samedi 4 février 2017

A Toulouse, un soir d'hiver , Beethoven réchauffe les Muses

L'autre soir , j'étais au Musée , un grand , un beau , un mystérieux Musée , à la fois très ouvert et très fermé .
C'était à Toulouse , ville où en ce début février l'aimable rose perce à nouveau sous le gris hivernal ; et l'immense maison rouge grenat repliée sur son cloître aux délicates sculptures , c'était un ancien monastère, édifié avec la noble rigueur  du gothique méridional : le Musée des Augustins .
Les Musées abritent ces diaphanes beautés , onduleuse comme de jeunes panthères et douées du même regard vert surnaturel, qui à  une époque civilisée portaient le doux nom des Muses, filles de Zeus , roi des dieux  .
Neuf filles divines , neuf fracassantes héritières de l'énergie de leur père et de la délicatesse de leur mère, la vagabonde , l'indispensable déesse Mémoire. Une mère singulière , princesse des sources bleues du Léthé,  fleuve où , selon les rites antiques , vous buvez une première fois , afin d'oublier votre vie d'avant la mort , et une seconde quand vous reprenez corps .
les neuf muses ont un tempérament de feu pour neuf vocations bien précises .Seuls les beaux-arts et les nobles sciences sont de leur ressort .
Neuf muses aux beaux noms dont la mission est de vous tenir par la main afin de vous guider vers les contrées du beau et du bien , et, par là , révéler vos talents cachés ...Pourquoi ne pas céder au plaisir de les invoquer comme il se doit ?
Voici l'aînée ,Calliope à la belle voix , muse de l'épopée et des légendes , puis , Clio, en ses débuts  folâtre et étourdie , muse de l'histoire devenue appliquée et sérieuse , la douce Polhymnie , muse des chants sacrés, la gracieuse Euterpe, joueuse de flûte , muse des instruments à vent , la virevoltante Terpsichore , dont l'étrange nom signifie plénitude , muse de la danse , la brumeuse et tendre Erato, muse de la poésie lyrique , chantant les amours oubliées et le bonheur réveillé .
Voici encore, Melpomène , muse de la tragédie , impérieuse et grave ; puis , la moqueuse et irrésistible Thalie , son contraire , muse de la comédie , sans nul doute la plus bienfaisante , la plus accessible des Muses ; enfin ,la benjamine , Uranie , muse très honorée de nos jours , protectrice des savants !  muse , en vrac , des mathématiques , de la biologie , de l'astronomie , de la physique et de la biologie.
Bizarrement , cette muse que l'on croit austère, une paire de lunettes d'un chic olympien sur son nez grec , raffole de la  poésie la plus romanesque !
Certains soirs , les concerts des" Arts Renaissants" à Toulouse raniment ces créatures qui viennent , rieuses et excitées ,se mêler à une foule  au contraire extrêmement sage grimpant vers le salon rouge .
Une fois parvenu à l'étage des collections de peintures , vous éprouvez une émotion charmante :
 au bout de l'immense pièce , une dame en robe rouge et chapeau noir , vous accueille ; vous ne connaissez que ce doux minois encadré de boucles du plus clair châtain ,c'est la figure favorite des collections de peinture du XVIIIe. Une remarquable beauté, de rouge souligné de précieuse fourrure vêtue, qui, ce soir, contemple , prisonnière de son cadre , ces mélomanes qui pour un peu s'inclineraient devant sa grâce incomparable .
Madame Vigée -Lebrun en glissant une partition musicale à cette si exquise comtesse de Crussol , son chef d'oeuvre de l'an 1785, se doutait-elle que cette élégante deviendrait  à Toulouse  au XXIe siècle une si gracieuse égérie ?
En ce Musée des Augustins vous marchez sur la pointe des pieds de crainte de commettre une faute de goût ou de déranger un esthète égaré , un contemplatif , un enfant songeur .Les musées, mondes singuliers , sont nos ultimes sanctuaires ... Îles bourdonnantes et retentissantes à certaines heures , temples de solitude à d'autres .
Ils ont leurs heures de soleil et leurs moments de doute ; on y rêve , on en fait le tour en tentant d'attraper l'esprit des lieux .
 Sur le point de monter vers les tableaux immenses  et les bustes hiératiques du premier étage, vous préférez  flâner autour du cloître. Un sublime bazar s'offre à vous ! d'abord gagner la chapelle : l'exposition de la saison vous fait signe.
 Incapable de refuser cet appel fascinant ,vous glissez un oeil aiguisé de curiosité par les "Fenêtres sur cours ", tableaux émouvants et rares de ces lieux clos fourmillants de secrets , paysages intimes , rustiques ou glorieux .
Promeneur inspiré , vous revenez de  l'autre côté des colonnes encerclant le jardin de simples.
A travers les vitres immenses des salles médiévales ,vous contemplez le sommeil éternel des chevaliers  en armure de pierre ; une onde de nostalgie vous envahit : l'un de ces guerriers gît en compagnie de son lion apprivoisé , étalé sur ses pieds ,symbole infiniment pur d'une incroyable fidélité .
Plus loin , une Vierge mélancolique son enfant sur les genoux , lance un regard à l'expression ineffable vers un avenir douloureux . Vous décidez de longer le cloître ,votre pas est surveillé par un rang de cerbères aboyant en silence, anciennes gargouilles de l'église , dressées à garder ou à impressionner .
Vous fuyez ,mal vous en prend car vous vous heurtez à une énorme sculpture évoquant un cauchemar des plus réussis au bas d'un escalier fort imposant !
 Vous n'avez plus qu'à vous réfugiez dans les allées du verger médiéval apaisant comme un conte enfantin .de toute façon , le moment du concert arrive .
 Il est temps de remonter l'escalier menant au "salon rouge". Un sentiment bizarre vous étreint : cet endroit hanté par tant d'artistes disparus est à la fois le même et, à chaque visite, un autre ...Immuable et déroutant Musée des Augustins !
 En vérité ,de la chapelle aux salles du premier étage, les oeuvres éparses, statues de toute époque , peintures agrestes, portraits , tableaux religieux ou toiles exaltant un fabuleux ou cruel épisode historique ont la faculté assez inouïe d'étonner même ceux qui croient les connaître depuis l'enfance !
Et plus encore  en ce soir du concert , "Beethoven à l'ombre des romantiques", une pluie de sortilèges secoue les habitués et les habitudes.
Les spectateurs n'ont pas la mémoire courte ; violons, violoncelle et alto endiablés du Quatuor Modigliani ( janvier 2017)  retentissent encore , fougueux et exaltés ,à leurs oreilles . La nuit froide de cet âpre janvier vira à la chaleur débordante de l'été sous les archers des artistes ! ce prodige fugace fondra-t-il à nouveau sur les mélomanes réunis dans le "salon rouge" ?
 Le Trio Moraguès fera-t-il danser les tableaux sur les cascades orageuses de Beethoven , Brahms , Schumann et Frühling  ( illustre inconnu ) ?
L'atmosphère se cabre à l'instar d'un cheval inquiet , les mélomanes toulousains cherchent bien sûr leurs sacro-saintes places réservées . Les autres ,dont je fais partie , errent ,présentent leurs excuses , soupirent et ,miracle, finissent par s'asseoir au fond du salon .Consolation : la "mauvaise "place est juste à droite d'une exquise "veduta "napolitaine !
 A gauche de la porte dévolue au public, une statue de déesse rebondie dévoile son aimable postérieur à l'intention des retardataires obligés de trouver  une chaise sous sa généreuse protection.
Paysages antiques ,portraits  impavides ,fresques éclatantes , aréopage de fées à la chair rose , les toiles de maîtres épient le salon ,observent ces envahisseurs d'un soir , et guettent le moment parfait : celui où s'élèvera la première note ; celle qui tirera de leur torpeur  figures et silhouettes accrochées aux murs ...
Les lumières s'éteignent , l'enchantement commence !
Voici le fameux trio qui passe en frôlant votre chaise ; voici l'estrade , étoile dans la nuit ; voici le piano , vaisseau paré à fendre la houle . La pianiste , Madame Désert , porte le suave prénom de Claire et sa blondeur étincelle au dessus du clavier .Soudain gronde le violoncelle porté par son maître , Gary Hoffman ,robuste et généreux comme lui ; en écho déluré lui répond la clarinette de Pascal Moraguès , musicien souple et allègre .
 Le piano prend la mer ! toute armée de passion ,la musique de Beethoven enlève bien loin du salon rouge . Allegro , adagio , allegretto secouent les beautés accrochées au mur rouge , raniment les ondes des amours et laissent entrer au sein des tableaux l'imagination lâchée des spectateurs.
Le prodige souhaité s'accomplit : les tableaux dansent sur les murs rouges et votre coeur bondit !
vous vous découvrez une âme d'adolescent en proie aux tortures et douleurs de la vie et de l'amour . Rien de plus normal : ce sont les muses qui s'amusent  des mortels...
 Monsieur Pascal Moraguès , clarinettiste sans pareil, bouleverse et réconforte .
Musique et peinture , deux arts faits pour s'accorder comme violon et archet , le "salon rouge" exacerbe cette union fantasque et harmonieuse .
Une sonate de Brahms , morceau de bravoure quasi cérébral exacerbe les talents du violoncelliste , Gary Hoffman, jouant sur un instrument de 1662, un mythique Nicolo Amati , et de l'extraordinaire artiste Claire Désert .
L'entracte délasse les uns, délie les langues des autres, et réserve la surprise de découvrir un tableau épique en cours de patiente résurrection : la victoire de l'empereur Constantin sur son rival Maxence en 312. Réservés , souriants , les spectateurs lèvent le nez vers les tableaux imposants en masquant leur impatience . La récréation s'achève heureusement assez vite .
Shumann résonne , pur et chantant , gonflé de sève . Puis , c'est au tour de ce compositeur dont le nom n'évoque absolument rien au mélomane ignare  : Carl Frühling.
L'angoisse vous titille : faudra-t-il s'éclipser , (c'est facile quand on est au dernier rang) ?
La fin approche , l'émotion vous a fatigué , les courants d'air sont singulièrement cruels, aussi cet artiste de  Frühling vous donne-t-il envie d'autre chose...
Au choix , votre lit ou Vivaldi vous iraient à merveille ! mais il faut écouter , puis applaudir, et c'est le déchaînement ! les mélomanes toulousains sont le plus fervent des publics ! un , deux , trois rappels , des cris , des pleurs , des bras tendus , un nouveau morceau , froissements des manteaux ,derniers bavardages , adieux , bruit de chaises , bruit de foule en marche , la musique n'est plus qu'un vague à l'âme .
C'est l'apaisement ...
Sous les lumières victorieuses , les tableaux reprennent une contenance figée .La nuit pèse sur les verrières du plafond .Toulouse s'endort au delà des murs rouges du salon abandonné .
Moqueuses, babillant en leur jargon divin, les muses , filles de Zeus , prennent congé des mortels .
Un poème me poursuit rue de Metz, une musique un peu ivre , absolument farfelue :
 chant ou soupir de Sir Percy Bysshe Shelley, poète n'ayant jamais mis le pied à Toulouse  mais qui aurait peut-être aimé l'éclat italien de cette ville :

"I pant for the music which is divine,
My heart in its thirst is a dying flower ;
Pour forth the sound like enchanted wine,
Loosen the notes in a silver shower ;
Like a herbless plain for the gentle rain ,
I gasp, I faint, till they wake again ."

( Je me meurs du désir de musique divine,
Mon coeur , tant il a soif , est une fleur mourante ;
Verse le son comme un vin enchanté,
Délie les notes en une averse argentine ;
comme une plaine sans herbe , pour la pluie bienfaisante,
A l'agonie , je défaille , jusqu'à leur réveil.)

A bientôt !
Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse

Comtesse de Crussol par Vigée-Lebrun
Musée des Augustins, Toulouse

                                                                                            Château de St Michel de Lanès
                                                                                           Cabinet St Michel Immobilier CSMI

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