mardi 16 février 2016

Contes du vieux château: Les vertes amours d'Henri IV:"Passer le mois d'avril loin de sa maîtresse, c'est ne vivre pas."



"Passer le mois d'avril loin de sa maîtresse, c'est ne vivre pas".
Quelle femme ne rêverait d'une pareille déclaration? Le roi Henri IV, qui au moment où il traçait cette déclaration printanière n'avait pas encore conquis son royaume, les envoya à une créature aux cheveux dorés et à la réputation fort sulfureuse. Les vraies, vives, et belles lettres d'amour, hélas, volent souvent vers des êtres qui ne les méritent guère.
Tant de trouvailles délicates, de pensées exquises, de compliments fleuris inventés en vain à l'intention de goujats dénués d'une once de cœur ou de coquettes avisées se moquant des débordements sentimentaux !
Quel gaspillage ! Quelle tristesse ! Mais aussi, quel bonheur pour ceux qui ouvrent ces trésors et en tirent une leçon d'amour pur écrite dans le plus élégant des langages...
Le galant volage qu'était sans honte aucune notre bon roi Henri, le vert Béarnais qui sema sa descendance sur tous les pâturages français, allant des bergères aux comtesses (et se faisant mettre à la porte des manoirs, fermes et palais par une armée de maris jaloux ou de beautés irascibles), éprouva les tourments de l'amour irrésistible, jusqu'à l'audace folle, envers trois magnifiques déesses de ces temps mouvementés.
L'histoire  amoureuse chante encore la légende galante de Corisande, Gabrielle et Henriette; les trois égéries du bon roi Henri: ravissantes de figure, gracieuses de silhouette et souvent infernales de caractère.
Toutefois, si la première à avoir su retenir ce roi séducteur, l'intelligente Corisande de Gramont lui inspira une passion assez intellectuelle en jouant à la maîtresse d'école plus qu'à la maîtresse tout court, l'impertinent gascon se prit, en 1592, aux rivages de la quarantaine, d'un empressement fougueux et juvénile pour l'amante d'un de ses frères d'armes.
Cet homme, grand guerrier mais esprit limité, le grand écuyer Roger de Bellegarde, fut assez fat pour se vanter d'avoir arraché à une foule  d'admirateurs les faveurs d'une adorable jeune personne belle à ravir de la tête aux pieds: Gabrielle  d'Estrées.
La charmante amoureuse n'en était nullement à sa première conquête ! En dépit de son jeune âge, Gabrielle marchait fort accompagnée sur les sentiers de l'amour. Bellegarde, pourtant, signifiait beaucoup au sein de sa jeune vie agitée.
Malgré quelques années capricieuses, l'experte fille du Marquis d'Estrées se languissait pour le grand écuyer et attendait ses visites, entre deux batailles au service du Béarnais, avec l'impatience la plus enflammée.
Henri de Béarn est en fâcheuse posture militaire, Paris n'abdique pas, la France tarde à accepter ce prince galopant aux trousses d'une chimère: arriver à la paix entre protestants et catholiques tous gens de conviction décidés à s'entre-tuer avec un acharnement singulier.
La fortune de guerre en attendant mène le combattant chez sa belle mystérieuse, au château de Coeuvres, près de la bonne ville de Chartres passée aux mains des ligueurs. La ville ne serait que fort mal défendue, absolument incapable de soutenir un siège, donc, la prendre et se rapprocher de cette merveille de Gabrielle tente terriblement le roi au blanc panache. Mais, la belle est cruelle ! La voilà qui s'amuse à laisser le Béarnais avancer en Normandie sans lui donner la moindre récompense alors qu'il enlève Chartes, avant d'être blessé devant les remparts de Rouen.
Par vengeance, Henri oblige l'ingrate toujours attachée à cet embarrassant Bellegarde à épouser un affreux baron, Nicolas d'Amerval.
Un mari de complaisance ! Cette plaisante manigance porte ses fruits assez vite.
Gabrielle tombe ainsi à la fin de l'été 1592 dans les bras du Béarnais, qui, grâce à cette ravissante
conseillère bien moins sotte que la rumeur ne le laissait méchamment croire, dira bientôt: " Paris vaut bien une messe !".
La paix tant espérée par un pays exsangue exige ce prix: un roi converti, un roi de bon, de grand, de noble cœur catholique.
Et, en prime, ce cadeau inattendu comblant les fervents admirateurs des correspondances amoureuses, un cortège de sept années de lettres bondissantes, vertes, vivaces. De mots prestes et fringants, bruissants du fracas des épées, du galop fou des messagers, tuant leurs montures afin de mettre au plus vite sous les yeux de l'amante le fiévreux panache épistolaire du roi Henri ! Toutefois, avant même le dimanche 25 juillet 1593, le plus beau des dimanches français, celui qui vit un roi changer de religion pour l'amour de son peuple et promettre d'apporter paix, bonté et prospérité à la France épuisée par une atroce guerre civile, les mots d'amour allaient un train d'enfer entre Henri et Gabrielle.
Le 10 février 1593, préfigurant notre Saint Valentin, Henri fit don à son amante, autant qu'aux âmes enflammées qui se succéderont jusqu'à la fin du monde, de cette lettre extraordinaire:
"je ne sais de quel charme vous avez usé, mais je ne supportais point les autres absences avec tant d'impatience que celle-ci, il me semble qu'il y a déjà un siècle que je me suis éloigné de vous.
Vous n'aurez que faire de solliciter mon retour, je n'ai ni artère ni muscle qui à chaque moment ne me représente le bonheur de vous voir, et ne me fasse sentir du déplaisir de votre absence."
Gabrielle en profite afin de quémander bijoux, elle ne se cache pas d'être insatiable comme une enfant éblouie, preuves d'amour et faveurs sonnantes et trébuchantes !
Serait-ce une âme cupide ? L'entourage du roi le craint sans oser le dire...
En tout cas, Henri est un séducteur incorrigible, Gabrielle le sait et prend ses dispositions: "étant bien instruite du danger que le roi oublie ses maîtresses lorsqu'il est séparé d'elles, je me tiens assidûment à côté de lui. Je suis comme la lune qui éclipse le soleil sans pour autant perdre sa propre lumière."
Le roi de Navarre métamorphosé en roi de France aurait grand besoin d'une reine jeune et féconde: sa maîtresse décide d'assouvir cette ambition ! Coûte que coûte !
Malgré la passion jalouse, la verdeur opiniâtre  qu'il se plaît à lui témoigner, le Béarnais reste insaisissable. Pour s'assurer son cœur, loin de jouer les princesses glacées. Gabrielle affirme:
"Je suis la princesse Constance et sensible pour tout ce qui vous touche et insensible à tout ce qui reste au monde, soit bien ou mal."
Hélas ! Les mots sont des mots, et la" princesse Constance "agaçait parfois son amant par son inconstance ! Bellegarde gardait en secret son cœur...
Au printemps 1593, Henri, on le sent est bien prêt de la brouille car Gabrielle se fait désirer: "je n'eus point hier de vos nouvelles je ne sais à quoi il a tenu. Il est midi et je n'en ai point encore, c'est bien loin de l'assurance que vos paroles m'avaient donnée de vous voir. Quand apprendrez-vous à tenir votre foi ? Je n'en fais pas ainsi de mes promesses."
Calcul, vanité mal placée ? La coquette de continuer son jeu. Henri court après la France et sa maîtresse tout au long de l'été 1593, l'une comme l'autre lui menant la vie dure; Gabrielle, un mois avant la conversion du roi, est-elle restée insensible à cette lettre d'un amant la suppliant de le rejoindre devant les murs de la ville de Dreux ?
Il faudrait avoir le cœur bien dur pour résister à l'injonction d'un guerrier abandonné !
"J'ai patienté un jour de n'avoir point de vos nouvelles, car mesurant le temps, cela devait être. Mais le second je n'en vois raison que la paresse de mes laquais car de vous en attribuer la faute n'advienne mon bel ange. J'ai trop de certitude de votre affection qui m'est certes bien due, car jamais mon amour ne fut plus grande ni ma passion plus violente, venez, venez, venez mes chères amours, honorer de votre présence celui qui, s'il était libre, irait de mille lieux se jeter à vos pieds pour n'en bouger."
Gabrielle se plaint semble-t-il de ces insinuations... Le roi de siège en siège, de ville reprise en ville conquise, pose les armes et se jette sur la plume; les humeurs de son amante deviennent belliqueuses et cette fois le roi promet de ne plus se perdre en inutiles querelles !
"Vous savez bien la résolution que j'ai prise de ne me plaindre plus, j'en prends une autre: de ne me fâcher plus "
Henri aurait un motif de se plaindre et fâcher: Roger de Bellegarde suit à la trace la belle en prétextant de la campagne militaire. Mais, le roi a des soupçons et nullement des certitudes.
Il veut la paix partout, dans son royaume et avec sa véhémente maîtresse.
Le Béarnais pour le moment a rendez-vous  avec la France qui le reçoit comme son monarque en la Cathédrale de Chartres  le 27 février 1594, sous le regard attendri de Gabrielle osant présenter ses rondeurs de future mère. Le scandale n'éclate pas, heureusement. D'ailleurs le roi est porté au sacre par son peuple et son clergé: il se fait sacrer grâce à l'assentiment de cent dix-huit évêques sur cent quarante, son royaume l'adoube; sauf Paris qui ne se rend pas !
Les portes de la capitale s'ouvriront enfin le 24 mars 1594 grâce à une stratégie inspirée par Gabrielle; tout simplement corrompre le gouverneur de la ville en lui promettant le bâton de maréchal à l'entrée du roi. Paris, libérée de la sanglante dictature de la Ligue, acclama son roi en chantant un mémorable Te Deum à Notre-Dame: le chant d'un pays réconcilié. La guerre ne s'éteint pas sans souffrances toutefois; le roi galope à francs étriers vers la Picardie combattre les ultimes sursauts de ses ennemis jurés. Gabrielle le suit en se moquant du danger ! Fini les retards et les rendez-vous remis, Gabrielle ne quitte plus le roi et ne pense plus à son cher Bellegarde. Que se passe-t-il ? Elle va être mère d'un prince ...
Son enfant à naître a de fortes chances d'être l'héritier du royaume. Cette conviction ôte à la future mère toute prudence, toute paresse; adieu le raffinement ! La voici soignant son roi blessé sur une paillasse. L'affreux spectacle des pieds écorchés du guerrier ne l'épouvante nullement. Son destin royal, qu'elle s'imagine à portée de main, lui donne une endurance héroïque !
L'enfant ne pâtit en aucune façon de ces chevauchées maternelles, bon sang ne saurait mentir. Le 7 juin de cet été victorieux, Henri, roi de France et de Navarre, est père d'un ravissant petit César.
Les mauvaises langues se font le délicieux plaisir de se gausser de ce prénom glorieux. Le roi raconte-t-on aurait choisi Alexandre, mais il recula en réalisant que l'ancien amant de Gabrielle  avait pour titre "M. le Grand", haute fonction de grand écuyer oblige... Gabrielle régnera-t-elle à force d'amour et de persuasion maternelle ?
Le roi tente alors un siège autrement plus périlleux que ceux des villes tombées sous la coupe de la Ligue.
Le chemin des épousailles passe par celui de son divorce avec la troublante Marguerite de Valois, fille d' Henri II et Catherine de Médicis. L'épouse du Béarnais ne l'est que de nom. Henri a eu la cruauté d'exiler dans un château délabré, vrai" Hurle-Vents" hérissant une montagne d'Auvergne, cette femme brillante, qui fit un paradis de leur cour de Nérac.
La vengeance est un plat qui se déguste froid ! La reine Margot  refuse tout net la dissolution de son mariage en cour de Rome: il ne manquerait plus que son goujat d'époux offre la couronne à sa maîtresse !
Et, de l'affirmer dans un langage aussi tranchant qu'une épée, jamais elle n'acceptera si "c'était pour mettre en sa place une femme de si basse extraction et qui avait démené une vie si sale et vilaine comme celle dont on faisait courir le bruit..."
Plaignons le fidèle Sully d'avoir eu la délicate mission de rapporter ces doux propos au roi...
Chose étonnante:
Gabrielle ne se lamente ni ne s'irrite. Qu'importe le dédain de la cour, le refus méprisant de la "première épouse" de son amant, et tant pis si elle suscite la colère du peuple.
Les français appauvris, ruinés, affaiblis par tant d'années de guerre civile, jugent  bien outrancières les substantielles pensions octroyées par le roi à cette femme faisant de l'art de vivre sa réalité quotidienne. Mais l'amante adorée tient bon son cap en dépit des tempêtes: mère des enfants du roi, tôt ou tard, elle sera reine ! Le ciel ne l'approuve-t-il d'une curieuse façon  ? Par le plus étrange des hasards, son second fils a la fort judicieuse idée de naître à Nantes dans les jours qui suivirent  la promulgation de l'Edit  du même nom, rédigé en grande partie par le roi décidément maître de son style, assurant la liberté de culte à tous les français. Henri IV sauve, en avril 1598, par cet Edit de Nantes à l'esprit profondément humain et à la clairvoyance absolument humaniste son pays d'un mal pire que le peste: le fanatisme.
On passe trop sous silence l'influence de Gabrielle dans l'élaboration de ce projet salvateur. Pourtant, la favorite n'épargna pas sa peine en tentant de concilier protestants et catholiques issus de très puissantes familles. La France lui doit beaucoup en dépit de sa vie "dissolue", ainsi que le proclamaient les esprits imprégnés de la rigoureuse morale de l'époque. Son acharnement diplomatique lui gagna l'admiration des esprits doués d'une vue moins étroite; et un torrent d'injures de ceux nourris d'amers préjugés...
La malheureuse est traînée dans la fange ! Le peuple ne désarme pas et la couvre de qualificatifs haineux qui arrivent aux oreilles royales... Henri IV s'en moque !
Le mariage s'approche à grands pas, on se passera de l'approbation du Pape, des nobles, du peuple !
La passion du roi ne varie pas. Ses lettres répètent un refrain envoûtant dont le parfum nous monte à la tête depuis le gouffre du temps:
"Mes chères amours, il faut dire vrai: nous nous aimons bien.
Certes pour femme il n'en point de pareille à vous. Pour homme, nul ne m'égale à savoir bien aimer.
Ma passion est toute telle que quand je commençais à vous aimer, mon désir de vous revoir encore plus violent qu'alors. Bref, je vous chéris, adore et honore miraculeusement."
Pauvre Gabrielle, riche d'un si bel amour, elle mourra, sans doute assassinée par un poison violent,
seule et défigurée, aux portes du trône, le dix avril 1599.
Ne l'abandonnons pas dans la nuit du tombeau: ce bel orage n'inspira-t-il les plus tendres mots d'amour jamais écrits d'une main royale ?
"la racine de mon amour est morte, elle ne rejettera plus..." soupira Henri IV
C'était parler un peu vite, mais les amours de notre roi Béarnais sont une autre histoire !

A bientôt !
Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse

 Gabrielle d'Estrèes:
 la belle qui inspira tant de lettres d'amour au vert-galant Béarnais, le roi Henri IV

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