vendredi 11 mars 2016

L'amour en hiver selon Musset !

L'hiver inspire le réchauffement des coeurs glacés, c'est ce que nous promet le bel Alfred de Musset !
Vous l'ignoriez sans doute, mais ce prince noir des romantiques, n'est pas seulement un cœur blessé et gémissant sous les trahisons de ses  cruelles amantes.C'est aussi un auteur comique , et je n'invente rien !
Saviez-vous que son ironie aimable, sa verve acérée sauvent, grâce au Ciel, ses pièces de théâtre d'un naufrage sur les rochers de la sensiblerie ?
Vers 1835, une cascade  d'aimables et piquantes intrigues, mettant en scène des personnages volés à Marivaux, s'échappe de son imagination nourrie de romanesques déceptions.
Le poète porté par la grâce de la création retrouve sa passion de la vie largement émiettée après ses extravagances vénitiennes sous la griffe de son amante, l'excessive George Sand.
Sa rencontre avec la suave et compatissante Madame Jaubert, le guérit des volcans et des fureurs.
Une amitié épistolaire se noue et perdure jusqu'à la mort prématuré du poète. Le sentiment fort tendre unissant les correspondants eut l'élégance de rester discret, noble et fidèle.
L'amour n'est plus une calamité, un gouffre dont nul être à l'âme élevée ne sort vivant, c'est un bienfait qui vous réchauffe.
 Un peu comme le feu brûlant chez une adorable et frileuse Marquise un après-midi de janvier...
L'histoire, ou la pièce destinée à être lue autant que jouée, se veut une comédie affublée du titre d'un proverbe inventé:
"Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée."
Cette porte, bien sûr, protège la Marquise des frimas de saison et des visites importunes. Mais elle a un" jour" sacré qui voit défiler dans son petit salon admirateurs, curieux ou snobs de toute espèce. La Marquise est, cela va de soi, exquise.
 Elle joint aussi à la liberté mélancolique du veuvage, l'originale simplicité d'une très relative pauvreté. Sa domesticité ne se compose que d'une femme de chambre et, peut-être, d'un valet bon à tout et sans doute propre à rien.
Mais, les visiteurs ne lui manquent jamais car elle sait faire oublier sa gêne par les douceurs de son caractère et la beauté de sa figure. Elle va au bal, sort aux Italiens, et reçoit quelques hommages plus ou moins empressés.
Pourtant, la Marquise n'a rien d'une coquette, elle se borne à mener la vie assez retirée  d'une grande dame qui a connu une ancienne prospérité. A une exception: son "jour" fixé chaque mardi. Et ce mardi là, sa courtoisie lui joue des tours; ainsi, en ce début janvier, s'efforce-t-elle de ne pas s'agacer de l'intrusion du Comte.
Ce butor de bonne famille entre à grandes enjambées, tourne autour de sa fêle personne en affectant les manières d'un ours cherchant sa pitance !
Pourquoi est-il là ? Respecte-t-il le fameux "jour" de sa voisine ou, au contraire, espère -t-il que le froid intolérable égarera les visiteurs en route ? Que cache-t-il sous sa mine soucieuse ?
L'impertinent s'explique crûment:
"Eh bien ! J'étais un peu ennuyé. Je ne sais ce que j'ai... Je me désole depuis midi; j'ai fait quatre visites sans trouver personne. Je suis sorti par un temps glacé; je n'ai vu que des nez rouges et des joues violettes. Je ne sais que faire, je suis bête à plaisir."
Quel début ! La Marquise, femme douée d'une grande habitude mondaine, ne s'offusque pas de cette étrange humeur.
Elle répond sur le même ton. Le froid l'ennuie et, dit-elle, avec une charmante espièglerie que l'autre ne comprend guère,:
"Je commence à avoir trente ans, et je perds le talent de vivre."
Le Comte ne saisit pas cette perche tendue: au lieu d'affirmer à cette jolie femme qu'elle est bien loin des affres du grand-âge, il renchérit:
 "En prenant des années, on devient plat ou fou,et j'ai une peur atroce de mourir comme un sage."
La Marquise sent la moutarde monter à son nez de Vénus désargentée !
Quel discours ce malotru va-t-il lui tenir devant un feu qu'il ne sait même pas entretenir ?
Justement, le voilà qui fait mine de partir tout en gardant la porte entre-baillée, de façon à laisser les plus cruels courants d'air frigorifier sa charmante hôtesse. Manifestement, quelque tourment travaille cet homme... Il salue, puis se ravise et se jette à l'eau.
Un horrible soupçon l'étreint, cette jolie veuve aurait-elle envie d'en finir avec ses ennuis au point de se jeter au cou d'un parvenu richissime ? Le Comte, bien naïvement, ignore que la Marquise se tourmente également. Cet aimable voisin n'a t-il la réputation d'un coureur de jupons ? Un duel à fleurets mouchetés s'engage sur la corde tendue de la jalousie amoureuse. Ce n'est plus du théâtre, c'est de l'acrobatie ! Le vent du nord s'engouffre dans le petit salon douillet, la Marquise frissonne et se venge.
Si elle se montre jeudi prochain aux Italiens, ce sera en la compagnie rassurante et inoffensive de son voisin de campagne, un homme rustique répondant au nom fort commun de Monsieur Camus; un individu qui pour toute obligeante qualité n'a que celle de lui vendre du foin et des pommes !
Cette déclaration si péremptoire chez une femme si paisible a le don de piquer au vif le Comte.
Il ferme la porte et continue les hostilités. Sait-elle, la rumeur qui court en ce moment ?
Non, elle ne sait rien et  en l'écoutant, la Marquise s'étrangle de surprise:
"On dit que vous pensez à vous remariez, que M.Camus est millionnaire, et qu'il vient chez vous bien souvent."
La surprise fait place à l'exaspération. La Marquise comprend soudain beaucoup de choses, mais cette jalousie du Comte lui paraît fort injuste. La prendrait-il pour une sotte ? Comment ignorer que tout en jouant les amoureux transi ce Monsieur aime ailleurs ? Comment ose-t-il lui lancer "au nez " son rustre de Camus ! Les piques assassines fusent!
Le Comte glisse sur les allusions perfides puis explose. C'est un homme au caractère entier ou du moins s'en donne-t-il les allures. "Vous ne voulez pas qu'on vous fasse la cour ?" demande-t-il sur un ton si autoritaire que la Marquise se révolte à son tour.
La voici emportée par l'âpre plaisir de dénigrer les condescendants assauts de séduction habituels chez les hommes du grand monde, et les autres...
Sa parole mord, ses yeux étincellent, le Comte écoute, fou de rage et d'amour !  Quelle diatribe:
"La belle manière de se faire aimer que de venir se planter devant une femme, de la regarder des pieds à la tête, comme une poupée et de lui dire bien agréablement: Madame, je vous trouve charmante ! Joignez à cela quelques phrases bien fades, un tour de valse, et un bouquet, voilà pourtant ce qu'on appelle faire sa cour. Fi donc ! Comment un homme d'esprit peut-il prendre goût à ces niaiseries -là ?"
Le pauvre admirateur tout penaud bredouille une vague excuse, la jeune femme n'écoute plus !
Ses plaintes et accusations envers la gent masculine redoublent !
"Vous autres hommes à la mode, s'exclame-t-elle, vous n'êtes que des confiseurs déguisés."
Lassé, embarrassé, craignant surtout une dernière attaque, le Comte se lève et ouvre la porte.
Bizarrement, le vent glacé calme les humeurs de sa furieuse voisine.
Primesautière, toute colère envolée, la Marquise redevenue exquise réclame un petit service à son voisin étonné; trois fois rien, une bague qu'il serait si serviable de laisser au bijoutier Fossin, l'artisan des grandes dames. En galant homme, le Comte accepte.
Que ne ferait-il afin de plaire à cette belle désabusée !
Va-t-il sortir et fermer cette porte qu'il tient ouverte malgré les supplications de la malheureuse mourante de froid ? Non, c'est impossible !
Le Comte ne peut quitter ce salon, et la Marquise n'a finalement aucune envie de le chasser. La porte est donc refermée. Pour combien de temps ? Le Comte, de plus en plus perdu ,reste en prenant un étrange prétexte: celui de ne plus revenir.
Venir chez sa jolie voisine le bouleverse, il faut que cela cesse !
Soudain inquiète, celle-ci rentre ses griffes, et se découvre sans y toucher:
"Si je vous ai dit que vous m'ennuyiez, c'est que ce n'est pas une habitude. Sérieusement, vous me feriez de la peine; j'ai beaucoup de plaisir à vous voir. "
Elle s'aventure en terrain mouvant...
N'avoue-t -elle un sentiment secret ? Trop tard ! Le Comte, dépité, déçu, recule net.
Il songe à s'exiler en Italie ( heureux mortel ) ! La Marquise sous le choc abat son jeu !
Sa jalousie à l'égard de la dernière conquête de ce séducteur, ce Comte qui, sous ses airs romantiques, n'est qu'un collectionneur de danseuses choisies à l'Opéra, ranime la tempête.
Le Comte, désarmé face à cet ouragan imprévu, prend une nouvelle fois un congé auquel aucun des deux ne désire croire.
"En vérité, dit-il en feignant d'être affreusement blessé,vous êtes trop cruelle ! C'est bien assez de défendre qu'on vous aime, sans m'accuser d'aimer ailleurs."
Sur ce, le ton monte !
Voilà que le furibond accusé menace la Marquise d'une déclaration à la hussarde ! Offusquée, sa voisine riposte en proposant de demander secours à sa soubrette;
en femme du peuple, cette dernière saura la défendre contre pareille vulgarité ! La-dessus, la porte est ouverte d'une main ferme par le Comte craignant un importun.
Le vacarme hivernal s'engouffre dans le salon, pluie, grêle, tonnerre, le climat se met à l'unisson de la bagarre amoureuse. La Marquise perd pied. Il faut que ce maudit voisin reste, coûte que coûte à son orgueil. Elle se dévoile et le Comte reprend un léger avantage:
"C'est effrayant mais fermez donc la porte; vous ne pouvez pas sortir de ce temps-là."
La météo sert à cacher le désarroi s'emparant de la jeune veuve. Si le comte s'en va, son cœur cessera de battre ! Toutefois, l'ingrat ne doit pas s'en douter. Or, l'ingrat en question saisit sa chance au vol. Se rasseyant près de la Marquise, exquise, ronronnante au coin du feu, il s'écrie à la hussarde:
"laissez-moi vous aimer."
L'imprudent !
Quand on s'exprime de la sorte, une femme intelligente entend non pas "je vous aime " , mais "je vous désire". La jolie veuve a d'autres ambitions que celle de se livrer à ce hussard. L'envie de céder à cet amoureux passionné la titille pourtant avec violence.
Voulant et ne voulant pas, tentée et agacée de l'être, au bord de la crise et au bord du gouffre, elle se drape dans un voile de tragédienne revenue des périls de l'amour.
Une dure leçon éclate aux oreilles du séducteur décontenancé. La marquise connaît toutes les astuces, ruses, pièges, flatteries, le complet catéchisme des séducteurs ! Mieux: elle s'est plongé avec une amère délectation dans l'édifiante lecture de cinquante lettres d'amour graduées; achetées par un maître diplômé dans l'art de duper les amantes crédules.
"Il y en avait, raconte-t-elle à son admirateur médusé, pour les déclarations, pour les dépits, pour les moments où l'on se rabat sur l'amitié, pour les brouilles, pour les instants de jalousie, pour la mauvaise humeur ,même pour les jours de pluie comme aujourd'hui. L'auteur prétendait n'avoir jamais trouvé une femme qui résistât plus tard que le trente-troisième numéro. J'ai résisté moi à toute la collection ."
D'abord abasourdi, le Comte décide de protester:
"Quoi ! à votre âge vous méprisez l'amour ? Les paroles d'un homme qui vous aime vous font l'effet d'un méchant roman ? "
Fatigué des attaques et soupçons, il renchérit de sincérité. Et, en devient fort dangereux sans le savoir.La Marquise écoute ses arguments simples, purs, naïfs, "si l'amour est une comédie, cette comédie, vieille comme le monde, sifflée ou non, est au bout du compte, ce qu'on a trouvé de moins mauvais."
La jolie veuve est touchée, son cœur s'emballe, ses mains tremblent, un trouble délicieux l'envahit des pieds à la tête. Face au précipice, elle  se retranche sous ses persiflages: " Monsieur, voilà de la poésie
, Monsieur, voilà de l'éloquence."
On ne saurait en apparence montrer plus de condescendance !
Le Comte s'en moque ! Il veut convaincre ou fuir à jamais ! Oui, il est éloquent ! Mieux, en s'acharnant à persuader cette femme blasée de la beauté de l'amour vrai, il devient incroyablement attirant... la Marquise est bien proche de révéler ses sentiments; épouvantée de sa faiblesse, elle ne baisse pas sa garde. Après tout, les intentions de ce Monsieur sont fort douteuses. N'est-elle pas une grande dame à laquelle on n'oserait faire des propositions inconvenantes ?
Le Comte tente le tout pour le tout: se jetant aux pieds de sa voisine, il exige d'être écouté. Hélas !
l'orgueilleuse lui montre la porte ! Tant pis ! Le Comte se déclare, il aime, il adore; et la cruelle n'écoute pas et le salue bien... Nous le plaignons de toutes nos forces ! Cette fois, c'est à la Marquise d'ouvrir la porte.
Mais, elle omet de la fermer... Le Comte se résigne-t-il ? Seul face à cette porte laissant déferler le courant d'air sibérien, le voici livré à son amertume... Va-t-il sortir de la vie de cette trop moqueuse Marquise qui ne voit en lui qu'un vulgaire collectionneur de bonnes fortunes ?
La jeune veuve excédée, le pousse délibérément à bout. Jamais, elle ne sera sa maîtresse ! Qu'il se fasse une raison ! Le Comte réalise que pour atteindre la chambre de cette jolie femme, il faudra emprunter la route menant à l'Eglise ! Et il accepte ! Le collectionneur renie son goût du vide, l'amour qu'il éprouve malgré lui envers sa belle Marquise le comble à son complet étonnement. Serait-il transformé par l'amour ? Sa défaite l'enivre et le rajeunit, c'est un comble .
"Vous, ma maîtresse ! Non pas, mais ma femme !"
Ravie, rayonnante, victorieuse, la Marquise propose aussitôt d'enlever la couronne de Marquise de sa fameuse bague...
La comédie finit à la manière de "Peau d'Âne "; une bague a mené le Comte vers l'amour, le mariage, et le bonheur. La porte se ferme sur le couple qui  convolera peut-être sans cérémonie sous le soleil hivernal, au coin de la cheminée, sur un sofa complice, en attendant mairie et chapelle... .
Lecteurs ou spectateurs les suivront de loin  vers un jardin des mots, tendres, amers, volubiles, furibonds, enjoués et amoureux.
 Laissez ce réchauffement plein d'esprit vous annoncer le printemps !
La prose d'Alfred de Musset voltige, chavire, chatoie, danse, court, galope, s'emballe et s'apaise en agitant les cœurs et libérant les âmes.
Cela s'appelle poésie et c'est un trésor indispensable.
Le Comte, amoureux malgré lui, et la Marquise, moins dégoûtée qu'elle ne le pensait, sont de toutes les époques, de tous les milieux à l'instar des surprises et revirements du sentiment et de la destinée...

A bientôt,

Lady Alix ou Nathalie-Alix de la Panouse
Une "Marquise espiègle" : Madame Marotte
Par Jean-Dominique Ingres

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