dimanche 14 août 2016

Contes du vieux château : Paris en août : sortilèges d'une ville déserte !



Paris au cœur de l'été, Paris dans la torpeur ennuyeuse du début août.
Qu'y faire, qu'y voir ?
Est-on borné à une errance inutile parmi les boutiques closes ou les visiteurs en tenue de plage massés, en l'attente d'un miracle, toujours possible, devant Notre-Dame ?
Doit-on rejoindre ces naufragés d'un Paris aux artifices trompeurs que l'on découvre fripés et avachis, éparpillés sur la pelouse râpée et les cailloux aigus du Champ de Mars ?
Paris sale, poussiéreux, roulant une mélancolie aussi lourde que son passé de quai en quai, de pont en pont... Paris figé ? Paris à éviter ?
Surtout pas ! C'est le moment au contraire de se laisser glisser avec douceur , de la place des Vosges à l'île Saint-Louis ou la place Vendôme ; en soupirant de joie au Palais-royal ; en se glissant dans le sillage silencieux d'ombres malicieuses : celles qui savent entraîner les rêveurs convaincus vers des lieux qui ont une revanche à prendre et une histoire exquise ou tragique à donner .
Ainsi, à la fin d'un nonchalant après-midi, il est bon de remonter la Seine sur bateau-bus fluvial, chargé à ras-bord de l'humble et sublime poésie du quotidien, en compagnie de quelques flâneurs sans caprices ni désirs . Des gentilshommes d'aventures. Des mousquetaires du Roy cherchant leur Cyrano. Un seul maître: le vent du soir agitant l'eau frissonnante et les ramures des jardins aperçus comme une chimère. Rester debout, contempler ce joyau éclatant  qu'est la Gare d'Orsay, enfiler les ponts avec l'humeur ivre d'un voyageur fou d'amour jouant enfin un rôle dans "Midnight in Paris" !
Un seul panache à suivre aveuglément: celui de l'homme fier et vaillant qui déclarait au nez des pleutres et autres sots railleurs:

"Moi c'est moralement que j'ai mes élégances.
je ne m'attife pas ainsi qu'un freluquet,
Mais je suis plus soigné si je suis moins coquet;
je ne sortirai pas avec, par négligence,
Un affront pas très bien lavé , la conscience
Jaune encore de sommeil dans le coin de son œil,
Un honneur chiffonné, des scrupules en deuil.
Mais je marche sans rien sur moi qui ne reluise,
Empanaché d'indépendance et de franchise;"

Monsieur de Bergerac, déambulant au hasard du Marais, aurait certainement décidé de profiter de la tiédeur de l'air parisien afin de banqueter dans une maison affligée du sobriquet piquant "d'Hôtel de l'impécuniosité". On dit qu'un poète toujours affamé, toujours ruiné, et pourtant époux de la plus belle femme de Paris, y vivait de ses mots étincelants, et de l'écriture de son "Roman Comique". Efforts d'humours littéraires échangés contre une nourriture solide par la grâce des belles précieuses et la bonté de la reine Anne d'Autriche touchée par la décrépitude avancée du pauvre Scarron, premier époux de la "belle indienne " Françoise d'Aubigné, future amante et épouse du Roi-Soleil.
Le chemin s'annonce mouvementé: il faut quitter la barge devant les Tours de Notre-Dame, fendre la foule excitée face à l'hôtel de ville, et s'engouffrer dans un dédale de rues de plus en plus étroites, perdre en route vacarme, appels, passants, devantures mythiques ou simplement curieuses.
Un nouveau Paris se lève du haut de ses hautes fenêtres. Un Paris qui soudain vous tente de façon incongrue  en offrant à votre vue ébahie un jardin de buis taillés avec l'élégante sévérité dite "à la Française". Le meilleur est tout proche, vous le sentez, le temps ne pèse pas davantage qu'un souffle soyeux, vous le guettez entre deux façades hautaines, le voilà qui prend la forme d'une silhouette en grande robe relevée en deux pans. Une ombre habillée vous fait un signe preste d'une main gantée, Vous entrez au sein d'une forêt, puis une clairière, le joyeux bruit de fontaines jaillissantes embrume votre esprit envoûté.
Ramassé autour d'un bouclier de ramures épaisses, voici un front audacieux de demeures patriciennes taillées dans la pierre et adoucies de brique. Ici naquit une aimable marquise qui vous aurez fait mourir d'amour, ici gronda la Fronde, ici des ravissantes au jargon délicieusement incompréhensible se seraient jetées à votre cou pourvu que vous sachiez le grec, ici, Monsieur d'Artagnan vous aurait salué, et Monsieur de Cyrano de Bergerac vous aurait lancé un regard de braise avant de s'en aller, sombre, par les allées.
Vous êtes Place des Vosges, en réalité, Place Royale pour l'éternité ou le panache comme vous voudrez.
Le Paris du baron Hausmann paraît aux confins du monde; une atmosphère spirituelle, intime s'insinue, suave et paisible, sous les couverts. Serait-on dans une sorte de cloître ? On le croirait tant l'esprit des lieux vous incline à garder un ton chuchoté, une réserve de belle allure. Nulle familiarité ne doit profaner cette porte ouverte sur le temps retrouvé...
Bien sûr, la faim vous saisit à l'instar des convives de ces Marquises de Rambouillet ou d'autres beaux noms qui osaient, à l'immense désespoir de leurs hôtesses dire les choses avec un prosaïsme malséant ! On a pitié de vous, on vous pardonne ce charmant outrage face à tant de noblesse: une table vous réconfortera de ses largesses raffinées, de son savoir-vivre exquis sans, merveille qu'il est bon de murmurer, vous jeter dans le dénuement redouté. Vous n'avez qu'à passer devant la plaque précisant le souvenir de l'heureuse venue en ce monde de Madame de Sévigné, continuer sur la gauche, pousser la porte, dire bonjour et vous installer !"Ma Bourgogne", cet établissement historique aurait pu saluer le bon roi Henri IV;ce soir , c'est vous qui serez accueilli comme un roi incognito ...
La Place des Vosges devient le port tranquille abritant une soirée familiale (fantômes arborant feutres et rapières, donnant le bras à leurs compagnes évanescentes, alourdies de soieries, visages maquillés de "blanc", décolletés risqués compris), dont vous vous souviendrez tout le restant de votre vie.
Paris au mois d'août sait choyer ses promeneurs, candides comme des enfants qui ne demandant rien reçoivent beaucoup...
Le songe s'épanouit aux abords de l'île saint-Louis; peut-être va-t-on croiser un écrivain aimé et qui n'en saura jamais rien. Passer sous ses fenêtres, quel bonheur pudique, quelle sottise, à un âge entre deux ou plusieurs autres ! A défaut de Frédéric Vitoux, voici un chat, un de ses amis, lui qui leur dédia carrément son tendre et moqueur "dictionnaire amoureux"; bible de l'immense cohorte des humains domestiqués ...
Quoi ? Un seul chat en plein mois d'août au bas de l'hôtel de Lauzun, au pied des maisons surveillant la Seine, devant les portes énormes, les cours fermées, les anciennes caves des blanchisseurs ?l'insulaire paradis reste à deviner au hasard des ruelles si matoises qu'elles s'arrangent pour donner à ce minuscule bout de Paris l'illusion de la vastitude ? Bonheur ! Un homme affable sourit de votre errance; c'est l'heureux mortel qui prodigue l'hospitalité de l'hôtel de Lutèce: aucun souvenir des gaulois chevelus à l'intérieur, boiseries du plus beau miel, et cet air vieille-France que toute l'Île respire...
Nulle vision du passé glorieux dans le sommeil qui vient vite: Paris épuise les marcheurs naïfs:
Trop d'émotion, trop d'ivresse, trop d'exaltation, c'est la cure de jouvence garantie. C'est cela le miracle: Paris guérit !
Au matin, un célèbre glacier est en congés, qu'importe, de toute façon, une fraîcheur inopinée donne envie d'aller inventer son propre roman; quai aux Fleurs, dans la Sainte Chapelle, ou excessivement loin, en reprenant un bateau bus vers le quai de Grenelle, sur le Pont Mirabeau à la recherche de ses amours perdues:

"Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu'il m'en souvienne
La joie venait toujours après la peine "

Que non pas ! Paris sait ôter l'inutile mélancolie quand l'optimisme d'août court les quais et dévale les rues.
Là encore, Monsieur de Cyrano de Bergerac trace la route peu encombrée à cette heure dévolue à l'énergie provinciale:

"Rêver, rire, passer, être seul, être libre,
Avoir l’œil qui regarde bien, la voix qui vibre,
Mettre, quand il vous plaît, son feutre de travers,
Pour un oui, pour un non, se battre ou faire un vers !
Travailler sans souci de gloire ou de fortune,
A tel voyage auquel on pense, dans la lune !
N'écrire jamais rien qui de soi ne sortît.
Et modeste d'ailleurs, se dire: mon petit,
Sois satisfait des fleurs, des fruits et même des feuilles,
Si c'est dans ton jardin à toi que tu les cueilles !"

La rêverie engourdissant le sens de la géographie élémentaire, me voilà, à mon immense surprise, Rue royale, exactement une des ces somptueuses rues qui me font mourir de peur.
Harmonie, allure, froideur, pas l'ombre d'une volupté. Ce Paris classique, érigé sur un luxe tenant davantage du mythe que de l'ostentation, ne se livre qu'aux initiés. Heureusement les épaisses colonnes de l'église de La Madeleine m'attirent, à l'instar d'un refuge isolé, en plein carrefour déjà bruyant.
Temple vaguement grec, forme massive et encore alourdie de ses portes de bronze, l'église semble faire une moue rébarbative. Or, dans ses flancs, le promeneur se repose, prie, et se sent prêt à aimer son prochain: pourquoi, mon Dieu ? Eh bien, parce que justement la ferveur y est tangible, naturelle, humaine. Le simple passant entre comme il veut, regarde distraitement la magistrale fresque révélant Napoléon premier touché par la grâce, se recueille sous l'égide du bon Saint Vincent de Paul et repart , en paix...
A force de s'amuser du spectacle des rues, des cafés débordant enfin de naturels de Paris, délivrés de leur légendaire nervosité par le relâchement estival, des balcons cultivés comme des jardins, des frises, statues, porches, tous classiques et pourtant tous différents, j'arrive sur un nuage bleu qui a nom place Vendôme. J'ai une chimère en tête: la tenterais-je ?
D'abord, un salut à la colonne étincelante, toute rajeunie au terme de deux ans de travaux, d'un vert surréaliste ! une nuance hésitant entre le céladon, le printemps et le vert marécage, qui chatoie sous le soleil de midi. La lumière brutale de l'été tue les motifs ciselés: les yeux blessés, je ne me concentre guère sur les détails précis de ces guerriers pensifs, ces soldats fiers; je déchiffre mal ces épisodes sublimes et sanglants: Ulm, Vienne, Austerlitz. Il faut sans doute patienter jusqu'aux doux matins d'automne afin de s'absorber dans les péripéties de ce livre d'images glorifiant la vaillance sans pareille de l'immortelle Grande Armée. Tant de braves sacrifiés pour une volonté farouche de grandeur...
Mon vœu du moment est plus frivole même s'il s'agit toujours d'une certaine idée de la France.
Au 12 de la place Vendôme, c'est l'impératrice Joséphine qui brille de mille feux. Cette croqueuse invétérée de bijoux ravissants, cette pie incapable de conserver son sang-froid quand un joaillier habile déployait ses derniers chefs-d'oeuvre sous son ravissant nez grec, m'a donné rendez-vous chez son ancien fournisseur: Chaumet, qui portait en 1780 le nom de Nitot. Un "musée éphémère" au titre ensorceleur " Une éducation sentimentale" ouvre ses ailes de papillon chamarré en hommage aux parures ondoyantes, graciles, enrubannées que l'exquise Rose-Joséphine arborait en mêlant le faste de l'empire à la délicatesse d'une ancienne "merveilleuse".
Mais, ciel, entrer chez Chaumet ! Quelle audace ! Ma rêverie enfantine cède le pas à une confusion accablée. Je suis habillée d'une robe datant au moins de l'an 2014; mon fils, charmant, distingué, est, horrible hasard, chaussé  de baskets élégamment troués ! Aucun des deux, il s'en faut, ne présente le moindre signe indiquant une fortune suisse ou texane.
Allons-nous récolter une grimace ou, pire, un refus pur et dur de la part du garde dissimulant certainement un arsenal sous son costume à la coupe parfaite ?
Crainte vaine !
Nos mines admiratives et notre réserve timide nous valent l'entrée et surtout la visite d'un trésor portant l'étendard des artistes de la maison. Poésie insolite d'un boudoir habité par un cœur battant rouge aux pulsations amoureuses; féerie des diadèmes où le métal froid se réchauffe d'un flot passionné de dentelles cousues de diamants de Golconde et de roses topazes; envol fervent de plumes conçues pour une femme-oiseau; et plus attendrissant que somptueux, ces chaînes serties de pierres dont les initiales écrivent un mot d'amour.
Ou ces bracelets- joncs dissimulant, glissé dans un tube d'or , un papier griffonné d'un aveu...
L'histoire de ces créations au style résolument moderne en dépit d'un passé d'un romantisme désuet nous est joliment conté par une très aimable jeune personne dont la gentillesse (selon la formule de la Princesse Bibesco) "parfume les diamants" !
On nous offre un beau catalogue, et nous prenons congé.
 L'art de vivre à la Française existe bel et bien:
cet accueil plein d'allure et ce témoignage de l'audace rayonnante des joailliers va bien au delà du luxe; c'est un talent qui s'appuie sur une imagination féconde et une habileté extraordinaire.
Posséder ? Pourquoi faire ? Voir comble déjà ! Et j'ai un souvenir: ce catalogue qui me sert de bouclier dans Paris !
Il est temps de choisir un autre lieu de rêverie: ce sera le Palais- Royal. Une halte à la campagne, un désir exaucé de sages pelouses, d'absolue sérénité; une nouvelle enclave de ce passé historique encore si vif. Peu de monde, peu de bruit, beaucoup de douceur. Se taire, écouter, tourner autour des jardins étonnants d'exubérance civilisée; oublier sciemment qu'en ce lieu  des avocats révolutionnaires, esprits échauffés plaidant sur leurs chaises, osaient d'affreuses imprécations; fermer les yeux et se pâmer devant  les tuniques diaphanes des invitées de Madame Vigèe-Lebrun, attifées de façon à à éblouir le fameux "dîner grec" de leur amie.
Remonter les siècles comme un caprice, chercher sous le couvert des galeries, entre les colonnes, l'ombre de Richelieu dans son manteau rouge et ses grandes bottes, guetter du fond des siècles les espions anglais, les joueurs en déroute, la silhouette du futur Philippe-Egalité, les  écharpes de Colette, son troupeau de chats furtifs, ou, ne rien chercher du tout... Devenir les lecteurs graves sur leurs bancs, l'eau irisée du bassin, les fantômes des allées, les façades altières dévoilant de rebelles balcons fleuris, les mansardes haut perchées et le vent poussant un léger nuage.
S'arrêter enfin: les prix sous les galeries exigeant certains moyens, ne pas s'offusquer, s'asseoir chez "Reflets de Scène", au 22, rue de Beaujolais. Répondre au sourire de l'hôte, réaliser que le bonheur c'est d'avoir une vue sur un jardin extraordinaire, se sentir digne de Paris et,déjà, le cœur mélancolique, lire quelques vers d'Apollinaire afin de se préparer au départ... Peut-être en s'offrant un ultime plaisir: les cours oubliées dormant en marge de la rue Saint-André-des-Arts.
Un rêve d'enfant qu'il n'y a nulle honte à matérialiser.
On a tant de mal à quitter Paris au mois d'août !
Après cette "carte postale" parisienne,
à bientôt,

Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse

En débouchant de la rue Royale, un "paysage" parisien !




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