vendredi 15 décembre 2017

Marie-Antoinette ou la reine du style

Il n'existe aucune héroïne de roman qui ne soit plus célèbre que l'infortunée reine Marie-Antoinette. Qui serait de taille à l'emporter sur cette exquise et incorrigible créature qui sema la grâce et récolta l'horreur ?
 En cette charmante saison si l'on s'ingénie à laisser de côté tracas, peines, mélancolie afin de créer l'atmosphère raffinée du précieux art de vivre à la française,il est rafraîchissant de cultiver une fragile  harmonie entre impertinence et bon goût.
 L'art de vivre à la française qui nous comble de fierté, c'est bien cela: cette alchimie mêlant obsession de l'élégance spirituelle, originalité raffinée, enjouement et simplicité, que nous légua notre reine .
Rien qui pèse, pose et affiche son coût ou sa marque !
L'empire de la mode a baissé son oriflamme: à l'orée de l'an 2018, chacun croit faire ce qui lui plaît.
Hubert de Givenchy, cette légende de la très haute couture, le beau marquis qui habilla de lignes sublimes à force de pureté Audrey Hepburn et Jackie Kennedy déplorait l'été dernier en ces mots brodé au point de l'ironie désinvolte:
"Il n'y a plus de mode mais des modes. Les tissus sont pauvres, plats, les mannequins marchent en se cognant les genoux avec des chaussures invraisemblables.La mode confectionne des robes pour habiller des actrices, pour les tapis rouges de Cannes ou des Oscars .La mode est un rêve, mais elle doit surtout embellir les femmes."
Au temps précieux de la toute jeune Marie-Antoinette, ce principe n'était guère invoqué; la reine se voulait la plus excentrique, la plus déconcertante des françaises et n'y réussissait que trop bien.
Hubert de Givenchy l'aurait certainement guidée vers cette montagne escarpée que l'on définit comme le style.
On suit une mode ou on la lance. Le style c'est la définition très particulière d'une femme unique, d'un état d'esprit unique, d'une façon de marcher, bouger, rire, inventer, parler, chanter, danser unique...et de vivre aussi.
Hubert de Givenchy s'est plu à parer ses égéries et amies d'une qualité rare outrepassant les robes admirables sorties de sa maison de couture. A ces belles créatures il prodigua un style, une manière d'être, une harmonie frappante et subtile, enlevant n'importe quel bout de chiffon car témoignant d'une exigence quasi morale.
Une femme dénuée de style n'accède qu'à la mode ! Et Marie-Antoinette dans tout cela ?
On imagine soudain Hubert de Givenchy arrachant la reine aux griffes de Rose Bertin, sa maudite  "ministre de la mode"! peut-être la révolution en aurait-elle pris un cours moins sanglant ...
En cette fin de l'an 2017, qu'il paraît ardu de s'inventer un style !
Les fautes de goût arrivent à la vitesse d'un cheval au galop si l'on n'y prend garde.
Un style ne s'improvise jamais .Celui de Marie-Antoinette enfila des étapes, faillit succomber en route et, par une bizarrerie du destin, resplendit comme un ostensoir .
La reine déchaîne les rêves et les ventes ! encore hier, que vis-je dans une revue proposant d'inaccessibles inspirations pour un Noël à des années lumière de l'humble Crèche:
une bague excessivement sobre, extrêmement chère et affublée du nom de "Marie-Antoinette !
Qu'en penserait la reine ? Ne frémirait-elle face à certaines lois vestimentaires révélant un protocole moderne qui pour être suggéré n'en reste pas moins tyrannique ?
La cravate noire, le costume sombre, la robe tombant en rideau encombrant jusqu'aux pieds ou la petite toute noire, celle de cocktail, parfois fleurie (risque suprême !) n'ont l'air de rien à priori.
Mais que d'angoisses ne fondent-elles sur nous quand un carton faussement inoffensif nous indique le code en vigueur avec une angoissante autorité !
Or, vers 1778, au joli temps,  où l'architecte Mique bâtissait sur une minuscule colline de Trianon un joyau immaculé baptisé  le "Belvédère", inventait, au dessus d'un lac placide, le marmoréen "Temple de l'amour", comme ces tenues auraient paru ternes et dépouillées aux naturels de ce "pays-ci"(doux euphémisme désignant Versailles) !
Quoi ? Ces robes courtes, boudinant la taille ou en dérobant les appas, découvrant des jambes souvent imparfaites, à la coupe mesquine, avares de jupons, noires à gâcher le teint, noires à éteindre l'amour naissant ! quels crimes expient les malheureuses condamnées à porter ces haillons ?
Voyez ces pauvres hommes en noir et blanc, quelle tristesse, quelles figures de carême ! nulle broderie ? nulle originalité ? au secours ! revenons au bon goût, à la couleur, à l'envie de vivre quand la peur du lendemain nous ronge.
Pourquoi nos intérieurs sont-ils badigeonnés de gris terne ou de blanc vus en tous lieux, panoplie murale assortie à l'uniforme des tartuffes du vêtement ;  le sempiternel, l'atroce jean couvrant les postérieurs d'une planète qui semble avoir honte du raffinement pratiqué souvent par ceux que les occidentaux du haut de leurs idées reçues ne comprennent pas.
Comble du deuil de l'art de vivre: les baskets et le pull large, lassant le regard  et glaçant le coeur.
Revenons à l'élégance qui coule dans nos gênes !
Ne cédons pas au vertige de la banalité, du médiocre, osons le mot, de cette "mondialisation" dont nous refusons le mortel ennui.
Retrouvons l'art de l'élégance façonné par une reine qui y mit le temps, avouons-le.
Mais les belles choses ne se font-elles au train des sénateurs ?
La mode au temps des folies premières de Marie-Antoinette prit racine à Paris et mit sur un trône une roturière qui aurait donné sa mère aux fauves contre un taffetas flambé ou un "gros de Tours"(un tissu de soie) étincelant.
Cette créature dont le coeur ne battait que pour la gloire du tissu somptueux et la passion du colifichet éblouissant, cette Rose Bertin, drapée dans son outrecuidance d'arriviste douée, établit la France pays des ivresses vestimentaires et fit la fortune de  Paris dont elle fonda, sans s'en douter, la puissance économique de capitale du luxe .
Fascinée par son talent redoutable, Marie-Antoinette devint à la fois un mannequin et une "marque" faisant pleuvoir commandes et créations, l'aubaine des artisans souvent en charge de familles à dix enfants !
L'importance que se donnait cette Rose, grande créatrice interdite de l'état de couturière car tenant  la  boutique ou plutôt le Panthéon des frivolités "Au Grand Mogol" était cousue de main de maître.
Un mannequin de satin, une robe toute sobre élaborée par un tailleur doué, et Rose Bertin, excitée face à cette toile blanche déversait des avalanches de rubans afin de chiffonner ses monuments volantés.
Toilette de cour ou de jardin, les  robes dansèrent une ronde folle : engoncées pour les cérémonies,
 à la française avec un gracieux envol de tissu au dos, à la polonaise avec l'avantage d'une jupe "courte" permettant une marche rapide, à l'anglaise avec un corsage baleiné seulement au dos.
Enfin la liberté de respirer !
Toujours dans les années 1780, la reine s'enticha de la campagne selon Rousseau ,du lait frais et, ce qui ruina les malheureux soyeux de Lyon, des "gaulles", tuniques estivales conçues afin de jouer à une belle des champs couverte de frous-frous de mousseline blanche.
Rose extravaguait ! Cette faiseuse de mode était la tentatrice annonçant la bonne nouvelle de la mode aux princesses d'Europe. Puis, par des voies détournées et bizarres, peintures naïves ornant les boîtes à bonbons, dessins colorés, poupées baladées de ville en port, le goût du moment parvenait un an , voire plusieurs après, aux lingères du Languedoc, aux bergères des Pyrénées, aux paysannes du Rouergue, aux bourgeoises de Bordeaux, aux petites dames de Paris.
Laborieuses esclaves du tissu et de la coupe en vogue, les plus passionnées, en tirant leur aiguille habile, s'habillaient selon une vague illusion de la mode.
Toutes ces femmes prononçaient avec extase le nom de Rose Bertin,  et se laissaient bercer par les mirages d'une cour où elles ne mettraient jamais le bout de leurs sabots patauds ou délicats escarpins de velours.
Rose Bertin, gonflée de vanité, se croyait beaucoup, elle se croyait trop ! ne fut-elle remise à sa place d'ailleurs par des grandes dames agacées ? On a envie de crier : "Bien fait !"
En réalité, elle n'était qu'un courant de soie et d'air ! celle qui tint ferme  assez vite la barre, c'était la reine.
Avec ses caprices d'abord, et ce ne fut guère réussi ! mais c'était le temps de l'adolescence remuante, frondeuse, étourdie. Avalanche d'ornements grotesques et coûteux, (d'où perte de cheveux en raison de ces coiffures hideuses sentant l'âcre puanteur de la poudre de riz) robes transformant les mondaines en marionnettes incapables de lever un bras ou de s'asseoir sans demander de l'aide; l'apothéose du mauvais goût applaudi par les écervelées de tout âge et de toute caste !
Le ridicule, ce démon indomptable, tue sans discernement...
Ensuite, un éclair salvateur étincela, la reine, de suiveuse soumise, se métamorphosa en artiste.
Son goût, en architecture, en création de jardins sur le modèle des "parcs chinois" en vogue, fut modelé par sa chimère de liberté, son obsession de perfection, son désir désordonné mais sincère de retour au bon sens et à la pureté de la nature.
Instable, vacillant, puis assuré, il rendit immortelle celle qui incarne encore la plus fascinante image du "délicieux dix-huitième".
Trianon fut le chemin menant à ce fragile et inimitable bon goût français tissé chaque jour davantage par cette "Autrichienne"dont l'arrière-grand-père n'était autre que le roi Louis XIII.
Au sein de ce délicieux royaume, espèce de jardin clos médiéval où l'on cultivait les roses et les rêves, Marie-Antoinette bourdonna, créant une sonatine s'accordant avec la vision qui la hantait: en bleu ( le "gris Trianon" fut au départ du bleu ou du vert qui , hélas, vira )en blanc, piquetée d'or, fleurie d' arabesques.
L'art de vivre enrichissait une foule de gens attachés au service de la reine, les Dames d'atour ne tiraient -elles un appréciable revenu des robes "réformées" ?
De quoi sauver les manoirs dont les façades se lézardaient à une allure inconcevable, racheter les terres, les vignes sacrifiées pour assumer les frais de l'équipement guerrier autant que l'achat de charges dispendieuses afin de pourvoir sans déroger une nombreuse marmaille.
Et que dire du train ordinaire d'une existence à la cour !
Il eut fallu posséder l'âne du père de la princesse "Peau d'âne" , le brave animal qui souillait sa litière d'écus d'or, pour venir à bout des dettes contractées à la pratique quasi obligatoire de cette malédiction : le jeu ... folie ou art de vivre ?
Sur ce terrain-là par contre, on préfère s'éloigner: l'histoire a déjà jugé .
L'élégance magnifiée par Marie-Antoinette, cela serait, selon les mots lapidaires de Stephan Zweig , le règne du "rococo".
Plaisanterie ? Langage d'enfant ? Terme savant ? expression absurde mais dissimulant une vérité profonde ? Sommes-nous tous des adeptes du "rococo" sans le savoir ? Qu'est-ce au juste ?
Rococo prend sa source dans rocaille au coeur du XVIIIème.
 Rocaille,c'est une envie de rochers, de coquillages, de volutes, de lignes gracieuses et fantasques, c'est le style à l'honneur à l'époque du roi Louis XV.
Et le "rococo" vint conclure le "rocaille", comme un point sur un i, comme un adieu avant la tourmente, comme une robe  chargée de volants et de pierreries dont on meurt d'envie d'ôter les ornements inutiles.
Stefan Zweig, biographe amoureux de cette reine qui lui glisse entre les doigts, se trompe.
Rose Bertin était une créature "rococo" du corset aux bas de soie. Marie-Antoinette au contraire n'a cessé d'alléger le petit monde qui la tenait prisonnière dans une cage d'or.
Une visite même rapide des  "Petits appartements" nous en dit plus sur le suave et sobre art de vivre de cette reine incomprise que des piles de savants volumes ou des jours passés en recherches artificielles sur Internet.
Une robe blanche noué d'un ruban et plissée au col, un chapeau de paille, un bouquet de fleurs dans un vase bleu,, un air de menuet gracieux, aimable et doux, une lettre d'un ami exilé caché comme un diamant de Golconde et jugé de mille fois plus de valeur, de beaux rosiers s'élevant sur les pelouses de Trianon, un parfum flottant en nuage, un village de conte de fées au bord d'un étang , une conversation enjouée, simple, naturelle, voilà Marie-Antoinette.
Plus qu'une reine qui montra sa force d'âme au sein des naufrages et des deuils, une femme avide d'amour pur inventant avec ses architectes, peintres, jardiniers, un style qui ne fut qu'à elle.
Si longtemps après, elle reçoit enfin sa récompense : être aimée !
Ne règne-telle encore et  ne régnera-t-elle tant que le goût français ne sera vidé de son contenu ?
L'élégance et la grâce sont des beautés qui  jamais ne se fanent ou ne se rident...
N'en déplaise aux esprits mesquins !

A bientôt !

Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse
Corsage presque "moderne" cousu pour Marie-Antoinette

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