vendredi 21 avril 2017

Les "égarés" de Jean d'Ormesson: une lumière dans la nuit ?

Nous sommes tous d'éternels adolescents en quête de vérité.
 Hélas, où se trouve-t-elle ?
Le monde s'étend devant nous, trop connu pour ne pas être absurde. Nous n'imaginons plus rien : on nous a déjà tout dit . Et pourtant les mystères palpitent, immenses sous leurs voiles, à l'instar des amours que l'in croyait mortes .
Nous aimerions aller au fond de notre tunnel humain, vers cette lueur vacillante échappée d'un recoin surnaturel qui nous guide à nos moments de perdition, de doute intolérable, de nuit noire de l'âme .
 Nous croyons sombrer et soudain l'espoir renaît, invincible . Mirage d'un esprit malade ? Ou  conscience que tous les "égarés" sur cette terre existent pour un destin bien particulier, et que le dernier mot, celui de la fin, sera le premier ?
Comment frapper à cette porte de l"invisible ? Qui répondra ? Un homme tente avec une merveilleuse courtoisie de rassurer les égarés que nous restons de la naissance à la mort . C'est un "immortel" presque centenaire, un humaniste resplendissant de bonté et d'humour tendre : Jean  d'Ormesson ! notre conteur , notre mentor aussi de prédilection, celui qui rallie à sa belle écriture les Français d'esprit et de coeur .La"vieille-France" férue de nobles idéaux et la" nouvelle", plus complexe , mais prête au bonheur et à l'altruisme.
Le" guide des égaré" est un  "bréviaire" indispensable : non pas une leçon de morale, ou un indigeste verbiage philosophique, bien au contraire , un baume au coeur. Une consolation et un "savoir-vivre" afin d'affronter les tourments ordinaires et extraordinaires d'une vie oscillant entre raison et passion .
L'intrépide Jean d'Ormesson vogue ainsi à l'instar d'Ulysse entre des îles aux noms étranges : l'étonnement, la disparition, l'angoisse, le secret .Il contourne les rudes récifs de l'énigme et du mystère, jette l'ancre devant le gros rocher des nombres, rêve sur la plage des nombres, et hisse sa voile vers l'archipel de la science .Le voici empruntant ses ailes à un oiseau de mer et vagabondant vers l'espace,  la matière et l'air , trois maîtres rythmant notre errance humaine.
Puis, pris de nostalgie, l'oiseau revient sur terre, s'enivre d'eau,  la simple et fabuleuse eau, s'enchante d'air et décide d'explorer les contrées du temps, de la pensée , du mal et de la liberté. Notre guide émérite s'entête à aller toujours plus loin .N'écoutant que son audace de poète, il ose marcher sur les landes brumeuses de la vie, les collines fleuries de bruyère de la mort, les jardins ombragés du plaisir, et les verts pâturages du bonheur.
Réconforté par ces découvertes, il respire le doux parfum de la joie, la senteur forte de l'histoire, les effluves vigoureuses du progrès .Enfin, il chemine sous les ramures de la justice, s'étourdit du sourire de la beauté, s'incline devant la vérité et s'arrête car il a atteint le coeur de son voyage :
l'amour et Dieu .
Sur le fil de sa quête de beaux enseignements fusent ça et là . C'est une pluie bienfaisante, une manne prodiguée sans arrogance, un collier protecteur à garder sur soi à l'instar de ces bijoux de corail enserrant le cou des enfants d'autrefois ou des médailles gravées d'un profil sacré.
Comment oublier ceci :
 "la lumière n'est peut-être rien d'autre que le premier et le plus simple de nos bonheurs .Vivre , c'est découvrir la lumière du matin .avec la ferme confiance, qui n'a même pas besoin de s'exprimer , de la voir encore se lever sous nos yeux dans les jours qui vont venir."
Le bonheur, notion confuse et souvent égoïste, engendre, nous rappelle notre mentor "une lassitude". Le bonheur était don de soi ; le voilà obligation personelle, devoir à se rendre à soi-même, souci vaniteux, culte de ses plaisirs et goûts ; du coup , ne nous ennuie-t-il à mourir ?
Jean d'Ormesson fustige avec élégance cette vanité du bonheur moderne et nous remet dans le droit chemin du bon sens et de la vérité intangible :
"Le bonheur n'est pas un exercice narcissique et solitaire .il tombe, comme par hasard, sur la tête et dans le coeur de ceux, qui loin de s'occuper d'eux-mêmes,  s'occupent plutôt d'autre chose, et des autres ."
Le bonheur, une espèce de coup de foudre ? si oui, c'est d'une sensation radieuse , spontanée , enfantine qu'il s'agit : la joie ! Jean d'Ormesson a un point commun avec Charles Trenet : ils ont un caractère joyeux ! la joie donne du goût à la vie la plus fade, un peu de joie, pour rien,  pour tout , une hirondelle , un air de musique , une lettre que l'on n'espérait plus , un ami perdu et retrouvé au coin d'une rue, les fleurs blanches d'un cerisier se détachant sur le ciel bleu  au fond d'un vieux jardin , et la joie descend en nous , sans façon en apaisant nos tourments inavoués.
 Que nous conseille Jean d'Ormesson du haut de sa longue vie ?
D'accepter la joie :
"Elle inonde les amants, les âmes pures, les simples d'esprit, qui découvrent tout à coup qu'ils aiment et qu'ils admirent la beauté des êtres et du monde ."
La joie, est un don céleste et immédiat, et comme l'eau, indispensable et miraculeuse, qu'en est-il de l'amour ? Jean d'Ormesson va d'un pas lent vers l'amour , chapitre qu'il situe juste avant le dernier qui est voué à Dieu . L'amour tend la main vers Dieu , mais c'est aussi une affaire humaine , une bien étrange affaire .Notre guide spirituel se moque avec une charmante lucidité , une désinvolte ironie de cet amour ; ce sentiment inaltérable qui se métamorphose en un élixir de jouvence  dont nous sommes si assoiffés :
"Il se traîne dans la boue et il élève les âmes éperdues .Il est à la source de plusieurs chef-d'oeuvre et d'un nombre incalculable de pauvretés et de bassesse ."
Pourquoi l'amour en fin de compte ? Ne peut-on se passer de lui, lui tordre le cou, l'extirper de son coeur déchiré ? Est-ce une bénédiction ou un cancer ? Les troubadours maudissaient l'amour tout en le louant : ne leur donnait-il une vie exacerbée , une puissance inspirée croissant sur le terreau de leur souffrance ? L'amour est-il un mal nécessaire ?
L'optimisme n'étant qu'une facette de la vraie politesse , celle qui coule du coeur en s'irisant des reflets d'une parfaite éducation, Jean d'Ormesson dit le contraire . L'amour est notre étoile du berger, froide ou scintillante comme on voudra , mais notre astre immémorial ,en dépit des accusations gratuites de ceux qui n'ont jamais su aimer. L'amour , mesure de toute chose ? Comme nous avons envie de le croire ! d'ailleurs, l'enthousiasme de notre amoureux de la vie convaincrait l'esprit le plus décati.  Il est urgent d'aimer !
Victor Hugo approuve du fond de ses limbes immortelles par ces adorables vers d'une adorable proposition ; Jean d'Ormesson éprouve un malicieux plaisir à la faire refleurir dans nos humeurs moroses, soudain frissonnantes de volupté sous le frais soleil d'avril :
"Elle était déchaussée , elle était décoiffée ,
Assise , les pieds nus , parmi les joncs penchants;
moi qui passais par là , je crus voir une fée,
Et je lui dis : Veux-tu t'en venir dans les champs?
Elle me regarda de ce regard suprême
Qui reste à la beauté quand nous en triomphons,
Et je lui dis :Veux-tu, c'est le mois où l'on aime,
Veux-tu nous en aller sous les arbres profonds ?"

Cette promenade amoureuse se prolonge chez tant de poètes ! qui peut aimer sans créer une chanson , une oeuvre d'art, un bon ou un mauvais roman, une prière, n'importe quoi de beau , de neuf, de digne de l'être aimé ? ou  juste un mot avouant à la diable une déclaration que son auteur s'imagine la plus originale du monde alors qu'elle ne dit qu'une évidence, mais fantasque, mais surnaturelle et absurde . Que murmure-t-on sinon le refrain traditionnel qui fait battre le coeur au triple galop :
 je vous  aime et je tremble, sans vous, ma vie est un désert amer, je souffre, je vous aime , je vous attends  ; toutes ces fadaises exquises qui raniment dans chaque amant un aventurier de vingt ans, même chez ceux qui en comptent un peu ou beaucoup plus ...
Or, grave, à notre surprise, Jean d'Ormesson agite un chiffon sombre sur notre ciel bleu .L'amour et la mort ne se disputent-ils notre courte existence ?
"Nous faisons l'amour pour lutter contre la mort et la disparition .comme la pensée , comme le mal, comme le bonheur, la beauté et la justice, l'amour n'a de sens que par et pour les hommes. Il est incarnation ."
Et la passion dans tout cela ? L'amour n'est-il qu'un oiseau de feu volant vers la beauté , la pureté ?L'autre nous suffit-il ? aimer n'est-ce pas entrer dans une dimension quasi divine ?
Jean d'Ormesson refuse la passion , ce vain naufrage au fond duquel s'engloutissent les âmes inconsolables des amants abandonnés . Selon lui,l'amour est épanouissement spirituel, main tendue par Dieu aux hommes si consternés, si égarés .
"Aimez-vous les uns les autres ."
 Parole sublime de cet homme qui s'est annoncé fils de Dieu , invitation somptueuse , laisser-passez vers les étendues de la paix infinie .Toutefois , nous dit Jean d'Ormesson , souvenez-vous :
"Dieu est un mystère lumineux qui prend sur lui tous les mystères et toutes les souffrances des hommes pour les changer en espérance ".
Notre délicieux éternel jeune homme, notre chevalier d'Ormesson, ferme son guide sur un panache, à l'instar de Cyrano de Bergerac . L'espérance ! comment la voyons-nous ?
 A mon sens très modeste, une et multiple, énergique et immatérielle, incarnée en un nouveau printemps, renaissante dans chaque rose éclose après les averses de mai,  inutile et féconde comme l'imagination qui devine la vérité, absurde et solide comme l'amour fragile et incassable.
Chez Jean d'Ormesson, l'espérance, notre soeur timide
, c'est :
"Dieu, absent et présent."Et, en vérité, dans la beauté, dans la joie, dans la justice, dans l'amour, la seule réalité ."
L'intuition humaniste d'un poète vibre au hasard voulu de ces pages, limpides et profondes, vives et tranquilles .
On n'y cherche à priori qu'un peu de lecture facile, on en sort revigoré, consolé, apaisé. Le monde est moins confus, notre obscure condition moins lourde, et une lueur optimiste et fraîche vient, au point du jour, par la fenêtre ouverte, rosir les vestiges de la nuit  ...

A bientôt !

Lady Alix

Navire en mer, 1845, Baron Jean-Antoine Gudin
Villa Vauban , ville de Luxembourg

                                                                                            Château de St Michel de Lanès

                                                                                           Cabinet St Michel Immobilier CSMI



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