vendredi 2 mars 2018

Contes du vieux château : l'élégance: l'art d'être rebelle ?

L'élégance est un mot charmant et mystérieux, une nuance aussi vaporeuse que le vague à l'âme, un secret d'état partagé par les mortels les plus humbles.
On est souvent élégant sans s'en douter, et ridicule en s'évertuant à être le plus élégant du monde.
L'élégance vagabonde comme les poètes, elle court les rues comme la beauté et maltraite ceux qui l'enferment en des préceptes rigides. L'élégant porté par l'admiration universelle aurait ainsi tous les droits ! sauf celui de blesser, chagriner, calomnier, mépriser, exclure son prochain qui paraît si éloigné des codes aveuglément respectés.Or, fermer sa porte au nez des malheureux ne comprenant pas vos codes sacrés, c'est tomber dans le gouffre où se terrent les renégats du savoir-vivre.
L'élégance, souffre souvent d'être d'apparence, seriez-vous un vaurien qui s'ignore ?
Napoléon aurait raison de vous lancer la cinglante critique jetée à la tête de Talleyrand, prince de Périgord et de Bénévent:
"Vous êtes de la merde dans un bas de soie!"
Sans suivre cet exemple d'une robuste vigueur, on voudrait parfois faire descendre l'élégance artificielle de son piédestal de plâtre. L'élégance véritable serait-elle une statue de marbre ?
Elle emprunte ses traits harmonieux à une collection de divinités, c'est entendu, mais elle a le prodigieux mérite de faire bouger les pierres et trembler les convenances.
 L'élégance enchante, étonne, éclate d'un rire de gorge sonore : c'est la voluptueuse et naïve Angélique Sedàra, cascadant de joie délirante, sous les ors fanés de l'énorme salle à manger de Donnafugata, qui étourdit  les sages convives et l'insolent Tancrède de la folle élégance du diable ! c'est la rebelle irrésistible avançant d'instinct, aux antipodes des règles de savoir-vivre, avec sa fougue spontanée, sa franchise juvénile , son panache courageux L'élégance ne s'imite pas, ne se comprend même pas, elle s'impose comme le coup de foudre, elle n'accepte rien de médiocre, de facile, de convenu. Elle n'a aucune envie de vous faire plaisir. On s'égare en la comparant à la politesse qui est un bel et noble usage enseigné par de doctes et exquis professeurs de savoir-vivre.
L'élégance ne s'apprend pas: ou vous naissez avec, ou elle s'empare de votre état-d'âme, et ne vous quitte plus. C'est une héroïne qui ne triche jamais. Ou avec tant de grâce, tant de vérité au sein du mensonge, que cela n'a plus d'importance...
Une élégante aux yeux verts ne cesse, dans l'imaginaire des lecteurs d'un roman trop connu pour l'être réellement, de balancer sa crinoline aussi verte que son regard au nez et à la barbe d'une flopée de soupirants.
Son coeur est déchiré de verte jalousie, la rage couve sous ses sourires, elle est couronnée du prénom d'Ecarlate ou Scarlett, et l'élégance apprise depuis l'enfance combat en elle tout un après-midi... jusqu'à la crise fatale accomplie avec un art de vivre qui atteint l'Olympe de l'élégance. Ashley Wilkes, cavalier du sud , goujat inconsistant, l'homme idéalisé auquel elle vient d'avouer son amour ose lui répondre de même tout en lui affirmant sa volonté d'en épouser une autre.
Dandy froid et timoré, le bel Ashley révèle sa lâcheté par ces mots craintifs qui anéantissent l'élégance virile de son personnage:
"Comment pourrais-je m'empêcher de vous aimer ...vous qui avez cette passion de la vie que je n'ai pas ? Vous qui pouvez aimer et haïr avec une violence dont je suis incapable ? Vous êtes un élément comme le feu, le vent, les choses sauvages, et moi..."
Scarlett aurait pu peut-être pardonner à cet élégant Ashley d'ignorer la tourmente de ses sentiments, mais comment supporter cette fuite indigne d'un cavalier ? Un couard a beau jouer la comédie de l'élégance, il perd la face, un mufle a beau prétendre être un séducteur invétéré, il sombre dans la vulgarité de l'inconstance. Ashley reçoit un "soufflet" fort élégant à la place de l'avoinée verbale qu'il aurait parfaitement méritée. Mieux vaut un geste vigoureux qu'un discours entrecoupé de pleurs inutiles quand on a affaire à un ingrat taillé dans l'étoffe d'un pleutre.
L'élégance a du caractère, cela ne la détourne pas de ses erreurs, au contraire...
Être élégant suggère le sacrifice de sa misérable vanité.Sacha Guitry inventa  l'art de sa propre dérision et décrocha de la sorte la palme de l'élégance masculine. Sa courte et cinglante pièce "Un homme d'hier et une femme d'aujourd'hui" est un concentré d'élégance sardonique.On y voit l'homme d'hier, Guitry bien sûr, aux prises avec sa maîtresse Yvonne Printemps , beauté de souffre et sorcière épanouie son amante "à la ville", l'actrice préférée de son théâtre intime et public; une évaporée à peine plus jeune,que lui d'une petite dizaine d'années, un détail qui hélas pèse plus qu'un monument de bronze !
Guitry incarne de tout son brio désabusé l'amant encore dans la force de l'âge qui soudain se métamorphose en ancêtre qui a fait son temps ! cruelle, ingrate, égoïste, l'adorable "elle" le harcèle de ses piques ingénues:
"Ce n'est pas moi qui change, mon pauvre chou, c'est la vie...la vie qui ne s'arrête pas un instant.Je suis le mouvement, moi, c'est normal tandis qu'on dirait , ma parole, que tu t'ingénies à ne désirer que des choses qui ne se font plus."
Et quelles choses démodées ! de la poésie ! des vers !
"Voyons, dit l'odieuse créature à ce amant décati , des vers à notre époque , ce n'est pas sérieux !"
Pire, "l'homme d'hier"ne jure que par le dix-huitième dans des situations pourtant fort prosaïques ... Piqué, "l'ancêtre" se rebiffe:
"Personne ne m'empêchera de parler de Fragonard ...et je ferai l'amour comme il me plaira !"
Le voilà plaidant la cause de l'élégance éternelle, de l'art éternel, de l'amour éternel, "elle" ne l'écoute pas, "elle a déjà une nouvelle lubie dans la tête, et "elle" se sauve au volant de sa voiture dangereusement garée tout en décochant sa flèche assassine:
"Rien à faire, tu vois... le progrès nous sépare !"
Cette méchanceté involontaire rehausse l'élégance du dernier amant romantique qui s'empresse de respirer la fleur offerte en tendre adieu par cette épuisante conquête.
Et, Guitry en profite pour clore sa pièce comme on ferme sa porte avec une élégance aussi implacable que le prompt coup d'épée terminant un duel :
Ils s'embrassent,. elle part. Il regarde la fleur, la respire, la rejette.
"Elle est artificielle !"
Pauvre et élégant Guitry ! cette façon de faire rire de ses déboires amoureux, n'est-ce l'élégance dans toute sa splendeur ?
Juliette Récamier en ne reniant jamais son attachement souvent inutile, toujours douloureux, son amour fidèle englouti sous le sourire pudique de l'amitié altruiste, donna une leçon d'élégance à l'inconstant Chateaubriand. Louise de Vilmorin , symbole en son temps d'une certaine élégance à la française, s'acharna à créer le roman de sa vie, mais n'égala guère le charme poignant de cette Juliette si effacée, si recluse en son refuge de l'Abbaye-aux-Bois.
 Flamboyante, séductrice de tout ce que la terre comptait d'hommes en vue, Louise  s'habillait avec goût, riait avec arrogance, et planait au dessus des simples mortels. Juliette avait l'élégance des êtres qui ne trichent pas.
Elle endura l'amour au lieu de s'en réjouir, mais ne se plaignit qu'en secret.Son élégance morale s'harmonisa avec la sobre harmonie qui l'entourait. Amante affligée de passion irréductible, elle s'obstina à garder un tendre lien avec un homme qui prit très tôt l'inélégante habitude de se plaindre des peines qu'il semait en chemin.
L'élégance se confondrait-elle avec la générosité discrète ? L'altruisme, l'humanisme, la main tendue vers l'autre ? En apparence, insignifiant, inconnu, celui qui selon le mot intolérable ne serait "personne" ? celui qui , selon cette épouvantable expression n'aurait " pas de vie" ? quelle barbarie à visage humain !
 Toute vie est superbe, et ceux qui se gargarisent en méprisant, détruisant, glaçant, éloignant, blessant, avec un sot dédain, leur prochain  sont à fuir : le royaume de l'élégance leur est interdit !
D'ailleurs Juliette Récamier eut-elle une vie selon les critères pragmatiques de notre époque ?
Elle aima ; elle n'exerça pas de rôle déterminant, n'écrivit que des lettres d'amour, ne prononça que des paroles charmantes, accueillit ses amis riches et célèbres dans son salon indigent, embellit sa gêne financière d'une rayonnante dignité, n'eut pour horizon que pour Chateaubriand auquel elle pardonna tout.
L'élégance serait-ce alors l'amour qui, en reprenant la lettre de Saint-Paul aux Corinthiens " accepte tout, pardonne tout, ne passe pas"?
L'amour c'est encore Scarlett, le personnage mythique d"Autant en emporte le vent", tenace et frêle folle qui ne s'admet jamais vaincue. Par amour pour son domaine menacé, la voilà qui va quérir l'argent nécessaire à d'injustes impôts auprès du cynique Rhett Butler, (qui ne lui donnera pas un sou). Résigné,  Ashley que sa prudence "d'homme du monde" empêche de se rebeller contre les aléas de la fortune pense:
" qu'il n'avait jamais vu héroïsme comparable à celui de Scarlett O'Hara s'en allant conquérir le monde avec une robe taillée dans les rideaux de velours de sa mère et les plumes d'un vieux coq."
Cette robe légendaire détrônera toutes les collections des grands noms de la couture jusqu'à la fin du monde ...
L'élégance c'est une rébellion tranquille ou volcanique, c'est Anna Magnani souhaitant un rugueux "Bon appétit" à Roberto Rossellini ,qu'elle devine amoureux d'Ingrid Bergman, en lui recouvrant impitoyablement la figure d'exquis spaghettis ...sous le joyeux soleil d'Amalfi !
C'est une vérité de l'instant qui vous définit comme un être aimant, détestant, pardonnant, et ne se dérobant devant aucune hypocrisie, aucune honte.
La richesse n'a rien à voir avec l'élégance, les bonnes manières sortent du coeur; c'est la bonne volonté dénuée de jalousie qui trace la route des élégants de la vie !
Arthur de Gobineau, philosophe d'un ennui mortel mais écrivain sensible, vit dans les Cyclades les "roches mères" de l'élégance :
"Les Cyclades donnent l'idée de très grandes dames nées et élevées au milieu des richesses et de l'élégance...Mais des malheurs sont venues les frapper, de grands, de nobles malheurs; elles se sont retirées du monde avec les débris de leur fortune... néanmoins ce sont toujours de grandes dames, et du passé il leur demeure comme le suprême raffinement interdit aux parvenues, une sérénité charmante et un sourire adorable."
Et ce sourire se pare d'amour sans lequel l'élégance n'est que vaine posture ou théâtre creux ...
La Natacha de "Guerre et Paix" tourbillonne d'élégance égarée; cette alchimie est refusée à Anna Karénine", pourquoi ? La malheureuse sombre dans le délire, la suspicion  et devient vulgaire !
Qu'il est simple et difficile d'atteindre l'élégance !

A bientôt,

Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse

Elégance  intemporelle d'une princesse russe, perles fines et regard énigmatique:
Léonilla Bariatinskaia, 1843

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