Chapitre 16 :
« Les amants du Louvre »
Adélaïde de Flahaut à la baronne de
Barbazan,
Le 29 avril 1784
Vieux-Louvre, Paris
Ma très chère Sophie,
C'est à monsieur mon étrange ami, ce
Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, abbé sans vocation et cœur
sans entraves qui, à la cour comme à la ville, se tient au courant
de la moindre affaire que je devrais m'empresser de confier
l'aventure qui m'est advenue à Versailles.
Mais, Sophie, monsieur de Talleyrand a
disparu de Paris depuis mon audience; je ne sais où sa bonne étoile
le convie et ne désire guère le deviner.
Moi seule aujourd'hui doit affronter
une injonction venant du plus haut ; un refus offusquerait la
reine, blesserait le roi et me sauverait certainement d'un sort que
je prévois tourmenté voire fatal.
Un « oui » franc
provoquerait une pluie de félicités se répandant sur la tête de
ce bon monsieur mon époux dans la cas où mes amis attendraient en
vain mon retour.
Sophie, je suis fort tentée de servir
la reine et encore plus tentée de lui faire savoir que ses sujets ne
lui appartiennent point !
Ma vie est mon bien le plus cher, pourquoi en ferais-je don à une si haute dame qui ne m'a jamais jugée digne d'un hochement de sa tête montée en plumes et diamants comme un gâteau de noces ?
Ma vie est mon bien le plus cher, pourquoi en ferais-je don à une si haute dame qui ne m'a jamais jugée digne d'un hochement de sa tête montée en plumes et diamants comme un gâteau de noces ?
Ne t'effraie point de ma parole
piquante, ce billet d'humeur te parviendra au fond d'un panier de
lingerie par mon valet amoureux de ta femme de chambre.
L'homme est de confiance, tu l'as déjà
éprouvé, en cas de danger ou de questions fâcheuses, il jouera
l'innocent, usera de son patois pyrénéen et roulera son monde avec
l'aisance d'un bandit napolitain ! D'ailleurs, qui ferait attention à
un si pauvre hère ?
Ne te prends-tu à rêver d'une société
où l'on serait libre d'échanger de moqueurs propos sur ceux qui
prétendent nous dicter leurs lois sans encourir la prison ou le
couvent ?
Ciel ! Je crains que la verve acide de ce
monsieur de Beaumarchais n'ait gagnée mes pensées…
Enfin, Sophie, j'ai eu l'honneur d'une
audience de la reine sous le couvert d'une promenade à Trianon sous
l'égide de cette jacassante madame d'Adhémar, Dame du palais
minaudière et maniérée à donner l'envie de la souffleter avec son
éventail ! C'est « Madame Bruits de Couloir » en
personne ! Même monsieur de Talleyrand s'enfuie à sa vue de
peur qu'elle n'invente quelque fausse nouvelle à son endroit!
Monsieur de La Live de Jully, caractère
plaisant, esprit de fort bon goût, musicien exquis, qualités
charmantes que gâte souvent, hélas, la vanité de ces êtres qui
ont de la fortune, ne jure que par elle, ne connais qu'elle, et l'a
ainsi introduite dans mon salon.
Crois-bien que sans ce hasard
malencontreux, je n'aurais eu garde de chercher sa faveur !
Elle m'a entendu broder le récit de
mon séjour dans le golfe de Naples, m'a félicitée de parler la
langue de Dante à ma façon, et a cru bon de me promettre une
audience avec la reine de Naples si le hasard me ramenait vers ces
paysages enchantés.
Je n'ai sur le moment guère ajouté
foi à ces propos du meilleur monde, habiles et légers, et
n'engageant jamais celui qui les prononce.
Or, voici deux jours à peine,
transportée d'extase par la beauté incomparable du temple de
l'amour éclatant de blancheur sous le ciel frais d'avril, je me
moquais bien de ce qu'avait de si urgent à me dire la comtesse
d'Adhémar.
Mais, en faisant ma révérence à
cette Dame qui se gonfle de l'importance qu'elle prétend avoir, je
manquai pour le coup m'étaler comme une gourde ou une bergère en
sabots !La surprise était de taille :
la reine venait de paraître à
l'instar d'une nuée aussi immaculée que le marbre de son temple …
Je plongeais si avant cette fois dans
ma seconde révérence que ce fut un miracle si je ne m’écroulai
aux pieds de notre souveraine.
La mode de ces tuniques de mousseline
qui vous font ressembler à de chastes pensionnaires se préparant à
réciter leurs prières avant d'aller se coucher a un avantage :
on se relève sans dommages des révérences de cour !
Je me relevai donc et patientai un long
moment. La reine me scruta de son regard plus gris que bleu .
Ses yeux à fleur de tête ne sont point gracieux et leur expression
me procura une gêne singulière .
Que me voulait-on ?
Avais-je commis quelque terrible impair
qui des entrailles du Vieux-Louvre me couvrait d'infamie sur les
douces pelouses des jardins neufs de Trianon ?
Soudain j'entendis la voix quasi
chuchotante de la reine.
« Madame, dit-elle, vous êtes intriguée, je le vois . »
« Madame, dit-elle, vous êtes intriguée, je le vois . »
Ma foi, Sophie, que pouvais-je être
d'autre ?
Je baissai les yeux et affectai une
parfait humilité, puis je balbutiai quelque chose du style :
« Le devoir de ses sujets
n'est-il de servir la reine , votre Majesté ? »
Cette attitude grave et soumise adoucit
la reine qui poursuivit sur le même ton :
« Vous plairait-il, comtesse de
revenir à Naples pour me servir ? »
Naples ! Repartir à Naples !
Et, qui sait, revoir Capri !
Je voulais bien servir la reine de
France, la reine de Naples et toutes les reines du monde pour une si
merveilleuse Odyssée ! A l'instar d'Ulysse, allais-je accoster
sur la plage de galets de mon Ithaque?Madame d'Adhémar me tira alors
par la manche, je compris, m'écroulai à nouveau,
et la reine de murmurer de façon presque inaudible :
et la reine de murmurer de façon presque inaudible :
« Madame, si vous me servez,
sachez que c'est le roi qui en aura de la reconnaissance.
J'ai grande nécessité de faire passer
à la reine de Naples un paquet dont le contenu n'a point à vous
être connu. Vous ne pouvez voyager seule, votre mine, votre
tournure, votre nom, tout cela attirerait trop les regards. On vous
apprécie à Naples, votre amie , la comtesse d'Albany vous y
recevra, cette fois , comtesse, il ne serait point opportun que vous
allassiez chez Sir Hamilton.
Trouvez-vous un compagnon de voyage, un
jeune homme de bonne maison, spirituel, brave, et courageux . Cela ne
saurait être ce monsieur de Périgord auquel on vous dit fort
attachée, sa prudence ne saurait être mise en défaut, toutefois,
sa réputation déplaît au roi.
Madame d'Adhémar vous remettra Nos
instructions dés que vous serez prête.Je n'ignore point les périls
qui vous guetteront, mais si vous vous appliquez à une conduite
discrète, à une réserve s'accordant avec la distinction de votre
allure, nul ne se doutera que ce séjour a quelque chose d'une
mission secrète.
Il nous faut séparer, Comtesse, le peu
d'instants que j'ai accordé à une personne fort charmante mais
guère familière de la cour semble déjà étrange à ceux qui
m'entourent.
Allez, madame, ne tardez point ... »
Je m'effondrai une dernière fois, me
râpai les genoux sur un caillou malencontreux, pestai en moi-même
contre cette prétendue servilité que l'usage ancien nous impose, et
traversai les jardins guidée par un dadais de laquais qui me mît
proprement dans mon carrosse.
Que penses-tu de cette affaire ?
Je gage que monsieur de Talleyrand me
laissera courir un péril si la fortune attend au bout du chemin.
J'ai grand peur que l'on ne me mande une mission dont je me sens
franchement incapable.
Cette lettre pleine de doutes et de
craintes ne te trouvera pas à temps. Nous reverrons-nous Sophie ?
Reverrais-je ta kyrielle de jolis chérubins ? Reverrais-je
Monsieur de Talleyrand et si je ne le revois point, me
regrettera-t-il ?
Lui manquerais-je un jour ou ne
serais-je qu'une brume en sa mémoire ?
Ma Sophie, on frappe ;
c'est un valet qui me mande un billet
de la main de madame d'Adhémar, je l'ouvre,
on me prie de me hâter à
Versailles...
Le destin est en marche !
Songe à moi, et crois en mon amitié,
Adélaïde
La comtesse de Flahaut à Monsieur
l'abbé de Talleyrand-Périgord
Vieux-Louvre, Paris
Le 2 mai 1784
Monsieur mon ami,
Voici bientôt une année, je me plaisais à vous écrire de jolis billets sur le ton le plus doux que ma langue
acide soit capable d'inventer ! Ce mot se veut sérieux, voire
triste ou du moins lucide.
Je prends congé de vous pour un ou
deux mois et suis au désespoir de trahir la confiance de notre reine
en vous en avouant la raison.
Il est possible que vous la sachiez
déjà, je connais votre intense et indéfectible soif de
connaissances, votre insondable curiosité courant notre petit monde
où rien ne demeure dans l'ombre.
Je m'en vais donc sous le couvert d'une
invitation de madame d'Albany qui se morfondrait en prenant les Eaux
à Ischia, cette île façonnée d'un volcan en face de Naples où
coulent des sources chaudes dans les antiques bains romains, afin de
soigner d'atroces migraines . Le mensonge a tout l'air d'une
frivole vérité, sans doute suffira-t-il à donner le change aux
esprits dénués d'imagination !
Or, ce n'est point votre cas, vous êtes
subtil, et d'une clairvoyance si redoutable que chacun vous redoute !
Madame démarche m'a jetée en pâture
à la reine pour une mission confidentielle auprès de sa sœur la
reine de Naples. Je dois feindre un périple galant en compagnie d'un
jeune et fort avenant vicomte discourant dans la langue de Dante avec
un aplomb irrésistible et traînant les cœurs derrière lui sans se
départir de son sourire.Ma réputation en sortira des plus
compromises, vous seul aurez l'obligeance de me plaindre d'un pareil
fardeau !
Plus que le ridicule, je m'angoisse de
conserver sur mon cœur un écrin de velours qui semble si précieux
que l'on m'a remis en guise de récompense ou d'encouragement, un
portefeuille avec un bon à tirer de 30 000 livres signé de la formule célèbre:
"Payez, Marie-Antoinette"... Jugez de mon complet ahurissement ! Monsieur de Flahaut veillera
sur ce pactole qui vous révèle le danger de ma promenade
napolitaine.
Je ne comprends goutte à cette
atmosphère de roman !
Il importe que mon entrevue avec la
reine ne puisse être soupçonnée d'un but diplomatique. Notre
ambassadeur, cet homme maussade et potinier qui me déplaît à un
point extrême, me présentera du bout des lèvres comme s'il
accomplissait la plus horrible des corvées .
Je pense qu'il se tirera très bien de ce méchant rôle .
Je pense qu'il se tirera très bien de ce méchant rôle .
Que je vous regrette, mon tendre ami !
Nous aurions mis tant de zèle à mener
à bien cette bizarre mission !
D'autant plus qu'elle se doit de débuter à Rome chez votre ami le cardinal de Bernis, le vicomte et moi-même avons ordre d'aller lui présenter mes révérences et nos devoirs. Si vous songiez à un billet de votre main son intention, profitez donc de votre amie sacrée messagère des rois !
D'autant plus qu'elle se doit de débuter à Rome chez votre ami le cardinal de Bernis, le vicomte et moi-même avons ordre d'aller lui présenter mes révérences et nos devoirs. Si vous songiez à un billet de votre main son intention, profitez donc de votre amie sacrée messagère des rois !
Vous voyez, je plaisante au sein de
l'angoisse, mon tendre, mon cher ami,,,
Comme mon humeur est fantasque, je vous
en voulais tant de votre insouciance ; je désirais ne plus vous
revoir, et maintenant que l'on m'envoie au loin, eh bien, je sens
monter les larmes, battre mon cœur et la perspective de votre
absence serait accablante si j'étais une héroïne d'un mauvais
roman.
Non, mon cher ami, je ne me laisserai
point emporter par une sotte mélancolie, on m'offre un voyage à
Naples !
Que n'affronterait-on pour respirer
l'air du golfe, se divertir en de beaux palais, méditer en de
superbes églises, s'étourdir de lumière quasi divine, escalader
les rochers de Capri ou boire aux sources d'Ischia ?
Si seulement ce fat de vicomte me
pouvait suivre de fort loin …
Je crains en vérité que ses
impertinences ne fassent échouer notre mission …
Je vous promets de vous écrire de
Lyon, Turin, Florence et Naples !
Pensez à moi, monsieur mon tendre ami,
je ne saurais m'empêcher de penser à
vous de l'aube au coucher de soleil,
Adélaïde
Nathalie-Alix de La Panouse
Nathalie-Alix de La Panouse
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