vendredi 28 avril 2017

Contes du vieux château : Coup de foudre et amour impossible : "La princesse de Clèves" !

Madame de La Fayette, honorable précieuse veillant à ne jamais sombrer dans le ridicule ( à cette époque, il tuait grâce à un certain Monsieur Molière) publia en 1678  un roman aux belles couleurs historiques, déroulant son intrigue au sein de la cour fastueuse du roi Henri II, qui passe pour la bible des amants malheureux .
Fumisterie ou tragédie ?
En 2017, le mystère titille encore ceux qui réunissent leurs forces afin de suivre les méandres surprenants de cette aventure extravagante qui semble aussi jeune que l'amour effaçant l'âge de ceux qu'il touche .
Ce fût celle de deux personnes saines de corps et d'esprit qui s'aimèrent de tout leur coeur, s'accordèrent de toute leur âme, et ne passèrent jamais une seule nuit ensemble (ce qui ne fut guère le cas de l'auteur et de son amant l'écrivain La Rochefoucauld).
Sacrifice vertueux ?
Peur bien naturelle des terribles conséquences ?
 La liste était assez fournie à l'époque :
duel entre l'amant et l'époux, enfant illégitime, scandale mondain, vengeance sanglante; et le pire : exil  des amants sur leurs terres de province, sans doute le châtiment par excellence car équivalent à une mort lente due à l'ennui absolu distillé par la paix rustique ...
Pourtant quand on aime, on ne craint ni dieu, ni diable. L'amour fou justifie tous les égarements, attise les imprudences, excuse les égoïsmes, bouleverse le coeur, enfièvre le corps, épuise l'âme et rend parfaitement aveugle à ce qui n'est pas l'être adoré .
Le résultat fort triste n'en reste pas moins incroyable, jamais la princesse de Clèves et le duc de Nemours ne" se connurent", tout en éprouvant, l'un pour l'autre, une passion d'une violence sans pareille, même chez les amants légendaires de l'histoire ou de la littérature
.La fascination exercée par ce roman bizarre serait incompréhensible si au milieu d'un fatras de péripéties n'éclataient les sentiments les plus éternels, les plus humains, les plus émouvants.
Soudain, on devient si proche de cette princesse plongée dans une rêverie solitaire devant le portrait de son amant, qu'elle croit à des centaines de lieux et qui est là,  juste sous ses fenêtres ; soudain , on se sent moins abandonné au sein des tourments d'une passion impossible .
Ce récit n'est pas autre chose qu'une consolation douce-amère destinée aux affligés de l'amour.
Son auteur savait porter avec élégance un coeur malmené par la passion.
Ainsi Madame de La Fayette raconte-t-elle une histoire aussi vieille que le monde : celle du bonheur qui s'enfuit par votre faute,  par excès de vertu, de sens du devoir, ou peur instinctive de l'inconnu .
Une chanson ne dit-elle : "fuir le bonheur avant qu'il ne se sauve "?
Bien sûr, la trame du roman est d'une subtilité qui laisse pantois. Mais, sa fin provoque les interrogations, suscite la perplexité, et rend l'héroïne beaucoup moins sympathique à un lecteur aimant la vie et gardant l'espoir solide et obstiné au fond du coeur .
Tout commence par un coup de foudre, un coup de sang, un coup de coeur ! rien de plus inconcevable et pourtant rien de plus répandu ! même les esprits chagrins, racornis ou perplexes sont touchés un jour par ce phénomène inexplicable ...
La jeune et belle Mademoiselle de Chartres vient de se marier avec le prince de Clèves qui pourrait être son frère aîné et qu'elle honore de son estime aussi pure que glaciale. Point de sentiment inutile, du respect et de la pudeur, cela suffit croit-elle du haut de son manque d'imagination vertueux.
Par contre, le prince est un époux empressé, témoignant à son glaçon de femme une passion conjugale excessivement rare
.Peut-être la froideur de cette jeune personne aux manières parfaites réchauffe-elle cet homme plus  riche d'expériences :
"Il conservait pour elle une passion violente et inquiète qui troublait sa joie la jalousie n'avait point de part à ce trouble : jamais mari n'a été si loin d'en prendre et jamais femme n'a été si loin d'en donner ."
L'existence s'écoule, paisible, entre la campagne,la cour, et les vains efforts du prince afin d'éveiller la jeune princesse à l'amour .
Voici l'annonce, à l'instar d'un conte de fées, d'un grand bal célébrant les fiançailles de la fille du roi, la très jeune princesse Claude de France, avec le duc de Lorraine. La magnificence promise éblouira la terre entière, et un invité adoré de toutes les Dames du monde viendra illuminer encore ce spectacle envoûtant : un ambassadeur du roi de France !
 le plus charmant des hommes, le plus étincelant, le plus spirituel, le plus beau, le mieux attifé, le plus courtois, le briseur de coeurs par excellence, en un mot : le duc de Nemours !
La princesse de Clèves a beau vivre au faite des nuages, rêver sur ses livres en femme cultivée de La Renaissance, préférer ses jardins , ses animaux de compagnie, à l'ennui factice de la cour, elle est tout de même prise d'une naïve curiosité à l'idée de voir en chair et en os ce prodigieux spécimen de l'espèce humaine :
"Elle avait ouï parler de ce prince comme de ce qu'il y avait de mieux fait et plus agréable à la cour;  et surtout Mme la Dauphine(Marie Stuart) le lui avait dépeint d'une sorte et lui en avait parlé tant de fois qu'elle lui avait donné de la curiosité, et même de l'impatience de le voir ."
Toute la cour se pomponne, se pare, frétille d'excitation, les pavanes entament leurs figures lentes, et la princesse se livre au plaisir innocent de provoquer les hommages masculins:
"il était difficile de voir Mme de Clèves pour la première fois sans avoir un grand étonnement ."
Point de duc de Nemours dans la salle de bal . Mais le destin guette ses proies:
"Il se fit un assez grand bruit ,comme de quelqu'un qui entrait et à qui on faisait place ...Mme de Clèves acheva de danser et le roi lui cria de prendre celui qui arrivait .Elle se tourna et vit un homme qu'elle crut d'abord ne pouvoir être que M. de Nemours, qui passait par-dessus quelques sièges pour arriver où l'on dansait."
Prise d'ivresse et de peur, Mme de Clèves sent son coeur battre à se rompre, elle sait, depuis toute éternité et une seconde à peine, qui est cet homme . L'amour est une reconnaissance : l'autre survient de la nuit la plus obscure, du fond des mystères inconscients, mais, c'est lui et lui seul, l'amour est aussi une révélation .
Bien sûr, ce bel homme ne pouvait qu'être le légendaire duc de Nemours :
"Ce prince était fait d'une sorte qu'il était difficile de n'être pas surpris de le voir quand on ne l'avait jamais vu, surtout ce soir-là, où le soin qu'il avait pris de se parer augmentait encore l'air brillant qui était dans sa personne."
Qu'importe ! ce n'est pas cet aspect singulier qui enlève corps et âme Mme de Clèves.
Elle suffoque presque, non pas d'admiration, mais d'angoisse face à une émotion inconnue. L'accord est immédiat , si parfait qu'il bouleverse les spectateurs blasés de ce théâtre permanent :
"Quand ils commencèrent à danser , il s'éleva dans la salle un murmure de louanges ."
Le mal est fait !
 Mme de Clèves aime: il n'a fallu qu'un instant, un "battement de cils" disait l'auteur de "Belle du seigneur" ...Le duc, si habitué à marcher sur des coeurs, doute soudain de lui-même .
Puis, il ne doute plus et accepte son "inclination violente"(un état qui lui est habituel !) envers cette femme irréprochable .
Sans doute aurait-il été sage de fuir .
Or Mme de La Fayette ne l'entend pas ainsi . Ses héros marcheront ensemble dans le traquenard que son esprit tortueux a savamment ourdi .
"Il n'y a pas d'amour heureux"..
M. de Nemours reste longtemps sans mesurer la profondeur du sentiment de cette aimée qui s'obstine à rester lointaine . Celle-ci endure les âpres tourments de la jalousie, et tente de lutter contre sa passion;  avant d'abdiquer toute retenue en craignant pour la vie du duc blessé lors d'une chute de cheval. Sans cesse, les deux héros s'attirent et s'éloignent, la princesse comprend qu'elle n'a plus la force de vaincre seule cette folle passion .
C'est la catastrophe !
La voilà qui appelle au secours celui qui n'aurait dû jamais rien savoir de son égarement : son époux !
Ce fameux "aveu" a fait couler des rivières d'encre et pousser des cris à tous les salons littéraires .
De nos jours aussi, franchement l'incertitude s'empare des lecteurs .Pourquoi cette sottise, pourquoi cette cruauté ?
 La princesse ne réalise-t-elle quelle peine immense elle inflige à son époux sous le fallacieux prétexte de lui prouver sa fidélité ?
Il y a pire ! l'amoureux transi de la princesse, par le plus singulier des hasards de notre littérature, entend chaque mot de cette terrible confidence conjugale ! Hasard épouvantable et délicieux ...
Le beau duc de Nemours a osé suivre le couple princier dans son domaine campagnard, et c'est sous les fenêtres de leur pavillon d'été, une dépendance du château, qu'il écoute, de toute son âme, celle qu'il aime livrer le secret de sa passion, sans  révéler le nom de l'élu .
 Est-ce lui ? Il n'en doute pas : il est aimé ! d'un autre côté, quel est son espoir ?
 Une épouse se livrant ainsi à la jalouse volonté de son époux ne pourrait sombrer dans une affaire de coeur. Le duc repart à la cour, le coeur gonflé de joie présomptueuse et l'âme pleine de confusion et d'attendrissement. Il commet alors une faute grave: raconter à un ami cette histoire embrouillée d'une femme prenant son époux pour chevalier afin de la défendre elle-même de céder à l'amour qu'elle ressent pour un autre.
 Hélas, l'ami, le vidame de chartes s'empresse de conter sur l'oreiller le roman du duc de Nemours à sa maîtresse qui va aussitôt en relater les détails à Marie Stuart, la reine-Dauphine.
On ne jase plus que de ridicule et superbe aveu, et de l'amour impossible du pauvre duc !
Mme de Clèves s'épouvante, accuse son époux d'avoir trahi ses confidences et s'oublie jusqu'à lui apprendre le nom de son amour interdit.Un autre drame se mêle à celui de ce couple : le roi meurt en tournoi .La princesse ne pouvant supporter l'agitation d'une cour préparant le couronnement du futur roi François II et de la Dauphine, se réfugie à la campagne.
Cavalier éperdu ,le duc s'échappe au galop du château royal de Chambord, et à la nuit tombée, une voluptueuse nuit d'été, épie la princesse recluse en son pavillon.
Elle est seule, peu vêtue , d'une beauté étourdissante .
Ciel ! dans cette atmosphère parfumée des fleurs nocturnes, la passion de ces amoureux  éclatera-t-elle enfin ? Ignorant que celui qu'elle adore scrute le moindre de ses gestes ,la princesse lui prouve que ses pensées à ce moment précis s'envolent vers lui:
"Elle prit un flambeau et s'en alla, proche d'une grande table, vis -à-vis du tableau du siège de Metz, où était le portrait du duc de Nemours; elle s'assit et se mit à regarder ce portrait avec une attention et une rêverie que la passion peut donner."
Un séducteur ordinaire aurait surpris la princesse et n'aurait tardé à déclarer sa flamme ! mais, le duc est un homme respectueux qui se contente de l'écume du bonheur et se nourrit de la pureté de son sentiment :
"Il s'en alla sous les saules, le long d'un petit ruisseau qui coulait derrière la maison .Il s'abandonna aux transports de son amour..."
Le malheureux ignore qu'il est épié par un serviteur du prince de Clèves . Ce pauvre prince apprend de la bouche de son trop zélé espion que la princesse a les apparences contre elle : cette vertueuse femme semble avoir passé deux nuits avec le duc ! le prince en meurt de douleur ...
Voici la princesse fort triste, en proie au remord, mais veuve et libre tout de même .
Le duc se déclare, sa passion redouble, celle de la princesse peut éclater au grand jour, le dénouement pourtant se fait attendre.
La princesse  aime toujours, mais la folie n'est plus à l'ordre de son présent.
Le deuil l'a doté d'une lucidité déroutante. Elle tient au sentiment qu'elle a inspiré, elle y tient farouchement, et, sachant à quel point Nemours aime les femmes et en est aimé, elle tremble de peur . Son destin, elle en est certaine, sera d'être fatalement trompée :
"Rien ne me peut empêcher de connaître que vous êtes né avec toutes les dispositions pour la galanterie et toutes les qualités qui sont propres à y donner des succès heureux. Vous avez déjà eu plusieurs passions, vous en auriez encore ; je ne ferai plus votre bonheur; je vous verrais pour une autre comme vous auriez été pour moi. J'en aurais une douleur mortelle ..."
Et c'est pourquoi, elle dit "Non" à celui qu'elle aime à la folie .
"Non" par orgueil et par lâcheté .Sa froide vertu ne gouverne nullement son sec refus. La princesse jette son masque et nous la plaignons de refuser "les roses de la vie ".
On ne peut changer la nature d'un homme, un" collectionneur" le restera, toutefois, la vie est longue. Mme de Clèves aurait peut-être ramené à elle le duc lassé de ses conquêtes, le duc attaché à un lien ne rompant jamais, à un sentiment ne réclamant rien, pardonnant tout :
un amour immense et généreux.
Pour cela, il faut oublier son orgueil, la princesse en aurait-elle été capable ?
Madame de La Fayette inventa un duc de Nemours qui évoquait assez son amant,le duc de La Rochefoucauld, personnage à l'indépendance et à la volonté extraordinaires qui s'amenda de ses rébellions politiques par l'écriture de ses "Maximes", ciselées dans le marbre de la postérité.
Or, elle n'aurait certainement pas osé renvoyer à sa passion un pareil homme .Tenta-t- elle de prendre une bizarre revanche en se faufilant dans le corps gracieux et l'âme exigeante de son héroïne ?
Qu'importe après tout, en dépit de sa fin décevante, "La princesse de Clèves" ne dégoûte ni des affres de la passion, ni des surprises de l'amour .
La passion d'ailleurs a la vie dure.
Contrairement à ce que s'imaginait la princesse, c'est toujours quand on la croit bien morte et enterrée qu'elle resurgit, victorieuse et insolente, en abolissant rancunes et raison .
C'est sans doute l'unique chose qui dure dans ce monde et, qui sait, dans l'autre.
Doit-on s'en réjouir ou s'en désoler ?
 Il est tant de "Princesses" aux belles rides, sentant battre leur coeur d'éternelles jeunes filles,  qui chausseront  les "lunettes de l'amour" en regardant un" duc de Nemours" aux cheveux blancs !
L'amour devient "courtois" avec le temps, croit-on, et la passion harmonie. L'orage se fait tendresse, mais la vérité reste forte sous la délicatesse: la passion feint de s'endormir et se réveille libre, lâchée.
N'en déplaise à Madame de La Fayette, le temps ne ralentit ni n'éteint la passion ...

A bientôt !

Nathalie-Alix de La Panouse

Lady Alix

Nicolas Régnier, jeune femme à la toilette, vers 1626, Lyon, musée des Beaux-Arts
                                                                                            Château de St Michel de Lanès

                                                                                           Cabinet St Michel Immobilier CSMI

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire