de faire s'en retourner le mort à la lumière, très vite, le sarcophage trouve asile sur le bateau du lord. Les dés sont jetés... L'impavide savant, aussi sombre qu'un vieux corbeau  et aussi démuni de romantisme que ces sinistres oiseaux touche alors au couronnement de sa morne carrière.
Miracle ! Ce n'est pas une repoussante forme noirâtre cette momie, c'est la plus belle femme de tous les temps !
"Jamais statue grecque ou romaine n'offrit un galbe plus élégant ". La surprise indicible augmente encore par cette évidence folle: la momie paraît palpiter de vie, "la tête semblait endormie plutôt que morte; les paupières frangées de leurs longs cils faisaient briller entre leurs lignes d'antimoine des yeux d'émail lustrés des humides lueurs de la vie; on eût dit qu'elles allaient secouer comme un rêve léger leur sommeil de trente siècles .
"Lord Evandale espère, son âme s'envole vers celle de la reine oubliée, il guette éperdu les battements d'un cœur renaissant sous le souffle de l'amour... Hélas, une aventure archéologique vers 1850, n'a rien du conte de la Belle au Sarcophage Dormant ! Le destin  daigne toutefois envoyer une consolation à cet amoureux ayant manqué son époque: c'est le roman de la glorieuse morte, ses confidences ultimes qui  combleront l'abîme séparant deux êtres qui étaient sans nul doute faits l'un pour l'autre !
Que vont-elles nous livrer en pâture ces pages déchiffrées à  grand peine par l'enthousiaste savant Rumphius ? L'amour meurtri de Tahoser, fille du prêtre Pétamounoph, pour l'altier Poëri, hébreu fortuné, intendant de Pharaon, au temps où Moïse décidait de répandre l'effroi et la mort sur le royaume d'Egypte afin de libérer son peuple d'un joug impitoyable. Pharaon affronta l'indifférence de Tahoser, l'audace de Moïse, puis les vagues hautaines de la mer Rouge...
Ce tumulte emplit "le roman de la momie", livre écrit sur le roc et tiré des sables d'un désert appelé le préjugé littéraire !
Rien ne mérite moins l'oubli et le dédain que ce récit pareil à une descente rapide vers des hommes et femmes à la fois très proches de nos secrètes aspirations et parfaitement éloignés de nos passions et envies vulgaires, évoluant dans une civilisation chamarrée et cosmopolite décrite avec une vérité incroyablement sensible par un voyant appelé Théophile Gautier. Tahoser ainsi se détache sur les ruelles de Thèbes, silhouette menue, au pas dansant, elle se hâte car elle fuit sa demeure somptueuse, ses servantes éplorées, ses musiciennes dont les mélopées avivent sa mélancolie; elle se précipite vers la maison d'un homme d'une autre race, un hébreu qui ne la connaît, ne l'aime ni n'a envie de l'aimer.
Or, déguisée en femme du peuple, elle trouve les forces de se faire la domestique de cet homme généreux afin de frapper à la porte de ce cœur qu'elle ne comprendra jamais.
Mais Pharaon remue la citée jusqu'aux souterrains, fouille le désert, réveille les eaux du Nil et enlève Tahoser à ses chimères! Il n'exige rien, il donne tout:
"va, viens, amoncelle les pierreries, commande, défais, abaisse,élève, sois ma maîtresse, ma femme et ma reine. Si le monde ne suffit pas, je conquerrai des planètes, je détrônerai des dieux ".
 L'inhumain Pharaon se prosterne aux pieds d'une simple mortelle, il s'abaissera bien davantage quand Moïse le bravera de ses sorcelleries. Le roman suit tout à coup les remous de l'épopée biblique, l'intrigue broie les puissants et libère les faibles. Tahoser  reste seule, reine d'Egypte et privée de bonheur terrestre.
Mais, au bout de trente cinq siècles, son âme vaillante rejoindra-t-elle son corps intact dans le mausolée anglais que lui bâtira un lord sur les verdoyantes pelouses de son parc noyé de brume ?
 Gautier nous murmure la morale de cette histoire entrechoquée d'amour et de soleil:
 "l'amour n'est pas le même sous les chaudes régions qu'embrase un vent de feu qu'aux rives hyperborées d'où le calme descend du ciel avec les frimas; ce n'est pas du sang, mais de la flamme qui circule dans les veines".
Allez à la rencontre de Tahoser au cœur brûlant sous son sarcophage ! Lire Gautier fait songer à une escapade précieuse en un univers sculpté de statues de marbre blanc: c'est le refuge de la beauté idéale...
Sans oublier les galopades chevaleresques du "Capitaine Fracasse", roman fougueux d'un châtelain avide de nobles exploits en dépit de son injuste enfermement en son misérable manoir gascon !

A bientôt, vers d'autres chefs d'oeuvre qui bercèrent des générations !

Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse

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