mardi 7 juin 2016

"Fortune de France": la belle aventure de Robert Merle

Un vent de "Fronde" se leva un beau matin dans le Paris tortueux, boueux et véhément  de 1648.
Le peuple, les Bourgeois de Paris, les grands seigneurs, les membres du Parlement, tous étouffés par les impôts, s'unirent dans une révolte qui faillit emporter le maigre enfant roi Louis XIV et, avec sa frêle personne, le cardinal le plus méprisé et abhorré de France: Mazarin.
Pourquoi tant de haine, de violence et d'arrogante frénésie ?
 La France de Louis XIII sous l'intègre et implacable gouvernement de Richelieu, ministre accompli luttant afin de ramener paix intérieure et prospérité en dépit des incessants complots des Grands, s'était-elle envolée comme un songe ?
Où étaient passés la fidélité des sujets confiants dans les efforts d'un roi qui s'était évertué à sauver son pays envahi par les espagnols, et à maintenir l'unité au sein de ses provinces disparates ?
Un fil d'Ariane nous guide dés 1635 vers ces péripéties périlleuses:
c'est  tout simplement un homme et un fort bel homme  , le cavalier du roman  de Robert Merle ,"Le glaive et les amours "! Duc depuis peu et farouchement fier de l'être, titre gagné par sa bravoure lors du siège de la Rochelle en 1628, mais duc tout de même, séducteur passionné de la gent féminine, bon époux et bon père, ce qui indique une admirable largeur d'esprit, cavalier infatigable, bretteur émérite, et, ce qui ne gâte rien, d'une intelligence aussi aiguisée que la pointe de sa rapière sans oublier un sens de la ruse en tout point digne d'Ulysse d'Ithaque.
D'ailleurs sa chaste et fidèle épouse emprunte beaucoup de traits à la reine Pénélope !
N'a-t-il de qui tenir cet être éminemment prodigieux ?
Il est le fils du plus sympathique héros jamais inventé au 20ème siècle: Pierre de Siorac, l'habile gentilhomme d'aventures qui galope sur sa vaillante jument Accla tout au long des complots, duels, escarmouches, et autres furieuses algarades, dont déborde le fleuve tempétueux de "Fortune de France ".
Pierre mit son ardeur de languedocien pauvre et intrépide à suivre le panache de son béarnais de roi: Henri IV. Sa vie se coula dans les vagues de l'épopée qui fit de la France un royaume où chacun, catholique ou protestant, paysan ou homme de guerre, devait vivre ensemble, dans l'harmonie des
"labourages et pâturages"...
Le duc d'Orbieu, Pierre II de Siorac, compagnon d'enfance du roi Louis XIII, juché sur "Accla" bis, emboîta le pas à son père en sacrifiant lui aussi  à la dure loi des "chamaillis", (les combats), si la Fortune de France, le sort de notre pays, l'exigeait.
Le vent de l'Histoire exalte ainsi ces héros fiers et hardis, collectionneurs de victoires et de jolies "drolettes" (jeunes filles) de père en fils, à condition qu'elles se refusent à jouer les "pimpésouées"(mijaurées !) passant le plus inutile de leur temps à se pimplocher (se farder).
L'auteur de ces pittoresques aventures fleurant un humanisme vigoureux trempé dans la petite et la grande Histoire, Robert Merle, fut aussi un gentilhomme de la vie. Mais, s'il sortit son épée, ce fut pour défendre le goût des siècles ignorés et la saveur d'une langue: le français du XVIIe !
Parler incisif et voluptueux, étourdissant, croulant d'images; charriant les étincelles de mots colorés, tendres, exubérants, entêtants à l'instar d'une musique charmeuse, et précis comme le bout d'une plume traçant de virevoltants jambages sur une lettre d'amour.
Il s'en explique avec sa verve aimable dés son premier volume:
"Ce fut une entreprise longue, difficile et passionnante que de créer une langue archaïque qui parût être celle du temps, de lui donner, au surplus, un timbre personnel et de soutenir cette gageure au long de trois mille pages."
Ces efforts de soldat romain en valaient la peine ! Les nobles actions des deux beaux cavaliers Siorac, père et fils, rehaussés de cette verdeur d'un avril de la langue française captivent, enivrent et ragaillardissent même les esprits en proie aux mornes humeurs et aux tristes ennuis de l'an 2016.
Angoisses, agacements, soucis multiples, tout ce fatras épais s'évapore dés que les vastes embrouillaminis politiques de 1635 frappent à la porte: l'écrivain fait des palpitations du temps la respiration de chacun de ses lecteurs.
C'est la profonde puissance, la magie du roman historique façonné de sang, d'espoir et d'amour !
Les abondants tumultes des années du règne de Louis XIII précédant la naissance du futur Roi-Soleil
retentissent encore à grands fracas. Menaces du siège de Paris par l'armée espagnole, complots du frère du roi , Gaston d'Orléans, titré "traître de service", sotte tentative d'assassinat du Cardinal de Richelieu menée par la main malhabile et le cerveau insignifiant du splendide éphèbe Cinq-Mars, fringant favori du roi... On n'en finit plus !
Mais, qui se souvient qu'avant de combler la France d'un dauphin, en 1638,la belle reine Anne d'Autriche, immortalisée (et même déifiée) par son plus fringant amoureux, Alexandre Dumas dans "Les  Trois Mousquetaires ", avait frôlé la disgrâce, l'exil, en un mot: la chute absolue ?
Heureusement, Pierre duc d'Orbieu adore rafraîchir les mémoires, surtout celles d'un aréopage de gracieuses amies qui lui prêtent la plus attentive des oreilles.
En particulier, la sublime princesse de Guéméné qu'en homme galant, notre cavalier console, à heures perdues, de la perte  d'un époux dont l'absence éternelle ne lui laisse qu'une poignée de regrets. Cette créature de feu a beau atteindre un âge très risqué à cette cruelle époque où l'on vous croyait  un pied au bord de la tombe à l'orée de vos trente ou quarante printemps, elle éclate de jeunesse, et met une extrême ardeur à l'amoureux ouvrage...
Son secret n'a rien de diabolique:
"Elle avait passé trente ans, cela est sûr, et se peut bien davantage, mais il n'y paraissait pas, tant à la différence de nos hautes dames, paresseuses comme chattes sur leurs couches damassées, Madame de Guéméné prenait soin de sa guenille, comme disent nos dévots, lesquels du reste ne sauteraient pas un seul repas pour rejoindre plus vite leurs créateurs.
En ce siècle de goinfres, Madame de Guéméné mangeait peu, ne croquait jamais de sucreries, buvait plus d'eau de source que de vin, et se donnait beaucoup de mouvement."
Cette princesse préfigure les femmes modernes ! Elle n'a peur de rien, se jette dans l'eau froide de son étang et galope chaque jour sur ses terres, ô scandale, sans se jucher sur sa monture à l'élégante manière d'une amazone...
Mais, ce qui la rend exceptionnelle, à la vive exaspération de Catherine, l'ancienne maîtresse du duc d'Orbieu dûment épousée sur ordre du roi, c'est son bel esprit !
Affûtée et perspicace, la sulfureuse princesse de Guéméné devine sans peine les ahurissantes intrigues de la cour. Ainsi celle de la trahison de la reine en 1637 ! La reine ! Oui, hélas, Anne d'Autriche délaissée, méprisée, reléguée au fin fond du Louvre à l'instar d'une porcelaine usagée, venait de se rendre coupable de, oh, d'une petite chose, juste d'une petite lettre... Bien pire qu'un
billet à un amant, une lettre à un ambassadeur !
Un mot très simple, très naïf s'ingéniant à n'évoquer que certains renseignements des plus secrets aux ennemis espagnols et adressé à leur ancien ambassadeur à Paris, le marquis de Mirabel, ministre de l'Infant d'Espagne et homme de confiance du roi Philippe IV. L'affaire racontée de la jolie bouche de la princesse de Guéméné transporte le beau duc d'Orbieu au point de l'amener à dépasser "le seuil lumineux de l'amitié" .
C'est que cet épisode politique tourna vite à la comédie un tantinet érotique.
De quoi induire en tentation l'impatient Siorac, toujours prompt à enlever une citadelle féminine dont fort souvent on lui offre aimablement les clefs...
Voici la teneur de cette affaire annoncée dans les gloussements des "pimprenaux de cour" comme celle de la  "lettre aux tétins": l' imprudente reine, tête légère ne mesurant guère les dangereuses conséquences de sa missive, finalement assez imprécise, la confia à son valet, La Porte, serviteur loyal, qui se fit prendre en un clin d’œil.
L'homme garda le silence, dévouement louable mais inutile, le cardinal ayant tout compris. Toutefois, il fallait bien interroger la reine, lui jeter à la figure son évidente trahison, la faire trembler d'effroi, et réduire à néant son irréprochable complice: la mère supérieure du couvent du Val-de-Grâce.
Anne d'Autriche avait soulevé la suspicion de Richelieu, sans cesse à guetter ses allées et venues, en conversant de façon exagérée, sous l'inoffensif et pratique prétexte de dévotions indispensables, avec cette mère jouant un jeu bien trouble pour une servante du Seigneur:
"le cardinal se douta bien qu'il ne s'agissait pas de clabauderies d'oiselles pipiotant dans les ramures".
Richelieu exige ainsi du ministre le plus intègre, le plus froid, le plus austère que la France ait jamais engendrée, le chancelier Séguier, qu'il tire de la reine de complets aveux. La cour est au comble de l'impatience: le chancelier osera-t-il  ? Obéissant aveuglément au cardinal, le chancelier, empêtré, se borne à énoncer les faits: il détient une lettre de la reine contenant quelques informations sur les armées du royaume.
La reine nie avec véhémence, et d'un geste preste, attrape la lettre embarrassante et la glisse à l'abri de son corsage!
Plantant son beau regard gris-vert dans les yeux exorbités d'horreur du digne chancelier, la voilà qui le met au défi ! S'il veut cette pièce à conviction, eh bien, qu'il la prenne ! Le chancelier ne balance pas une seconde; entre l'indélicatesse de fourrager sous les seins opulents d'Anne d'Autriche et la terrible obligation d'affronter l'ire du cardinal, le choix  s'impose: "le chancelier, alors, s'avança hardiment vers la reine, et immobilisant son bras gauche, plongea la main dans son décolleté.
A vrai dire, il tâtonnait pas mal, n'étant pas coutumier de cet exercice."
On imagine les dames de la reine en train de s'étrangler de rire, le chancelier rouge comme la crête d'un coq, la reine feignant d'être offusquée, mais la mine réjouie, en dépit de la gravité de sa situation, la main levée afin de fustiger l'impudent d'un bon soufflet... Enfin, la crise diplomatique atteint son apogée. Ne tolérant plus la maladresse du chancelier, Anne d'Autriche sort la lettre de son tiède refuge, tant pis, à Dieu va ! le piteux chancelier s'enfuit, honteux d'avoir touché de prés "les tétins de la reine de France !".
Bon prince, le cardinal se donne le luxe infinie de pardonner son erreur "gravissime" à cette femme-enfant qui se confesse de grand cœur. La raison de cette étrange mansuétude est toute politique: la reine et le roi vont dorénavant être annoncés comme le couple le plus uni du monde. Il est urgent d'éliminer l'infatigable Gaston d'Orléans qui, faute d'héritier de Louis XIII, se voit déjà ceindre le couronne. La reine écrit donc une supplique au roi, ce dernier pardonne ses égarements, un peu à contre-cœur, mais le moyen d'agir autrement ?
D'ailleurs, tout est de la faute des espagnols:
"nos ennemis, explique haut et clair Richelieu devant les envoyés de Venise (diplomates excessivement doués afin de répandre vrais et faux bruits dans toute l'Europe) se servent de certains moyens dont j'ai répugnance à parler. Ils recourent à des religieuses pour pousser la reine à la faute (la reine, en vérité, n'avait besoin que d'elle-même pour ce résultat !)"
Le cardinal prouve ensuite qu'il mérite le titre de roi des diplomates passés, présents et futurs en affirmant sans l'ombre d'une hésitation: "La reine est une bonne personne, pleine de mérites, elle n'a pas fait de fautes, sinon, parce qu'étant femme, elle s'est laissé conduire par affection et par les sentiments qu'elle a pour sa maison."
La trahison d'Anne d'Autriche se métamorphose en une ode à l'esprit de famille ! Personne ne se laisse abuser, qu'importe, l'honneur de la reine est sauf, et la route vers la réconciliation du couple en duel grande ouverte... Le ciel dans sa bonté intervient avec célérité et bonne humeur. Voilà qu'au soir du 5 décembre 1637, le roi eût le caprice d'aller séjourner à Saint-Maur, juste après s'être offert un aparté exquisement mélancolique avec sa dame de cœur, Mademoiselle de La Fayette, évanescente créature qui, incapable de songer à un lien torride, horrifiée à l'idée d' une passion charnelle sauvage et irrépressible, avait préféré mettre entre sa délicate personne et son royal amoureux l'éternelle grille d'un couvent parisien.
Moqueuse, la Providence veillant sur la "Fortune de France" mit à profit ce sentiment éthéré unissant Louis XIII à son amour impossible afin d'expédier le roi tout droit dans le lit de la reine. Un orage épouvantable éclate ! Tonnerre, éclairs, grêle, foudre, trombes, le ciel se fond en eau, le roi court au Louvre, malédiction !
Son mobilier, ses vêtements, ses domestiques, sa nourriture, tout cet attirail indispensable a sagement obéi aux ordres prodigués tôt matin, tout est à Saint-Maur !
Trempé, affamé, perdu entre ses murs vides, gelé, le monarque se réfugie dans le seul appartement chauffé et confortable qui puisse convenir à sa royale déconfiture: celui de la reine !
Que va-t-il se passer ? La reine le voudra-t-elle ? Et bien, oui et davantage: le duc d'Orbieu, un brin égrillard, s'amuse à raconter ce secret d'alcôve obtenu grâce à une de ses anciennes servantes.
Louis XIII est déshabillé, essuyé, douillettement enveloppé de la propre robe de chambre de son épouse hilare, puis, enivré de vins capiteux et... la suite ne tarde guère; Angélique, la jolie servante tire les courtines et, chuchote-t-elle: "l'huis reclos je les entendais rire encore."
Louis XVI aurait ainsi été créé dans un éclat de rire !
La reine s'est libérée d'exquise manière de sa dette envers le cardinal... En janvier 1638, notre cavalier ducal apprend, en même temps que la France des villes et des campagnes, qu'un dauphin
fera bientôt sa brillante apparition: le peuple tombe en prières, Pierre de Siorac  a besoin d'un réconfort d'un autre genre.
Madame de Guéméné toujours et encore ! Son affection paisible envers l'adorable Catherine, son épouse tant dévouée, mère exemplaire et incarnation élégante des vertus du foyer, Monsieur le duc d'Orbieu brûle pour cette sirène en pleine maturité.
La sécurité du royaume semble assuré, les espagnols reculent, l'influence du cardinal atteint son apogée, le roi est aimé de ses sujets et en aime un à l'excès: Cinq-Mars, "le plus insufférable coquelet de la Création". Qu'importe cet attachement pour le moins étrange, la reine va sauver la dynastie; au repos, le guerrier d'Orbieu  court se consacrer à ses amours.
Or, le voilà qui se heurte à son rival et frère d'armes, le comte de Sault, un homme de fer,
un Apollon doublé du dieu Mars; cette armoire à glace écrase une larme. Spectacle absurde, indigne d'un pareil gentilhomme. Furieux, anéanti, humilié, le comte essaie de lutter contre une naturelle amertume:
"Babillebahou, dit-il. Cher duc, elle (la princesse bien sûr!) est tout à fait raffolée de vous et j'enrage!
A peu que je ne vous appelle sur le pré pour en découdre!"
Menace qui n'intimide certes pas notre bretteur de Siorac, à l'instar des gascons de sa noble race, il sait manier sa rapière dans les règles de l'art, sans oublier la fameuse "botte de famille" !
Par contre, les deux prétendants à la couche de Madame de Guéméné risquent d'avoir la tête tranchée net si on les prend en train de tirer l'épée... Le comte de Sault, se souvenant de leur ancienne complicité militaire, s'efface, la mort dans l'âme; et, notre Siorac s'en va à son rendez-vous galant.
Madame la princesse de Guéméné aurait bien à le maudire: n'est-il pas homme à bonnes fortunes ?
Marié, passe encore, mais reçu de lit en lit, de province en province, par des hôtesses généreuses,
cela met en doute les déclarations passionnées...
Tant pis, l'amour a frappé, on s'accommodera des faiblesses de l'amoureux auquel on demande d'ôter ses bottes et son pourpoint, une fantaisie de grande dame... Puis, la situation se noie dans une agréable confusion: " M'ami, dit la belle princesse, courez fermer le verrou, et mettez de l'ordre dans votre vêture. Je n'aime pas les hommes à demi habillés ou à demi nus."
Que comprendre ? Un cavalier sachant saisir son avantage, le duc choisit ce qui convient le mieux...
"Monsieur ! A l'instant où vous entrâtes dans mes draps, sachez que je me suis dessaisie de mon commandement."
Laissons ce répit à notre beau Pierre de Siorac le deuxième, les épreuves se déchaîneront assez vite, la "Fortune de France " reste fragile, autant que la santé défaillante à la fois du roi et du cardinal...
N'hésitez pas à partir au grand galop, sous l'égide de Robert Merle, vers ce royaume infini, prophétique et vibrant qui se nomme l'Histoire  .
Une contrée qui ne vous décevra jamais ...

A bientôt,

Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse






Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire