vendredi 22 décembre 2017

Contes du vieux château : Voir Naples et vivre !

C'est toujours au coeur de l'hiver que la pensée de Naples, mirage bleu et or repoussant les nuits mélancoliques, guérit votre mélancolie résignée !
Naples, la beauté du diable, la ville vénérant un Saint prodigieux, Naples, bouillon de culture, bouillon de sorcière, citée pieuse et fervente; chaudron alimenté par un volcan, flamme couvante qui tue ou ranime amours, espoirs, passion, envie de s'accomplir dans la folie, la démesure, au bord d'une mer à la nuance aigue-marine surnaturelle .
Naples est humaine à l'excès, et, ce qui fascine, avide de divin autant que gourmande de belles superstitions qui d'ailleurs sont vraies, Naples oblige, l'impossible y sonne juste.
Au temps humaniste et désinvolte du "Grand Tour", école des jeunes gens de la vieille-Europe, on se promenait à Naples comme dans un cirque, un théâtre à ciel ouvert.
On y apprenait l'art de vivre, l'art de se ruiner avec noblesse, l'art de choisir des oeuvres d'art, l'art de se faire détrousser, l'art d'écouter la rue,  l'art de regarder la mer, d'aimer à nouveau la vie que l'on s'imaginait insipide ou inutile et enfin, conséquence inévitable de cette inondation de bienfaits, l'art d'être fou d'amour.
On approchait dans ses ruelles malodorantes, sur ses quais immenses, la beauté sous toutes ses formes, on y respirait l'haleine parfumée de la Vierge Marie et le souffle d'Aphrodite.
 On tombait amoureux des Graziella qui vous offraient, avec le plus rouge corail de la méditerranée, leur pauvre coeur dont vous, superbes cavaliers en bottes étincelantes comme des soleils, vous n'aviez franchement que faire. Au mieux un poème, au pire, un billet rapide et quelques pièces d'or.
Mais les péripéties allaient un train de braves de Bonaparte, mais, autour de vous, les regards flambaient autant que les feux du Vésuve.
Ces Napolitains, quel panache !
Voilà ce que se disait aussi Alexandre Dumas, en 1835, quand il entra par la mer, dans toute sa gloire, en mission littéraire au sein d'un monde retentissant de cris, étourdissant de sourires, enivrant par ses palais, captivant par ses incohérences, ses vantardises et son art de regarder destin et astre flamboyant bien en face.
Bon prince, l'ami Alexandre nous prend la main et nous hisse sur sa carriole brinquebalante, son "Corricolo" attelé de deux chevaux  sans âge, pareils à des fantômes, sur les pavés napolitains . L'aventure brille sur l'écume des vagues à la robe céleste !
Comme il est merveilleux de remonter le temps et d'entrer à Naples, citée grecque depuis la nuit du monde ou presque !
L'entrée dans un port est splendide par mer, c'est encore un plaisir des yeux et une fête du coeur si l'on est l'heureux mortel embarqué sur un bateau de croisière de taille modeste et d'endurance à toute épreuve.
Vers 1900, il n'y avait guère d'autre voie royale afin de se mêler au vacarme napolitain.
Les Grecs sont venus ainsi au moins dix siècles avant Jésus-Christ; et ils sont restés ! ils y sont encore: Naples est, à l'instar de Marseille une citée grecque avec ses lois mystérieuses, son atmosphére de port attirant les merveilles du monde, et sa manie de beauté, sa passion d'harmonie étalées aux endroits les plus insolites.
Naples, colonie heureuse portait sous la lumière de l'Antiquité l'admirable nom de Pathénope. On chuchote qu'une poignée de héros échouant sur ses rivages clairs au comble de l'épuisement après la guerre de Troie, y prirent  le repos mérité des guerriers qui se respectent.
Je les envie de tout mon coeur !
Alexandre Dumas, flanqué de sa jolie et irascible maîtresse, Ida, actrice et volcan prête à rivaliser avec le Vésuve, son ami peintre Jadin, dessinateur chargé d'immortaliser d'un coup de fusain nerveux escapades et découvertes ,et le chien au caractére affirmé de ce brave homme nettement plus docile que son animal favori, rêvait de farniente lui aussi.
Voeu pieux, voeu naïf, voeu impossible à réaliser en trois semaines de cavalcades amoureuses, historiques, hystériques ! Naples rend fou comme l'amour auquel on ne croyait plus ! Alexandre accepte la sagesse des gens du cru : la vie va comme elle veut , l'essentiel , c'est de la vivre à fond !
Montaigne en Italie n'énonçait-il même principe ?
Il y a une douceur dans la folie que seuls les fous comprennent. Je crois que cette noble parole vient de Shakespeare, qu'importe d'ailleurs.
Que font les voyageurs sensés ou non en arrivant sur les quais napolitains ?
En 2018 comme en 1835, ou en 1900, ils cherchent à se loger en un agréable palais, étendant son agréable terrasse sur la baie, et pourvu  d'agréables corniches, sculptures, balcons, jardins et galeries jonchés de tableaux, statues, amphores, vases grecs, poteries romaines, bijoux étrusques, beautés locales aux charmes évidents. Un séjour de bonne durée proposé à un prix minime illumine aussi l'espérance de tout visiteur plein de solide bon sens.
Dénicher un propriétaire affable exigeait, vers 1840, que l'on traverse hardiment les groupes de bavards et nonchalants Lazaroni en bonnet rouge, ces figures mythiques de la pauvreté  napolitaine, un brin "cour des miracles" car n'ayant pas de poches, ils mettaient leur main dans celles d'autrui !  cet obstacle écarté, à condition de sauver de justesse sa montre ou ses économies, on vous demandait d'avoir la bonté de flatter une vache , déesse de la fertilité, donnant son lait en plein quartier de Santa Lucia ; il fallait que l'on s'écarte face aux chèvres descendant , altières et impétueuses, la Via Roma, que l'on heurte en se répandant en mille excuses un pêcheur tirant sa pipe , affalé sur le trottoir, et vous ignorant en vrai philosophe qu'un intrus ne saurait extraire de ses songes.
Ensuite, les jambes flageolantes et le teint rougi, on entrait en paradis, la porte massive d'un palais clouait au bec les bousculades de la rue.
Le seigneur des lieux s'empressait, et, si l'on avait quelque renom sur cette terre, vous saluait comme un dieu droit surgi de l'Olympe. Ces manières fort réjouissantes semblent s'être égarées en notre ennuyeuse époque où le but de chacun serait d'être la copie de l'autre.
Peut-être pas à Naples grâce au Ciel !
Alexandre Dumas
hôtelier, cela sonne de façon si prosaïque !  notre Alexandre déclare sans ambages:
"Monsieur Martin Zir est le type du parfait hôtelier italien: homme de goût, homme d'esprit, antiquaire distingué, amateur de tableaux, convoiteur de chinoiseries, monsieur Martin Zir est tout, excepté aubergiste.
Cela n'empêche pas l'hôtel de la victoire d'être le meilleur hôtel de Naples .Comment cela se fait-il ?
Je n'en sais rien. Dieu est parce qu'il est."
Voilà Dumas adoptant un proverbe à la mode napolitaine !
En un battement de cil, un sourire narquois, l'ami Alexandre s'est glissé corps et coeur dans l'art de vivre napolitain: cet aimable absence de préjugés lui épargnera hargne, agacement et sottes déceptions . Le naturel du pays lui plaît, la nature de Naples encore plus !
Et ce Monsieur Zir qui se moque bien des savons, serviettes,  matelas ou autres détails insipides de son faux métier d'hôtelier, c'est un saint qui donne l'inattendu, l'inespéré à des voyageurs confus de cette inconcevable largesse:
"Je crois que ce qui détermine monsieur Martin Zir à recevoir chez lui des étrangers, c'est d'abord le désir de leur faire voir les trésors qu'il possède; puis il loge et nourrit les hôtes par circonstance."
Or, à Naples, un trésor fabuleux dépasse les imaginations des  touristes, archéologues et encore mieux des coquettes qui se pâment pour les bagatelles diaprées des inaccessibles joailleries
 Ce n'est pas une plaisanterie, c'est un fleuve d'or, de rubis et d'émeraudes qui foudroie de ses joyaux les croqueuses de diamants de race royale ou issues de clans fortunés
Nulle descendante du bon roi "Nazone", digne époux de la soeur de Marie-Antoinette, et affublé d'un sobriquet illustrant la gloire de son nez monumental, ne se pare de ces croix à l'éclat comparable aux rayons du soleil napolitain.
 Tristesse et désolation : ces bijoux sont à Saint Janvier, protecteur invétéré de Naples depuis le quatrième siècle de notre ère. Il ne les prêtera jamais, même contre un soupir de joie, à la plus ronde et fraîche beauté brune de sa ville.
Le Saint croule sous les pierres chatoyantes depuis plusieurs siècles et bizarrement dans cette ville peuplée de détrousseurs légendaires n'a jamais souffert du moindre larcin ! en revanche, on le houspille, on ose l'accabler d'injures particulièrement incisives tant le patois napolitain coule comme une source moqueuse, on le titille, on le malmène, et c'est un peuple de chrétiens qui s'oublie de la sorte ! cette rébellion incompréhensible , cette avinées honteuse  éclate trois fois l'an, le 19 septembre, le 16 décembre, et le premier samedi de mai.
Cela se passe en la cathédrale San Paulo Maggiore , monument élevé sur le temple de Neptune, où dort en son tombeau Saint  Janvier.
Ce repos que le Saint pensait paisible à longueur d'années est bouleversé par les prières exaltées d'une marée napolitaine en costumes d'apparat exigeant trois fois l'an, pas plus, pas moins, le miracle, espèce de contrat spirituel établi entre le peuple de Naples et son fidèle Patron.
Saint Janvier repousse chaque oppresseur, envahisseur , usurpateur, chaque fléau, chaque désastre menaçant sa ville. Son nom évoque sa lignée immémoriale : la gens Januarius, une famille remontant à l'Antiquité; un clan aristocratique ainsi qu'il se doit car Naples la populaire raffole des nobles héros.
Saint Janvier doit faire ses preuves: et si son pouvoir se rouillait , se grippait ? Naples ne lui pardonnerait pas ! ce miracle , c'est l"âme de la ville.
Ce haut -fait d'ordre purement spirituel échappe aux savants et perturbe les froids tempéraments imbus de la toute puissance du pragmatisme et de la raison. Une belle chapelle à droite du tombeau abrite une belle fiole contenant le sang coagulé du Saint Martyr que le cruel préfet Timothée fit exécuter par le glaive, après avoir échoué par le feu et une série de supplices qu'il serait fastidieux d'énumérer.
Cette relique fut recueillie par un mendiant, auquel le Saint rendit la vue en lui offrant le bandeau voilant ses yeux pendant son martyre, et une dame âgée qui se prétendait sa parente.
Trois fois l'an, le sang de la fiole sacrée se liquéfie ! sans tour de magie, sans explication , cela est vrai et cela est insensé et n'arrive qu'à Naples !
L'ami Alexandre, serrant la main d'Ida toute palpitante d'émotion, essaie de garder son ton amusé, mais il en reste pantois ! éprouvé par l'interminable attente de l'étrange phénomène, l'écrivain sent la tension de la foule devenir un péril tangible :
"Cris tumultueux, vociférations, grondements, rumeurs, se fondirent dans un rugissement universel dont rien ne peut donner une idée."L'armée représentée par un superbe officier brandissant son épée à l'instar de l'Archange Saint-Michel ou de Saint Georges s'apprêtant à tailler rondelles un dragon crachant son incendie, fonce sur les hérétiques soupçonnés de retarder le miracle : d'inoffensifs anglais  proprement mis dehors ! le Saint n'obtempère pas pour autant.
 L'ami Alexandre tremble comme une feuille, sortiront-ils vivants de cette touchante cérémonie, lui et ses deux amis ?
Au moment où l'échauffourée bat son plein, à l'instant où quelque  malheureux Anglais, Russe ou Grec, eût été, en tant qu'hérétique, "mis en morceaux, au milieu d'un sabbat infernal, le prêtre éleva la fiole en criant: gloire à saint Janvier, le miracle est fait !"
Le bonheur manque cette fois de tuer les bons napolitains ivres d'extase :
"Chacun se jeta la face contre terre.Aux injures, aux vociférations, aux clameurs, aux rugissements succédèrent les gémissements, les pleurs, les sanglots."
La joie inonde la cathédrale, et la fiole est donnée à baiser. L'ami Alexandre se risque à examiner le miracle sous toutes les facettes de son récipient. Il n'y comprend absolument rien;  mais, lui l'homme ironique, le Français solide et gourmand , l'épicurien pétri de bon sens y perd sa philosophie.
Oui, admet-il, assez à contre-coeur:"voilà ce qui est, voilà ce qui se fait, ce qui se fait sans mystère, sans supercherie, sans substitution, ce qui se fait à la vue de tous."
Quelle conclusion en tirer ? L'ami Alexandre cette fois glisse vers une nouvelle aventure napolitaine, en nous décochant son jugement à l'emporte-pièce. eh bien, soit :
"J'aime croire tout bonnement au miracle; et , pour ma part, je déclare que j'y crois."
On n'attendait rien moins que cette profession de foi de la part d'un amoureux invétéré de Naples !
D'ailleurs, au hasard des rencontres menées avec un émoi complice et une fièvre contagieuse, Alexandre réalise qu'au sein de cette ville où se croisent aristocrates habiles aux maniement des armes et peu aux études austères lazzaroni impertinents et voyageurs effarouchés, une seule chose supplante les désirs de carrière, les plaisirs du jeu ,de la musique, des arts et même de la table,  c'est l'amour !et quel amour ! un ouragan !
 A Naples, l'amour n'est nullement un sentiment. Les Napolitains sont des êtres singuliers, ils vivent comme si chaque minute les entraînait vers le styx, l'amour devient tourbillon, vertige, coup de sang, l'amour est une sensation.
 Notre Alexandre Dumas a trouvé la ville de son coeur !
Celle où  les  gens du peuple oscillent d'un cocomero (fruit vert de la grosseur d'un boulet !) l'été  et d'une pizza l'hiver: " thermomètre gastronomique du marché, la pizza, explique Alexandre avec la gravité concentrée d'un gourmet émérite, hausse ou baisse de prix selon l'abondance ou la disette de l'année."
Naples la concrète ! quoi de plus banal qu'une pizza ? sauf à Naples où la plus simple vaut caviar et champagne ! une pizza d'atmosphère peut-être ...
Et qu'importe aussi la liste des fameux monuments à visiter en morne et confit troupeau, Naples n'a rien justement d'un monument, c'est la vie, la mer, le soleil ! la liberté d'être soi et de refuser la rigidité quasi cadavérique des esprits étriqués. Vous savez bien : ceux qui se méfient comme de la peste des effluves revigorantes de la poésie du quotidien.
Contempler d'une terrasse, d'une plage, d'une promenade, le mouvement ample et ensorceleur des vagues transparente, se perdre en rêve dans l'incomparable baie, se fondre dans le bleu de cette mer qui semble une amie retrouvée, réconforte le coeur et enlève l'âme vers un enivrement que l'on voudrait éternel.
Naples ou la poésie sauvage, naïve, entêtante ...

A mes lecteurs, un très heureux Noël, et une année 218 merveilleuse !
Rendez-vous pour une nouvelle chronique de voyages rêvés et vécus à partir du début de l'an neuf !

Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse
Arrivée à Naples à la fin du XIXème siècle.

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