samedi 30 juillet 2016

Contes du vieux château : En balade avec Socrate !



Socrate ! Ciel ! ce nom éclate en fanfare du fond de nos souvenirs de Lycée ou d'Université ! Dissertations, ennui mortel, ou, au contraire, révélation de la pensée, éclair de liberté, lumière de l'amour et enthousiasme de l'inspiration.
Langage limpide, vivacité infinie d'un esprit au franc-parler énergique et clairvoyant.
Socrate si proche: sa certitude de l'immortalité des âmes quand l'effleure l'aile de la mort nous rassure et nous guide encore, toujours. Savoir vivre, c'est savoir regarder la mort en face avec confiance: "la mort est un commencement". Socrate l'immortel raconté par ses disciples, Platon et Xénophon ne cesse de nous ramener à lui: il suffit d'un hasard ou d'un doute...
Socrate, homme seul, portant l'étendard de la pure philosophie, penseur dénué d'arrogance, naturellement humain, solitaire mais profondément aimé.
Or, ce cher Socrate, inventeur d'une nouvelle discipline, "l'accouchement de la vérité", ce sage, ce cerveau agile, n'en était pas moins un homme simple et bon; proche des petites et précieuses joies de la vie.
Un "reportage" pris à chaud par Platon, sous les ardeurs de la canicule, nous a laissé le ton d'une bavarde promenade, vers 400 avant Jésus-Christ,dans les jardins d'Athènes.
Deux vieux amis, l'un nettement plus jeune, Phèdre, un bel éphèbe au regard sombre et à la mine orageuse, l'autre d'âge respectable, Socrate, austère, impavide, invariablement pieds-nus sur les cailloux brûlants du sentier escarpé, parlent pour ne rien dire et ne s'écoutent même pas ! Il fait trop chaud pour philosopher ! Le splendide "kouros", cherche un coin propice au repos et n'en finit pas d'agacer son maître. La voix grave et autoritaire de Socrate croise celle bien timbrée, sympathique, persuasive de l'élève. Un brin d'insolence pimente l'habituelle conversation !
La dialectique n'apaise pas l'incoercible désir de rêver sous des ramures épaisses. C'est une scène de théâtre qui se joue !
Mais pas seulement; cette tranquille promenade illustre un sincère retour à la nature. Socrate serait-il l'ancêtre inconnu du genevois Rousseau ?
Un nuage de fraîche poésie dérive lentement sur les deux aimables vagabonds...
Comme Athènes était belle dans la lumière immobile d'une fin de journée de début d'été torride !
Encerclée de vergers bienfaisants, de prairies, de bosquets d'oliviers sacrés, la plus fameuse ville du monde ancien, éclatait de jeunesse: l'Académie de Platon était le ferment des étudiants curieux et passionnés. Autour de cette école extraordinaire, écrivains et penseurs, architectes et artistes enlevaient l'éblouissante réputation d'Athènes, flambeau de civilisation, bien au delà des mers.
Socrate au masque simiesque et Phèdre à la beauté  classique des marbres du Parthénon, se sont bien éloignés du domaine de Platon. D'un pas nonchalant, les voici escaladant les pentes couvertes de plantes robustes et de fleurs sauvages, en direction d'un charmant ruisseau, l'Illyssos, affluent capricieux du Céphise, la rivière bordant Athènes.
En face, s'étend le mont Hymette, que l'on imagine bruissant du bourdonnement enthousiaste et fiévreux de ses abeilles tourbillonnantes. Sur l'horizon palpitant de brume bleue, les carrières de marbre immaculé du mont Pentélique étalent leur blanc vertige.
Les sauvages roches du mont Parnès barrent les lointains comme une citadelle habitée par les dieux.
Socrate a réussi à monter vaillamment sur le sentier contournant l'Acropole; soudain, le digne sage perd patience !Aucune " ironie ", cette fausse naïveté qu'il a l'art de manier comme un fouet; pas de questions oiseuses destinées à provoquer l'autre afin d'extirper le meilleur ou l'obscur de chaque esprit rencontré par le pur hasard.
Cette fois, la parole est légèrement angoissée: où donc Phèdre veut-il aller par Zeus ? Ils vont mourir de soif ! il faut que ce jeune fou écoute son maître au lieu de courir au hasard.
"Mais viens, montre-moi le chemin !"
Phèdre se contente de sourire à ce pauvre Socrate au teint rouge cramoisi. Se croirait-il perdu, lui qui connaît tout de la vérité ? Socrate lit dans les pensées de l'éphèbe dont la canicule n'altère pas la prestance, et, affectant de gouverner, n'est-il pas le plus âgé, le voilà qui précise:
"Tournons de ce côté, en suivant l'Illyssos; puis, nous nous assoirons à l'ombre, où il nous plaira "
L'ombre est rare en cette heure encore suffocante. Pourtant, assez loin, au dessous du belvédère champêtre abritant les deux amis, une immense avenue bouillonne à la fois de lumière, de chaleur, et de toute une houle de poussière agitée par la foule montant et descendant vers le Pirée.
Au contraire, sur le miroir immobile de la mer, d'une nuance de ciel et de pourpre surnaturelle, les navires, et leurs équipages de rameurs paresseux, semblent touchés d'une irrésistible envie de dormir à l'abri des voiles inutiles.
Socrate meurt d'envie de les imiter, mais peut-il l'avouer à cet encombrant et exubérant jeune disciple dont, aujourd'hui l'adulation le lasse un peu... Le voilà même, l'insolent qui se moque en riant de toutes ses dents blanches dans son visage hâlé:
"Cela se trouve bien, je crois, que je sois justement pieds-nus; toi, tu l'es toujours."
Et puis quoi encore, se demande Socrate, de plus en plus agacé ! Oui, c'est la quotidienne source de plaisanterie des Athéniens, cette façon rustique, grotesque, repoussante pour les délicats, qu'a le grand , l'illustre maître de déambuler en exhibant ses pieds noircis ou écorchés. Ses pittoresques haillons déclenchent eux aussi une intempestive hilarité ! Le sage sème la panique avec son grossier bâton qu'il s'évertue à faire rouler devant les malheureux obligés de répondre, toutes courses ou affaires cessantes, à ses impérieuses questions existentielles. Quel ennui de se révéler à soi-même au moment où on est le plus pressé  par des considérations pratiques ! Et quelle odeur se dégage de ce Philosophe qui ferait mieux d'aimer l'eau claire autant que la beauté de l'amour et le problème de la destinée des âmes !
Le charmant Phèdre est décidément magicien; cette eau claire lui trotte également dans la tête: il est temps de s'y baigner, Socrate joindra ainsi le devoir au plaisir:
"Il nous est plus facile de marcher le long de l'eau en nous trempant les pieds, et ce n'est pas désagréable, surtout à cette époque de l'année et à cette heure du jour."
Socrate saisit parfaitement l'intention cachée du gentil disciple. L'eau fraîche du ruisseau montagnard lavera le corps et l'esprit avant que ne s'engager une saine et pétillante conversation !
Mais, il tient à rester le maître et, d'un ton péremptoire ordonne:
"Avance donc et vois en même temps où nous pourrons nous asseoir."
Phèdre, pataugeant avec volupté dans le courant, observe la rive aux pelouses traversées d'une brise parfumée d'asphodèles. L'inspiration fond sur lui:
"Vois-tu ce platane au tronc majestueux ?" dit-il plein de respect envers cet arbre à la ramure démesurée; un monument naturel s'accordant avec ce Socrate pareil à un olivier vénérable, sculpté par les cicatrices de sa vie orageuse... Sa recherche de la vérité ne lui a-t-elle prodigué les pires soucis, les violents outrages des arrogants blessés dans leur petite vanité d'hommes doués de haute position ?
Socrate, en cet instant, donnerait tous les trésors de la pensée afin d'échapper au feu du soleil impitoyable !
"Bien sûr!" répond-t-il à ce disciple qui le prend pour un aveugle ou un vieillard sénile.
Et, le disciple, content de lui, heureux d'exister,  jouissant du moment volé à l'amer destin, vante sa trouvaille:
"Il y a là de l'ombre, une brise légère, et de l'herbe pour nous asseoir, ou, si nous le souhaitons, pour nous étendre."
Le soulagement du philosophe est palpable:
"Avance donc !"
Hélas, cet étourdi de Phèdre, rêve au beau milieu du ruisseau, et oublie de céder la place au vieux maître étouffant de chaleur. Adieu la philosophie ! le disciple fait de la poésie ! Un ardent sentiment pour quelque nymphe capricieuse aurait-il envahi son coeur ?
"Dis-moi, Socrate, ce n'est pas de cet endroit de l'Illissos qu'on dit que Borée (le vent du Nord à la séduisante apparence d'un dieu au regard clair) a enlevé Orithye (une adorable princesse des premiers temps d'Athènes) ?"
Socrate soupire en étouffant une plainte; il fait vraiment trop chaud, ce bavard n'en finira-t-il de jacasser ? Autant ne pas contrarier ses ingénues élucubrations:
 "On le dit en effet." grogne-t-il.
Phèdre se moque bien des humeurs de son vieux maître ! Sa fertile imagination lui présente la plus exquise des visions. Si un dieu a jugé l'endroit à son goût afin d'y faire une cour pressante à la princesse de l'Athènes légendaire, on peut trouver mieux encore:
"C'est donc d'ici même ? c'est sûr, l'eau y est agréable, pure, transparente et propice à des jeux de jeunes filles sur ses berges."
Ah ! si ces ravissantes filles d'Athènes pouvaient se matérialiser et offrir un spectacle gracieux à la discussion savante et réfléchie des deux philosophes aux champs !
Hélas ! la suite ne dit pas si Athéna, bonne fille, ou Zeus, incorrigible séducteur de mortelles attrayantes, ont eu la gentillesse de combler ce souhait légitime formulé de façon subtile par ce disciple si attendrissant... Très vite, Socrate dérive sur la destinée des âmes: fini la douceur de vivre, la philosophie est la pire des maîtresses !
L'ombre propice du platane prestigieux attise la verve du sage: inspiré par les hautes branches, le philosophe se lance à l'assaut des idées les plus élevées.
Voici la leçon expliquée à cet aimable Phèdre en cette fin d'un beau jour:
l'âme est un attelage ailé que mène un cocher, l'Intelligence; les deux coursiers sont la Volonté et la Concupiscence. Attention ! Le pauvre cocher n'est pas infaillible ! Il a du mal à diriger l'impétueux coursier Concupiscence ! Ce rebelle à toute autorité rue, se révolte, et précipite l'âme vers la réalité terrestre. C'est la catastrophe... L'âme quitte d'un coup le circuit divin qu'elle accomplissait dans le ciel. La voilà obligée de s'incarner dans un corps mais pas n'importe lequel.
L'âme subira un sort bien différent selon sa faculté dans son existence antérieure, à avoir su percevoir la vérité et la beauté, l'Idée du Bien.
S'établit ainsi une hiérarchie des âmes ayant déniché un corps terrestre:
le philosophe a droit à la première place ! (on imagine l'aimable Phèdre esquissant un sourire amusé)
ensuite, vient un roi doué du sens de la justice (et certainement "éclairé" par le philosophe!), un homme politique (sommes-nous toujours d'accord avec ce rang élevé ?), puis l'athlète, passionné et vaillant, le devin en principe instruit des secrets de l'avenir, le poète (en assez mauvaise position ! Socrate se méfiait-il de ces artistes du beau langage évoluant dans un univers trop éthéré pour révérer sa saine manie de la discussion concrète ?), l'artisan (qui nous semble portant indispensable ), le sophiste malséant qui joue au lieu de s'adonner aux difficiles réflexions, et enfin, tout au bas de l'échelle, le méprisable tyran opprimant son peuple sous un joug injuste et un pouvoir immodéré.
Quoi qu'il en soit, conclut Socrate en observant le vol rapide des oiseaux entre les épaisses ramures de l'immense platane, l'âme s'envole aussi en quête de ses souvenirs antérieurs...
 Et, de corps en corps , elle retourne, apaisée, au séjour divin.
Phèdre, à moitié endormi approuve. Bonheur: voici un aréopage de jeunes amies s'éclaboussant dans le ruisseau ! la philosophie porte chance !
Et l'amour a des ailes...

A bientôt,

peut-être pour un "banquet " où l'on ne parle que d'amour...
L'amour, en dépit des fiascos momentanés, triomphe toujours !
Si Platon et Socrate l'affirment, comment ne pas y croire ?

Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse
Tête de Kouros Grec: un beau jeune homme pareil à l'aimable disciple Phèdre de Socrate



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire