jeudi 11 février 2016

Contes du vieux château: Invitation chez Périclès et Aspasie



La Grèce antique est un songe éternel .
 Athènes, au temps où coulait le ruisseau de l'Ilyssos entre les hauts platanes de la plaine, était un rêve prêt à s'éveiller dans les âmes des poètes.
En 2020,le monde grec reste le plus beau des mythes,
et Périclès le plus bel homme de l'antiquité!
Des siècles durant ,le voyage en Grèce fut l'école de la beauté pour des générations de jeunes aventuriers engendrés par  la vieille-Europe.
 Sous le soleil rouge du couchant, le suave prénom d'Aspasie murmure sa musique ténue sur les rivages de la mer violette chantée par Homère .
Pourquoi, à la fin de l'hiver, laissant de côte les lourds tracas ,ne pas suivre, du matin au soir, celui sans lequel le monde aurait été privé du Parthénon: Périclès.
 L'homme légendaire qui sut créer l'harmonie suprême entre le goût des arts, la maîtrise de la philosophie et la force de la liberté L'homme qui fut la Grèce, et qui incarnera toujours son génie humaniste, sa grandeur au sein des épreuves, son esprit de renaissance, sa lumière infinie, son panache juvénile .La Grèce, c'est une  très vieille dame en laquelle palpite un cœur de jeune fille !
 Et Périclès en est le cavalier sans peur et sans reproches !
Abandonnons ce mois de février 2018, partons 25 siècles plus tôt. L'hiver a fui, le printemps s'alanguit, l'aurore étend son voile argenté sur le beau ciel d'Athènes.
Apollon conduit d'une main ferme le char du soleil, le jour flamboie, la mer, irisée de  nacre, bouge à peine, ses vagues s'étirent avec volupté sur la grève, la ville dort encore.
Périclès , le maître de cette cité merveilleuse est déjà au travail.
La démocratie entre 460 et 430 avant J-C s'est choisi un stratège élu qui en réalité détient les pouvoirs d'un souverain. Périclès est de noble naissance, d'une droiture à toute épreuve et doué d'une passion exceptionnelle envers Athènes; l'éclat de sa cité lui importe plus que sa vie. Son destin se confond avec celui de tous les athéniens. La foule a beau s'exciter, les jaloux, les ingrats, les caractères mesquins inventer fausses rumeurs et lamentables calomnies frappant sa compagne étrangère (la trop fascinante Aspasie que les lois lui interdisent d'épouser), autant que l'intégrité de l'impassible stratège , rien n'ébranle sa détermination.
Ce matin de mai ou juin 440, notre regard le suit au fil de sa promenade quotidienne à travers orangers, vignes et oliviers; le stratège est, à cette heure encore fraîche, un propriétaire terrien qui se plaît à réfléchir à la politique athénienne en scrutant champs et vergers.
 Il est suivi de son intendant, un brave homme vêtu d'une tunique claire qui l' écoute respectueusement avant d'oser avouer qu'il est chargé d'une liste de courses à faire par les enfants du stratège: gâteaux, sucreries, vins doux, épices; un festin a été décidé en cachette. Le grand homme l'ignore ! Connaissant les goûts exagérément économes  de son maître, l'intendant est pris entre deux volontés. Mais Périclès reste impavide. Il ne s'emportera pas pour si peu !
 "Tu diras à mon fils que le luxe doit être absent de ma maison, mon rang exige que ma famille montre l'exemple: il ne faut susciter ni l'envie ni le soupçon. "L'intendant s'assombrit; rapporter cette leçon l'accable d'avance ! C'est bien de Périclès de refuser la moindre chose à ses enfants sous ces prétextes de vertu civile, par contre, lui, pauvre homme devra endurer cris et colère de sa belle-fille mise, dira-t-elle, à la diète forcée !
Insensible à la mauvaise humeur de son dévoué serviteur, Périclès revient chez lui. Sa maison se dresse  au bord de l'Ilyssos, dans un jardin fleuri d'asphodèles et planté d'opulents figuiers; les anémones d'avril ne sont plus qu'un chatoyant souvenir, mais la lumière subtile jaillit de la terre comme une eau transparente. Les lointains se rapprochent, la montagne de l'Hymette semble toucher le toit en terrasse blanc comme neige.
Périclès aime méditer en contemplant la vue sur l'Acropole; son regard observe depuis de longs mois un chantier prodigieux: une montagne de marbre d'où résonnent appels, chocs, coups réguliers, une multitude d'artisans, diligents comme des fourmis, sont les acteurs enthousiastes de ce désordre organisé.
A l'entour, des bosquets de cyprès et d'énormes oliviers cachent tout un quartier éloigné des rumeurs vibrantes des marchés, des rues déjà en mouvement sous les pas des marins ou des soldats
mercenaires, les bavardages intarissables des paysans chargés de fruits ou de volailles, les cajoleries des revendeurs de bijoux ciselés ou de parfums arrachés aux lointains comptoirs flattant les dames de la bonne société; toujours escortées par les servantes aussi curieuses et dépensières que leurs maîtresses ravies de s'échapper de leurs gynécées !
Périclès apprécie cette animation, preuve flatteuse de la vitalité d'Athènes, mais il préfère s'en tenir assez  loin. Ce qu'il recherche avant tout c'est la paix absolue dans son foyer avant d'affronter l'assemblée, ses ennemis multiples et une grande menace dont nul ne comprend l'importance: la guerre promise par Sparte.
L'heure s'avance, les serviteurs déférents accourent au service du grand homme qui sort de leurs mains aussi resplendissant qu'Ulysse retrouvant Pénélope.
Justement, une adorable femme lève une tenture de lin et se jette au cou de l'impassible maître des lieux. Aspasie, la plus ravissante créature d'Athènes enlace son amant Périclès comme si elle l'avait quitté depuis des mois et non quelques heures.
Le monde entier meurt d'envie de voir de près cette brillante Aspasie, un mystère aux yeux d'or vert, une brune capiteuse au teint de lys, une étrangère à la cité, venue d'une province inconnue ou presque et, pire que tout, une bibliothèque faite femme !
Audacieuse et impertinente, amie du vieux philosophe Anaxagore, (précepteur  de Périclès), et même admirée par Socrate qui, grâce à elle, réalisa que l'intelligence pouvait parfois toucher l'esprit féminin ,Aspasie vient d'apprendre, ce matin, une mauvaise nouvelle.
Un artisan protégé du sculpteur Phidias, se meurt sur le chantier de reconstruction de l'Acropole... Périclès a décidé de relever le monument symbole de la citée en utilisant sans complexes le trésor de la Ligue de Délos, tout simplement les impôts versés par la confédération des citées soumises à Athènes; il est l'instigateur, le maître d'oeuvre, son devoir est de voler au secours des ouvriers ou artistes blessés.
Aspasie parle doucement mais son regard se charge d'une autorité singulière. Aucune amante ou épouse n'aurait le courage d'imposer sa volonté à son amant ou époux, le silence accompagne la morne condition féminine tout au long de cet âge d'or du fameux siècle de Périclès; l'unique rebelle c'est Aspasie ! Et Périclès de s'exécuter ! Ce qu'Aspasie veut, Zeus le veut !
La vie d'un élève du sculpteur Phidias, le génie recevant l'inspiration des Dieux, le seul capable de faire palpiter le marbre brut, mérite les efforts du maître d'Athènes
. Chaque artiste travaillant à la gloire de la citée bénéficie de la protection d'Athéna. Périclès se hâte sur le chemin menant vers ce Parthénon, la maison du trésor de la République, temple d'Athéna Polias, qui doit pour les siècles à venir conserver entre ses colonnes élancées et majestueuses, la puissance spirituelle de la citée .
L'air est si pur que la marche du stratège devient une course ;à ses côtes, dans la poussière éclatante se pressent les ombres des héros, les silhouettes de ces dieux olympiens qui jamais ne quittent les mortels .Périclès les invoque, il sait que la vie de l'artiste mourant repose entre leurs mains. Au sommet de la colline, parmi les blocs de marbre, les statues à l'expression humaine, les hautes murailles que s'évertue à ciseler Phidias, on entoure le malheureux d'une sollicitude bruyante et parfaitement inefficace.
Périclès se précipite, sa bonté évidente rassure déjà la foule, le génial sculpteur Phidias est à genoux, le visage angoissé. Le blessé attend  un secours divin. C'est un tout jeune artiste, les yeux enfoncés, le nez pincé, il ne respire qu'à force de volonté. Que s'est-il passé ? Une chute du haut des Propylées: cette entrée monumentale menant au temple d'Athéna victorieuse. Les ouvriers se rassemblent autour du stratège toujours serein. Périclès sait qu'Athéna ne l'abandonnera pas.
 Soudain, comme il serre la main du blessé, un éclair le secoue: il voit sa mère, la guérisseuse Agariste, il entend sa voix ! Il tressaille et s'écrie: "Athéna a parlé ! Que les plus agiles d'entre vous courent à la source Callirhoé, qu'ils en ramènent les fleurs blanches couvrant le sol sur ses bords ! "On se rue vers la source sacrée ,au pied de la colline; on apporte du miel de l'Hymette; le mourant sentant ces efforts lutte avec l'énergie du désespoir. Périclès broie les fleurs, ajoute des feuilles humides, fait boire l'artiste gémissant...
Effet du remède improvisé ? Miracle dû à la forte constitution du jeune sculpteur ? L'agonisant se redresse ! il vivra ! Athéna a montré sa généreuse protection ! Périclès est acclamé, mais, le stratège reste humble. Il se doute que l'Assemblée des citoyens, tout à l'heure ne lui témoignera pas la même ferveur.
Phidias le distrait en lui dévoilant l'avancée de son chef d'oeuvre destinée à célébrer Athéna au sein du Pathénon: une merveilleuse statue, un rêve d'une parfaite beauté à la troublante physionomie humaine.
Périclès admire et, quittant pour une fois son masque impassible, il interroge le sculpteur aux mains guidées par les dieux; a-t-il raison, lui, d'accepter d'être représenté par l'artiste Crésilas ? Bien sûr, il accepte que son image perdure dans la pierre. Pourtant, le doute est au rendez-vous: Aspasie se moque de ce visage figé au point de ne plus rien exprimer. L'insolente affirme que si le buste  presque achevé est superbe, le visage hiératique lui parait celui d'un autre ! Que penser  de cette inspiration de l'artiste ?
Phidias, embarrassé s'en tire par un compliment ! Périclès ne désire-t-il donner l'image d'un homme respirant la lucide raison, la ferme volonté, la noblesse de l'âme ? Sa supériorité, sa hauteur morale ne méritent-elles d'être gravées dans le marbre pour les hommes de l'Athènes future ? Si Crésilas a réussi l'essentiel, pourquoi déplorer quelques détails insignifiants ? Une barbe épaisse, un nez épais, des pommettes  accusées ? L'avenir ne retiendra que le regard inflexible prouvant le prestige d'un stratège hors du commun.
Périclès esquisse un léger sourire face à cette éloquence digne de Socrate .
"Les hommes de l'avenir sauront-ils même qui j'étais quand le gouffre des âges nous aura tous englouti ...Vois-tu , le monde ne comptera peut-être que des barbares incultes chez lesquels les temples de l'Acropole ne fourniront qu'un vague sujet de curiosité. "
Phidias épouvanté devant une aussi terrible perspective prend congé !
Périclès s'en revient vers la cité . Plongé dans un songe éveillé , il tente d'imaginer ces hommes de l'avenir et prie les dieux pour que l'esprit de sa civilisation ne s'éteigne jamais .Le vent se lève ; ainsi que des nuées éblouissantes , les voiles se gonflent joyeuses sur les vagues couleur de pourpre;
 le Pirée  semble une forêt mouvante de mâts étincelants , un murmure arrive, porté par l'ample souffle de la mer .
Périclès s'arrête , écoute .Enrouée d' émotion fervente, une voix rauque  parle en une langue inconnue, pourtant nul étranger ne se montre .
Périclès, soudain croit, comprendre ce langage grossier, si lourd à l'oreille, un barbare parle;et ce barbare dit:
"O noblesse ! O beauté simple et vrai ! Déesse dont le culte signifie raison et sagesse, toi dont le temple est une leçon éternelle de conscience et de sincérité, j'arrive tard au seuil de tes mystères... Le monde ne sera sauvé qu'en revenant à toi, en répudiant ses attaches barbares."
Puis, le silence s'abat à nouveau, un silence hanté... Périclès reprend son chemin, perplexe, étonné, et ,au fond de son cœur, heureux... Un poète de l'avenir aurait-il parlé ?
Plus tard, seul face à l'Assemblée houleuse, quand les citoyens entassés sur les gradins l'accableront de leurs incessantes revendications, il ne haussera pas le ton. Il affrontera l'habituelle attaque, celle des dépenses jugées somptuaires ! Athènes coûte fort cher à construire, relever, élargir
. Le Pirée augmente sans cesse ses jetées, ses quais, ses chantiers où naissent vaisseaux de commerce et de guerre. L'Acropole, ravitaillé en marbre blanc grâce aux carrières ouvertes dans les flancs généreux de la montagne du Pentélique voisine, se couvre de colonnes et de frises vibrantes du cortège populaire et sacré des Panathénées.
Embellir la cité, la métamorphoser en une des merveilles du monde ruine le "Trésor", Périclès frôle souvent l'ostracisme condamnant à l'exil honteux ! Encore et encore, il résiste: Athènes emporte toutes les colères, tous les sacrifices.
Le Parthénon: " Périclès avait voulu en faire autant un assemblage de tous les chefs-d'oeuvre du génie et de la main de l'homme qu'un hommage aux dieux. Ou plutôt, c'était le génie grec tout entier s'offrant, sous cet emblème, comme un hommage à la divinité. Les noms de tous ceux qui ont taillé une pierre, ou modelé une statue du Parthénon, sont devenus immortels."
Thucydide, l'historien, de cet âge d'or  qui vit s'épanouir cette subtile harmonie de la beauté ineffable, de l'idée transcrite au sein du marbre, du poème enlevant l'homme vers l'infini, fait de Périclès le chef charismatique par excellence. "Ce grand homme tenant son autorité de son prestige et de son intelligence, et manifestement inaccessible à toute corruption par l'argent, s'imposait à la foule sans attenter à sa liberté."
A la fin de sa longue journée, Périclès voit le soleil sanglant se coucher sur une mer apaisée. Il sait qu'Athènes après son apothéose livrera de durs combats, il ignore heureusement que Sparte ravagera sa noble civilisation, il ignore qu'en accueillant les réfugiés de l'Attique entre les "Longs-Murs" de la cité, il laissera une épidémie de peste dévaster Athènes; il ignore que sa générosité le perdra aussi...
Mais, en ce soir  résonnant du chant vermeil des cigales, le stratège ne sait qu'une chose: sa vie est un poème offert à Athènes, et aussi à la rieuse Aspasie qui s'impatiente sur le seuil de sa maison...
Le mot de la fin ou du commencement, comme on voudra, appartient à Sophocle, le poète absolu de ce "miracle grec ":
comment ne pas éprouver une poignante tendresse en lisant et relisant le "Chant de l'homme"?

Nombreuses sont les merveilles du monde
Mais la plus,grande des merveilles reste l'homme.
A travers la mer blanchissante
Il court , le vent du Sud en poupe,
Il va , sous les vagues gonflées
Dont le bruit l'environne.
Et la divinité qui ne cède à personne,
La terre inépuisable et porteuse de grains ,
Au soc de ses charrues chaque année ramenées,
Il l'a usée et retournée
Avec les fils de ses poulains .
Sage dans ses moyens ,
Inventif au delà de toutes espérances ,
Il va tantôt au mal et tantôt vers le bien.

Thucydide existe en édition de poche à l'instar de Sophocle, Socrate, et tous les poètes antiques ou modernes, Ritsos, Cavafy, Séféris, la Grèce est à portée de pages; la mer étincelle même sur le papier en chantant la musique des mots clairs, brillants, comme le regard vert d'Athéna !
Bon voyage !

Lady Alix
ou Nathalie-Alix de La Panouse


Les Olympiens veillant sur Athènes au temps de Périclès


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