mardi 5 juin 2018

Pages Capriotes: Je vous écris de Naples dans la lumière de mai

Je vous écris de Naples, le décor est extraordinaire, le tumulte est extraordinaire, la beauté est extraordinaire.
En vérité, je suis la seule à ne pas être extraordinaire !
Les Napolitains , voyez-vous, sont tous extraordinaires; des enfants fous de ballon aux grands-pères  la mine narquoise, en passant par les chauffeurs de taxi bavards et débonnaires, les mères aux rondeurs attrayantes, juchées avec assurance sur des talons arrogants, s'égosillant à rappeler à l'ordre leurs petits indisciplinés et radieux, les docteurs bienveillants qui voient en vous un humain, un frère à rassurer, les hôtes qui vous ouvrent leur maison avec une sollicitude qui vous donne l'illusion d'être digne de l'amitié de vos semblables, les grandes Dames en robe du soir et bijoux précieux relevant leurs longues jupes à la sortie du Théâtre San Carlo avant de s'installer, à l'instar de divinités entourées d'admiration populaire et énamourée au Café Gambrinus, les jeunes gens entassés à plusieurs sur leurs scooters, libres, impulsifs, indomptables ...
Tous le verbe haut, les mains éloquentes, la marche ou la course endiablée, un fleuve qui s'arrête pour applaudir deux enfants en train de s'embrasser sou le regard embué de deux familles qui soudain, sans se connaître, s'étreignent et se congratulent ...
C'est arrivé à Naples, tout peut arriver à Naples !
Et moi, je n'arrive pas à vous écrire .
Honte à moi ! je ne vous écris pas, je tente lamentablement de réunir mes idées au beau milieu de la Galeria Umberto I: c'est sans espoir, je vais vous écrire la lettre la plus chiffonnée, la plus confuse, la plus heureuse que vous ayez jamais reçue.
Une jolie fille vient de m'apporter un cappuccino assorti d'un sermon roucoulé à toute vitesse, j'attrape un mot, ne comprend rien, c'est la nuit sous une verrière gigantesque qui laisse le soleil flamboyer dans une symphonie de marbre, de stuc, d'arcades, de colonnes, balustres et et balcons
.Miracle: le voile se lève, la jeune fille s'esclaffe: quelle hérésie, mais vraiment, serais-je l'unique personne de la ville à ignorer que mon breuvage lénifiant ne se prend qu'au petit déjeuner ? Or, nous voici bien proche de midi ....Ma mine effondrée lui arrache un sourire ! apitoyée par mes mille excuses,  on m'offre le café concentré qui ranime la vaillance napolitaine à toute heure du jour glorieux ! mille grazie !
 Le vacarme augmente au fur et à mesure que la chaleur monte, j'ai reçu des nouvelles du prétendu sud de la France, il y pleut des trombes, l'inondation menace. Ici, via Toledo, la rue arpentée par Stendhal, (quelle communion d'esprit avec mon écrivain adulé) c'est une inondation humaine qui entre et sort des boutiques, s'interpelle, jacasse, et semble prêt à accomplir sur l'heure on ne sait quel acte héroïque  ...  Mon guide de papier m'agace . Je supplie une bonne âme de m'indiquer le théâtre où Stendhal  pleurait presque d'émotion amoureuse. "Tout droit! " m'assure en Français un gentilhomme si parfait dans son costume impeccable que je le crois sur parole.
Une dame à la blondeur napolitaine, cette nuance de miel qui s'accompagne d'une peau assortie et d'une robe aux couleurs bousculant la fade dictature du minimalisme, entre en scène: le théâtre di San Carlo, oui, mais il est fermé ! il faut que j'aille tout de suite via Chiaia, la rue qui grimpe vers la Chartreuse San Martino et là je dois me présenter chez "Marte", une créatrice dont la famille exerce depuis la reine Marie-Caroline et même bien avant, une amie qui fabrique des bijoux historiques, car j'aime les bijoux ? Une dame aussi élégante que moi !
 Mais, renchérit un nouvel inconnu à la crinière argentée, vous n'envoyez pas la Signora  au Palazzo Reale ? C'est une  Signora qui aime les belles choses, elle doit aller Piazza Plesbiscito, et surtout le soir quand les colonnes sont éclairées de rouge ou de vert ! c'est si beau! et maintenant,  tout de suite, la Signora n'a pas un instant à gaspiller, c'est le Palazzo Reale, sait-elle cette dame que cela dépasse Versailles ? Voyez le grand escalier, que du marbre blanc !
Je suis éperdue de confusion, rougissante,  cernée par un aréopage d'aimables Napolitains déterminés à ce que je revienne en France en connaissant leur centre historique sur le bout du doigt, mes genoux fléchissent, ma tête résonne, qui va me sauver ?
D'une petite voix, j'ose expliquer que la simple vue du golfe enchantera mon coeur.
La réaction est immédiate, on se répand en compliments en me répétant d'aller droit devant moi, ou non, il y un raccourci "Sinistra !" crie quelqu'un, je cours, je vole, je fuis , dix minutes de marche rapide, j'enfile une rue , je continue guidée par une sorte d'intuition, j'y suis...
J'ai regardé tant de tableaux, feuilleté tant de livres, imaginé tant de fois ce moment, je ferme les yeux de peur d'être atrocement déçue, je les ouvre et soupire comme un marin touchant au port.
La mer est un lac nimbée de voiles diaphanes, le Vésuve sculpté de bleu veille sur la ville, les îles sont des châteaux immobiles et lointains où dorment nos chimères, le soleil a regagné sa forteresse de nuages, je rêve et prie face à la beauté pure, l'harmonie divine ...je me sens l'amie des poètes, l'amie des peintres , l'amie des Napolitains ! un silence étrange ôte au temps son rythme fatal.
Les cloches soudain froissent cette paix surnaturelle par leur incantation grave, la vie endormie se ranime, je me souviens d'un rendez-vous Piazza del Gesu Nuovo, en face de l'église du même nom et à la table d'une Pizzeria où le service serait des plus napolitains, "O Munociello".
Quel contraste avec mon émotion des dernières minutes ! mais revenir sur la terre ferme est excellent pour sa santé mentale.
J'ai déjà longé les remparts échevelés de feuillages du couvent de Santa Chiara sous la bénédiction d'un rayon de lune, la nuit nimbait de douceur les palais, les chats fuyaient sur les pavés, solitaires et frondeurs.  La foule  s'est emparé de ce monde retentissant d'échos étouffés. La lumière foudroie, le jour écrase de poussière une place gardée par une église armée de pierres en pointes redoutables, parure de guerre qui me retient sur son seuil.
Un bel homme agite ses moustaches de chat, me toise, puis se présente, c'est un fringant colonel  des Carabiniers; d'une main courtoise mais implacable, il m'ordonne de fermer mon guide ridicule et de le lui emboîter le pas.
Docile, je le suis et nous voyageons ensemble dans les mille chapitres étincelants de gloire, d'amour, de folie, de ferveur, de tendresse de ce roman chevaleresque et grandiose qui a nom Naples.
L'église du Gesu Nuovo, chant d'amour baroque à damner  les esprits froids,  s'enorgueillit de six cent reliques, le fougueux colonel ne me fait grâce d'aucune !
L'exubérance somptueuse de cette église pareille à un antre fabuleux m'étourdit et m'enivre, mon mentor insiste afin de franchir le mur du temps, nous voguons sur la houle mêlant Paganisme et Christianisme, médusée, je perds pied sous la houle de son discours véhément.
La tête me tourne un peu, je souris afin de masquer ma fatigue, la langue italienne roule, coule, s'enflamme, s'apaise, le colonel me prie de ne pas l'oublier,comment peut-on oublier un homme qui semble avoir vécu mille vies dans mille Naples ?
 Le colonel croit en la réincarnation,  n'ai-je éprouvé ce sentiment curieux à Capri ?
Une reconnaissance ...  cette Ville, ces îles "belles de partout" ainsi que me l'affirme un chauffeur de taxi en élargissant les mains dans un geste d'amoureux, ce golfe prodigieux  ne dessinent-elles les contours de votre patrie d'élection ...ce pays que nous avons la manie de chercher au travers des épines et tourments de notre vie fugace et incertaine ?

A bientôt ! Qui sait ? A la recherche des prestiges et douceurs de l'ïle d'Ischia !

Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse

Un PS de Gérard de Nerval  :

"Je suis le ténébreux, le veuf, l'inconsolé,
Le prince d'Aquitaine à la tour abolie:
Ma seule étoile est morte et mon luth constellé
Porte le soleil noir de la mélancolie.

Dans la nuit du Tombeau, Toi qui m'as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé,
et la treille où le pampre à la rose s'allie".




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