samedi 14 janvier 2017

Contes du vieux château : Voyage rêvé vers les îles grecques sur le navire du capitaine Odysseus

Le capitaine Odysseus, alias Ulysse roi d'Ithaque, nous hante depuis le temps béni de l'enfance : son interminable voyage c'était nos grandes vacances ! celles que l'on désirait éternelles le premier matin de juillet, et qui, moqueuses et fugaces , couraient à la vitesse d'un cheval sauvage sur les jardins de l'été .
Le capitaine Odysseus c'est aussi un poète grec, Odysseus Elytis, un aventurier de la poésie du vingtième siècle, qui traversa, en pleine canicule,les îles aux roches en fusion sous le ciel chargé de lumière limpide.
Ce beau titre , Jacques Lacarrière le porte avec une passion immortelle, n'est-il le pilote qui nous guide dans notre croisière autour des "Îles nues "?
Un homme bon, un poète suave et rocailleux à la fois , Georges Séféris, mérite à jamais cette confiance que l'on accorde au navigateur qui d'une main ferme approche sans peur les passes dangereuses menant à ces rêves mangés par l'écume que sont les montagnes arides posées sur la mer violette .
Les îles Grecques ! Incantation miraculeuse ! Exaltation de poète ou vérité prodigieuse ?
Pourquoi tant d'amour illusoire ? Ne seraient-elles dans l'affreuse réalité, ces îles fameuses, rien d'autre que des terres stériles, des terres de déportés des années cinquante et soixante, de pauvreté depuis la nuit des temps, ou pire, de récents pièges à touristes ?
 Petits mondes mélancoliques, ruinés souvent, au mieux dévorés par la vulgaire loi non écrite de la "mondialisation " ?
 La beauté jaillie des falaises d'or fauve, des terrasses ensevelies sous les glycines à la senteur de miel est-elle un leurre, une chimère livresque ? La grâce parfumée et rayonnante accueillant Ulysse à chaque escale, celle de la plage de Nausicaa, de la retraite de Calypso, de la citadelle du dieu des vents, existe-telle encore ?
Ithaque vaut-elle encore la peine d'errer dix ans sur la mer mauvaise avant d'y accoster ?
Qu'importe , l'essentiel est de s'embarquer. Le plaisir ne réside souvent que dans l'attente , l'espoir , la patience nourrissant de son suc gorgé d'ivresse la lenteur d'un périple qui devrait ne jamais avoir de fin .
Une voile se lève déjà sur le vaste horizon, elle a un nom "Glorificat", et Odysseus Elytis chante attaché à son mât afin de charmer les dauphins bondissants et ces sirènes qui ne se montrent plus qu'aux poètes :
"Louées soient Siphnos, Amorgos , Alonissos,
Thassos , Ithaque,et Santorin , Cos , Ios et Sikinos ...
Louées soient la table en bois,
Le vin doré avec le reflet du soleil,
Les jeux de l'eau sur le plafond
Les vagues et les galets main dans la main
une empreinte de pas , sagesse sur le sable
Une cigale qui gouverne des milliers d'autres
la conscience éblouissante comme l'été !

Louées soient les pêcheurs tirant sur le filet
La mouette patiente,infatigable,
Les murmures insoumis de la solitude ,
l'ombre d'une ombre sur le mur ,
Les îles avec la chaux,
Les îles avec les vertèbres d'un Zeus,
Les îles avec les arsenaux déserts
Les îles et leurs volcans d'azur !"

Comme ce chant sublime est loin des descriptions niaises vantant les délices des boutiques, restaurants et autres pseudos endroits typiques qui réjouiraient les nouveaux voyageurs !
Si les îles n'incarnent plus cette poésie fougueuse, ce miroir du soleil plongeant sur les ports endormis, ces bavardages sonores filtrant des mûriers, ce bleu vagabond qui ne s'achète pas mais qui se reçoit avec humilité, à quoi bon rêver davantage ?
A quoi bon s'embarquer aussi sur un bateau démesuré et grotesque ?
A quoi bon trahir Jacques Lacarrière qui choisît l' invocation la plus musicale de Georges Séféris afin d'ouvrir son périple vers "Les îles nues ", il y déjà si longtemps en écrivant son vibrant "Eté Grec" ... Journal de bord tracé d'une main tremblante à une époque où les audacieux, les pauvres, les poètes , souvent les trois ensemble,  osaient se décider pour les "lignes stériles ", merveilleuse expression digne des contes ensorcelés, mystérieuse parole voltigeant sur les vertiges de l'imagination ." Les lignes stériles" pourtant naissaient du concret pur et dur
!C'étaient tout simplement les "agonès grammès", ce qui signifie lignes peu rentables, nous explique Jacques Lacarrière , un sourire nostalgique aux lèvres .Ces lignes fabuleuses menaient ainsi vers l'inconnu des rochers maritimes, privés d'eau, de vignes, de bois, mais débordants de richesses d'une autre nature .
Les îlots solitaires, les égarés de la mer mauvaise, abritant une poignée de misérables insulaires cultivant un maigre jardin dévoré par des chèvres capricieuses ; les naturels du pays, ces gens bizarres s'obstinant à être heureux, à sourire, à aimer la vie comme elle vient; perpétuellement satisfaits en leurs beaux refuges presque intolérables pour un touriste ordinaire exigeant, au bout du monde, ce confort qu'il croit sacré .
Or , naviguer sur ces lignes stériles rend l'esprit fécond, le caractère fort . Les illusions s'effacent, la pauvreté voile la beauté, la déception corrompt l'éblouissement .Mais on prend la mer sans se lasser , peut-être la dernière île sera-t-elle enfin l'Ithaque rêvée; l'île qui vous gardera précieusement comme l'amour renaissant ou l'ami retrouvé .
Voici le testament en poésie que nous donne l'écrivain qui erra à la manière d'Ulysse d'île en île, de port en port,  croisant parfois une humaine au visage de déesse, une antiquité vivante se moquant de son incompréhensible grec ancien de lycée .
 Une Athéna  fatale et rieuse, une Pénélope n'attendant personne ou une Antigone  n'en faisant qu'à sa tête sur la plage d'une île perdue. Douces, diaphanes, divines présences prenant leur place dans le cortège de ses songes Grecs ?
 Ou reflet de sa quête, née  le jour où, encore enfant, il apprit les premières lettres (dessinées en volutes, arabesques et guirlandes ) de cette magie qui a nom alphabet grec.
 Un si grand amour, un infini désir d'une civilisation immortelle, d'une langue  qui traverse les siècles en se transformant pour mieux s'embellir, d'une idée vague et nette de la beauté, rêves inséparables d'un pays tombant dans la mer du haut de ses roches plantées d'oliviers et de vignes , et de ses îles éparpillées .
"Moi-même , pendant ces années cycladiques , j'ai porté d'île en île une errance poétique,  une quête inexplicable qui me firent ressentir quelquefois ces déplacements comme une émigration intérieure sur des lignes infécondes .Lorsqu'on voyage ainsi à la façon des Grecs, il y a toujours quelque part en soi un sillage qui jamais ne se referme tout à fait ."
Ce désarroi étrange résonne tout au long des récits de ce pèlerin ignorant quel est le but suprême de son "grand tour " bercé  par les appels des marins : "Thalassitsa !"(petite mer !) ou "Thalassara !"(grosse mer !), et si le bateau tangue, si l'écume engloutit le pont,  c'est "Fortuna !", la tempête qui trépigne contre la coque rouillée ...les vents enflent , les passagers rendent âmes et entrailles à l'impavide dieu des profondeurs et Séféris s'écrie :
"Mais que cherchent-elles , nos âmes , à voyager ainsi
Sur des ponts de bateaux délabrés,
Entassés parmi des femmes blêmes et des enfants qui
pleurent ,
que ne peuvent distraire ni les poissons volants
Ni les étoiles que les mâts désignent de leur pointe ,
 Usées par les disques des phonographes ,
Liées sans le vouloir à d'inopérants pèlerinages ,
Murmurant en langues étrangères des miettes de pensées ?

Mais que cherchent-elles nos âmes, à voyager ainsi
De port en port sur des coques pourries ?

Déplaçant des pierres éclatées , respirant
La fraîcheur des pins plus péniblement chaque jour ,
Nageant tantôt dans les eaux d'une mer
Et tantôt dans celles d'une autre mer,
sans contact
Sans hommes , Dans un pays qui n'est plus le nôtre
Ni le vôtre non plus .
Nous savions qu'elles étaient belles ,les îles
Quelque part près du lieu où nous allons à l'aveuglette ,
Un peu plus bas , un peu plus haut ,
A une distance infime ."

Cette incantation claire et obscure vogue à l'instar d'une brume de mer qui, soudain, se dissipe et nous laisse voir les falaises d'une île sortie de nos chimères et de la géographie . Anaphi, la déserte en face de Santorin victime de l'appétit des foules ?
 Ou une inconnue ,  montagne aux remparts trop lisses pour être livrés à la curiosité ?
 Jacques Lacarrière trouva son île ,sa citadelle aride, ce fut Sérifos , à l'ouest des Cyclades .Puis , il lui fut infidèle !
Et il parcourut Alonissos, "île sereine et douce ", et finit par tomber dans les filets de Psara en 1966.
Trois amours, une seule favorite !
La dernière dénichée, un peu par hasard , et beaucoup par cet irrésistible envie de mettre le pied sur une île véritablement retirée, absolument indifférente aux convulsions et outrances du vaste monde , occupée de  son seul rythme, de ses souffrances mystérieuses et de ses bonheurs naïfs.
Cette chimère de schistes verdâtres cache un trésor de vergers bien abrités au creux du Val des Poiriers .Aucun risque à cette lointaine époque de voir le silence inspiré se casser en mille appels de visiteurs excités venus épancher leur manie curieuse.
Psara pour ce loup solitaire de Jacques Lacarrière est un paradis dédaigné des lignes régulières .
Si vous  persistiez dans l'envie saugrenue d'obtenir quelques nouvelles virevoltant entre les autres îles de l'archipel du Dodécanèse ,la Grèce entière, ou , pourquoi pas la planète bleue, un caïque s'engageait deux fois par semaine à vous rassasier de journaux et de lettres d'amour .
En 2017, étrangement , Psara semble toujours aussi repliée sur ses plages aux durs cailloux et ses collines ébouriffées par les vents que s plait à lâcher le dieu Eole  ,l'hôte le plus en vue de ce refuge pour misanthropes enragés .
L'île a une beauté réservée qui ne se dévoile qu'à pas lents . Peut-être ses habitants ont-ils gardé au profond de leur mémoire l'âpre souvenir des drames anciens .Depuis les massacres des envahisseurs turcs qui ensanglantèrent Chios , la grande île voisine  l'an 1822 et sa jeune soeur Psara, deux années après, le temps reste suspendu ...
Jacques Lacarrière, au temps où les Beatles chantaient, ne souffrait d'entendre que le grésillement des cigales. Psara combla ses voeux d'une Grèce à conquérir en toute poésie, armé de douceur attentive et d'humilité patiente .Ce savoir-vivre vaut encore son pesant de cyprès , d'oliviers et de figuiers .
Grâce à ce viatique de bienveillance, l'écrivain traça un portrait de Psara qui est celui de toutes les îles de nos rêves
.D'un rocher gris sur la mer empourprée, il fit l'Ithaque que vous tentez d'atteindre du matin au soir de votre vie .
Quand Jacques Lacarrière y mit le pied, Psara lui donna ce qu'elle avait.
 Sa capitale villageoise était en réalité le seul village de l'île .Deux églises, une vue enivrante sur la baie,  un port de barques rouges, jaunes, blanches et bleues, des maisons sans étages, souvent abandonnées dix ans d'affilée par des propriétaires exilés, des terrasses  vides , des rues désertes , sauf autour des trois cafés du port qui prouvent, tôt matin ou à la fin du jour, que les hommes n'ont pas définitivement quittés leur rocher.
Les saluts sont discrets,  l'hospitalité prudente, le voyageur n'est pas ici l'envoyé des dieux ou un dieu lui-même !
Heureusement, les choses s'arrangent devant un repas pris sur le réchaud d'un café.
L'un d'eux a conquis tout de suite l'écrivain reposé par la sieste obligatoire:
"Je l'ai aimé d'emblée pour sa petite terrasse ombragée d'un mûrier et cette allure vétuste et sympathique qui ne trompe jamais : c'est celui-là, celui-là seul le café des pêcheurs ."
Du coup, Jacques Lacarrière suit le mouvement général :
"Fumer, regarder la mer, bavarder."
Le rêveur solitaire a été dûment logé dans "la maison du téléphone" , une aimable plaisanterie pour celui qui souhaitait se mettre bien à l'écart de l'univers ! mais,un dieu, sans doute l'ironique Hermès, a guidé la main amicale installant à côté de la toute nouvelle salle vouée aux communications radio  ,un lit de camp à l'intention du voyageur .
Assuré d'avoir un toit, le promeneur part à la recherche d'ondes plus délicates. Il écoute les murmures insulaires et s'étonne de ce nuage épais enveloppant la vie :
"A peine y surprend-t-on ces rumeurs multiples , ces allées et venues de bateaux qui animent les plus minuscules ports des Cyclades .Il est vrai qu'ici aucun bateau ne vient .C'est bien comme je l'imaginais, un univers replié , oublié , où le monde extérieur paraît terriblement lointain ."
 L'écrivain envahi, en 1966, de neurasthénie insulaire, sombrait-il corps et âme, englouti  dans une bulle de ouate n'existant qu'en sa féconde imagination ?
 Pourtant , la réalité ne ment pas : Psara se dérobe sous sa carapace depuis des siècles .
Son visage est double comme son destin ; pauvre , oui .
Rebelle d'accès , plus encore .
Or, insiste Jacques Lacarrière, décidément amoureux de ce tas de pierres:
 " ces inconvénients peuvent devenir des avantages ...L'isolement et l'aridité de Psara contraignirent ses habitants à y vivre difficilement mais les ont par là même protégé des convoitises et des envahisseurs ."
Psara, île de pirates, puis de soldats, enfin de pêcheurs , de marins ; île de rares paysans, élevant des chèvres, cultivant des tomates, presque des ermites tournant le dos à la mer ...Une île qui voit son destin couler avec l'ouzo de ceux qui refont le monde sous les mûriers des deux petites places
.Une île où la mort est accueillie avec des clameurs terribles, selon les codes d'un rituel ancestral auquel nul ne songerait à s'opposer .
La troupe des pleureuses hurle sa douleur dans l'espoir acharné que son chant, trempé dans le pur chagrin, force les portes du Ciel.
Envoûté l'écrivain de retranscrire ces chants surgis des funérailles antiques :
"Ta jeunesse, ta force, ta beauté, ton courage
c'est le sol noir à présent qui en fera partage
Le brasier de mon coeur, quelle eau l'apaisera
Puisque larmes est devenue l'eau, larmes pour me noyer ?"

L'île nue frissonne de poésie !
L'écrivain a reçu d'elle bien davantage qu'il ne croyait ...
Et un poème flotte sur les vagues , la prière à Ithaque chuchotée par Constantin Cavafy,
l'exilé qui rêva tant de ces îles vers lesquelles il ne s'embarqua jamais :

" Ithaque t'a accordé le beau voyage .
Sans elle tu ne serais jamais parti .
elle n'a rien d'autre à te donner .
et si pauvre qu'elle te paraisse ,
Ithaque ne t'aura pas trompé.
Sage et riche de tant d'expérience,
Tu as sûrement déjà compris ce que signifient les Ithaques ."

A bientôt ! Puisse votre rêve devenir réalité !

Nathalie-Alix de La Panouse

Lady Alix

Beauté d'un port de Grèce : pourquoi pas  celui de votre Ithaque rêvée ?
Elle existe cette île qui est vôtre sans que vous le sachiez, elle existe et et vous la trouverez ...




                                                                                            Château de St Michel de Lanès
                                                                                           Cabinet St Michel Immobilier CSMI
                                                                                       

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