dimanche 3 avril 2016

Cicéron: le plus humaniste des avocats !


Du sable blond des rivages antiques un nom éveille encore de sonores échos.
Celui d'un homme qui fit retentir le verve agile, la phrase moqueuse, le discours ardent, le rythme harmonieux sous les colonnes romaines; cet homme inventa l'éloquence, et mieux, l'éleva si haut que nul après son passage en ce fol univers ne put l'égaler.
Cet homme portait avec désinvolture le nom bizarre de "pois chiche ", Cicéron, et il était avocat à l'époque où César caressait le rêve de gouverner Rome et l'univers. Son destin est un roman alliant le merveilleux au terrible, l'obscurité à la gloire, l'amour à la haine, la vertu à la trahison. De nos jours, sa renommée inspire ceux qui s'acharnent à faire de leur langue natale l'élégant et efficace outil de leurs pensées. Mais qui fut vraiment Cicéron ?
Un homme politique ? Que non pas ! On peut manier l'arme fatale des mots cinglants et se tromper dans ses choix s'égarer par vanité ou manie de l'indécision.
Cicéron était sans cesse titillé par deux chemins, deux chefs, César et Pompée, puis, Octave (le futur Auguste) et Antoine.
Toutefois sa chimère resta la même jusqu'au bout: un gouvernement s'adaptant à l'ensemble des citoyens, un régime juste, honnête, acceptant les bonnes volontés de l'immense monde romain.
Cet humanisme généreux va plus loin que les déroutes de sa vie. C'est cet idéal qui enlève de si noble manière ses plaidoyers. Cicéron s'égare souvent mais se retrouve en s'appuyant sur sa foi dans le génie humain et l'esprit de justice et d'honnêteté qui s'accorde avec lui. Immortel, proche de nous, Cicéron est un homme à la fois bouillonnant, universel, enthousiaste, un latin vif et vibrant, un artiste de la parole, un caractère sensible, un gourmet du quotidien, appréciant profondément la joie d'être au monde et d'y faire une belle oeuvre.
Sa correspondance frénétique vaut la peine que l'on s'y plonge; cette mer effervescente remue en ses flots les confidences mordantes (nul n'échappe à son ironie coupante), allègres (son badinage mondain), intimes (la peine affreuse qui le ronge à la mort de sa fille) et terriblement franches. L'avocat écrit comme il parle, avec fougue et harmonie !
Il se moque, il s'emporte, il conspue, il ridiculise il se lamente aussi, sans perdre l'élégance, la finesse, l'originalité de l'expression.
Converser est un art, séduire c'est savoir choisir le bon sens des mots, en deviner la musique, la force enjôleuse, tout en gardant l'ordre, la clarté de la formule destinée à marquer les esprits.
Ainsi, l'avocat défend ou accuse, l'homme d'état mène la foule, l'amant envoûte...
L'avocat Cicéron a forgé sa flatteuse renommée en Sicile, en accablant un voleur de très bonne naissance et de très haute situation, un patricien corrompu, Verrès !
On était en 70 avant Jésus-Christ, et l'île florissante, le jardin de paradis des romains subissait les caprices éhontés du préteur envoyé par Rome afin d'y maintenir la paix et la prospérité. L'impudent Verrès, ravi, d'avoir les mains libres, en profita pour spolier, piller, au grand jour les citoyens épouvantés.
Comment lutter contre ce puissant personnage qui s'invitait chez vous et en repartait chargé de vos statues précieuses, bijoux raffinés, meubles orientaux ou esclaves ravissantes ? 1000 témoignages affluèrent vers l'avocat Cicéron dont les Siciliens connaissaient la réputation exemplaire !
Cicéron  écrivit 5 extraordinaires libelles virulents, étourdissants d'audace, éblouissants de virtuosité et de netteté dans l'accusation; le plus connu reste peut-être le fameux "De Signis", révélant la façon expéditive qu'avait l'indigne Verrès de s'emparer de tout, absolument tout ce qui attirait son regard aiguisé de collectionneur invétéré...
Cela pourrait sembler une farce, mais Verrès n'était pas seulement un maniaque des oeuvres d'Art; hélas, ce monstre suppliciait les innocents. Le "De supppliciis" énonce ces odieuses pratiques avec une ardeur, une humanité, un emportement inouïs. Verrés a osé condamner à mort les commandants de navires, les "navarques" siciliens, coupables à priori d'avoir laissé les pirates ravager l'escadre de guerre promise par la Sicile à la police des mers.
En réalité, Verrès est l'unique responsable de cette déconfiture, c'est lui qui a privé les équipages de marins en leur vendant des congés ! Le voici qui s'en prend aux commandants ayant tenté de sauver leur navires, en dépit du manque d'approvisionnement en vivres, en armes, et en hommes dû à l'infâme envoyé de Rome !
Cicéron dresse le tableau atroce de ces malheureux mis au secret en prison, et interdits de visite pendant que leur injuste supplice se prépare. Le moindre adoucissement à leur sort doit être payé fort cher aux sbires de Verrès.
La description des tourments variés est intolérable aux âmes sensibles; Ciceron tirerait des larmes aux cœurs les plus froids par ses phrases courtes, précises, coupantes. Il veut émouvoir, indigner, angoisser, et aucun effet de style n'est oublié pour nous convaincre de la perfidie vénale, de la cruauté barbare de la "bande de malfaiteurs "aux ordres de ce patricien dévoyé de Verrès.
 Qu'on en juge:
"Atroce cruauté du destin ! Les parents étaient forcés d'acheter non la vie de leurs enfants, mais la rapidité de leur mort. La dernière prière des enfants à leurs parents était que l'on payât le licteur
(Sextius, l'homme de main de Verrès) pour adoucir leur supplice. Quelle riche imagination pour torturer les parents, les proches ! -Bien riche; mais après la mort des condamnés, ce sera fini .- Non.-Quoi ? La cruauté peut-t-elle aller plus loin ?-Elle y arrivera.
 Car, frappés de la hache et morts, leurs corps seront abandonnés aux bêtes. Si les parents en ont de l'affliction, qu'ils rachètent le droit d'ensevelir les suppliciés !"
On croit rêver ! Comment avoir aussi peu de bonté, de sens moral, d'humanité ! Malgré l'océan des âges, nous plaignions ces parents affectueux de tout notre cœur, leur détresse nous prend à la gorge, Ciceron continue son plaidoyer avec une magnifique emphase, les mots s'emballent, l'exaltation de l'orateur coule à l'instar d'un torrent furieux; nous tremblons, gémissons, sanglotons, nous sommes les victimes, leurs parents, leurs amis, l'avocat nous enlève corps et âme dans sa colère, il habite seul nos pensées, nous gouverne et nous épuise.
Cette fois, c'est au monstre Verrès qu'il s'adresse. Rugissant, pareil à une vague retentissante, Ciceron fustige l'infâme individu:
"On les frappe de la hache. Tu te réjouis au milieu du gémissement universel, et tu triomphes: quel
soulagement de voir supprimés les témoins de ton avarice ! -Tu te trompais, Verrès; tu te trompais lourdement: le sang d'alliés innocents ne pouvait laver tes vols ni tes infamies. C'était folie furieuse de penser pouvoir par la cruauté guérir les ulcères de ton avarice !"
En effet, il reste de précieux témoins des exactions de Verrès, certains commandants ont miraculeusement échappés à la mort, et Cicéron lance ce trait magistral à la tête de l'assassin:
"Voici Philarchus qui n'ayant pas fui, fut pris par les pirates: heureuse captivité, qui l'empêcha de tomber aux mains de ce forban. Son témoignage proclame: congés de matelots, famine des équipages fuite de Cléoménès (complice deVerrès, commandant de l'escadre qui avait ordonné la fuite, mis hors de cause par Verrès )."
Puis, tous les témoins énoncés, Cicéron se tourne vers les juges en invoquant les Dieux dans un grand envol de toge:
"Par les Dieux Immortels !
Qu'en pensez-vous juges, sur votre tribunal ? De quel cœur écoutez-vous ?
Est-ce moi qui délire ? Est-ce que je prends trop au tragique cet abîme de misère où sombraient nos alliés ?
Ou vous aussi, ne souffrez-vous pas comme moi de ce deuil, de cette torture atroces imposés à des innocents ?"
Comment la victoire ne pouvait-elle couronner le front de l'impétueux orateur, combattant pour la justice foulée aux pieds par ce Verrès indigne de porter le titre de citoyen Romain ?
Le monstre subira la disgrâce de l'exil...
Et Cicéron, d'un coup célèbre et glorieux ,s'affirmera comme le défenseur de l'idéal Romain.
Son heure viendra une nouvelle fois au moment de la conjuration de Catilina , un agitateur et un excité, un patricien corrompu jusqu'aux os, voulant prendre le pouvoir par la force, en 63 avant Jésus-Christ. Tout juste élu consul, Cicéron s'imaginait un destin politique. Il écrasa purement et simplement Catilina, déjoua juste à temps son complot grâce à une jeune femme courageuse qui osa se confier à l'avocat; Cicéron, par ses harangues indignées, fit de Catilina, qui essaya de l'assassiner dans la nuit du 6 au 7 novembre 63, l'ennemi public de Rome en révélant aux sénateurs la lâche tentative du meurtre sur sa personne.
Hélas, sous l'effet de la colère, il commit la faute, lui si respectueux des principes du droit, de faire exécuter sans jugement les complices de l'odieux révolté. Les représailles fondirent sur lui en 58:
malgré la fougue furibonde, la vigueur ample et imagée de ses discours: "les Catilinaires ", sommet d'éloquence patriotique, malgré son immense ardeur à défendre Rome, destinée à être incendiée, et les plus loyaux de ses citoyens massacrés, par les conjurés perdant toute mesure, Cicéron fut exilé,
par Pompée, César et Crassus.
 Les trois chefs du gouvernement, les "triumvirs" bientôt ennemis...
Il revint vite à Rome heureusement, au bout d'une interminable année d'ennui au fin fond de la campagne d'Arpinum, une contrée montagneuse, sa patrie natale, au pays des Volsques.
Toutefois, la gloire et l'influence l'abandonnèrent, même après avoir été élevé au rang de gouverneur de Cilicie, un peu avant la guerre civile orchestrée par les deux rivaux sans merci, César et Pompée. Cicéron hésita, tergiversa, fit mine de se ranger d'un côté, tout en aidant l'autre camp.
Cela le perdit aux yeux du vainqueur: César.
Pardonné mais relégué dans le placard doré de sa villa des environs de Rome, Cicéron guettait un signe du destin en sa faveur tout en savourant ses nouvelles amours avec une très jeune "protégée"...
Entre César et l'avocat, une muraille de ressentiment exaspéré freinait la confiance et le rapprochement. On connaît la suite: en 44, César fut sauvagement exécuté en plein sénat; en 43, son opposant Cicéron subit encore pire: il fut égorgé sur l'ordre des vengeurs du premier consul, Octave et Antoine... Mais, son éloquence vole au ciel comme un aigle immortel !
Qui ne se souvient de la première attaque contre Catilina ?
L'entrée vibrante de la "Première Catilinaire " nous subjuguera jusqu'à la fin de toute civilisation:
"Quousque tandem aboutere patientam nostram ,Catilina ?
Jusques à quand abuseras-tu de notre patience, Catilina ?
Combien de temps encore serons-nous ainsi le jouet de ta fureur ? Où s'arrêteront les emportements de cette audace effrénée ?
Ô temps ! Ô mœurs ! Le sénat connaît tous ces complots, le consul les voit; et Catilina vit encore. Il vit ? que dis-je ? il vient au sénat; son œil choisit et désigne tous ceux d'entre nous qu'il veut immoler Et nous, hommes pleins de courage, nous croyons assez faire pour la république, si nous échappons à sa fureur et à ses poignards ".
Le maître en éloquence avec ces mots d'une fermeté éclatante appliquait ses propres préceptes:
"Quel empire, quel ascendant comparable à celui de l''éloquence, puisque sous elle les caprices du peuple, la religion des juges, la gravité du sénat, tout plie ?
Qu'y a-t-il enfin de si nécessaire, que d'avoir toujours des armes redoutables aux méchants, et qui nous mettent à couvert des insultes, ou en état de les venger ?"
Merci à Cicéron, à jamais le plus grand avocat de tous les temps !
Lisez-le, vous l'adorerez et il vous inspirera  à chaque moment: vous serez entendus, mieux,
vous serez adorés en déployant le rythme audacieux des mots disant l'amour, l'espoir, la justice...

A bientôt !

Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse
Cicéron: l'avocat génial !


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