samedi 16 juillet 2016

Contes du vieux château : Lysistrata ou la ravissante rebelle d'Athènes !

Les femmes aiment la paix, l'amour  et la vie.
Aux temps antiques, la déesse favorite des Athéniennes avait nom Irène, adorable créature gracieuse et souriante, laborieuse et tenace malgré l'extrême difficulté de son métier divin: ramener le calme au sein des tempêtes !
Zeus avait chargé les frêles épaules de cette tendre divinité d'un fardeau aussi harassant que périlleux. Voire parfaitement vain. Car, si, depuis la préhistoire, les femmes prient dans toutes les langues de la terre pour la Paix, les hommes se livrent d'incessants combats.
En l'an 411 avant notre ère, le conflit opposant Athènes symbole des arts, des Lettres, de la clair-voyance universelle, et Sparte, hautaine, austère, gouvernée par un ordre militaire se plaisant à défier le sens-même du mot civilisation, reprenait avec une cruelle vigueur. C'en était trop pour les mères, épouses, fiancées !
Les hommes persévéraient dans leur folie, eh bien, ils allaient voir un peu ce dont les femmes recluses dans les salles bourdonnantes des gynécées étaient capables !
 Un aimable inventeur de farces et comédies, fantaisies crépitantes d'esprit enragé et d'humour poussant l'irrévérence dans ses ultimes limites, Aristophane le "démon" d'Athènes, écouta avec délices les doléances féminines; et sut rendre immortelle l'action d'une très impertinente dame: "Lysistrata"!
Que décide-t-elle cette héroïne en tunique transparente et diadème de corail ou d'or tressé en feuilles d'oliviers ? Une grève ! Et pas n'importe laquelle: celle du lit conjugal ou amoureux !
 Rien que ça au pays de l'épouse respectable et de la tendre amante soumise ! La comédie virerait-elle à la tragédie ?
Oui, les Athéniennes veulent la Paix, mais encore plus, l'amour.
Si les hommes, maris, amants ou galants partent en guerre, que deviendront les malheureuses privées d'amour concret ou d'élans lyriques et passionnés (ou les deux à la fois, l'homme antique n'était pas nécessairement un goujat) ?
La femme Athénienne quitte ainsi son rôle insipide de compagne de l'ombre. Elle vole la vedette au citoyen fier de ses droits politiques et met l'accent sur les priorités de l'existence: un Etat est bien tenu dans un climat de paix
 Or, l'Etat, n'est-ce pas aussi facile à gouverner qu'une grande maison que l'on s'acharne à garder impeccable ? Les magnifiques maîtresses de maison que sont les Athéniennes n'ont peur de rien et surtout pas de la sacro-sainte Politique. Cette mystérieuse science dont les Athéniens se réservent la gloire et l'éclat...
Lysistrata entre dans l'action ! C'est un suave matin de printemps; le soleil inonde Athènes, au loin les voiles filent sur l'étendue violette d'une mer langoureuse, la brise apporte ses senteurs des jardins encore humides de la précieuse rosée de mai, de charmantes Athéniennes agitent tuniques safranées et linge neigeux dans l'eau bruissante des lavoirs. Sous ce tableau idyllique, la révolution est en marche ! Hommes Athéniens, prenez garde à vous !
Devant sa blanche maison au seuil lavé de frais, au porche encadré de citronniers et enguirlandé de jasmin voluptueux, la belle et plantureuse Lysistrata , les mains posées sur ses hanches rebondies, piaffe d'impatience.
Où sont les femmes ? Que font ces écervelées quand le destin des hommes grecs dépend du stratagème inventé par la plus rusée de toutes les mères, épouses, amantes et amoureuses de Grèce: Lysistrata. Tout de même, en voici une ! C'est la gentille voisine Cléonice qui essaie de rassurer son amie enlaidie par un flot de sentiments désordonnés: ces femmes, elles ont toujours un gamin à nourrir, ou une corvée à accomplir, mais, elles viendront en foule.
D'ailleurs, pourquoi ce rendez-vous ? Parce que, réplique la belle Lysistrata, il est temps de trouver un moyen pour que ne voit plus "de gens porter la lance les uns contre les autres ".
Cléonice ne comprend rien. Grâce à Zeus et Athéna, les premières invitées à cette mystérieuse réunion exclusivement féminine montrent enfin le bout de leurs tuniques. Voici la ravissante et pulpeuse Myrrhine, la beauté d'Athènes et la solide Lacédémonienne  Lampito. Vite, les remarques aimablement moqueuses fusent. Aristophane s'amuse en jouant sur les mots; ainsi aux compliments de Lysistrata sur le corps vigoureux de la Spartiate "Tu étranglerais un taureau ", l'autre, flattée, d'expliquer ingénument: "Ma foi, oui ! je m'exerce au gymnase et me donne du talon au derrière en sautant ". On entend d'ici les gloussements des Athéniennes adeptes de soins de beauté
particulièrement élaborés... Encore quelques sottises et allusions assez osées et on aborde le vif du sujet: la guerre. Lysistrata exacerbe les lamentations de ses compagnes: où sont les hommes ?
Que donneraient ces pauvres femmes afin de récupérer maris ou galants évaporés dans les combats ?
Aussitôt, les promesses les plus folles se font entendre ! la spartiate escaladerait ses montagnes
élevées, Myrrhine se couperait en deux !
 Lysistrata, ravie  de ces bonnes volontés, propose son plan. C'est tout simple, il faut cesser de faire l'amour et les hommes frustrés cesseront de faire la guerre.
Cette idée limpide secoue d'horreur l'auditoire. Quoi ! L'abstinence totale ? Oh, non, c'est trop affreux , c'est trop dur, c'est impossible ! Lysistrata bondit d'indignation devant cette lâche réaction; heureusement, une alliée imprévue lui vient en aide. La si peu féminine Lampito, rude et musclée comme un garçon, montre que son cœur est bien celui d'une femme sensible:
"Il est bien pénible pour des femmes de dormir sans homme, dit-elle avec cette charmante franchise de son peuple, mais oui, car nous de la paix aussi avons grand besoin".
L'éloquence de l'impertinente Lysistrata touche ses amies, du moins en apparence... Dans le doute, la lucide meneuse ordonne que l'on se lie par un serment... et quel serment ! le rouge devait inonder le front des lycéens d'autrefois quand ils tentaient de traduire les mots délicieusement précis de ce coquin d'Aristophane.
Les langues mortes s'animent souvent; il suffit de les éveiller et... d'écouter !
Sur le sage conseil de l'avisée Cléonice, les femmes s'apprêtent à jurer au dessus d'une coupe remplie de vin symbolisant un sacrifice. Maintenant, toutes étendent la main et, au nom de chacune, Cléonice, la voix tremblante, répète les paroles évocatrices de la belle Lysistrata:
"Aucun homme ici-bas, ou mari ou amant...
N'aura le droit d'avancer vers moi en pleine action..."
A ce passage, on se regarde avec stupeur !
Cléonice marque une hésitation: pruderie ou désaccord ? Lysistrata hausse le ton:
"Répète !"
Et la malheureuse Cléonice de s'exécuter:
"N'aura le droit vers moi d'avancer..." murmure-t-elle, puis, au comble du supplice, elle laisse échapper un lamentable: "Ah ! les genoux, hélas, se dérobent sous moi..."
Tant pis ! Lysistrata continue d'énumérer les conditions de son serment:
"Une femme sans homme au foyer je serai...
Vêtue de beaux atours et bellement parée...
Afin que mon époux soit grillé de désir...
On ne me verra pas de bon cœur obéir..."
La mort dans l'âme, toutes les adorables épouses, amantes ou amoureuses promettent par la bouche de Cléonice de faire mourir d'amour à petit feu les époux, amants ou amoureux.
Si cet ingénieux tourment suffisait, ce serait trop beau !
C'est le moment de réaliser un  brillant coup d'éclat:
sus à l'Acropole, maison de la déesse Athéna, maison de toutes les femmes, maison-mère de la citée. Une fois en sécurité entre ses remparts, il ferait beau voir que les hommes aient l'audace d'en déloger les femmes rebelles. Rien ne s'oppose à l'énergie de ces femmes de la méditerranée !
Une babillarde troupe de belles créatures grimpe sur la colline sacrée et se met en devoir de défendre bec et ongles la demeure d'Athéna. Les hommes envoient des soudards !
 Lysistrata clame son cri de guerre: "ô nos alliées, ô femmes, accourez de l'intérieur, marchandes au marché de graines, purée de légumes, débitantes d'ail, hôtelières, vendeuses de pain, tiraillez, frappez, assommez, invectivez, soyez sans pitié !"
L'épouvante gagne le rang des soldats et c'est le repli honteux ! Lysistrata déterminée jusqu'au fond de son âme vaillante annonce qu'elle prend les rênes de l'Etat au nom de toutes ses compagnes.
Scandale ! Indignation ! "Comment, demande l'ambassadeur des hommes, serez-vous capable d'apaiser tant de désordre dans notre pays et d'y mettre fin ?"
La réponse de la révoltée le laisse pantois. Lysistrata lui met sous le nez l'exemple le plus insolite que l'on puisse imaginer pour le meilleur des régimes politiques: la laine ! le fil ! Les fuseaux ! Le docte Commissaire-ambassadeur perd patience: "Quelle bêtise !"
Sans se fâcher Lysistrata lui donne une fine leçon basée sur son expérience d'intendante privée de sa grande maisonnée: "Nous dénouerons cette guerre, si on nous laisse faire, en démêlant l'écheveau au moyen d'ambassades envoyées de-ci de-là."
Bien mieux, la belle poursuit son judicieux raisonnement en prouvant l'intelligence et la finesse des femmes recluses et tenues à l'écart des affaires d'un pays qui leur cher. Ce plaidoyer envers la Paix se double d'un pamphlet pour la condition féminine. Aristophane nous devient infiniment sympathique !
Qu'explique la belle, l'éloquente, la sage et insolente Lysistrata ? Ceci:
"Il faudrait, comme on fait pour la laine brute lavée dans un bain, après avoir enlevé le suint de la cité
, sur un lit, à coups de triques, éliminer les méchants et trier les poils durs; ceux qui s'agglomèrent et font touffes pour arriver aux charges, ceux-là, les séparer à la cardeuse et arracher les têtes une à une; puis réunir dans une corbeille la bonne volonté commune et générale, en mêlant et les métèques
(l'étranger résident, ce terme n'avait rien de péjoratif) et à à l'étranger, ceux qui sont nos amis, et les débiteurs du trésor (les citoyens incapables de payer leurs dettes étaient privés de leurs droits civiques), les y mêler aussi."
Tout ce discours est magnifique, hélas, la fronde gronde du côté des femmes ! Amantes et amoureuses cherchent à s'échapper afin de rejoindre amants et amoureux... C'est une course qui s'engage afin de ramener les fugitives et de leur rappeler le fameux serment.
Lysistrata écume colère contre ces impudentes !
En voilà une qui prétend être obligée de redescendre chez elle car son accouchement s'annonce: or, hier, elle n'était pas enceinte !Tous les prétextes sont bons , surtout les plus mauvais... Lysisyrata est au bord de la crise de nerfs. mais, son caractère opiniâtre l'emporte sur sa fureur.
Une nouvelle idée lui vient en apercevant le beau Cinésias qui arrive en se tordant de douleur tant l'absence de son épouse, la ravissante et spirituelle Myrrhine, le tourmente à un certain endroit. Lysistrata permet absolument tout à l'épouse éplorée du guerrier "en proie aux transports d'Aphrodite". Toutes les douceurs, sauf une... Myrrhine a prêté serment ! Elle ne doit pas l'oublier.
Pauvre Cinésias  ! Il croit que sa tendre épouse sera vite dans ses bras et il ne récolte qu'un courant d'air... A chaque fois que le "repos" du guerrier semble acquis, Myrrhine s'évapore, soit pour une couverture, soit pour un oreiller, et après mille fausses excuses, elle l'abandonne, aussi irritante que son désir inassouvi.
L'effet comique de cette scène conjugale secoue encore de ses fous rires le spectateur ou le lecteur de 2016. Aristophane, béni de la divine Thalie, muse de la comédie, n'a perdu ni sa verve provocante ni l'agilité de son esprit trempé dans la fantaisie la plus libre. C'est le rire grec qui explose !
Maris, amants, galants finissent par demander grâce. le Coriphée exprime l'opinion de ces mâles si mal aimés: "il n'est point de bête plus indomptable qu'une femme, point de feu non plus; nulle panthère n'est à ce point effrontée. "Que faire ? que décider ? même les grands guerrier de Sparte sont ravagés par cette intolérable abstinence. La situation empire de minute en minute ! Une seule porte de sortie: la négociation ! vite, des ambassadeurs, vite car les hommes sont dans un bien triste état...
Lysistrata décide alors de se montrer. Cette fois, le Coriphée emploie un ton aimable. On s'en remet à la belle dont le charme a vaincu les Hellènes; et celle-ci, en une seconde, s'en remet à la déesse vénérée par le corps diplomatique universel: la déesse de La Conciliation.
Comment résister à pareille divinité quand elle s'offre sous la forme d'une adorable grecque sortant de l'onde, et "dans le simple appareil d'une beauté que l'on vient d'arracher au sommeil" ?Lacédémoniens et Athéniens prennent, fascinés,la main de cette éblouissante apparition, une main douce, gentille, pas une main dure et présomptueuse, une main de femme ! Le calme s'instaure, presque surnaturel, et Lysistrata en profite pour lancer le mot de la fin:
"je suis femme, il est vrai, mais j'ai du jugement". Elle ouvre la boîte aux nobles souvenirs: grecs et Laconiens ne se sont-ils aidés jadis à repousser l'envahisseur ? Allons, que tous se purifient afin d'être traités en hôtes au sein de l'Acropole et ensuite, eh bien, vive l'amour !
L'époux s'en ira avec l'épouse, l'amant avec l'amante, et la guerre éteindra son feu inutile et meurtrier.
Hymne à la Paix, à l'amour, à la vie si rapide que pas une seconde ne doit en être gaspillée, cette comédie gorgée d'humour audacieux est d'une actualité terrible...
Sous le bouclier du rire, la vérité se déploie comme un étendard claquant dans le vent.
Aristophane nous parle du fond des siècles, oserons-nous l'entendre ?
A bientôt,

Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse




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