vendredi 1 décembre 2017

Contes du vieux château : L'impertinente Nancy Mitford à la cour du Roi-Soleil

Le grand-Roi ! le Roi -Soleil !
 L'homme qui fit jaillir des sables et des marais la merveille des merveilles au royaume de France :
Versailles, le miroir d'or et d'eaux  où se mire la France.
 Louis le quatorzième drapé dans sa  pointilleuse et bizarre "étiquette", le monarque chargé d'amours, et n'aimant rien tant que son "métier de roi", ses jardins domptés et le souci de sa renommée à l'horizon des siècles.
On croit absolument tout savoir sur le roi  le plus secret de tous les temps.
 Quelle fatale erreur ! nous sommes des ignorants ! c'est ce qu'ose affirmer aux arrogants français, la plus fine, la plus redoutable, la plus moqueuse, la plus spirituelle des aristocrates de la "perfide Albion".
La très "honorable" Nancy Mitford s'est embusquée en 1966, entre l'écriture de ses romans tendres et cocasses ("Pas un mot à l'ambassadeur" ou "l'amour dans un climat froid" ) et son attachement altruiste et mélancolique à l'infidèle Gaston Palewski, comme une bondissante et vive souris anglaise dans le Versailles des glorieuses féeries .
Elle s'est glissée dans le moindre corridor, la plus humble mansarde de ce pays fabuleux de chair, de pierre, de sang, de froidure et de flammes.
Espiègle, enjouée, semant son ironie au vent, Nancy tire d'une main preste le voile qui nous sépare du château (on ne dit jamais " palais ", cela sonnant trop fort et sentant son "parvenu") des amours et des arts, des audaces de Molière et  des violons de Lully, de l'éclat de la Galerie des Glaces aux reflets chatoyants des jets d'eaux sur les bassins, sur les canaux, sur les pelouses.
Nos yeux s'écarquillent dans la nuit du passé, nous voguons vers ces trésors engloutis :
rivières fleuries de barques où s'entassaient les robes de soies, rives bruissantes de soupirs joyeux, grottes aux fontaines de coquillages, retraites murmurantes de galantes rumeurs ...
Nancy Mitford touche à tout ! elle met son joli nez dans les arcanes de la construction inouïe de ce monument extravagant et classique à la fois, elle respire les effluves poivrées du "règne" coupable de la féline marquise de Montespan, et s'attache soudain à un épisode qui, en lady anglaise convaincue, la regarde, croit-elle, de prés.
Tout naturellement la visite par un Anglais imperturbable, vingt ans après les héroïques débuts de sa construction digne d'une pyramide d'Egypte, de ce resplendissant château, figure de proue du génie fécond et de l'inimitable bon goût français.
 Un Anglais à Versailles ? Mais quel Anglais !
 Un lord excessivement bien élevé ' mais l'est-on jamais assez ?) un diplomate amateur de jardins (ce qui est l'apanage de la majorité des britanniques) un coeur sensible sous un dehors boutonné jusqu'au col de dentelles, un ambassadeur des plus extraordinaires car amoureux fou de son roi :
Lord Portland.
En ce temps sublime pour l'art de l'architecture , il existait à Versailles, un chef-d'oeuvre disparu, devenu un mythe: "l'escalier des ambassadeurs". Comment garder une mine impavide, un port de tête altier, une contenance hiératique en s'élevant sur ces volées de marches menant à l'Olympien roi de France ? A un ambassadeur anglais, rien n'est impossible !
Lord Portland empruntant sa glace au Mont-Blanc, et sa démarche à un consul de la Rome antique suscita un engouement rare chez cette nouvelle espèce d'humanité ; le courtisan de Versailles !
Or, une idée fausse, parmi un millier d'autre,s façonne un épouvantail à la place du sujet obéissant de Sa Majesté. Ce pays cousu d'or aurait servi de coûteux refuge à une caste d'oisifs aussi inutiles que vaniteux.
Ce préjugé est bafoué en un claquement d'éventail ! Versailles, dés la date du 6 mai 1681 qui en fit le siège du gouvernement français, débordait, à l'instar d'une ruche de travailleurs, au bord de la crise de nerfs.
Le jeune roi bouleversa les esprits rigides par son audace scandaleuse :
préférer la campagne à Paris ! au point d'y installer les ministres,les puissants, et les jolies femmes, qui sont bien les plus douées de pouvoir au royaume de France; et encore les artistes, les artisans, les maçons, les couvreurs, les charpentiers, Versailles ne cessant d'être un éternel chantier. et aussi, les jardiniers, les cuisiniers, les domestiques, le château ayant mission de mère nourricière...
Enfin, les nobles: mais pas n'importe lesquels.
Soit, on était un nouvel anobli pour ses mérites et talents par le roi reconnaissant, soit on était un "ancien" et on vous demandait fort courtoisement de faire vos preuves de noblesse devant les généalogistes de la cour. Ces êtres cruels ne plaisantaient guère avec ces barons, marquis ou vicomtes emplumés, prétendant que leurs archives venaient de brûler même si leurs aïeux avaient rempli les grimoires de leurs sublimes exploits.
Or, ces descendants de guerriers le restaient. La noblesse avait le devoir absolu de passer sa vie sur les champs de bataille, et, cela va de soi, d'y mourir noblement, après avoir eu la prudence d'engendrer une bonne douzaine d'enfants,voués au service du roi à peine leur premier cri poussé.
Guerroyer fut le principal souci de Louis XIV, et les nobles le suivirent partout. Leur impôt c'était celui du "sang".
Toutefois, à cette époque, le savoir-vivre interdisait que l'on s'envoie des boulets de canon pendant la saison hivernale. Les nobles rustiques regagnaient leurs tours perclus de lézardes et se faisaient soigner par de patientes épouses qui gouvernaient leurs petits domaines avec la poigne de chefs d'entreprise ou de matrones romaines, comme on voudra.
Les heureux soldats qui menaient un train d'impécuniosité à Versailles affluaient dans leurs soupentes glaciales, embrassaient maîtresses ou épouses étonnées de les voir là, lissaient leurs moustaches, endossaient des habits qu'ils mettaient dix ans à régler à leurs tailleurs et , métamorphosés de hardis combattants en parfaits courtisans s'en allaient raconter leurs hauts-faits dans le plus bel endroit du monde : la Galerie des Glaces.
Versailles revenait à la vie !
L'ambassadeur Portland, au coeur du rude hiver de l'an 1698, en y descendant à la nuit, entouré de sa suite d'Anglais hautains feignant une impassibilité agaçante, éprouva (on le lui souhaite en tout cas) un étourdissement inattendu. Rien de plus éblouissant ne se pouvait concevoir. Une symphonie d'argent pur, rythmée par des milliers de bougies, un monde scintillant où flottaient comme sur un nuage les humains les plus éthérés et les plus parfaits qui se puissent imaginer.
Vision exquise et surnaturelle que le jour efface comme un fastueux mirage.
Nancy Mitford  imagine avec un fol amusement cette mirobolante Galerie servant de "place du marché à cette ville de riches"!
 Lord Portland assiste ainsi au singulier spectacle de fermiers tirant par le licol les plantureuses vaches prodiguant leur lait aux petits princes, de serviteurs zélés se comportant à l'instar de navires en détresse et de courtisans tombant dans les bras les uns des autres afin de mieux déchiqueter la réputation de leur infortuné prochain.
Ces Français, quel manque de tenue !
Ces Français ? lui aurait rétorqué, peut-être, l'insolente Nancy, eh bien, monsieur l'ambassadeur, vous vous trompez; là, éparpillés au beau milieu du plus bel endroit du monde, chez le plus grand roi du monde, ce que vous voyez, ce sont des Gaulois !
Là-dessus, cette piquante femme de Lettres (vous me permettrez d'ignorer les mots dénués de musique, mais hélas à la mode en 2017, d'écrivaine ou d'auteure) de détailler une théorie englobant à la fois l'austère ministre Colbert et le peuple français.
C'est d'une simplicité biblique:
"Si les Français se divisent en Francs et en Gaulois, les Francs bâtisseurs sérieux et assez froids, et les Gaulois, adorablement frivoles, destructeurs de leur patrie, Colbert était le type-même du Franc."
Ciel ! que nous voilà bien arrangés de la part d'une Anglaise qui nous considère, nous les Gaulois, comme des créatures rebelles, épuisantes, capricieuses, et qui adule son cher ambassadeur Portland avec une application d'amoureuse.
Mais qu'a-t-il de si particulier ce Hans William Bentinck, premier comte de Portland ? et d'ailleurs, pourquoi le roi Guillaume l'a-t-il choisi afin de donner une image flatteuse de l'Angleterre ?
Les motifs politiques abondent, la succession d'Espagne, le roi Charles II étant incapable d'assurer sa descendance, titille deux monarques d'Europe, l'empereur d'Autriche et le roi de France.
Chacun essaie de suggérer un digne successeur, soit le second fils du premier, et pour Louis XIV, le second de ses trois petits-fils.L'Europe risquait une nouvelle foi d'être à feu et à sang si les diplomates, hommes sérieux et pondérés ne sonnaient pas la fin de la récréation.
Lord Portland aimait les missions d'envergure, il accepta ou du moins se composa un personnage. En réalité,l e Lord souffrait horriblement d'avoir traversé la Manche en sachant qu'un jeune favori aussi beau que stupide(à en juger par son magnifique portrait, ce dandy avant l'heure avait tout son charme dans sa somptueuse perruque ) dominait le roi Guillaume II.
Portland se vengea de l'insignifiance raffinée de son rival, lord Albermale, par une valse de louis d'or qui le rendit lui-même brillant à l'instar d'un maharadjah.
Les "Gaulois" adorant le brio assorti d'un grain de folie à l'anglaise, et d'une désinvolture d'aristocrate jouant avec le feu, l'ambassadeur fut la coqueluche du grand monde de Paris aux chasses et jardins de Versailles.
On vit lord Portland offrir des festins gargantuesques ( au diable la prétendue avarice anglaise !) dans l'immense hôtel particulier loué au prince d'Auvergne, construire une salle de réception aux proportions gigantesques dans le joli parc de son propriétaire, et comme si cela ne suffisait pas , envahir les écuries de Paris de ses quatre-vingt-dix chevaux. Ce comportement distrayait les Parisiens et donnait une très séduisante idée de la civilisation britannique.
 Le généreux lord, il faut l'avouer, écrivait en secret à son roi des commentaires peu propices aux prémices d'une harmonie générale entre les deux nations : comble de l'arrogance anglaise, il  prétendait que Versailles n'étourdissait pas tant que cela !
L'hypocrite ambassadeur se donnait le luxe facile de préférer les ravissants petits châteaux des alentours à ce mastodonte ruineux que toute l'Europe jalouse .Langage diplomatique, autrement dit l'art de mentir avec élégance, mauvaise humeurde diplomate dépité par l'éclat insensé du domaine royal ?
Or, aucune bouderie d'ambassadeur ne dure face à Louis XIV déclarant au milieu d'une audience royale :
"J'ai toujours entendu dire que vous étiez l'homme le plus poli d'Europe, je vois maintenant que c'est vrai."
On a envie de crier; "Vive le roi ! "
 C'est ainsi que le Roi- Soleil adoucit la sombre humeur de l'ambassadeur anglais ..

A bientôt,

Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse

Le superbe Lord Portland par Hyacinthe Rigaud

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