samedi 7 juillet 2018

Pages Capriotes: Capri arrachée aux Anglais en 1808

Pages Capriotes: combats franco-anglais sur les falaises de Capri

Capri, île bienheureuse transformée en champ de bataille ?

Un rocher retentissant du fracas d'orage des canons pointés vers de robustes forts retranchés ?
 Bien sûr que non, clament les esprits naïfs, quelle hérésie! quelle trahison même que d'y songer !
Pourtant, l'héroïsme hissa sur les flancs lisses des falaises quelques centaines de lions français risquant leurs vies avec l'insouciance allègre des guerriers de l'Illiade.
La mission était simple et impossible, l'envahisseur anglais, créature conquérante et autoritaire,  devait être chassé de Capri,cette citadelle naturelle érigée par le caprice des dieux au milieu de la baie de Naples.
Cette bataille tourna à la plus surprenante, la plus éclatante, la plus ahurissante des victoires:
 ce n'est ni une invention romanesque, ni un conte patriotique, ni une plaisanterie napolitaine.
La vérité de ces combats acharnés de début octobre 1808 frappe, à la pointe du de sabre .
Au sommet du Monte Solaro flotte, invisible, éternelle, la gloire des obscurs soldats, venus des rustiques campagnes françaises, qui y firent entendre leurs canons , après les avoir hissés dans un élan inouï, rugissant comme des lions furieux sous le fouet de la tempête.
Cette épopée, gravée sur l'Arc de Triomphe, dévoile aussi une antique magie, force primitive qui secouant l'inertie des siècles, aida les exploits prodigieux de ceux qui luttèrent d'un immense cœur afin que cette île suggérant la pure beauté des chants d'Homère ne devienne un  second Gibraltar .
Citadelle ancrée sur son bleu immatériel, château-fort élevé sur de profondes grottes vouées aux antiques magies, Capri méritait un autre destin !
Auguste eut le premier l'intuition du don de renaissance prodigué par cette montagne en fleurs. Il la fit sienne, et abandonna Ischia en échange aux Grecs.
Tibère, seigneur de cette citadelle reposant sur une mer basculant de l'ire à la douceur, n'était point le tyran cruel qu'une funeste légende édifia sur la foi d'atroces calomnies. Ou s'il le fut, sa rédemption lui vint de l'île .
Capri aurait-elle le don des métamorphoses spirituelles ?
A la fréquenter, on se découvre un goût irrésistible pour la plantation des tomates, le parfum des clématites, les promenades au bord des précipices, la lumière enivrante et le dialogue avec Ulysse et Calypso, soudain pareils à des amis retrouvés …
C'est Capri qui vous suggéré de saluer avec une chaleureuse courtoisie de parfaits inconnus qui vous rendent aussitôt vos avances aimables ; c'est elle qui vous inspire une naturelle et nouvelle dévotion devant chaque sanctuaire ; c'est encore l'île qui vous insuffle l'enthousiasme allègre de parcourir les raides chemins pavés de roches polies et brillantes, à force d'affronter tant de pas depuis tant de siècles...
Seule enfin Capri fait naître en vous l'envie implacable de refuser ce qui entrave votre propre intégrité, c'est elle qui nourrit votre volonté de jeter, au fond des gouffres marins, ces chaînes si lourdes qu'en langage humain on nomme remords, amertume, désespoir.
Tout cela est bel et bon !
Or Capri est aussi une divinité marine, la sœur minérale des sirènes, elle dissimule sa ruse, mais depuis sa rencontre manquée avec Ulysse, elle sait sortir un bon tour de ses jardins escarpés, de ses belvédères angoissants, de ses vallées secrètes.
Ainsi, en ce délicieux début du rayonnant septembre 1808, dota-t-elle d'un courage extraordinaire une troupe de braves Français déterminés à l'arracher à l'asservissement anglais !
Muret, lion furieux et intrépide, élevé par son beau-frère l'empereur, à la dignité de nouveau et superbe roi de Naples, vit l'île merveilleuse du haut des terrasses du Palazzo Reale. Il n'eut guère le loisir d'y rêver : un démon agita sous ses yeux le drapeau anglais claquant avec arrogance depuis le fort San Michele !
En un seul un juron bien senti , Murat apprit aux Napolitains que Capri serait délivrée au plus vite du joug britannique incarné par l'homme le plus mesquin du monde : le maussade Hudson Lowe, futur geôlier de Napoléon.
Un lion fit son entrée; c'était le général Lamarque, un de ces coriaces héros que les missions impossibles rendent ivres de joie. Falaises imprenables ? Et alors ? On s'y hisserait sur les échelles des allumeurs de lampes napolitains !
Garnison anglaise à réputation redoutable retranchée dans au moins trois forts sur les hauteurs, véritables tours de guet aux canons pointés sur le golfe ? Aucune importance, que valent des soldats maltais contre des Français éduqués à vaincre envers et contre tout par l'empereur lui-même !
Les caprices de la mer ? Allons, la méditerranée serait du côté des Français ! Et les sirènes tendront des pièges fatals aux frégates anglaise qui fendraient les flots depuis l'île de Ponza si l'odieux Lowe criait au secours.
La bataille de Capri allait faire rage !
La légende, et les légendes à Naples ne mentent jamais, raconte que toute la ville se pressa sur ses toits afin d'assister à cet affrontement décidément Homérique.
La guerre de Troie surgissait des flots, Lamarque, nouvel Achille attaquait suivi de ses guerriers impatients d'en découdre.
Capri soudain prit forme humaine et emprunta la grâce éthérée d’Hélène de Troie …
Mille huit cent amoureux cherchèrent à la délivrer en dépit de falaises inexpugnables, remparts de granit, et canons anglais crachant leur feu mortel.
Un homme doué de bon sens aurait reculé, Lamarque, heureusement, était de ces hommes tenaces et opiniâtres qui ne s'avouent jamais vaincus.
Sur la côte ouest de l'île, au dessous d'une citadelle anglaise, le général réalisa que l'on pouvait grimper d'abord sur les échelles, puis en se juchant sur les épaules des uns sur les autres , jusqu'à un ravin, espèce de barrage naturel contre les boulets jaillissant du fort Sainte-Barbe.
C'était une entreprise aussi remarquable que folle à lier.
Comment les soldats acceptèrent-ils de s'accrocher aux minces et mouvantes échelles au risque de choir sur les rochers aigus? Comment Lamarque eut-il l'audace de grimper en tête ? Confia-t-il son destin aux âmes des héros grecs, ces Achéens superbes de bravoure ?
L'Iliade jaillit  des vagues aux indistincts visages de néréides.
Valeureux, insensés, intrépides, les Français poussés par un élan qui les dépassent prennent le fort du Mont Orrico. Naples qui n'a pas dormi de la nuit assiste à ce prodige au lever du jour : le drapeau napolitain claque au dessus du bastion !
Mais l'exploit exige de nouveaux combats.
Devant les soldats attend l'unique voie menant au village de Capri, un escalier phénicien; un traquenard de 480 marches glissantes, taillées juste au bord des gouffres.A l'arrivée, un canon anglais, un monstre qui se réjouit de dévorer ses proies !
Qu'importe ! Lamarque sait que la flotte anglaise de Ponza peut déferler sur l'île, il faut prendre d'assaut l'humble bourg de pêcheurs et obliger Hudson Lowe à se rendre.
Mille soldats fondent sur Marina Grande, deux cent malheureux s'écrasent du haut des falaises...
Lamarque ordonne que l'on construise un pont de fortune, l'ancêtre de celui d'aujourd'hui.
Tibère veillait peut-être depuis les séjours des immortels : la chance est tangible, et les Français finissent tant bien que mal leur ouvrage..Surviennent alors de Naples les renforts commandés par le prévoyant général.
On débarque douze canons sur le port  à peine construit. Que va-t-on en faire ?
Quelque chose que la raison ne peut concevoir : on les traîne, les pousse, les monte au sommet du Monte Solaro.
 Les Anglais, tremblants derrière les murs du fort San Michele, du fort San Salvador, enfermés dans le village de Capri, reçoivent un feu d'une violence implacable.
C'est la terreur, c'est la débandade; l'ennemi, Maltais en grande partie et peu rompu à la discipline, demande grâce .
Hudson Lowe espère encore.
Pris d'une impulsion étrange, il supplie un ermite menant une humble existence sur la montagne vouée à Santa Maria del Soccorso, de guetter l'horizon. Le moine lui jure que les points noirs qui s'aperçoivent au loin sur une mer tranquille, ne sont nuages, et non point vaisseaux anglais.
Hudson Lowe, victime d'un enchantement, le croit et signe sa reddition.
A ce moment précis, le soleil fait apparaître la flotte anglaise.
Ulysse aurait-il soufflé sa ruse au bon ermite ?
Capri et les lions français, la magicienne antique et les soldats d'un empereur, exultent sous les applaudissements du peuple napolitain.
Cette histoire vous sera chuchotée par le vent parfumé qui rafraîchit l'ardeur des promeneurs
sur les marches phéniciennes montant vers Anacapri …

Un PS d'Homère en hommage à ces Français fiers et hardis :

« Ils se battent , pareils à des flammes, et nul ne pourrait affirmer
Si le soleil ou la lune continuent à exister.
Sur le champ de bataille des brouillards sont montés et ils
Recouvrent encore
Tous les héros qui entourent le corps de Patrocle qui est mort.
Mais les autres Troyens, les autres Grecs aux belles jambières,
Ils se battent sans obstacle sous le ciel, et la lumière est claire.
Le soleil est perçant, sans brume sur toute la terre et sur les
monts,
Et on se bat, et on fait la pause de moment en moment. »

Homère « chante » la guerre dans son Iliade, mais rien ne vaut la paix, les amours, le retour d'Ulysse
(les « Ulysse » reviennent-ils d'ailleurs ? Homère est d'un bel optimisme!), et Capri, l'île des Sirènes...

A bientôt,

Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse

Le billet qui vous fera entrer dans les ruines du palais de l'empereur Tibère

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