vendredi 9 décembre 2016

Contes du vieux château : "Lettres à la bien-aimée lointaine": "De l'âme" par François Cheng

L'âme est-elle une chimère ou le vaisseau invisible de nos destinées ?
François Cheng n'essaie pas de répondre en professeur docte ou en théologien hiératique .
C'est un ancien, un pur, un indicible sentiment d'amour courtois qui ranime cette tentation de l'âme au plus sensible de son être .Bouquet de lettres, flot de poésie, douce mélodie chantante au bout d'un silence de trente années .
Voyage vers l'âme vagabonde palpitant en chaque homme,chaque femme et au sein de la création .
L'âme ,printemps éternel?
 Sur le fil de sept lettres entremêlées de poèmes et citations venus de tous les âges et de tous les coins de ce fol univers, l'auteur poète et académicien français, caresse de son archet agile les cordes de la langue française afin de libérer nos doutes et ranimer notre Foi.
L'âme monte au ciel sur le violon spirituel de François Cheng .
 Correspondance fiévreuse, inspirée ; correspondances aussi entre les beautés du vaste monde ,la beauté d'un visage et la bonté d'un coeur.
Cette promenade audacieuse sous les replis de l'intangible apaise, instruit, élève et, tout simplement, avive en nous l'envie de cultiver cette âme qui souffre ,frissonne, exulte et espère tant de nous .
Tout commence voici plus de trente années .
François Cheng, patientant sagement à un arrêt de bus, ressent avec une acuité inquiète, une joie singulière la beauté de sa voisine .Surprise du destin,  la jeune fille le reconnaît et engage la conversation .
C'est une douce parenthèse,un intermède radieux et fugace.La vie rapproche ,puis sépare  et la "nuit froide de l'oubli "efface les émotions sous les plis de sa robe sombre ...
Trente ans plus tard, une lettre arrive ,l'amie jamais oubliée écrit une phrase étrange :
" Sur le tard ,je me découvre une âme".
 Le poète s'engage alors dans une méditation épistolaire à la prière de la mystérieuse soulevant les brumes de la mémoire :
"Acceptez-vous de me parler de l'âme? Il me semble qu'à partir de là, tout redeviendrait essentiel , ouvert ."
Or, réfléchit François Cheng :
"L'âme n'est -elle pas justement cette chose dont on ne doit pas parler , au risque d'incommoder ? On ne doit et on ne peut .Qu'on s'y hasarde ,et l'on se découvre aussi démuni que celui qui chercherait à définir par exemple ce qu'est le temps , la lumière ou l'amour .Pourtant ,ce sont là des éléments dont aucun de nous ne saurait nier l'existence , et dont notre existence dépend ."
L'écrivain relève toutefois le défi .En poète autant qu'en philosophe .La poésie ne donne-elle des ailes à la philosophie ? et ne la rend-elle souvent aimable ?
"Qu'este-ce que la poésie ? Qu'est-ce que l'âme?"Georges Pompidou suggérait ainsi les accordailles du langage le plus pur avec la pensée la plus émouvante .L'âme chante à l'instar du poème .François Cheng se confie à son amie, l'écoute aussi; les lettres bruissent portés par le battement d'ailes des mots limpides et fervents. Sept lettres et un enchantement si riche que le résumer serait impie .
Il vaut mieux serpenter vers la lumière en faisant plusieurs haltes à l'ombre de François Cheng !
Une déception assombrit la première lettre : notre France des esprits éclairés semble douter de l'âme Hélas ! la France reste la fille insupportable de Voltaire; L'âme cède le pas à l'esprit .Voilà pourquoi nous sommes secs à pleurer . Le domaine réservé à l'âme peine à émerger des lieux communs ,ces formules ridicules qui passent de bouche en bouche comme des fourchettes usées .(A mon avis , le pire est l'odieuse expression : "cette maison a une âme"!autant avouer qu'elle n'est qu'un tas de ruines avec ,en guise de lot de consolation ,quelque attrait vague et vieillot, la poussière des siècles sans doute !).
L'homme moderne, en particulier le Français, aurait ainsi égaré dans le culte de l'esprit, ou, pire, le tombeau du matérialisme ,le sens de son âme ...
Qu'est-ce que l'âme sinon la joie émue d'être au monde ?
Le visage parfait de l'amie d'autrefois rejoint pour l'auteur l'âme du monde, le désir de vie, "l'élan vers le beau".
L'ancienne rencontre si hasardeuse fut sauvée de la triste banalité grâce à cette vérité étonnante: l'âme était de la partie !
 Quelques pages plus loin, François Cheng renoue avec la poésie de Pierre Emmanuel (poète fougueusement chrétien et résistant, mort en 1984), plongée fabuleuse dans les batailles de l'âme sauvant son intégrité en se livrant sans peur à l'amour.
Ce poème brise ,de sa lueur d'or fauve lustrant les arbres dégarnis par les beaux après-midi de décembre,
les verrous du malheur . Pourquoi ne pas écouter ce chant ivre d'allégresse ?
"Tout âme ayant brisé la prison où la peur
d'être aimé l'enferme
Est sur le monde comme un grand vent , une
insurrection d'écume et de sel
Une haute parole de vie dans et contre le corps
éphémère .
Tout est vie , et plus encore à la fin quand se fend
l'écale du corps
Sous la véhémence de l'âme ne tolérant plus
d'être toujours en servage:
C'est alors non le corps qui pourrit , mais le
bulbe d'une invisible jacinthe
Qui monte dans l'humilité triomphale comme
une grappe de cieux superposés.
Je te laisse , dit Dieu.Tu es heureux . Je te laisse
car tu es certain .
Toi, premier sauvé de Babel, non par vertu
singulière
Mais simplement parce que tu aimes ."

Cette incantation semble le fil d'Ariane de l'écrivain avançant doucement au coeur de la forêt de symboles chère à Baudelaire . Le voici clôturant sa seconde lettre par une sublime certitude en notre âme"toute d'une pièce, indivisible , irréductible, irremplaçable, absorbant en effet les dons du corps et de l'esprit, donc pleinement incarnée, marque de l'unicité de chacun de nous et par là, de la vraie dignité de chacun de nous ."
Ce n'est pas un raisonnement, c'est une intuition à la grandiose sobriété .Un enthousiasme fervent qui ranime en nous la foi en notre incompréhensible destinée terrestre .Si nous évoluons sans très bien en saisir le sens de la naissance à la mort, serait-ce que l'âme, pilote et bouclier ,émanation de notre moi secret et du dessein de Dieu , nous guide au sein du bien et du mal ?
François Cheng s'éloigne en se rapprochant dans sa troisième lettre .Un gouffre s'ouvre devant lui : tenter de cerner l'esprit en cherchant l'âme .Va-t-il se noyer dans ce vertige philosophique qui suscite, chez les lecteurs un peu simplets que nous avouons être, un frisson terrifié ?
Nous pensions lire une correspondance élevée et élégante , quel sort nous est-il réservé ?
La confrontation entre âme et esprit nous dépasse !
devons-nous fuir ? La poésie nous sauve in extremis, la route est d'un coup moins escarpée ,plus assurée sous nos pas vacillants .
L'écrivain appelle à son aide une kyrielle de poètes ,un bouquet de religions, le soleil resplendit, voici le meilleur de l'âme au delà des théologies .Aucune force mauvaise ,nulle fatalité, de maladie mentale ou physique, ne priveront de son âme le faible parmi les faibles.Au contraire,l'esprit peut souffrir de l'âge ,de la maladie, ou,faire défaut .
Une lettre plus loin , François Cheng cite Rousseau qui décida justement de livrer dans ses" Confessions" :
"Non ma vie extérieure comme les autres, mais ma vie réelle ,celle de mon âme ,l'histoire de mes sentiments les plus secrets ."
Serait-ce la clef de tout être humain ,ce monde clos, débordant d'une vie aussi intense qu'invisible? Sauf par l'intuition qui nourrit un coeur aimant.L'amour ouvre-t-il les portes de l'âme d'autrui ?
Si j'avais François Cheng en face de moi, c'est ce que j'oserais lui demander .
Bonheur, quelques paragraphes, et voici la réponse :
"Voyez, chère amie ,vous n'êtes pas seule .
Et nous ne sommes pas seuls,tous deux ,à savoir que nous avons une âme,à ne pas négliger cette part irremplaçable qui est notre être même .Elle est précieuse aussi bien pour soi que pour les autres êtres rendus inaliénables par le miracle de la rencontre ,un miracle qui ne peut se produire que grâce à l'intelligence du coeur,autrement dit à l'amour ."
Qui dit amour ,soulève aussitôt le voile radieux de la bonté.Apollinaire murmurait ces mots:
"La bonté ,contrée énorme où tout se tait".
Pour les grecs anciens , la beauté épousait la bonté ; on était" beau et bon".Ce principe devait rythmer la pensée et la conduite de l'honnête homme du temps de Périclés .François Cheng affirme dans cette tradition qu'"à côté de la beauté du corps ,il y a bien une beauté de l'âme.Celle-ci a pour nom "bonté".
Une "vieille" et infiniment jeune amie entre alors en scène ! une glorieuse philosophe ensevelie au fond des déserts de l'oubli .Une athée "prise par le Christ" un suave soir de printemps en l'église d'Assise :
Simone Weil .
Cette mystique proclamait,de sa parole ailée,de sa passion bourdonnante,la folle et sublime joie d'être une âme aimée de Dieu,forgée par Dieu .
Au bout de la vie,au bout de la mort, l'âme ruisselle d'amour; c'est l'hirondelle annonçant une vie neuve, la résurrection promise par le Christ, l'amour sauveur .Je songe, si François Cheng ne s'en offense pas ,à ce célèbre psaume: Bénis le Seigneur , ô mon âme !". N'affirme-t-il cette certitude éblouissante ,nimbée de lumière d'aurore, gorgée de jeunes pousse vertes, comme notre printemps à venir ?
"Bénis le Seigneur ,ô mon âme,
bénis son nom très saint , tout mon être!
Bénis le Seigneur , ô mon âme,
n'oublie aucun de ses bienfaits!
Car il pardonne toutes tes offenses
et te guérit de toute maladie ;
il réclame ta vie à la tombe
et te couronne d'amour et de tendresse."
C'est l'amour vainqueur qui façonne l'âme !

Victor Hugo,( là aussi je prie François Cheng de me pardonner ma naïveté à vouloir faire entrer le soleil pourpre de la poésie romantique dans un article dédié en principe à son seul ouvrage) attise ce flamboiement avec un amour farouche qui bouscule la tragédie humaine :

"Je puis maintenant dire aux rapides années :
-Passez! passez-toujours ! je n'ai plus à vieillir !
Allez-vous-en avec vos fleurs toutes fanées ;
J'ai dans l'âme une fleur que nul ne peut cueillir!

Votre aile en le heurtant ne fera rien répandre
Du vase où je m'abreuve et que j'ai bien rempli
Mon âme a plus de feu que vous n'avez de cendres!
Mon coeur a plus d'amour que vous n'avez d'oubli !"

A l'instar d'un montagnard grimpant de rochers en rochers,  François Cheng atteint la cime de sa méditation .On l'imagine contemplant la mer ondoyante de ses pensées, venant à lui avec les nuages du souvenir .Après tant de réflexions graves et sereines, un aveu s'envole, discret ,noble et tendre. L'âme de l'écrivain palpite sous le voile de la discussion spirituelle .Un trouble un peu confus s'empare de nous,lecteurs intimidés ...
Que dit François Cheng à la" bien-aimée lointaine" ?
"Vous empruntez à Claudel l'expression de "co-naissance" pour qualifier l'expérience que nous venons de vivre ensemble .Pour ma part, j'oserais aller plus loin en disant qu'il s'agit forcément d'amour ;au sens le plus élevé du mot,et d'un amour sans lequel tout ce que nous abordons ne saurait rester qu'à la surface.Admettons cependant que malgré cette correspondance qui a touché au plus intime de nous deux ,vous restiez encore une inconnue pour moi .eh bien ,je dis "C'est bien ainsi."

 L'âme n'écrie jamais le mot "fin" , nous promet François Cheng .
Tissée d'amour et d'éternité,elle ranime en nous l'irréfragable bonheur d'être au monde, de participer à un élan qui nous dépasse, même si le but apparent du voyage est de prendre la main de "notre soeur la mort".
Selon la parole limpide et rassurante de Saint François...Toujours,insiste François Cheng, au delà de la mort, respire la vie :
"De tout l'univers, de toute éternité , il n'y a qu'une unique aventure, celle de la Vie, et nous en faisons partie ."
Pour la dernière fois, je supplie François Cheng de me pardonner !
ces vers de la" Symphonie du printemps", chant d'amour,d'extase et d'immortalité, modulé par le poète grec,Yannis Ritsos, me semblent digne de couronner son étrange et pénétrant ouvrage; livre doué du pouvoir extraordinaire de réveiller en nous la spiritualité endormie ou la foi de notre enfance et de nous donner la bonne idée d'aller rafraîchir le jardin de notre âme  ...

"Ouvre les fenêtres
afin de voir l'univers en fleurs
de tous les coquelicots de notre sang
-que tu apprennes à sourire .
Tu ne vois pas ?
Dès lors que s'éloigne le printemps
derrière lui arrive notre nouveau printemps
Le voilà le soleil
par-dessus les cités de bronze
par-dessus les vertes terres
en nos coeurs
Je sens aux épaules
le fourmillement intense
alors que poussent
toujours plus jeunes et plus larges
nos ailes ."

A bientôt !

Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse

Un ange de Pontormo, ou une âme ouvrant ses ailes vers l'invisible ?







                                                            Château de St Michel de Lanès
                                                         Cabinet St Michel Immobilier CSMI

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire