samedi 27 août 2016

Reportage de la baronne d'Oberkirch sur un futur Tsar adoré des Français: Paul de Russie !


En 1782, la pétillante Henriette de Waldner,  jeune épouse du très élégant baron d'Oberkirch était une charmante fille d'Alsace passionnée par la vie.
Sa curiosité presque maniaque et son esprit d'un enthousiasme enfantin lui permirent de brosser de piquants tableaux de cet "ancien-régime" malmené par les médisants, les aigris ou les jaloux de toute espèce.
Généreuse, toujours de belle humeur, n'économisant nul compliment utile et ne reculant devant aucun détail, de l'insignifiant au pathétique, la baronne fait montre aussi d'une science vestimentaire désarmante!
Elle n'hésite jamais, en coquette extasiée,à disserter avec un acharnement irrésistible,
sur des sujets peu philosophiques: l'adorable originalité des flacons en verre peuplant les chevelures poudrées, l'inconfort des robes alourdies de paniers en pur satin ou l'intérêt majeur des perles fines rajeunissant les nobles dames légèrement décaties !
Mutine, enjouée, parfois presque agaçante de frivolité, souvent juste et réfléchie, cette ravissante baronne, insatiable et bavarde,avança de Strasbourg à Paris et de Versailles au Petit-Trianon, de Tours à Nantes, en passant par Brest puis Rouen (et encore plus loin aux Pays-bas et en Belgique!) les yeux grands-ouverts sur chaque visage rencontré en route en vraie collectionneuse de péripéties humaines.
Cette femme de cœur mit son énergie à se tenir bien plus au courant du quotidien  insolite, banal, humble, laborieux, marin, militaire, ou brillant, de la France que son roi  Louis XVI !
Monarque, hélas, enfermé depuis l'enfance dans sa fausse prison dorée, et si terriblement à l'écart de ce peuple qu'il avait, de droit divin, l'impossible devoir de protéger...
Au fil des soirs et des matins, des jardins de Trianon au parc de Chantilly, voici que s'animent de légendaires  personnages.Marie-Antoinette bien sûr, l'humaniste prince de Ligne ou le ténébreux grand-duc héritier Paul de Russie et son épouse étonnante d'altruisme, remontent le cours du temps et reprennent force et densité sous la plume trépidante de cette provinciale !
Henriette d'Oberkirch voyait la vie en rose !
 A chaque seconde,elle se réjouissait, sans l'ombre d'une sotte vanité, des mille riens de son escapade parisienne, à la suite d'une princesse renversante de grâces et de beauté: Dorothée-Maria de Wurtemberg; fille du prince régnant de Montbéliard, épouse du grand-duc Paul de Russie, fils de la grande-Catherine, qui, hasard providentiel, n'était autre que sa meilleure amie d'enfance !
Voilà Henriette sauvée du mortel ennui de son château provincial !
 La baronne n'apprécie que la société mondaine, n'aime respirer que l'air vif des salons et se plaît à cultiver l'art de vivre de bon ton qui est à cette époque le lien solide unissant les membres raffinés de la vieille-Europe.
A la place de l'idée assez réductrice de "mondialisation", existait une langue,celle de Molière, un savoir-vivre mettant les femmes à l'honneur et la délicatesse sur un piédestal, une politesse à la franche simplicité, tout un système élevant l'individu.
Un code de courtoisie humaniste, refusant les butors ou les arrogants, qui dénotait l'honnête homme et l'honnête femme à l'aise et reçus dans tous les pays formant notre ancienne Europe des rois.
Ainsi, Henriette d'Oberkitch ne craignait-elle le ridicule attaché à son origine provinciale.
Son éducation soignée, sa façon exquise de manier le français en utilisant un vocabulaire choisi et un ton harmonieux, son goût  des belles choses acquis auprès des princes de Wurtemberg-Montbéliard, sa gentillesse spontanée qui n'appartenait qu'à elle, tout cela allait lui ouvrir, de son Alsace au nord de l'Europe, le coeur ou l'amitié des grands et des petits.
Mais, à quoi ressemblaient ces si glorieux compagnons de voyage en 1782 ?
 La grande-Catherine avait décidé que son fils et sa belle-fille devaient donner la meilleure impression du monde à ces Français s'imaginant que les Russes, gentilshommes ou serfs, étaient des barbares vêtus de peaux d'ours et affligés du même caractère que ces animaux-là !
Le grand-duc Paul, vingt-huit automnes bien sonnés, était un fils mal-aimé par une impératrice chez laquelle le plaisir du gouvernement de l'immense Russie avait remplacé les délices du sentiment maternel. Malgré une enfance assez triste, le prince ne reculait devant aucune nouvelle aventure et la France semblait la plus exaltante de toutes. C'était un bon ambassadeur: calme, observateur, mesuré, il ne manquait pas d'intelligence et sa prétendue laideur assez atténué à cette époque ne gâchait en rien son allure de futur maître de la Sainte-Russie.
 Il portait haut sa petite taille et osait, fait rare en France où le lien conjugal ne séduisait guère, montrer son attachement à son épouse en l'embrassant en public. En tout cas, Henriette d'Oberkirch se pâme ! Ce grand-duc lui plaît à la folie ou peu s'en faut:
"En le regardant, on découvrait dans sa physionomie tant d'intelligence et de finesse, ses yeux étaient si vifs, si spirituels, si animés, son sourire si malin, qu'on ne comprenait pas comment ils conservaient néanmoins une grande expression de douceur et une dignité qui ne se démentait jamais, malgré l'aisance et le naturel de ses manières."
Surtout, ce fils d'impératrice est un homme compatissant, soucieux des plus humbles et déjà "père de son peuple". La baronne tenterait-elle de suggérer une comparaison à son désavantage pour le roi de France ? On ne le saura jamais ! Peut-être ses descriptions des multiples actes de bonté du futur tsar Paul Ier sont-elles uniquement dictées par son désir romanesque d'aduler un homme alliant puissance et humanité...
"A Lyon, nous dit Henriette, le grand-duc, que l'on appelait comte du Nord (ce qui ne trompait personne) a eu un plaisir bien digne de son âme généreuse, celui de libérer du service, en rachetant son engagement, un Russe qui se trouvait dans le guet de cette ville. Il lui donna cinquante louis et l'engagea à se présenter à lui à Saint-Pétersbourg où il s'occuperait de son avenir."
Ce geste paternel touchant un des ses "fils" émeut d'autant plus que le soldat exilé a été la victime d'une accusation purement calomnieuse le condamnant à exercer un poste subalterne terriblement loin de son pays. Le grand-duc prouve de la sorte qu'il sait imposer une loi juste et que  le sort de chacun de ses sujets le concerne directement fût-il à des milliers de lieux de la Russie. Il serait vain de soupçonner la virevoltante Henriette de propagande tsariste; ses anecdotes révèlent avec candeur l'essence la plus noble de la monarchie absolue; elle cite avec délices son grand-duc transporté d'émotion:
"La Russie m'est si chère ! Je voudrais si bien voir tous les sujets de l'impératrice heureux et être aimé d'eux comme je les aime ."
Or, que l'on soit Russe ou Français, le grand-duc répandra sans distinction ses largesses tout au long de son périple !
Et son exquise Dorothée-Maria l'imitera de toutes ses forces. Sensible et douce, la grande-duchesse versera à profusion ses louis d'or dans les escarcelles et distribuera ses sourires avec la même prodigalité, des chambrières aux aristocrates russes installées à Paris.Ce couple modèle sera vite adoré !
Dorothée récoltera très vite les louanges des Parisiens, peuple pardonnant tout aux jolies femmes acceptant de suivre sans se plaindre la mode inventée par les couturiers du temps. Jamais à cours d'hyperboles sur ses illustres amis, la chère jeune baronne juge tout simplement la grande-duchesse comme: "la plus belle personne du monde ". Ciel ! Et ce n'est qu'un début: "elle marchait avec une grâce et une majesté qui ne pouvaient être comparées qu'à celles de notre charmante reine."
Le portrait signé par Alexandre Roslin vers 1777, nous donne l'image resplendissante d'une ravissante ingénue éclairant un paysage classique de l'espiègle flamme orangée de sa robe à paniers. Aucune affectation, aucun orgueil, Dorothée, devenue Maria Féodorovna, sourit à sa nouvelle vie; et à son époux, ce grand-duc qu'elle aimera et dont elle sera aimée envers et contre tous et toutes; Paul ne craignant pas d'afficher des amantes qui ne briseront pourtant guère l'amour indestructible unissant ces deux êtres en apparence si opposés...
Les envoyés de la grande-Catherine sont logés à l'ambassade de Russie "au coin de la rue de Gramont", dans le splendide hôtel particulier de la famille de Lévis. L'incognito explose comme une baudruche: la rue est envahie d'admirateurs applaudissant le charmant couple venu du froid sans apporter la neige dans son attitude.
Feu de paille ? Que non pas ! les jours suivants, les cris redoublent, c'est du délire, Paris a pour Paul et Maria-Féodorovna-Dorothée, les sentiments fervents et impulsifs d'un amoureux transi.
Mais, l'épreuve la plus redoutable reste celle de la cour de France, le couple inspirera-t-il la même affectueuse adulation à tous ces illustres personnages peuplant Versailles et Trianon ? Ces gens blasés faisant les modes, donnant le ton à l'Europe entière, vont-ils se moquer du comportement un tantinet maladroit de cet empoté de grand-duc ?
Face aux beautés en vogue, en particulier la favorite de la reine, la très languissante et vaporeuse Yolande de Polignac, cette brune au regard vert-bleu, aussi évanescente qu'un nuage du soir, que va-t-il advenir de la grande-duchesse habituée aux rustiques festivités de son Montbéliard natal ? La baronne d'Oberkirch tremble de tous ses membres !
Comme elle a tort ! Il est vrai que cet étourdi de grand-duc, égarant de retour d'une messe à Versailles son sens de la diplomatie ne rassure guère sa tendre épouse. Frappé par la grâce ou par la foudre, Paul se perd en éloges tellement excessifs que "la grande-duchesse en eut un peu de trouble que le sourire de son cher mari effaça bientôt."
D'ailleurs, on n'a plus que le temps de se pomponner, de se poudrer et de subir les derniers caprices des coiffeurs ! Nous voici le 29 mai 1782, c'est l'entrée officielle du pseudo comte et de la pseudo comtesse du Nord à Versailles. Naturellement, on ne saurait se passer d'Henriette !
"Nous fûmes tous prêts de bonne heure "avoue cette provinciale...Tous ? La petite cour russe de l'ambassade au complet attend le verdict de la prodigieuse cour de Versailles; se figent ainsi dans leurs habits brodés et leurs paniers soyeux; le couple impéria , l'ambassadeur, l'aimable (mais les ambassadeurs n'ont-ils l'obligation de l'être ?) prince Baradinski, le séduisant prince Kourakin, compagnon d'enfance de Paul (qui en imposa beaucoup aux belles aristocrates françaises tant il était bel homme et de superbe prestance !), sa nièce, la comtesse Skzrawonsky (qui malgré un nom absolument impossible à prononcer en France "avait une tête d'une beauté idéale") et... la petite baronne  d'Oberkirch toute fringante et emplumée !
La douce Maria-Dorothée se redresse en dépit de la torture imposée par le "corps" de son manteau de brocart constellé de perles.
 Craignant une mise trop austère elle a exigé d'être couverte de pierres démesurées: ces fameux joyaux que seule la Russie déploie à l'instar d'un étendard. Sa robe suit, du moins l'espère-t-elle, les canons de Versailles:
 "serais-je aussi belle que la reine ?" s'amuse-t -elle à demander.
Toute la minuscule cour russe se récrie d'éloges ! Assez de flatteries, il faut affronter des juges sans pitié !
Le plus important personnage de France, c'est bien sûr le roi. Mais Louis XVI a un défaut majeur qui glace ses interlocuteurs et gêne les belles présentations diplomatiques: il est encombré d'une timidité ayant l'apparence de la froideur.
 Hélas ! Le roi de France paraît mal à l'aise en écoutant le très courtois Paul de Russie.
 La spontanéité  du futur Tsar étonne-t-elle à ce point un monarque engoncé dans les méandres de l'étiquette de sa cour ? Pourtant comme elles sonnent bien ces paroles russes:
"Combien je suis heureux, Sire, de voir Votre Majesté ! c'était le principal but de mon voyage en France. L'impératrice ma mère m'enviera ce bonheur, car en cela, comme en toutes choses, nos sentiments sont les mêmes."
Au lieu d'adresser un mot éloquent et charmé, Louis XVI se réfugie derrière quelques phrases confuses ! déception ! échec diplomatique ?
Grâce aux ambassadeurs, le pire est évité ! Paul a droit à un lot de consolation: la confrontation avec le bébé-dauphin (le premier dauphin dont la naissance avait provoqué tant de liesse et qui mourut si tôt, le 4 juin 1789, drame qui ,dans le fatal tourbillon du temps, n'accabla que ses parents).
 Là par contre, c'est le succès ! Paul aime les enfants et il déride cet auguste poupon...
 Ouf ! l'incident diplomatique est oublié...
De son côté, les angoisses de Dorothée-Maria s'envolent. Marie -Antoinette lui ouvre son cœur. N'ont-elles pas le même âge et n'ont-elles connues le destin des princesses mariées en vertu de la raison d'état ?
 L'amitié s'instaure dés le premier battement d'éventail; la reine s'appliquait aussi à maintenir l'alliance entre les deux pays... mais,pourquoi ne pas croire à cette sympathie immédiate entre deux jeunes femmes ?
De son habituel trou de souris, Henriette raconte la chaleureuse entrevue:
"La reine fut charmante, pleine de bonne grâce et d'affabilité, elle traita madame la comtesse du Nord comme si elle l'eût connue toute sa vie, s'informa minutieusement de ses goûts, de tout ce qu'elle pourrait lui offrir d'agréable, et la pria de la voir souvent."
Dorothée-Maria Féodorovna, au sommet de l'Olympe Versaillais, atteint le comble du bonheur céleste! la diligente baronne ne touche plus terre elle aussi: Marie-Antoinette, attaquée bien à tort pour sa condescendance, apprenant qu'elle est l'amie intime de la grande-duchesse, exige sa présence à un concert privé; et se pique d'une gentillesse presque extravagante:
"Vous êtes bien heureuse madame, de posséder une aussi illustre amitié; je vous l'envie; mais je ne puis m'empêcher d'envier aussi à madame la comtesse du Nord une amie telle qu'on m'a dit que vous êtes vous-même."
La reine songeait sans nul doute à Yolande de Polignac, cette jeune femme pauvre du Languedoc qui avait noué avec elle un lien sentimental du côté de Marie-Antoinette, avide de largesses et fort capricieux de l'autre... La solidité d'une  amie dévouée et altruiste manquait terriblement à Marie-Antoinette. Comment s'étonner de la sincérité désarmante de sa quasi confession ?
Enfin, c'est l'heure de s'en retourner à l'ambassade et, détail exquis, Henriette nous avoue que "nous étions tous si fatigués, que nous nous endormîmes dans les carrosses".
Le lendemain, les jeunes gens se jettent sur le papier et relatent à la vitesse de leurs plumes d'oies les événements de la veille à l'impératrice. Le courrier n'atteindra Saint-Petersbourg que d'ici un mois, qu'importe, les souvenirs se bousculent et il faut se hâter de les écrire de peur de les perdre. La grande-duchesse n'en peut plus: sa migraine lui brouille les idées, ce Versailles, quel gouffre ! quel éclat ! quels sont maintenant ces cris jaillissant de la rue ? Une malheureuse vient de s'écraser en cabriolet sous ses fenêtres ! Dorothée-Maria ne se soucie plus de la cour, vite cette femme a besoin d'aide:
"Ah ! cette femme a peut-être un mari, des enfants"
La compatissante princesse pense soudain à ses propres enfants, elle se sent en union avec cette inconnue, la secourt de louis d'or et prend de ses nouvelles.Versailles ne l'a pas gâtée; intriguée, amusée certainement. Toutefois, la future Tsarine, encouragée par son époux , connait ses devoirs envers les humbles .Sur cette belle leçon d'humanité, les folles aventures reprennent. Le prince de Condé prépare le bal du siècle à Chantilly !
A vous d'ouvrir cette vibrante collection de souvenirs !
A bientôt,

Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse

Portrait de la future Tsarine, épouse de Paul de Russie, 1777
 par Alexandre Roslin: la lumière d'une beauté du nord


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