jeudi 6 juillet 2017

Quand les Higlanders arrivent ...

Le mot Highlander évoque irrésistiblement l'image altière d'un robuste personnage cachant ses jambes musclées sous une jupe volée à des jeunes filles de bonne famille.
Un film, célèbre pour ses combats exaltants et ses hurlements sauvages, sort aussi de votre esprit. Les profondeurs  hantées par le sympathique monstre du Loch Ness s'ajoutent à ces doux souvenirs.
 Ainsi que les lectures de Sir Walter Scott, romancier exalté chantant ses montagnes violettes où l'impétueux Waverley accomplit des prouesses de paladin afin d'emporter l'admiration de l'ingrate Flora McIvor.
Chaque manoir loge un fantôme débonnaire, chaque vallée cache la légende cruelle ou tendre de braves "Jacobites"; ces héros intransigeants et fidèles, osant sacrifier vie, fortune, destin, afin de rétablir un des descendants de Jacques II Stuart (Jacobus en latin) à la tête du royaume d'Ecosse.. Mais, en France, le culte de Marie Stuart, qui fût notre reine fugace, avant de galoper en aventureuse détrônée à travers les landes de son pays natal, ne touche qu'un aréopage de nostalgiques.
Ou de lecteurs émus par Robert Burns, ce "barde" chassant le daim de tout son coeur avant d'avaler quelques rasades de Glenfiddish.
 Vous souvenez-vous de cette mélopée ?
"My heart's in the Highlands, my heart is not here;
My heart's in the Highlands a-chasing the deer;
Chasing the wild deer, and following the roe,
My heart's in the Highlands wherever I go"
 Or, un soir d'orage de mon adolescence, je m'ensevelis par hasard sur le récit effroyable de la bataille de Culloden.
Culloden ! la tragédie écossaise du 16 avril 1746 : le tombeau des meilleurs parmi les Jacobites qui suivirent dans un fol et sublime espoir la reconquête du prince "charmant" Charles Stuart.
Comme envoûtés les hommes des clans Cameron, Macdonald, Macleod, marchant sur deux colonnes, trois par trois, les montagnards taciturnes, entourèrent ce prince inconnu qui les attendait au bord du lac Shiel, à Glenfinan .Graves, ils se groupèrent sous la bannière bleu et or des Stuarts, écoutèrent la courte harangue de ce chef  qui leur demandait tant et si peu :
"Avec l'aide de Dieu, il ne doutait pas de rendre un roi Stuart à l'Ecosse."
Ces mots ébranlèrent l'âme vaillante et le coeur immense des Highlanders qui jurèrent de mourir pour ce chef donné par les fantômes de l'histoire. Au début, épopée joyeuse, la croisade chevaleresque sombra dans l'ignoble massacre de Culloden, un matin de printemps, sur la lande empourprée.  
Toute à ma lecture, j'entendis les clameurs épouvantables des vaincus, le choc des vieilles épées les claquements rauques des mousquets, les sanglots des enfants cherchant à fuir dans le brouillard.
Je maudis le féroce duc de Cumberland et jurai de défendre un jour la mémoire de ces ardents soldats d'une cause perdue d'avance.
Notre ami Cyrano de Bergerac, ne le disait-t-il en élevant son panache:
"C'est si beau quand c'est inutile".
Hélas, le temps passa, et, en dépit de ma bonne volonté, je n'eus aucune occasion de lever la rapière suspendue au mur de notre salle à manger en hommage à un Highlander égaré sur les routes du Languedoc.Le dieu des voyageurs, cet impertinent, ce "détestable" trublion d'Hermès(ou Mercure à la mode latine) prenant en pitié mon désir de rallier une noble cause, frappa à ma porte déguisé en père de famille tout droit venu d'Inverness.
 L'aimable gentleman me présenta son épouse non moins avenante. Nous offrîmes aussitôt notre chambre surplombant les cèdres remarquablement mélancoliques sous la pluie d'avril rappelant délicieusement leur contrée à ces visiteurs du soir.
A l'heure du traditionnel apéritif, sir Ranald descendit drapé savamment dans un admirable kilt,
lady Macdonald avait opté pour un seyant pantalon. L'homme-mari proposa un whisky qui engendra une méfiance courtoise et un refus assez ferme.
Sir Ranald bondit, se sauva, escalada l'escalier d'honneur tel un guépard traquant une antilope, et apparut les bras chargés de deux magnifiques spécimens de "pure malt"! Cette générosité nous empêcha d'avouer, en Français récalcitrants, que le whisky nous faisait le même effet qu'une coulée de pétrole dans le gosier.
 Nous avalâmes docilement le contenu de notre verre un peu trop rempli; et, sous l'effet de ce breuvage réconfortant, une date s'inscrivit en lettres sanglantes dans ma mémoire : nous étions le 16 avril ! mes yeux se brouillèrent et je m'écriai :"Culloden ! Bonnie prince Charlie !"
Deux secondes plus tard, je recevais une accolade des plus vigoureuses : je venais d'enlever le dévouement éternel des derniers partisans de la cause Jacobite !
L'homme-mari a l'habitude des comportements relevant de la pure fantaisie. Il ne broncha guère, se contentant de terminer son verre en souriant de l'air de celui qui sent l'ivresse l'envahir et qui en est ravi.Pendant ce temps, déchaînés, Sir Ranald et Lady Henrietta me récitaient du Robert Bruce et levaient leurs mains vers le ciel en écoutant mon éloge romantique de cette amante "détestable" et captivante, cet ange que des mauvais historiens s'acharnent à muer en démon, que fût Marie Stuart. Cette exaltation pittoresque nous entraîna à un point méritant un repos complet assorti de plusieurs litres de tisane.
Je décidai que j'adorai les Jacobites mais que plus jamais je ne boirai une goutte de leur whisky.
A moins d'être né dans l'agreste vallée de Glensuilag, ou sur l'Île de Skye, ou d'avoir une constitution de fer et de bronze, ce feu roulant vous laisse à l'état d'algue échouée sur le rivage ...
Nos distingués amis d'Inverness  ne s'en tinrent pas à cette soirée dans un manoir français où l'on veillait sur les braises des martyrs de Culloden.
Notre aîné avait produit une excellente impression: son physique et son allure assez anglo-saxonne inspirant une confiance légitime à ces respectables descendants de sir Walter Scott, ces derniers nous proposèrent un classique "échange linguistique"avec un fils du même âge.
Comment refuser une aussi prometteuse passerelle entre nos deux vieux pays ? Et rendez-vous fut pris au matin du 14 juillet. Trois mois s'écoulèrent dans les travaux quotidiens tentant de ranimer la beauté et le confort d'une maison qui venait de très loin et en avait les rides d'usage.
Un jeune Highlander, pensais-je avec un optimisme irréaliste, ne fera aucune attention aux montagnes de gravats, au dénuement des pièces, à la pagaille régnant en maîtresse absolue sur fond d'histoire et de romantisme.
 J'imaginais ce sympathique garçon comme un mélange de ces "preux" des Highlands que furent Rob Roy et Fergus Mac Ivor: une force de la nature capable d'endurer des vacances à l'esprit spartiate mais enthousiaste!
La journée de ce mémorable 14 juillet s'épanouit sous une lumière particulièrement violente.
La canicule riait de toutes ses vagues intolérables sur l'aéroport de Toulouse surchargé de pauvres hères aussi peu vêtus que des candidats à une association prônant le naturisme afin d'assurer le bonheur universel.
"Ciel, dis-je, en proie à un mauvais pressentiment, cet Ecossais, comment allons-nous le reconnaître ? Ses parents ont oublié d'envoyer une photo ! Regardez, c'est plein de gamins du même âge !"
Mon doute affreux fut instantanément dissipé :
vision d'un romanesque adorable, deux charmants jeunes gens emmitouflés dans leurs tenues complètes de gentilshommes des Highlands, kilts épais, bourses, grosses chaussettes, plaids, se tenaient droits, minces, et fiers au milieu des touristes déjà éprouvés par la chaleur.
 Deux ! rêvions-nous ?
Un Highlander en trop !
Ce n'était nullement un mirage: comptant sur notre générosité d'invétérés fidèles de Marie-Stuart, on nous confiait le sort estival de ces innocents égarés dans un monde inconnu: la France du sud par 35 degrés le jour de la fête nationale!
 L'homme-mari tenta de garder une once de calme, et s'enquit des désirs du second chevalier d'Inverness que nous n'attendions pas.
Très poliment, le charmant garçon, expliqua qu'il s'en remettait à nous afin de trouver une bonne âme pouvant utiliser ses compétences en matière de droit écossais et de diplomatie internationale au fin fond de notre campagne.L'homme-mari posa alors une série de questions fâcheuses: le chevalier savait-il fendre du bois, faire de la maçonnerie, faucher l'herbe haute, et autres corvées qui me semblèrent assez peu compatibles avec l'exercice de la diplomatie en milieu rural.
En guise de réponses, il y eut un silence effrayant ...
J'obtins une trêve et nous réussîmes à enfourner nos trois fils et les deux chevaliers dans notre guimbarde considérée par les Highlanders  avec une certaine inquiétude. Nous ne faisions pas bonne impression ...
La maison assez biscornue, plongée dans un désordre regrettable, acheva de désorienter nos jeunes amis: la vie de château à la mode française les désappointait manifestement. Nous sentîmes la peur nous chatouiller l'échine. Comment allions-nous être à la hauteur de notre réputation de Français civilisés et dûment raffinés?
Toutefois, l'invité "officiel" accepta de quitter sa tenue peu adaptée au climat local et suivit notre aîné en voyage d'exploration. Nous respirâmes : un seul Highlander suffisait à notre bonheur momentané. Hélas! l'homme-mari, les nerfs mis à vif par cette "douche écossaise" me planta là en me donnant un ultimatum : j'avais l'après-midi afin de dénicher pour le second chevalier une famille aussi férue de Walter Scott que moi.Sinon...il repartirait chez sa mère ! quant à l'Ecossais, il irait au diable !
Le fantôme de Marie-Stuart intervint grâce au ciel en faveur d'une épouse injustement menacée.
Le hasard me guida vers une voisine dont j'ignorais tout mais qui n'ignorait rien de personne autour de nous. Je bafouillai lamentablement, plaidai la cause d'un délicieux jeune étudiant, sûrement promis à un grand avenir diplomatique, et capable de donner de très utiles leçons d'anglais aux enfants de notre terroir en échange d'un whisky vespéral et d'un matelas sous l'escalier ou dans l'écurie.
Mon énergique interlocutrice me cloua le bec par un péremptoire:
" Ne bougez pas ! je le prends !"
Une heure plus tard, le chevalier numéro II se faisait tout petit dans une minuscule Fiat qui l'emmena à toute vitesse. Son séjour en France s'annonçait sous d'heureux auspices: on lui offrait une gentille hospitalité contre quelques services rustiques et la joie romantique d'avoir un Highlander dans le cercle familial ! Il s'y plu tant qu'il se n'hésita pas à se faire livrer de son doux pays natal une caisse de bon vieux Whiskies et en inonda ses hôtes fort émus.
Nous eûmes de notre côté un vif succès en assistant aux soirées et dîners sous la glorieuse escorte de notre propre Highlander, courtois, amusé, curieux de découvrir une France échappant aux idées reçues et couverte de champs de tournesols rayonnants: une réalité fabuleuse pour un natif d'Inverness !
Vêtu de son kilt. il nous faisait honneur et nous lui en serons éternellement reconnaissants ... tout en admirant son endurance inouïe: porter ce lourd attirail loin de l'air revigorant des rives du Loch Ness reste l'apanage des seuls héritiers de Sir Walter Scott.
Une chanson de Robert Burns en cadeau estival:

O' my luve's is like a red, red rose
That's newly sprung in June:
O' my luve's like the melodie
That's sweetly play'd in tune.

As fair art thou, my bonie lass,
So deep in luve am I:
and I will luve thee still, my dear,
Till a' the seas gang dry.

Till a' the seas gang dry, my dear,
And the rocks melt wi' the sun:
I will luve thee still, my dear,
While the sands o' life shall run.

And fare thee weel, my only luve,
And fare thee weel  awhile !
And I will come again, my luve,
Tho ' it were ten thousand mile "

A bientôt !
Lady Alix








Un héros de Walter Scott digne de Robert Burns:
"My heart's in the Highlands, my heart is not here;
my heart's in the Highlands a-chasing the deer;"










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