jeudi 28 décembre 2017

Contes du vieux château : Une exquise corvée: écrire une carte de nouvel an

Rien ne paraît plus talentueux, plus rare, plus délicieux et plus ardu que d'écrire une carte de nouvel an !
Pour la plupart des habitués de ces "Bonjour" et autres hideux "Hello !" avec en prime le coassant "Cordialement", usages tristement insipides des messages gratuits planant sur les ordinateurs indifférents, couvrir de sa propre écriture un carton blanc d'aimables souhaits, quelle prise de risque !
Mon Dieu, par quoi commencer ? Une formule désuète ? "Bien chère Marie-Clotilde, mon cher Philibert, mon cher oncle, ma tante " ? Ou, voeux oblige, vous lancerez-vous, étourdi et enthousiaste, dans l'arène de l'amour et l'amitié ?
Oserez-vous l'audace inconsidérée des" Monsieur et mon cher ami, mon cher amour, mon bien-aimé, mon tendre ami, Saturnin trois fois chéri, Auguste si cher, ma tante adorée ?".
L'étonné correspondant aura-t-il l'outrecuidance de croire que vous lui déclarez votre flamme si vous abusez de ces superlatifs à l'haleine aussi odorante qu'une roseraie en mai ? Comprendra-t-il que vous jouez, vous jonglez, vous cascadez comme un chat sur une branche ? Ne s'offusquera-t-il de cette affection intempestive ?
Mettez donc de la tisane dans cette liqueur poivrée ! un "Mon cher" vous épargnera les vertiges de la familiarité tout en vous assurant un lien plein de douceur tranquille.
 Prenez garde à l'emploi du seul "Cher"; un ami de longue date s'en contentera-t-il ?
 Ce terme courtois mais convenu est assez froid . Il faut s'en méfier quand de méchantes bourrasques venues au moins de Sibérie font claquer sauvagement les volets fragiles sur nos murs détrempés.
A quoi bon rajouter une poignée de glace ! Que reste-t-il alors afin de nuancer avec une infinie délicatesse, tout en les parfumant d'une poudre de préciosité, vos sentiments secrets, futurs, anciens, oubliés, renaissants, moribonds ou éternels ?
"Mon ami" a le mérite d'instaurer la confiance et d'éveiller l'intérêt.
Un "ami" éprouve une certaine fierté, il comprend aussitôt qu'il n'est pas le premier venu, que vous le considérez comme réellement singulier, qu'il existe même sur papier. Là où l'affaire se corse c'est si l'on écrit à une amie !
 Au féminin "Mon amie" a un côté un tantinet ridicule ."Ma bonne amie" donne un coup de vieux en plein visage. "Chère amie" signe des voeux éminemment solennels, autant user du traditionnel "Ma chère Anastasie", et, si l'on est vraiment liée d'amitié, le démodé et sentimental "Bien chère Marie-Chantal" attendrira votre confidente et complice de toujours ou depuis peu ...
Doit-on préciser le jour, la date, l'humeur ? Attaquer par un franc "quelle joie de revenir vers toi une fois l'an " ? C'est charmant et périlleux: le correspondant se sentira rabaissé au rang d'une antiquité défraîchie que l'on exhume afin de la nettoyer de sa poussière séculaire.
Avouer tout de go : "Cher Prosper, je m'étais bien promis de ne jamais plus t'envoyer une seule carte de ma vie" sonne mal et pèse lourd: la partie, si vous visiez une réconciliation sur fond de jolie carte décorée de houx, est déjà perdue.
Vous souvenez-vous au contraire de ce film que nous avons suivis la larme à l'oeil sans doute une dizaine de fois (à l'exception bien sûr de certains êtres froids dénués d'une parcelle de coeur et du plus infime élan romantique, ceux-là passent Noël en compagnie d'un whisky et se lamentent devant les dépenses inutiles qui exaltent les foyers et font soupirer de bonheur les petits-enfants),cette histoire au un titre éloquent: "Love actually" ?
Une scène exquise nous montre avec une régularité de "Coucou-Suisse", le film ayant la fidélité de la crèche et du Père Noël, le premier ministre de ce beau pays de poètes, le Royaume Uni, ouvrant une carte signée d'une jeune personne qui a quelque chose à se faire pardonner ; juste une sottise de trois secondes avec un séducteur malappris qui n'est autre que le président des États-Unis ...
La carte est classique, humble, le style de la jeune femme timide et gauche, mais l'écriture dansante livre les sentiments cachés.
Le grand homme anglais, alias le bien-aimé Hugh Grant, bondit au plafond en la parcourant ! la carte si polie et si repentante dit tout, le timbre joliment choisi dit tout, l'enveloppe inondée d'angelots déclenche une réaction immédiate:
une voiture, un chauffeur et on part à l'aventure !
Pareil au chevalier Lancelot , le premier ministre s'élance au galop vers une rue où il n'a jamais mis un smoking: " Là où ça craint", explique-t-il à son chauffeur placide et flegmatique comme tout bon gentleman anglais ! et voici notre sémillant grand homme toquant aux portes de ses électeurs et leur souhaitant la bonne année. Cela fait partie de ses devoirs d'homme d'état tente-t-il de préciser avec la désagréable impression d'être pris pour un fou. ! au bout de la rue, enfin, dissimulée derrière sa famille encombrante , l'auteur de la carte de voeux se dévoile, elle porte un prénom qui,grâce à un roman de Tolstoï et une chanson de Gilbert Bécaud illustre le romantisme ingénu : "Natalie".
Ciel ! le premier ministre se pâme.
Ahurissement, miracle de l'imprévu, émois dérobés puis révélés, une carte de bonne année sème pagaille, espoir, et amour.
"Love actually" devrait assurer la survie de la poste pour les siècles des siècles !
Vous n'êtes pas obligés d'en attendre autant ! mais si vous prenez votre stylo plume, celui qui vous met de l'encre plein les doigts, crache, bave, éternue, se rebelle et zigzague sans se soucier de vos ordres stricts, que cela soit dans le dessein adorable d'embellir votre pensée de guirlandes, de jambages, de mots choisis pour leur musique, de courtes phrases exprimant tendresse, amour, angoisse, amitié amoureuse, que sais-je encore !
Vous écrivez à votre tante bien-aimée, que cela soit un bouquet de compliments,tenus par un ruban de souvenirs, prenez garde à ne pas trop vous poser en homme ou femme ne disposant que d'un temps atrocement réduit. Cela agacera votre tante bien-aimée, et vous aurez la réputation d'un goujat ou d'une nièce égoïste. Votre maudit emploi du temps ne passionne que votre secrétaire.
Ceux qui guettent un signe de votre main vous pardonneront votre silence afin de mieux se réjouir de votre attendrissante sollicitude ou de vos récits d'aventures.
Un heureux mortel recevant du courrier sent le soleil entrer dans sa maison, une enveloppe à votre nom, une longue enveloppe habillée de bleu, de vert, de gris argent, une enveloppe classique immaculée, rose, rouge, jaune , une grosse enveloppe annonçant un livre, une boîte précieuse, un présent qui dit "Je suis là , bien présent !", tout cet art épistolaire procure l'envie irrésistible d'ouvrir les fenêtres et de respirer un air neuf, comme l'an que l'on vous souhaite avec tant de conviction "plein de chance, de prospérité, de bonheur".
Point n'est besoin de manier avec dextérité vocabulaire savant et phrases à la mode de Proust. on envoie un peu de soi sans craindre d'être spontané, plaisantin, naïf, maladroit. On se raconte bien sûr, à sa surprise, on pensait faire une bonne action et on se rend heureux en se confiant à quelqu'un qui vous fera le suprême cadeau : vous lire ...et  puis, on se reprend, on craint de se montrer envahissant,vite, on se soucie de l'autre.
Va-t-il bien ? C'est une convention de le demander, mais c'est aussi une preuve d'affection de s'en inquiéter ...
Le chat de la maison ne souffre-t-il d'aucun mal ? La maison décatie tient-elle toujours ferme sur ses fondations ? Le rosier du balcon s'épanouit-il  toujours en mai de roses orangées contre le lierre noir ? L'entrée sent-elle toujours la lavande et le savon de Marseille ? Les cannes du grand-père sont-elles toujours à leur place dans le présentoir de cuivre ? La bibliothèque grince-t-elle toujours dans le salon quand on essaie d'attraper un volume  déchiré de Molière ou un exemplaire en miettes de l'Odyssée ? Que de choses à dire quand on redoutait de n'avoir nulle inspiration ! l'enfance se dépose sur la carte que l'on voulait écrire d'un trait.
On se saisit d'une feuille, puis d'une autre, ce n'est plus une carte, c'est un roman, le vôtre et un flot d'amour, d'amitié, de tendresse sous une enveloppe bleue ou rose, ou rouge et même verte comme l'espérance que les enfants ramassent, avec la mousse et les pommes de pin sur les pelouses humides, le premier jour de l'an.
Mais, il faut savoir finir sa carte métamorphosée en lettre fantasque.
Que choisir là encore ? Quel tourment !
Un sec: " Bon cheminement vers la nouvelle saison" ou un raide et fort pincé : "Bon hiver" équivaudraient à une porte claquée sur le nez de votre ami ou parent. Cela signifierait que vous en avez fait assez;  rideau tiré, clef tournée, au revoir et peut-être pour l'éternité.
A l'inverse, inonder l'autre de promesses que vous ne tiendrez pas serait méchant et malséant. L'espoir peut blesser, c'est une source de malentendus, voire de tragédie si l'on en use sans discernement ou modération.
L'écriture engage , le papier ne ment pas.
Si vous assurez l'autre de votre désir de le revoir au gré de l'an neuf, que cela ne soit pas une affabulation ! votre carte en perdrait son bel effet, vous passeriez pour un hypocrite. Quel dommage de débuter l'année sous d'aussi sombres auspices ! ne promettez pas, mais ne tranchez pas non plus, une carte doit être une porte entre baillée avec élégance et gentillesse.
Un ami sensible acceptera vos" Mille amitiés "( pas une de moins !),  formule banale mais ne gênant personne et valeur assurée de mettre du baume au coeur.
Si vous embrassez , sans économiser votre généreuse prodigalité de bises affectueuses, l'aimable correspondant, sa famille, son chat rêveur, son chien débonnaire, en suggérant une rencontre au fil des 365 jours déferlant vers votre avenir, vous pourrez poser un point final sur votre chef d'oeuvre épistolaire le coeur en paix.
N'aurez-vous rendu un ami, un parent, un chat (les chats sont créatures mondaines raffolant des réceptions élégantes, des dîners aux bougies et des déjeuners à la campagne) heureux ...
 Quand on aime, on écrit ...quand on aime, on répond ! vive les cartes du nouvel an qui raniment la douceur de l'amour, de l'amitié, de l'affection contre un timbre et quelques lignes virevoltantes tracées par une main soudain inspirée vers un ami, un parent, un soir d'hiver.

Au gui l'an neuf !
A bientôt,
Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse

Une carte de nouvel an pour tous mes amis lointains !

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