samedi 25 mars 2017

Contes du vieux château : L'amour en lettres de feu: Napoléon et Joséphine

L'art d'aimer se prolonge dans l'écriture de l'amour.
Sur papier, par mail, la belle affaire ! aimer c'est avant tout l'invention des mots allumant un brasier qui réchauffera le coeur glacé de l'autre.
On meurt souvent sur papier, on espère dans le désespoir, on brûle ses yeux, on court en s'épuisant après la formule inspirée, la phrase la plus touchante, on devient maladroit, on s'embourbe, mais on écrit toujours... Car, sans écriture, l'amour perd sa réalité.
Sans lettres d'amour, la nuit noire s'empare de l'âme, et surgissent les démons de la rancune et du soupçon. Puis, une lettre arrive, c'est le ciel dans la tombe, on y répond, vite, le temps presse, chaque mot compte, une lettre d'amour, c'est un cheval au galop.
Dès que l'on fait du style, c'est que l'on n'aime plus. L'élégance étonnante des lettres célèbres est chose naturelle, l'écriture, Musset le disait si bien, émane du coeur.
Tout le reste n'est que littérature !
Dans l'océan tumultueux des lettres d'amants heureux ou maudits, les écrits douloureux de Napoléon à Joséphine surgissent ainsi que des récifs ancrés pour l'éternité .
Référence de la passion épistolaire, ces billets sentent la poudre à canon, la sueur des combats , l'ivresse des victoires .A l'instar d'Henri IV, le fringant officier corse fait l'amour par courrier et jette ses impressions guerrières mêlées aux prières amoureuses les plus torrides. Aiguisées, brèves, vives les déclarations à cette cruelle Joséphine brillent comme la lame d'un sabre au clair .Affolantes , crues, tendres, élégantes et toujours, à la hussarde , ces lettres clament une kyrielle de sentiments extrêmes qui n'auront jamais à souffrir de la griffe du temps .On s'y aventure au hasard ou en déroulant le fil d'Ariane de l'histoire.
La fascination saisit dés les premiers mots !
Pourtant, s'étonne-t-on , Napoléon avait d'autres tracas et soucis en préparant  à Nice, le 30 mars 1796, sa campagne d'Italie avec Masséna contre deux armées ennemies à la fois, l'Autrichienne et la Piémontaise, que le désir impétueux d'affirmer à sa bien-aimée lointaine :
"Je n'ai pas passé un jour sans t'aimer, je n'ai pas passé une nuit sans te serrer dans mes bras, je n'ai pas pris une tasse de thé sans maudire la gloire et l'ambition qui me tiennent éloigné de l'âme de ma vie. "
L'ironie facile s'amuse de cette "tasse de thé", liquide éminemment insipide abreuvant un conquérant aussi farouche ! qu'importe , l'ardeur palpable de ce" billet doux "secoue nos certitudes faciles .
Oui , le grand homme préférait l'amour à la gloire, ou du moins, en amant impétueux, mariait-il admirablement les deux .
Napoléon était un jeune marié idéalisant l'amour au moment où la France voyait en ce Corse insolent une foudroyante incarnation du dieu Mars .Joséphine Tascher de La Pagerie, ci-devant vicomtesse de Beauharnais, veuve exquise, veuve volage, veuve consolée par de nombreux bras, venait d'épouser, le neuf mars 1796, ce terrible général de 26 ans. L'adorable libertine  cachait six années de trop sous ses voiles arachnéens .
Le fringant officier eut la galanterie de se vieillir afin d'enlever au plus vite la conquête de cette citadelle brune qui avait décidé depuis longtemps de lui en remettre les clefs.
Mais, l'amour et le mariage ne font pas toujours bon ménage .
Malgré son statut de citoyenne Bonaparte, l'aristocratique créole entendait mener ses choix sentimentaux à sa façon, en annexe de ce mariage mal assorti .Elle éprouvait toutefois une espèce d'attachement étourdi et maternel envers ce jeune époux qui lui assurait le train de vie qu'elle pensait mériter .
De là à partager ses emportements ! que non pas !amant-époux exalté, Corse fier, le général Bonaparte ne considérait le lien l'unissant légalement à la vicomtesse qu'avec fougue, fureur, délire. De temps à autre, il redescendait vers des détails d'économie domestique, assez surprenants au milieu de tant de passion lâchée .
Quoi qu'il en soit , il ne peut exister une seule femme au monde qui ne jalouse Joséphine inondée par cette averse épistolaire entre ces deux immortels printemps qui  bornèrent, d'avril 1796 à avril 1797, la première campagne d'Italie.
Cette aimable, cette langoureuse créole, sans cesse alarmée par sa santé fragile, rivalisait-elle d'ardeur épistolaire avec son bouillant époux ? Napoléon répond à cette épineuse question en employant les ressources de sa verve inquiète au long de son infatigable correspondance avec une aimée tour à tour charmeuse, distante, capricieuse ou taiseuse .
 C'est un amant déçu, non un chef se préparant à l'attaque de l'armée autrichienne, qui, à Albenga le 7 avril, griffonne, exaspéré, cette lettre rageuse :
" Je ne suis pas content .Ta dernière lettre est froide comme l'amitié. Je n'y ai pas trouvé ce feu qui allume tes regards, et que j'ai cru quelquefois y voir .Mais , quelle est ma bizarrerie ! J'ai trouvé que tes lettres précédentes oppressaient trop mon âme; la révolution qu'elles y produisaient attaquait mon repos et asservissait mes sentiments .Je désirais des lettres plus froides : mais elles me donnent le glacé de la mort .La crainte de ne plus être aimé de Joséphine, l'idée de la voir inconstante , de la ..."
Napoléon a le courage d'un lion sur le champs de bataille ,mais en terres amoureuses , il recule .
Un effroyable soupçon l'effleure,  il tourne le dos à cet ennemi mortel, et se met à donner des nouvelles de son entourage proche .Son désarroi est dompté tant bien que mal :
"Adieu jusqu'à demain, mio dolce amor. Un souvenir de mon unique femme ,
 et une victoire du destin : voilà mes souhaits ."
Soudain rasséréné , il clôt sa lettre d'un mot adorable qui, espérons-le, a provoqué l'émotion rougissante de Joséphine :
"Un baiser plus bas,  plus bas que le coeur."
Le destin exauce les désirs de victoire du jeune général, commandant de l'armée d'Italie .Voici déjà le 12 avril, les Français  battent les Autrichiens à Montenotte; le 21 avril, l'arsenal de Mondovi est arraché aux Piémontais qui acceptent l'armistice . Napoléon doit maintenant en découdre avec les seuls Autrichiens .Le 24 avril, échauffé par ses irrésistibles avancées, il trace à la diable ces lignes sur un papier officiel portant l'en tête de l'armée d'Italie .Cherche-t-il à impressionner cette Joséphine si évaporée ? Son style se veut diplomate , pourtant l'angoisse amoureuse éclate : il n'a reçu que deux lettres !
" Tu as été bien des jours sans m'écrire .Que fais-tu donc ? Oui , ma bonne, bonne amie, je suis, non pas jaloux , mais quelquefois inquiet .viens vite , je te préviens, si tu tardes , tu me trouveras malade.Les fatigues et ton absence , c'est trop à la fois ."
Napoléon soudain baisse sa garde , laisse son coeur plaider sa cause, sa lettre tourne à la prière amoureuse, le grand homme, le général auréolé de bravoure insensée qu'il est déjà pour toute une immense armée cède la place à un jeune lieutenant mal-aimé .Murat doit ramener Joséphine sous son égide, une fois les drapeaux ennemis apportés à Paris . Napoléon tremble à l'idée que son épouse-amante n'obéisse pas à son injonction , et si elle ne venait pas ...
La guerre contre l'armée autrichienne continuerait mais pour le général la flamme qui le guide s'éteindrait d'un seul coup . Ses mots donnent la mesure de son espoir-désespéré :
"Tu dois revenir avec lui, entends-tu ? Si jamais cela n'était pas fait de suite, qu'il ne vienne pas. Malheur sans remède, douleur sans consolation, peines continues, si j'avais le malheur de le voir venir seul, mon adorable amie ."
Joséphine ne semble guère se soumettre . Napoléon d'insister; le 29 avril Murat est arrivé, le départ de la citoyenne Bonaparte pour Mondovi est décidé. Du moins par son époux impatient au point d'imaginer une voie rapide par Turin, quinze jours de gagné ! et la joie de ce futur proche brûle coeur et corps Napoléon, allège son style épistolaire et adoucit sa rudesse de mari corse .
C'est un troubadour qui chante son amour absolu :
"Mon bonheur est que tu sois heureuse, ma joie que tu sois gaie , mon plaisir que tu en aies .
Jamais femme ne fut aimée avec plus de dévouement , de feu et de tendresse ."
Comment veux-tu ma vie que je ne sois pas triste ? Pas de lettres de toi ; je n'en reçois que tous les quatre jours, au lieu que si tu m'aimais , tu m'écrirais deux fois par jour ...Ah Joséphine , tu es pour moi un monde que je ne puis expliquer; je t'aime tous les jours davantage .L'absence guérit les petites passions et accroît les grandes .Un baiser sur ta bouche, un sur ton coeur ; il n'a personne que moi , n'est-ce pas ? et puis un sur ton sein .Ecris-moi, viens vite : ce sera un jour bien heureux que celui où tu passeras les Alpes : c'est la plus belle récompense de mes peines et des victoires que j'ai remportées ."
Joséphine chavira-telle en lisant ces lignes frappées du sceau de la passion la plus pure ?
Comment ne pas résister à ces appels d'une franchise hallucinée, à ce tumulte perpétuel, à ces cris
d'un homme si brillant et si abandonné ? Quelle âme tendre , quelle femme aimante et généreuse n'aurait-elle immédiatement quitté Paris, son cercle mondain et ses soupirants d'une insignifiance raffinée, pour galoper sur les routes caillouteuses vers cet homme fier qui lui inventait un rang de déesse de toute l'ardeur de ses lettres extraordinaires ?
Eh bien , non !
 Joséphine, au contraire, s'accrocha à sa vie futile et confortable .
 A l'instar d'une moule sur son rocher !
Comble de la perversité, elle prétendit attendre l'héritier du conquérant !la ficelle était d'importance, mais Napoléon, curieusement crédule, flotta d'abord sur une nuée quasi céleste, puis douta, n'était-il parti depuis un peu plus de neuf mois ?
 La joie lutta avec la raison et c'est la fureur qui s'empara du vainqueur de la Lombardie .Mais Joséphine se montrait aussi dure à convaincre que la puissante forteresse de Mantoue à ouvrir ses portes aux Français .Napoléon se répand en mots fulgurants scandant son amère lucidité .
On ne peut s'empêcher de le plaindre ! on souffre au rythme de sa colère douloureuse , le génie militaire se dépouille de sa superbe devant une femme exaspérante qui ne mérite en rien un pareil attachement .
N'en fait-il  trop tout de même ? Ecoutons les rugissements du fauve blessé :
"Joséphine , tu devais partir le 5 (juin) de Paris , tu devais partir le 11, tu n'étais pas partie le 12 .Mon âme s'était ouverte à la joie , elle est remplie de douleur ...Tous les courriers arrivent sans m'apporter de tes lettres ...Quand tu m'écris le peu de mot, ton style n'est jamais celui d'un sentiment profond... Tu n'as jamais aimé . Je rentre dans mon âme, j'étouffe un sentiment indigne de moi, et si la gloire ne suffit pas à mon bonheur, elle forme l'élément de la mort et de l'immortalité . Mon coeur ne sentit jamais rien de médiocre ...Il s'était défendu de l'amour ; tu lui as inspiré une passion sans bornes ...une ivresse qui le dégrade ...Tu as fait mon malheur .Adieu Joséphine ; reste à Paris ;ne m'écris plus .Mille poignards déchirent mon coeur ; ne les enfonce pas davantage .
Adieu mon bonheur , ma vie , tout ce qui existait pour moi sur la terre !!!"
Serait-ce la rupture totale ?
 Non ! quand on aime à ce point, hélas , on aime toujours, l'amant ou l'amante  peuple votre sang, votre âme, votre coeur, vous ne pouvez arrachez cet amour sans vous arracher à vous-même. Napoléon nourrit son chagrin des lettres de son épouse , le résultat est prévisible ; ses lettres exquises raniment ses tourments, attisent sa passion, titillent ses regrets; il s'égare, il jure à l'inconstante une éternelle constance :
"Malgré le destin et l'honneur, je t'aimerai toute ma vie ."
La-dessus, officiers intrépides, fantassins héroïques, cantinières dévouées, tous se désolent de la métamorphose violente de leur dieu Mars affaibli par les stigmates du mal d'amour .
Que faire ? Joséphine n'a plus droit au chapitre, la France exige son départvers l'Italie ! et la belle épouse du triste général s'exécute en maugréant .Sa consolation risque de provoquer un drame : Joséphine a l'audace de glisser dans ses bagages un emplâtre bon-chic
bon-genre , un bellâtre de lieutenant, le sieur Hippolyte Charles .On murmure que cet étrange paquet serait du dernier bien avec la citoyenne Bonaparte, on le murmure et on a raison .
Le remède se révélera-t-il pire que le mal ?
 En tout cas , le 13 juin 1796, Napoléon , ivre de bonheur, ordonne que l'on prépare un palais à Milan, des fastes princiers, une cascade étourdissante de fleurs, un escadron de serviteurs ,afin de récompenser l'épouse rebelle de son exil provisoire .Et, comme il est heureux, comme sa fougue guerrière renaît, il la délaisse deux jours après pour tenter d'entrer dans Mantoue
Or le péril autrichien s'exacerba car le général Würmser rassembla ses troupes afin d'aider les assiégés .Napoléon fonça donc sur les forces majeures de Würmser, les défit et cerna à nouveau Mantoue où le général autrichien avait trouvé refuge .Ces péripéties freinèrent-elles sa rage épistolaire ? En aucune façon ...
Les lettres filèrent à la vitesse des coursiers galopant sur l'étendue des plaines lombardes .Joséphine adorée fut l'étoile de Napoléon, celle qui scintillait dans les cieux de sa campagne .Il pardonne tout , il accepte tout, on croit lire la "Lettre de Saint Paul aux Corinthiens ".
Certains mots sont déchirants :
"Mille baisers aussi brûlants que tu es froide , amour sans borne et fidélité à toute épreuve ."
Napoléon est étreint par un doute affreux, ce lieutenant, ce sot ramené de Paris, serait-ce un amant ?
"Bon Dieu ! si tu ne conservais pour moi ton sentiment ...je n'ose pas achever, mon malheur serait sans égal.Cette seule idée me rend malade et triste .Si l'amour que tu as pour moi n'était pas unique, comme ton coeur n'était exclusif d'aucun autre sentiment, il n'y aurait que désert et vide sur terre ..."
Napoléon trace ces mots quand arrive le courrier de Milan
.Quoi ! Pas de lettre ! d'un trait de plume , il forme ce voeu d'un égoïsme sublime, à la fois souhait de troubadour et menace voilée d'époux bafoué :
"Ah ! si je pouvais , tu sais bien , t'enfermer dans mon coeur. Je t'y mettrais en prison ; pour longtemps tu ne verrais le soleil ."
La campagne d'Italie assura la gloire du jeune général sans fortifier les sentiments de son épouse .
Pourtant, Joséphine inspira encore une multitude de lettres, et, en dépit des remous, des rivales, des des erreurs, du Consulat et de l'Empire, du divorce pour"un ventre "autrichien, elle fut jusqu'au bout de la vie, sans doute jusqu'au bord de la mort, l'amour unique de Napoléon .
D'ailleurs, une image célèbre montre l'empereur accueilli au Ciel par la belle créole lui tendant ses bras  aimants...
A bientôt pour d'autres belles lettres , d'autres belles amours ,

Nathalie-Alix de La Panouse

Lady Alix

L'image idéalisée de Joséphine accueillant Bonaparte au paradis
                                                                                            Château de St Michel de Lanès

                                                                                           Cabinet St Michel Immobilier CSMI

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