lundi 20 juin 2016

Maurice Druon et les légendes amoureuses de Zeus adolescent

Zeus, dieu des rois, roi des dieux, Zeus lançant la foudre sur nos sottes actions mortelles.
Zeus terrible, Zeus prudent, Zeus entouré d'aigles sur sa montagne de l'Olympe; et Zeus amoureux de chaque mortelle ou déesse évoluant sur les grèves antiques.
Un dieu multiple que nous croyons connaître. Quelle vanité bien humaine !
Qui a deviné les secrets des orages ? Qui a entendu la voix de Zeus ?
Un mortel  ! un écrivain français !
Oui, "les mémoires de Zeus" existent: Maurice Druon a reçu la très singulière mission de nous en chuchoter d'ineffables bribes...
Un peu avant, le temps compte-t-il quand on s'interroge sur la venue au monde d'un dieu, au deuxième siècle de notre ère, Apollodore, un historien appliqué, raconta, dans son ouvrage "La Bibliothèque", à la manière d'un conte héroïque, les difficiles débuts du futur roi des dieux.
Grand maître de l'Olympe, de notre planète bleue et d'une appréciable partie de ce fol univers...
Mêlées au souffle de nos jours et à nos intuitions ailées, les paroles du dieu combattant et sage, qui enfanta Athéna et guida Périclès, descendent comme des cascades le flanc de nos montagnes d'ignorance et de préjugés.
De ses hauteurs Olympiennes, Zeus écoute, s'attriste, et parfois se rappelle à nos songes.
Ainsi en-est-il de sa carrière amoureuse qui berce d'une averse suave les déserts infligés par le destin.
Qui se souvient de son premier amour ? Qui en mesure l'importance infinie ?
Les amours adolescentes en sont nées et en naîtront jusqu'à la disparition de toute humanité.
 Si, caché sous nos apparences d'adultes sérieux, bat soudain à perdre la vie un cœur juvénile, baigné  par une invisible fontaine de Jouvence, c'est peut-être en hommage à la nymphe la plus discrète et la moins connue de l'Histoire des mythes grecs.
Mais d'où vient-elle cette créature adorable ?
De la Crète tout simplement ! La Crète berceau naturel de Zeus, pitoyable nourrisson céleste pourchassé par un père, le dieu Chronos, dévoreur de ses propres enfants. Dans l'univers de la mythologie grecque, les querelles des divines familles dépassent de cent mille étoiles nos malentendus mortels.
 Pourquoi un puissant roi comme Chronos s'était-il donné le devoir absurde et d'une cruauté inégalée d'avaler ses enfants à peine sortis du ventre de leur mère, sa propre sœur, la déesse Rhéia ?
 Par prudence !
Chronos tremblait en pensant jour et nuit à l'obscure prophétie décochée ainsi qu'une flèche empoisonnée par son père Ouranos, le dieu des immensités sidérales.
Ouranos, le ciel suprême, créateur  des Atlantes, inventeur d'une créature étrange qui deviendra avec beaucoup d'efforts l'homme, avait la passion de fabriquer, d'accomplir, de lever de la glaise, du marbre, des eaux, une myriade d'êtres vivants.
Dans son élan incoercible, il peupla la terre de ses enfants, 45 en tout, issu de son union avec Gaïa la Terre, déesse ombrageuse et irascible.
Hélas, au contraire des parfaits Atlantes évoluant en leur île parfumée, les fils d'Ouranos furent aussi bizarres que sottement ambitieux. Surtout les 6 Titans; l'aîné, le vieil Océan nous est bien connu.
Le plus jeune, Chronos, allait vite se révéler une tête brûlée capable d'un crime abominable.
Ouranos emporté par son zèle immodéré exigea de sa nombreuse progéniture, les fameux Cyclopes,
et une flopée de monstres (certains doués de 50 têtes !) ou de nymphes et de déesses plus agréables d'aspect, de l'aider à bâtir le monde.
Mais lui seul se réserva le secret de la création:
"Il possédait le Nombre de la vie organique. Il fit les espèces. J'ai dit: le Nombre de la vie, et voici, chers mortels, que déjà vous rêvez. Il y a si longtemps que vous cherchez à savoir !"
Zeus se moque un peu de cette avidité typiquement humaine que son frère Prométhée a su combler au prix d'un douloureux châtiment...
Eh bien, le nombre est voué à nous échapper, qu'importe notre certitude orgueilleuse d'hommes de 2017:
"Le Nombre, nous murmure l'ironique Zeus, est verbe sans être parole; il est onde et lumière, mais personne ne le voit; il est rythme et musique, mais nul ne l'entend. Ses variations sont illimitées, et pourtant il est immuable. Chaque forme de vie est une particulière émotion du nombre."
Et le roi des dieux de conclure, aimable et amusé:
"Allez, mes fils, il vous faudra rêver quelque temps..."
Sans doute jusqu'à la fin du monde.
Ouranos en se consacrant au bonheur de ses Atlantes, à l'invention pure et simple, et à l'instauration
de l'harmonie universelle, eut la légèreté de négliger son épouse Gaïa. Cette déesse emportée décida que la vengeance ne tarderait pas !
Elle osa prêcher la révolte aux Titans enfermés, à part le mesuré Océan, dans les roches ténébreuses; pénitence imposé après qu'ils se soient essayés à massacrer son Age d'or, époque dont le souvenir scintille encore sous les braises des civilisations disparues.
Chronos quitta les profondeurs et partit  en chasse d'Ouranos.
Une fois son père devant lui, le fils criminel le châtra d'un coup de faucille.
Ouranos perdant son sang engendra les Erinyes, déesses furibondes, le dieu Pan, son compagnon Silène, les Faunes, divinités sauvages et viriles. Amère consolation pour le créateur mutilé: de son écume naquit la déesse de l'amour et de la beauté, Aphrodite à la peau nacrée.
Un autre amour de Zeus... ("Et la mer et l'amour ont l'amer pour partage..." disait Jean de Sponde, un poète qui en savait long sur le sujet.)
Ouranos, avant de se réfugier à l'abri des cieux intangibles, annonça au barbare Chronos qu'il subirait à son tour défaite et déchéance de la part d'un de ses fils.
Chronos crut qu'il lui serait facile d'éliminer au profond de son estomac les nombreux petits dieux qu'il avait engendrés.
C'était sans compter avec la ruse de leur mère ! Cette malheureuse, endolorie par ses deuils, eut, enfin, la présence d'esprit de présenter une pierre vêtue de blanc au père exigeant sa ration de chair fraîche.
Zeus était sauvé !
La Crète salue toujours avec la même ferveur son heureuse enfance dans la caverne où il ouvrit les yeux, une grotte tapissée de plantes odorantes enfouie au sein du mont Dictè (ou Ida).
Sa mère lui avait donné forme humaine, le meilleur des camouflages selon cette déesse, et, nous explique Apollodore:
"elle le donna à élever aux Courètes; en armes, ils gardaient le nourrisson dans la grotte et frappaient leurs lances contre leurs boucliers pour que Chronos n'entende pas la voix de l'enfant."
Qui sont ces vaillants serviteurs ?
De très dévoués forgerons dont le vacarme agaçaient les rivages de la Méditerranée. Ces bruyants jeunes démons étaient de bonne lignée: leur père, le roi Melisseus, un très sympathique roi pasteur régnait sur  l'île de Crète. C'était un monarque humble et souriant qui envoyaient paître ses chèvres, ses moutons et ses bœufs sur les verts pâturages des montagnes.
Une de ses allègres et diligents filles, la gracieuse princesse Amalthée, bergère courant les prairies en compagnie de sa chèvre favorite que l'on appelait par jeu du nom de sa maîtresse, émue par ce nouveau-né abandonné à un sort brumeux, accepta de veiller sur lui.
La déesse Rhéia, soulagée et reconnaissante, laissa toute la rustique famille royale Crétoise  se charger de son fils.
Amalthée, assez désorientée par ses devoirs de mère adoptive d'un dieu fort affamé, confia à sa chèvre, la seconde Amalthée, le soin de nourrir de son lait l'insatiable enfant. Vint à son aide sa sœur, la princesse Mélissa, "la nymphe aux abeilles ". Zeus grandit entre le lait, le miel, les rires et vagabondages joyeux sur les pentes fleuries; et la douceur d'une tendre jeune fille à l'inaltérable jeunesse.
Dans son sublime "dictionnaire amoureux de la Grèce", Jacques Lacarrière se souvient des sanctuaires qui furent édifiés à Zeus au sommet des montagnes reculées de la Crète. Là où, dit-il avec sa verve brassant l'esprit des lieux, et son intuition de poète renouant avec les vibrations à la fois humaines et divines:
"Les saisons rythment la vie des hommes, leurs amours, leurs jeux et leurs combats.Tout est présent, tout est vivant, actif dans le monde naturel, tout y est sensible et tous ses constituants, arbres, animaux et hommes, y vivent en une intime communion. Il n'est pas jusqu'aux morts qui ne participent à cette osmose en continuant de vivre."
Mais, dans le chaos meurtrissant un univers livré aux folies de Chronos, cette harmonie n'avait pas encore cours.
Repliée sur sa paix et cachée par ses nuages d'altitude, épargnée par les flots du déluge soulevés par un dieu brutal, regardant de haut l'Atlantide s'effondrer en enlevant à jamais le Nombre d'Or (heureusement, quelques rescapés en éparpillèrent les secrets entre l'Egypte des Pharaons légendaires, le palais du roi Minos, et la Grèce de Périclès) la Crète découvre, au gré des printemps, le petit dieu métamorphosé en un bel adolescent.
Zeus a figure humaine et quelle belle figure !
 Robuste en raison de son essence divine, sans le vouloir , le voici arrachant une des cornes de la brave chèvre qu'il s'amusait à bousculer. Sera-t-il grondé par la princesse et bergère Amalthée ?  Bien au contraire !
Tout sourire, radieuse en remerciant de ce curieux présent, la ravissante nymphe le contemple, émerveillée...
Zeus vient de lui offrir un don prodigieux: la corne d'abondance !
Cette fameuse corne qui se remplit selon vos désirs, d'amour, de gloire, et de bonheurs imprévus,
si vous en êtes digne, vous la trouverez, elle n'est pas si loin.  Peut-être sous vos yeux, promet
Zeus en empruntant la voix complice de Maurice Druon:
" La corne d'abondance, dont vous rêvez, est toujours aux mains d'Amalthée. Il suffit que la nymphe la retourne et l'agite pour qu'il s'en échappe tous les fruits du bonheur. Mais Amalthée ne les dispense qu'à ceux qu'elle reconnaît mes fils par quelque cadeau spontané qu'ils lui font, sans esprit de retour, d'échange, ni même d'usage."
L'amour balbutiant, pudique, l'amour en fuite de peur d'être rattrapé;
l'amour rougissant et désordonné, le premier amour, voilà ce que la nymphe Amalthée donna au futur roi des dieux.
Ce fut aussi un amour sacrifié car en s'y livrant la montagnarde Amalthée aurait obligé Zeus à rester un mortel perdant définitivement ses pouvoirs divins. Toute l'histoire du monde antique en aurait été changé ! La nymphe sut, à son vif regret demeurer sage.
 Renoncer, cela semble le comble de l'amour ... Au moins dans ce cas ! Obéissant aux lois fixées par les destins, Amalthée prépara même le bouclier du jeune dieu: l'Egide.
Ce mot mystérieux sonne comme un proverbe depuis trente siècles. L'Egide est le bouclier merveilleux qui rend invincible celui, mortel ou immortel qui a l'honneur de le brandir face aux menaces, guerres et traîtrises.
L'Egide, ce guide et protecteur mythique, fut l'ultime présent de la bonne chèvre qui calma de son lait le nourrisson divin. La brave créature mourut à un âge inouï, elle fut abondamment pleurée, puis la nymphe trouva le courage de transformer la peau de son animal adoré en bouclier.
Armé de l'Egide, Zeus était prêt à conquérir l'univers ! Et, pour commencer, à délivrer ses frères et sœurs prisonniers du ventre de leur indigne père.
Cette noble mission ne pouvait s'accomplir sans aide. Le superbe dieu éclatant de son insolente santé adolescente s'en alla chercher suggestions, et alliances nouvelles auprès d'un aréopage de solides déesses.
D'abord Métis ou Prudence, première amante divine qui prodigua de précieux conseils, une fort utile leçon d'amour à cet amant naïf, et, pour finir, une drogue assez puissante à faire avaler le plus vite possible à son père indigne Chronos.
Ensuite, Thémis ou la Loi, et surtout Mémoire dans sa vallée invisible, toutes beautés mûres, empressées à éduquer leur enthousiaste et fringant neveu.
Cette fois, aucune n'eut envie de renoncer aux joies de l'amour !
Dans un ample soupir de volupté, la carrière de séducteur du futur roi débuta sous l'éblouissant ciel de la Grèce...
De la plantureuse Métis ou Prudence, Zeus eut une fille que l'on crût longtemps sortie de la tête de son jeune père: Athéna ! D'une tante rêveuse, gardienne ennuyée des sources du Léthé, Mémoire aux yeux bleus, naquirent les 9 muses gouvernant nos passions:
Calliope à la voix puissante, muse de l'épopée, Clio, muse de l'Histoire"indolente dans sa jeunesse" déplore Zeus, Polhymnie, muse des chants sacrés, Euterpe, la joueuse de flûte, celle qui sait faire couler sur nos pâles visages les larmes tapies au fond des coeurs, muse de la Musique;
Terpsichore, la fantasque, la virevoltante, muse de la danse, Erato, la muse chantant bonheur et mélancolie, langueur et désir, muse du lyrisme et de l'élégie; enfin, Melpomène, muse de la tragédie, inquiète et vibrante face aux paradoxes des fatalités, puis son opposée, Thalie, vive, ironique, muse de la comédie et de la dérision de soi !
Encore une autre, plus sérieuse, Uranie, celle de la dernière nuit unissant le futur roi à sa tante languide et déjà attristée, Uranie, muse de l'astronomie  et des mathématiques, celle qui ouvre les routes du cosmos et enseigne la musique des nombres.
Zeus, épuisé, mais content d'avoir doté le monde de cette vaste famille de filles pétillantes, se reposa de sa nouvelle paternité sous la blonde chevelure d'une sirène qui enfanta 3 gamines presque parfaites et très faciles à vivre. Ce furent les "Trois Grâces", charmantes et immobiles; et  riches d'une intelligence de bouquet de fleurs.
Ensuite, les  violentes et folles amours s'apaisèrent.
 "Nos premières maîtresses ont sur nous empreinte profonde, résume noblement Zeus à l'oreille attentive de Maurice Druon, ensuite, c'est nous qui marquons les autres.
Le mélange tout à la fois d'attrait et de réserve que l'extrême réserve toujours m'inspira me vient d'Amalthée, et si l'on m'appelle le prudent Zeus, en dépit de tant d'apparentes légèretés, c'est à Métis que je le dois."
Vint le temps des grandioses combats célestes: celui des  tumultes ébranlant la terre du fond de ses entrailles; enfin l'exil de Chronos et la victoire du roi élu par ses frères et sœurs libérés.
Et encore des amours !
Mais ceci est une autre histoire que l'été me permettra de vous conter...

A bientôt !

Lady Alix