dimanche 17 janvier 2016

Contes du vieux château : Nice en hiver ou le paradis bleu !



"Quelle idée de s'enfuir à Nice au coeur de janvier ", me disaient les ignorants de mauvaise humeur.
Ces tristes sires se trompaient !
Rien n'est plus chatoyant, ondoyant et revigorant qu'une flânerie à Nice en plein hiver !
Surtout si vous partez tôt matin, en face du Négresco qui scintille à cette heure comme un diamant lavé de frais !
Oubliez l'architecture évoquant de copieux gâteaux fourrés de crème rose des palais de la Belle Epoque,
souriez en passant devant le jardin trop bien ordonné de la pompeuse "Villa Masséna", marchez tout naturellement  en direction du "Vieux-Port". 
Prenez votre temps! ne craignez pas d'avancer les yeux fixés sur la mer; vous serez vite éclaboussé par l'écume blanchissante et rajeuni par les tendres rayons du soleil faisant sa cour aux vagues impétueuses.
Vous vous sentirez soudain comme un oiseau libéré de sa cage et les grandes orgues marines ébranlant la grève vous griseront de leur vacarme retentissant.
Vous songerez en marchant aux ombres joyeuses ou mélancoliques qui avancèrent jadis du même pas décidé sur ce "chemin des Anglais " devenu la plus enviable promenade du monde depuis 1822.
Au loin, perdue dans un bruissant dédale de rues peuplées de hautes maisons arborant l'adorable surprise de leurs nuances jaune citron, beige orangé, rose passé, palais, ou bourgeoises bâtisses prodiguant les fantasques sourires de leurs persiennes vertes, turquoises, marines, ou roses piquées de gris, une villa russe, toute d'or pâle,rehaussée de balcons aux balustres opulents et adoucie de frises délicates, garde le doux fantôme d'une princesse aimante.
Vous êtes à 5 minutes de ses blanches colonnes, la mer tout à coup s'apaise, vous avez juste le temps d'évoquer ou d'invoquer la dansante silhouette de cette princesse au regard aussi bleu que celui que la mer vous envoie.
Sachez que l'évanescente présence de la princesse Catherine Mikhaïlovna Dolgorouki, "le démon bleu " du Tsar Alexandre II, titrée princesse Yourievska par son impérial amant et époux secret, ne vous abandonnera pas de sitôt, surtout si vous aimez les destins fracassés et les histoires d'amours impossibles.
Exilée à Nice en 1881, pleurant la mort du Tsar assassiné, la belle et volcanique princesse éleva ses deux enfants nés de son amour interdit dans son petit parc planté d'un fouillis d'orangers et de fleurs rares et y demeura tout le reste de sa vie, jusqu'à sa mort en 1922.
Elle fit élever son harmonieux palais miniature là où l'animation de la Promenade des Anglais ne pouvait agacer ses rêves nostalgiques. De nos jours, avenue des Fleurs, nul fâcheux tumulte ne remonte vers les jardins-clos des anciennes villas ou palais-bourgeois à l'élégance cossue et désuète.
Vous trouverez justement une retraite exquise en la Villa-Hôtel d'Armenonville dont la famille est d'une courtoisie et d'une bienveillance à toute épreuve... Sans doute l'influence charmeuse de la princesse Dolgorouki imprègne-t-elle de sa grâce ce quartier rassurant.
Si une inoffensive averse freine votre entrain matinal, vous pouvez faire un crochet par le Musée de Nice. Au second étage de ce temple de marbre, à la pesante décoration second Empire qu'est la Villa Masséna, si vous passez outre l'accueil particulièrement glacial à l'entrée, vous aurez une émouvante récompense. L'histoire de la ville bien sûr, quelques bijoux de grandes dames, ne manquez pas de plaindre l'impératrice Joséphine obligée d'arborer une sorte d'instrument de torture offert par son beau-frère, le roi de Sardaigne: un diadème embelli de camés qui devait causer des maux de tête intenses une fois en place...
Puis, trois objets accrocheront votre regard, trois objets infiniment anodins à priori: une tasse, sa soucoupe et une grosse théière assortie  en porcelaine de saxe; la princesse Catherine Dolgorouki vous dévoile dans une vitrine banale son plus précieux, son plus touchant souvenir, ce vestige de service à thé orné du visage altier de l'homme dont elle fut, une fugace année, l'épouse morganatique, après un lien tumultueux de presque quinze ans.
Quelle étrange habitude tout de même, vous en conviendrez peut-être, de boire son thé en dévisageant celui qui fut votre impérial amour ! Le romantisme absolu a de ces foucades inattendues...
Pauvre princesse russe ! Un si grand amour mis en conserve au Musée... Mieux vaut suivre le ravissant fantôme bleu en regagnant la Promenade, symbole ample et vif de cette ville cosmopolite et aimable où l'on parle autant italien que français, où l'on s'interpelle en russe, où l'on vous répond en anglais avant de vous sourire et saluer sans paroles !
La tempête matinale s'éloigne, le vent calme sa vivacité, la mer ondule en se parant de bleu pastel, bleu roi, bleu violet, bleu vert, c'est une symphonie en bleu qui semble la respiration profonde de la ville. L'hiver s'en va avec la chaleur revenue; sommes-nous dans un pays lointain ?
Où sommes-nous ?
 Voilà l'interrogation qui vient au rêveur de la Promenade: aucune ville du sud de la France ne déroute plus que Nice.
Une humble barque vient de faire son apparition sur les flots soudain tranquilles. Elle traverse la baie, son drapeau fièrement levé, je n'entends pas son moteur, mais je vois le marin solitaire lancer ses filets en face des palais, image presque tiré d'un poème grec, reflet du monde ancien.
Les sirènes guettent-elles déjà cet Ulysse ressuscité ?
Le matin se secoue et s'étire; la Promenade des Anglais ne marche pas, elle court !
Tout Nice court dès le petit matin; et ceux qui ne suivent pas ce rythme sont des poètes aux manies contemplatives.
Les petits chiens, bien vêtus de petits manteaux, bien élevés, bien soignés, trottent, les jolies jeunes mères de famille galopent derrière leurs poussettes emplies d'enfants très sages, les grands-parents entretiennent leur forme, les étudiants calculent leur performance; je me retourne, horrifiée, il me semble être la seule à errer comme un nuage, en avalant le paysage à petites gorgées paresseuses... Que faire ? M'échapper en grimpant au "Château" ?
 C'est à dire le parc botanique veillant sur la ville du haut de ses rochers . Mais, une tentation s'ouvre à moi en bas des escaliers: plonger au sein du "Vieux -Nice", à l'aventure ! Je ne résiste pas et me voici sur le marché aux fleurs.
C'est ravissant et un peu convenu, pourtant la gentillesse générale n'est pas feinte; cela ajoute au plaisir de bavarder avec un peintre Niçois qui enchante le Cours Saleya de ses aquarelles prises sur le vif. Toutefois, où est l'aventure tant souhaitée ?
Heureusement, il suffit de lever les yeux et l'éblouissement vous prend: les maisons sont une mélodie aux dessins chantants sur des façades de couleur tendres, l'église de la Miséricorde ranime l'envie de vivre et de croire de tout l'éclat de ses murs jaunes touchés par un soleil fervent. Deux secondes plus tard, me voici presque dans l'ombre, la vieille-ville ressemble à une forêt coupée de clairières; le linge pend aux fenêtres, il faut profiter de ces rayons propices, la foule a disparu, un sentiment de solitude m'envahit à mon immense étonnement. Je débouche place du Jésus, la lumière me rassure, j'entre rassérénée dans l'exquise église baroque et me perds dans la contemplation des anges dorés virevoltant sur la voûte bleue; hélas, très vite, jailli de l'ombre, un abbé me montre la porte, ciel ! Aurais- je commis un impair ? Où l'heure a- t-elle tournée sans que je m'en doute ?
Nouvelle désillusion !
la foule reflue dans les ruelles, un ruisseau de boutiques me cerne de toutes part , je ne vois plus les corniches, les portes, les détails indiqués dans mon guide, je ne vois rien du tout !
Mais, un miracle a lieu: j'arrive en Italie !
Me voici maintenant sans l'avoir cherché sur la place Rossetti, autant dire à Florence, une église admirable de sobriété, une fontaine, des pigeons, des balcons fleuris et juponnés de linge, des enfants rieurs, et midi sonnant au clocher !
Je reste sur cette image et repart l'esprit apaisé en traversant un nouveau Nice: la ville tracée au cordeau, mêlant rues piétonnes, parcs exotiques et places majestueuses; les façades d'or rouge et les arcades se succèdent, je n'ai pas de quoi me ruiner dans les boutiques luxueuses, qu'importe !
Le spectacle de la rue bavarde me suffit; tout m'amuse, tout me plaît, les jeunes Russes hautaines, leurs sacs bien posés au milieu du bras, les groupes d' Italiens volubiles, les Français d'âge mûr, dignes et taciturnes,  tirés par leurs chiens débonnaires.
Rue de France, j'entre dans l'église de St Pierre d'Arène et j'apprends qu'en début octobre une messe sera dite en la présence de tous les animaux, en l'honneur de St François d'Assise; je promets d'y assister avec mon chat-guépard, Odysseus; je n'ose demander si l'invitation charmante et confiante s'étend aux vrais guépards...
 Je fais semblant de rire, en réalité, mon cœur est touché et mon affection envers Nice redouble d'intensité !
Nice, ville prodigieusement belle, parfois beaucoup moins, mais ville attachante, humaine, généreuse  et infiniment diverse... J'ai hâte d'y revenir !
Avant mon départ, je partage un café et une crêpe sur la plage avec un chat condescendant: la mer a son beau visage des jours heureux; en ce moment de radieuse simplicité, Nice reflète la joie d'être au monde;
et de goûter le bonheur présent, l'âme lavée par le bleu limpide de la mer.

A bientôt,

Nathalie-Alix de La Panouse

Lady Alix

P S: on trouve encore la biographie de "Katia" par la princesse Bibesco, le romantisme décadent par excellence ! une gâterie pour les jours glacés ....

Vous trouverez cette ravissante évocation de Nice sur le marché traditionnel du cours Saleya

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