mercredi 5 septembre 2018

Trianon: une audience avec la reine: chapitre 16, Les amants du Louvre


Chapitre 16 :
« Les amants du Louvre »

Adélaïde de Flahaut à la baronne de Barbazan,
Le 29 avril 1784
Vieux-Louvre, Paris

Ma très chère Sophie,

C'est à monsieur mon étrange ami, ce Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, abbé sans vocation et cœur sans entraves qui, à la cour comme à la ville, se tient au courant de la moindre affaire que je devrais m'empresser de confier l'aventure qui m'est advenue à Versailles.
Mais, Sophie, monsieur de Talleyrand a disparu de Paris depuis mon audience; je ne sais où sa bonne étoile le convie et ne désire guère le deviner.
Moi seule aujourd'hui doit affronter une injonction venant du plus haut ; un refus offusquerait la reine, blesserait le roi et me sauverait certainement d'un sort que je prévois tourmenté voire fatal.
Un « oui » franc provoquerait une pluie de félicités se répandant sur la tête de ce bon monsieur mon époux dans la cas où mes amis attendraient en vain mon retour.
Sophie, je suis fort tentée de servir la reine et encore plus tentée de lui faire savoir que ses sujets ne lui appartiennent point !
 Ma vie est mon bien le plus cher, pourquoi en ferais-je don à une si haute dame qui ne m'a jamais jugée digne d'un hochement de sa tête montée en plumes et diamants comme un gâteau de noces ?
Ne t'effraie point de ma parole piquante, ce billet d'humeur te parviendra au fond d'un panier de lingerie  par mon valet amoureux de ta femme de chambre.
L'homme est de confiance, tu l'as déjà éprouvé, en cas de danger ou de questions fâcheuses, il jouera l'innocent, usera de son patois pyrénéen et roulera son monde avec l'aisance d'un bandit napolitain ! D'ailleurs, qui ferait attention à un si pauvre hère ?
Ne te prends-tu à rêver d'une société où l'on serait libre d'échanger de moqueurs propos sur ceux qui prétendent nous dicter leurs lois sans encourir la prison ou le couvent ?
 Ciel ! Je crains que la verve acide de ce monsieur de Beaumarchais n'ait gagnée mes pensées…
Enfin, Sophie, j'ai eu l'honneur d'une audience de la reine sous le couvert d'une promenade à Trianon sous l'égide de cette jacassante madame d'Adhémar, Dame du palais minaudière et maniérée à donner l'envie de la souffleter avec son éventail ! C'est « Madame Bruits de Couloir » en personne ! Même monsieur de Talleyrand s'enfuie à sa vue de peur qu'elle n'invente quelque fausse nouvelle à son endroit!
Monsieur de La Live de Jully, caractère plaisant, esprit de fort bon goût, musicien exquis, qualités charmantes que gâte souvent, hélas, la vanité de ces êtres qui ont de la fortune, ne jure que par elle, ne connais qu'elle, et l'a ainsi introduite dans mon salon.
Crois-bien que sans ce hasard malencontreux, je n'aurais eu garde de chercher sa faveur !
Elle m'a entendu broder le récit de mon séjour dans le golfe de Naples, m'a félicitée de parler la langue de Dante à ma façon, et a cru bon de me promettre une audience avec la reine de Naples si le hasard me ramenait vers ces paysages enchantés.
Je n'ai sur le moment guère ajouté foi à ces propos du meilleur monde, habiles et légers, et n'engageant jamais celui qui les prononce.
Or, voici deux jours à peine, transportée d'extase par la beauté incomparable du temple de l'amour éclatant de blancheur sous le ciel frais d'avril, je me moquais bien de ce qu'avait de si urgent à me dire la comtesse d'Adhémar.
Mais, en faisant ma révérence à cette Dame qui se gonfle de l'importance qu'elle prétend avoir, je manquai pour le coup m'étaler comme une gourde ou une bergère en sabots !La surprise était de taille :
la reine venait de paraître à l'instar d'une nuée aussi immaculée que le marbre de son temple …
Je plongeais si avant cette fois dans ma seconde révérence que ce fut un miracle si je ne m’écroulai aux pieds de notre souveraine.
La mode de ces tuniques de mousseline qui vous font ressembler à de chastes pensionnaires se préparant à réciter leurs prières avant d'aller se coucher a un avantage : on se relève sans dommages des révérences de cour !
Je me relevai donc et patientai un long moment. La reine me scruta de son regard plus gris que bleu . Ses yeux à fleur de tête ne sont point gracieux et leur expression me procura une gêne singulière . 
Que me voulait-on ?
Avais-je commis quelque terrible impair qui des entrailles du Vieux-Louvre me couvrait d'infamie sur les douces pelouses des jardins neufs de Trianon ?
Soudain j'entendis la voix quasi chuchotante de la reine.
« Madame, dit-elle, vous êtes intriguée, je le vois . »
Ma foi, Sophie, que pouvais-je être d'autre ?
Je baissai les yeux et affectai une parfait humilité, puis je balbutiai quelque chose du style :
« Le devoir de ses sujets n'est-il de servir la reine , votre Majesté ? »
Cette attitude grave et soumise adoucit la reine qui poursuivit sur le même ton :
« Vous plairait-il, comtesse de revenir à Naples pour me servir ? »
Naples ! Repartir à Naples ! Et, qui sait, revoir Capri !
Je voulais bien servir la reine de France, la reine de Naples et toutes les reines du monde pour une si merveilleuse Odyssée ! A l'instar d'Ulysse, allais-je accoster sur la plage de galets de mon Ithaque?Madame d'Adhémar me tira alors par la manche, je compris, m'écroulai à nouveau,
 et la reine de murmurer de façon presque inaudible :
« Madame, si vous me servez, sachez que c'est le roi qui en aura de la reconnaissance.
J'ai grande nécessité de faire passer à la reine de Naples un paquet dont le contenu n'a point à vous être connu. Vous ne pouvez voyager seule, votre mine, votre tournure, votre nom, tout cela attirerait trop les regards. On vous apprécie à Naples, votre amie , la comtesse d'Albany vous y recevra, cette fois , comtesse, il ne serait point opportun que vous allassiez chez Sir Hamilton.
Trouvez-vous un compagnon de voyage, un jeune homme de bonne maison, spirituel, brave, et courageux . Cela ne saurait être ce monsieur de Périgord auquel on vous dit fort attachée, sa prudence ne saurait être mise en défaut, toutefois, sa réputation déplaît au roi.
Madame d'Adhémar vous remettra Nos instructions dés que vous serez prête.Je n'ignore point les périls qui vous guetteront, mais si vous vous appliquez à une conduite discrète, à une réserve s'accordant avec la distinction de votre allure, nul ne se doutera que ce séjour a quelque chose d'une mission secrète.
Il nous faut séparer, Comtesse, le peu d'instants que j'ai accordé à une personne fort charmante mais guère familière de la cour semble déjà étrange à ceux qui m'entourent.
Allez, madame, ne tardez point ... »
Je m'effondrai une dernière fois, me râpai les genoux sur un caillou malencontreux, pestai en moi-même contre cette prétendue servilité que l'usage ancien nous impose, et traversai les jardins guidée par un dadais de laquais qui me mît proprement dans mon carrosse.
Que penses-tu de cette affaire ?
Je gage que monsieur de Talleyrand me laissera courir un péril si la fortune attend au bout du chemin. J'ai grand peur que l'on ne me mande une mission dont je me sens franchement incapable.
Cette lettre pleine de doutes et de craintes ne te trouvera pas à temps. Nous reverrons-nous Sophie ? Reverrais-je ta kyrielle de jolis chérubins ? Reverrais-je Monsieur de Talleyrand et si je ne le revois point, me regrettera-t-il ?
Lui manquerais-je un jour ou ne serais-je qu'une brume en sa mémoire ?

Ma Sophie, on frappe ;
c'est un valet qui me mande un billet de la main de madame d'Adhémar, je l'ouvre,
on me prie de me hâter à Versailles...
Le destin est en marche !
Songe à moi, et crois en mon amitié,

Adélaïde

La comtesse de Flahaut à Monsieur l'abbé de Talleyrand-Périgord
Vieux-Louvre, Paris
Le 2 mai 1784

Monsieur mon ami,

Voici bientôt une année, je me plaisais à vous écrire de jolis billets sur le ton le plus doux que ma langue acide soit capable d'inventer ! Ce mot se veut sérieux, voire triste ou du moins lucide.
Je prends congé de vous pour un ou deux mois et suis au désespoir de trahir la confiance de notre reine en vous en avouant la raison.
 Il est possible que vous la sachiez déjà, je connais votre intense et indéfectible soif de connaissances, votre insondable curiosité courant notre petit monde où rien ne demeure dans l'ombre.
Je m'en vais donc sous le couvert d'une invitation de madame d'Albany qui se morfondrait en prenant les Eaux à Ischia, cette île façonnée d'un volcan en face de Naples où coulent des sources chaudes dans les antiques bains romains, afin de soigner d'atroces migraines . Le mensonge a tout l'air d'une frivole vérité, sans doute suffira-t-il à donner le change aux esprits dénués d'imagination !
Or, ce n'est point votre cas, vous êtes subtil, et d'une clairvoyance si redoutable que chacun vous redoute !
Madame démarche m'a jetée en pâture à la reine pour une mission confidentielle auprès de sa sœur la reine de Naples. Je dois feindre un périple galant en compagnie d'un jeune et fort avenant vicomte discourant dans la langue de Dante avec un aplomb irrésistible et traînant les cœurs derrière lui sans se départir de son sourire.Ma réputation en sortira des plus compromises, vous seul aurez l'obligeance de me plaindre d'un pareil fardeau !
Plus que le ridicule, je m'angoisse de conserver sur mon cœur un écrin de velours qui semble si précieux que l'on m'a remis en guise de récompense ou d'encouragement, un portefeuille avec un bon à tirer de 30 000 livres signé de la formule célèbre:
"Payez, Marie-Antoinette"... Jugez de mon complet ahurissement ! Monsieur de Flahaut veillera sur ce pactole qui vous révèle le danger de ma promenade napolitaine.
Je ne comprends goutte à cette atmosphère de roman !
Il importe que mon entrevue avec la reine ne puisse être soupçonnée d'un but diplomatique. Notre ambassadeur, cet homme maussade et potinier qui me déplaît à un point extrême, me présentera du bout des lèvres comme s'il accomplissait la plus horrible des corvées .
Je pense qu'il se tirera très bien de ce méchant rôle .
Que je vous regrette, mon tendre ami !
Nous aurions mis tant de zèle à mener à bien cette bizarre mission !
D'autant plus qu'elle se doit de débuter à Rome chez votre ami le cardinal de Bernis, le vicomte et moi-même avons ordre d'aller lui présenter mes révérences et nos devoirs. Si vous songiez à un billet de votre main son intention, profitez donc de votre amie sacrée messagère des rois !
Vous voyez, je plaisante au sein de l'angoisse, mon tendre, mon cher ami,,,
Comme mon humeur est fantasque, je vous en voulais tant de votre insouciance ; je désirais ne plus vous revoir, et maintenant que l'on m'envoie au loin, eh bien, je sens monter les larmes, battre mon cœur et la perspective de votre absence serait accablante si j'étais une héroïne d'un mauvais roman.
Non, mon cher ami, je ne me laisserai point emporter par une sotte mélancolie, on m'offre un voyage à Naples !
Que n'affronterait-on pour respirer l'air du golfe, se divertir en de beaux palais, méditer en de superbes églises, s'étourdir de lumière quasi divine, escalader les rochers de Capri ou boire aux sources d'Ischia ?
Si seulement ce fat de vicomte me pouvait suivre de fort loin …
Je crains en vérité que ses impertinences ne fassent échouer notre mission …
Je vous promets de vous écrire de Lyon, Turin, Florence et Naples !

Pensez à moi, monsieur mon tendre ami,
je ne saurais m'empêcher de penser à vous de l'aube au coucher de soleil,

Adélaïde

Nathalie-Alix de La Panouse

Le portrait d'une reine gracieuse, éprise de simplicité, hélas, ce beau tableau fut décrié de façon violente! La robe fut jugée pareille à une chemise de nuit ... et Madame Vigée-Lebrun refit le porrtait de Marie-Antoinette revêtue d'une robe somptueuse !

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