mardi 2 février 2016

On ne badine pas avec l'amour: le plaidoyer éternel du beau Musset

L'amour toujours l'amour !

Musset ou le théâtre du sentiment :

"On ne badine pas avec l'amour"

Le romantisme, petit-fils de l'amour courtois, a été inventé par le plus beau des enfants de son siècle, un dandy blond, pâle et tourmenté ne vivant que pour la déchirure amoureuse: Alfred de Musset.
L'amour fait mal mais rien ne vaut l'amour .
 Cette devise annonce un cortège d'êtres charmants et voluptueusement torturés, une foule de jeunes amants se frappant le cœur "là où est le génie", et un flot limpide comme un torrent d'avril d' écrits dont on aurait l'incommensurable tort de se moquer.
Une pièce surtout garde à l'aube de l'an 2018 la passion bouleversée des adolescents éternels:
 "On ne badine pas avec l'amour"; rivière insolente qui vous ramène au rivage, l'âme en capilotade, après la traversée de ses péripéties prestes, joyeuses et cruelles.
Musset ne se lamente pas; il court, humble ver de terre, armé de son espoir fougueux afin de séduire une étoile qui ne veut pas descendre de son firmament glacé.
Il lance ainsi dans la bataille de l'amour un héros qui est son double: Perdican, jeune séducteur lassé des conquêtes faciles, cherchant l'éblouissement, l'amour pur, la rencontre avec une femme entière se donnant sans chicaner  pour toujours ou, du moins, le plus longtemps possible.
Nous sommes en 1834, mais le temps ne griffe pas une pièce écrite pour être lue et non jouée.
pièce de théâtre ? On dirait en vérité une rêverie tissée par un auteur blessé du piteux accueil fait à sa première comédie...
 Par une bizarrerie du destin, ce fut en russe, 17 ans plus tard qu'une autre fantaisie théâtrale d'Alfred de Musset, "Un caprice" oscillant sur le fil de l'orgueil tendu au dessus du précipice de la désunion amoureuse ensorcela les âmes romantiques de Saint-Pétersbourg.
Portée sur les ailes des passionnés russes, cette pièce, revint en France où l'attendait la fine fleur des amants français. D'un trait de lumière, le théâtre de Musset devint à la mode !
Lecteurs et spectateurs affluèrent afin d'honorer l'auteur enfin compris, enfin adoré des jeunes rebelles littéraires !
Ces caractères entiers, ardents, ciseleurs du sentiment, ces mondains, poètes, dandys, hobereaux  ou lycéens découvrant l'ivresse des aveux, tous firent du duel sans merci opposant Perdican à sa cousine hautaine Camille leur étendard de prédilection.
Ainsi, sur la scène de la Comédie- Français, au fond des théâtres de province, à l'ombre des jeunes filles en fleur, "On ne badine pas avec l'amour", reste le chant tempétueux de la cruauté de l'amour...
A l'instar de l'ensemble du vaporeux et piquant théâtre de Musset, cette pièce évite le ridicule par sa sincérité et son dédain des situations convenues; les caractères faibles ou forts sont taillés dans la vie, les réflexions sur le destin, l'amour, la fragilité des sentiments appartiennent à toutes les époques.
Le grand charme de ce badinage qui n'est est un que de non, c'est surtout de mélanger les figures sérieuses et cocasses, les moments de bonheur au village et le drame final au château; les sourires de Rosette, la tendre paysanne, les retrouvailles émues de Perdican avec le monde de l'enfance.
Douceur, puis tristesse ténue, avant le malentendu fatal...
La pièce commence sous de mauvais auspices. Impression que renforcent vite la mine grave de Camille, jeune personne que l'on serait tentée de qualifier d'enfant gâtée  aux humeurs assez éprouvantes pour les nerfs fragiles, et les paroles lucides et acides de Perdican, jeune homme de bonne famille habitué à ce que ses désirs soient des ordres.
Pourtant, le décor de l'action est celui d'un conte de fées: on songe au film "Peau d'Âne ! On murmure autour d'une fontaine, on se cherche sur les pelouses, une fête se prépare au château .
Nous sommes en France, le ciel est bleu, avril neige en fleurs sur les vergers et
 ""Doucement bercé sur sa mule fringante, messer Blazius s'avance "vers un personnage multiple, tiré de l'antiquité; "le chœur" qui, tout au long de la pièce, pose les bonnes questions et en tire les bonnes conclusions...
Messer Bazius, amateur de bon vin avant toute autre considération, annonce une charmante nouvelle: le retour du fils et héritier d'un sympathique baron. Ce gentilhomme de province, bon-vivant et grand cœur nourrit une louable ambition qu'il va révéler à un second personnage burlesque "Dame Pluche",
une gouvernante colérique, épinglée au passage par le choeur :
 "D'où venez-vous, Pluche, ma mie ?vos faux cheveux sont couverts de poussière, voilà un toupet de gâté et votre chaste robe est retroussée jusqu'à vos vénérables jarretières."
Dame Pluche affronte ces désagréments pour la nièce du baron, la jeune Camille qui a quitté le couvent afin d'obéir à son oncle. C'est tout simple, le cher homme à l'âme fleur bleue a décidé d'unir son savant de fils, Perdican, fraîchement diplômé de latin et botanique,à sa nièce que nul n'a revue depuis de longues années.
 Comme la plupart des beaux et respectables projets, celui-ci risque d'être un désastre complet !
 Les deux futurs fiancés arrivent, l'un à droite, l'autre à gauche, ils éblouissent l'assistance en irradiant l'une de beauté, l'autre de distinction. Le baron éclate de joie et son enthousiasme intempestif se traduit par cette touchante injonction:
 "Embrassez-moi, et embrassez-vous."
 Perdican étourdi de surprise devant cette cousine s'écrie sans honte, spontané à l'instar de l'enfant qu'il se sent redevenir dans sa maison familiale:
 "Comme te voilà grande, Camille ! et belle comme le jour ! "
Hélas ! Camille a perdu la vivacité de l'enfance; froide et réservée, elle recule, et refuse les chastes accolades d'une phrase imprégnée de morale bien austère pour une si jeune fille:
 "L'amitié et l'amour ne doivent recevoir que ce qu'ils peuvent rendre."
Dans quel livre édifiant a-t-elle lu ce précepte de pacotille ?
Quel manque de généreuse spontanéité!
C'est l'hiver au printemps ! Une averse glacée gâche la fête chaleureuse !
Le baron, mortifié, confie sa déception à maître Bridaine, l'aimable curé de la paroisse:
 "Avez-vous vu qu'elle a fait mine de se signer ? Je suis vexé, piqué."
Camille a bien changé...
 Tant pis, le banquet  mettant aux prises des convives singulièrement gloutons, aura lieu; on verra bien ensuite si le froid perdure  entre les jeunes gens. Musset s'amuse en contant un repas dégoulinant de victuailles dont l'engloutissement prodigieux oppose "deux formidables dîneurs, le vorace maître Bridaine et l'intempérant Messer Blazius.
Le choeur se tord de rire et sa bonne humeur efface l'incompréhensible conduite de la glaciale Camille.
Mais, celle-ci ne se détend guère !
 Plus son cousin insiste pour ranimer les souvenirs d'une enfance heureuse et champêtre, plus la jeune personne le rudoie:
 "Je ne suis pas assez jeune pour m'amuser de mes poupées, ni assez vieille pour aimer le passé."
Perdican, renvoyé comme un laquais, se présente seul au village où ses façons courtoises, son émotion à fleur de peau, son naturel lui valent à nouveau l'affection générale.
 Encore mieux, il reconnaît, chantant à sa fenêtre une ravissante amie, Rosette, la sœur de lait de sa désagréable cousine. Perdican, toujours étourdi, toujours prêt à prendre la vie comme elle vient, lance alors une invitation qui contient déjà le drame en dépit de la tendresse de l'intention; insouciant des conséquences, le voici s'écriant à Rosette:
 "Va-t-en vite mettre ta robe neuve et viens souper au château."
Camille aurait-elle une rivale ? Comment l'acceptera-t-elle ? Perdican joue-t-il avec la délicieuse bergère ? Ou ses discours sur l'immuable vérité de l'existence agreste l'entraînent-ils  vers une timide paysanne qui semble mériter un meilleur sort que des noces rustiques ?
Peut-être ce séducteur est-il tombé réellement amoureux, qui sait ?
Le château bruisse, le baron se scandalise, et Camille affecte une parfaite indifférence, elle ne songe qu'à organiser son départ. Outré, Perdican la quitte en feignant la même attitude:
"Eh bien adieu ! J'aurais voulu m'asseoir avec toi sous les marronniers du petit bois, et causer de bonne amitié une heure ou deux. Mais si cela te déplaît n'en parlons plus; adieu, mon enfant ."
Adieu ?
C'est le mot que Camille aime à prononcer, par contre, elle déteste se l'entendre dire !
Cet "adieu" la provoque, fracasse son orgueil puéril, brise sa méfiance de jeune fille ignorante des fougues et délires de la passion amoureuse. Une autre Camille naît !
Impulsive, inattendue, elle ose écrire à Perdican malgré l'ire horrifiée de la vertueuse Dame Pluche. Mais Perdican ne se doute de rien et continue à faire une cour trop empressée à l'innocente Rosette. Le billet de Camille le rejoint au moment précis où il abdiquait tout espoir; c'est ni plus ni moins qu'un rendez-vous ! La statue de glace fondrait-elle ?
 Perdican en tout cas éprouve une flamme nouvelle qui lui tourne la tête. Cette fois, son rêve se réalise, Camille s'apprivoise, se rapproche, Perdican, oubliant qu'il vient d'embrasser amoureusement Rosette, croit la conquête de l'orgueilleuse cousine proche...
Mais Camille s'éloigne ! L'instant de grâce se rompt en une seule question:
 "Connaissez-vous un homme qui n'ait aimé qu'une femme ?".
Cette intransigeance arrête net les élans du pauvre cousin.
Voilà Camille qui s'entête:
 "je veux aimer, mais je ne veux pas souffrir; je veux aimer d'un amour éternel, et faire des serments qui ne se violent pas."
Une seule voie s'ouvre en ce cas: prendre le voile et s'ensevelir au couvent jusqu'à la mort.
 Perdican laisse sa cousine, impétueuse et irréaliste, discourir sur les bienfaits de cette vocation bien davantage inspirée par la crainte de la trahison que par l'amour de Dieu.
 Puis, il éclate.
Et, son admirable diatribe est un soleil noir ranimant en chaque être, capable de passion et d'oubli de soi, l'immense mystère de l'amour vrai;
Musset s'emporte, Musset nous enlève, il fait reverdir nos âmes, repousser de brillantes feuilles au secret de nos cœurs amers et douloureux.
Ces paroles sonores s'impriment en nous; elles scandent et scellent la foi en l'amour fou, puissant, indomptable; écoutons cette musique vibrante et victorieuse, poudrée d'éclairs d'avril, même en pleine saison d'automne ou au sein des givres de l'hiver:
"Adieu, Camille , retourne à ton couvent , et lorsqu'on te fera de ces récits hideux qui t'ont empoisonnée, réponds ce que je vais te dire: tous les hommes sont menteurs, inconstants faux, bavards, hypocrites, orgueilleux ou lâches, méprisables et sensuels;
toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses curieuses et dépravées; mais il y a  au
monde une chose sainte et sublime, c'est l'union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux.
On est souvent trompé en amour, souvent blessé, souvent malheureux; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière, et on se dit:
j'ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j'ai aimé.
C'est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui."
Musset songeait-t-il à Georges Sand en écrivant ce poème de l'amour sauveur ?
Les lettres des amants de Venise vagabondent au hasard, libres et sauvages, passant en rafales sur "On ne badine pas avec l'amour " avant de s'enfuir pour revenir.
A l'instar de Perdican fuyant Camille, de Camille fuyant Perdican, tous deux prenant en otage la pauvre et naïve Rosette; incapables tous deux de se comprendre, de se deviner, de se pardonner aussi.
Camille envoie une lettre fort sotte à sa confidente religieuse, Perdican l'intercepte.
 Qu'y découvre-t-i? L'intolérable fausseté de sa cousine se vantant de lui avoir mis "le poignard dans le coeur ".
Furieux, l'amoureux ainsi moqué et méprisé invente une vengeance égalant en méchanceté et vanité les vantardises de Camille.
 Rendez-vous galant est donné à Rosette devant la petite fontaine, le même est fixé à Camille; l'odieux Perdican veut faire la cour à la paysanne ingénue sous le regard de la grande dame afin de prouver à cette orgueilleuse qu'elle n'est nullement aimée. Stratagème dangereux qui déchaînera la tempête.
 En attendant que tombent les foudres du destin, Perdican déclare à la jolie villageoise effrayée:
 "tu sera ma femme, et nous prendrons racine ensemble dans la sève du monde tout-puissant. "
Cachée sous les feuillages, Camille, anéantie de jalousie manque s'évanouir !
Cette déclaration l'offusque, la meurtrit, lui semble inconcevable; il faut qu'elle tire cela au clair.
Convoquant l'infortunée Rosette, elle rend perfidie pour perfidie:
 "tu l'aimes, pauvre fille; il ne t'épousera pas; rentre derrière ce rideau, tu n'auras qu'à prêter l'oreille..."
L'habile Camille titille Perdican au point de lui arracher un aveu assez déplacé pour quelqu'un qui vient tout juste d'en demander une autre en mariage:
 "Je ne mens jamais, dit-il avec une remarquable
inconscience, je t'aime Camille, voilà tout ce que je sais."
Rosette perd connaissance en entendant pareille trahison... Camille triomphe en jetant ses faussetés à la figure de l'inconstant perpétuel. Mais, Perdican la prend à son propre piège: oui, il épousera Rosette ! Rien ne le fera changer d'avis.
Et certainement pas le désespoir de son père, le baron effondré, prêt à se vêtir de noir afin de signifier son chagrin devant une union aussi peu assortie.
Camille se fâche, pire, elle a l'outrecuidance de reprocher à son cousin d'épouser "une fille de rien";
parole assassine à laquelle Perdican rétorque:
" Elle sera donc quelque chose, lorsqu'elle sera ma femme. "
Camille redouble de colère, elle enrage, Perdican, imperturbable la repousse. Le mariage est convenu une fois pour toutes !
Camille se réfugie à la chapelle et implore le Seigneur de lui pardonner; elle ne peut plus prier, son amour envers Perdican la brûle et la consume elle se perd sans se retrouver. Perdican a tout entendu, il joint ses regrets aux lamentations de sa cousine:

" le vert sentier qui nous amenait l'un vers l'autre avait une pente si douce... il a fallu que la vanité, le bavardage, la colère vinssent jeter leurs rochers informes sur cette route céleste ! Il a bien fallu que nous nous fissions du mal, car nous sommes des hommes. O insensés ! nous nous aimions."

Hélas, le jeu du mensonge et de l'orgueil cause la perte de Rosette.
 La mort de cette innocente sonne le glas de ce qui aurait pu être une belle histoire...
Les mauvaises fées ont gagné, le conte est maudit.
Perdican reste seul, humble mortel voyant son étoile s'envoler vers un ciel interdit.
Peut-être, du fond de son couvent silencieux, Camille griffonnera-t-elle des lettres remplies de feu, de sang et de cendres, des lettres folles comme celles de Georges Sand à Musset:
"Adieu tout ce que j'aimais, tout ce qui était à moi. J'embrasserai maintenant dans mes nuits ardentes, le tronc des sapins et les rochers dans les forêts en criant votre nom et je tomberai évanouie sur la terre humide."
Perdican de son côté enverra ces mots inutiles à un fantôme:
" Je t'aime, je t'aime, je t'aime, adieu. Adieu ma vie, mes lèvres, mon cœur, mon amour."
Musset les écrivit lui-même, à Georges Sand.
Que d'amour ! ne faut-t-il  espérer dans le désespoir, aimer sans rancune, aimer sans vain orgueil, sans sots préjugés, aimer libre des erreurs du passé, renaître en osant tenter une chance imprévue ?
C'est le testament spirituel de Musset ...
La leçon de ce jeu de l'amour et de la vanité ...
Pourquoi pas ? Rien ne vaut la passion afin de se sentir humain ! ou d'une tristesse à mourir...
La passion c'est l'enfer sur terre !
N'oscille-t-elle sur son fil fragile de la haine à l'espoir ? n'égare-t-elle coeur ,corps et âme  en vous retenant  prisonnier de sa danse folle ?
L'amour ivre de passion ôte le goût des bonheurs purs et simples, pourtant un jour de passion remplit le coeur bien davantage qu'une année de tendre affection.
Les descendants spirituels de Musset n'en finiront jamais de se consumer d'amour douloureux, superbe et inutile: doit-on les plaindre, les envier ou les imiter ?
"Anima triste, prega. Dà la preghiera oblia."" conseillait D'Annunzio...

A chacun sa raison ou sa déraison , son coeur sec ou son coeur de flammes !

A bientôt!

Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse

Portrait de Madame Pasteur, jeune femme du Jura(par le peintre Gros); cette jeune femme à la fière réserve, cachait sans doute une passion de la vie qui la rendait soeur de la fantasque Camille,
 héroïne de la pièce:
"On ne badine pas avec l'amour"

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