Alberto Savinio à Capri :
Une chanson douce sur les rochers.
Capri , toujours Capri, pourquoi tant
d'écrivains, tant de poètes, tant de rêveurs ont-t-ils glissés
dans cette fosse aux Sirènes ? Dans cette pagaille
bondissante, certains éblouissent de feux jamais éteints, Vivant
Denon, Maxime du Camp, Alexandre Dumas, Gorki, Alberto Moravia,
Alberto Savinio, Mario Soldati, Roger Peyrefitte, et cet humaniste
désordonné qui incarne l'élégance et la bonté de l'île :
Axel Munthe …
Capri est un creuset incantatoire, une
déambulation mystique, un rendez-vous de renaissance quand on a le
bonheur d'y accoster, et une nostalgie invincible une fois rendu à
la vie raisonnable. Soudain, la vie résonne comme l'écume de vos
chimères ; la vie vous rudoie, trompeuse, traître , tissée de
pesants regrets, de désillusions tenaces .
Or Capri a la franchise des êtres
purs.
Elle a beau être une île dure, une
terre cerclée de fer, un château intangible aux portes fermées à
ceux qui zigzaguent contre ses flancs rudes, ses escaliers de pierre
que fleurissent liserons et clématites, elle ne déçoit ni ne
trahit.
Jardins blanc, vergers verts, potagers
rouges, montagne âpre jouant avec ses voiles de brume, terrasses
silencieuses levées sur les mondes éteints, île respirant le
parfum piquant de sa jeunesse terriblement éternelle .
Si terriblement troublante aussi, avec
sa houle de visages mouvants et fardés, ses ruelles étroites où
des pierreries de Tsarine débordent jusqu'aux plafonds de ses
échoppes, ses palaces enfouis sous les roses et les citronniers,
forteresses impeccables construites sur les murailles d'antiques
palais.
Le simple acte d'aborder au port de
Marina Grande bouleverse un esprit sensible !
Alberto Savinio, gentilhomme des
Lettres Italiennes, aventurier Grec, écrivain à l'âme et au style
rebelles, s'attira les grâces des antiques divinités qui le prirent
par la main tout au long de la plus fantasque des promenades.
Le printemps de l'an 1926 coulait sur
les pentes abruptes et les jeunes filles aux sombres chignons
haussaient de précieuses corbeilles sur leurs têtes.
Bon prince, notre ami impromptu nous
ouvre son cœur qui bat à la Capriote et ce pour toujours ... Sous
la houlette de ce berger euphorique, le passé devient chair et sang,
le présent incantation, Capri se dresse sur la mer laiteuse dans le
soir, ainsi que l'Ithaque attendue depuis toujours.
Le voyage de l'ami Alberto Savinio
débute sur un bateau de pirate qui franchit hardiment les vagues
irascibles ! Capri au loin le
nargue, « C'est l'île de fer ! » , « un
fantôme fumeux qui surgit des profondeurs de la mer inféconde »...
Or, L'ami Savinio s'étonnerait presque
de cette vision qui s'unit à celles que nous éprouvons tous,
humbles griffonneurs, célèbres gens de lettres, ou voyageurs
pacifiques.
Capri , nous l'inventons, la guettons,
le billet du ferry « lent » attrapé au vol au guichet
du« Porta di Massa », atteste que c'est le but de cette
croisière sur un lourd navire quasi vide.
Mais Capri se moque, elle tarde à
ravir le regard, elle prépare son entrée. Ses murailles emplissent
soudain l'horizon, Capri prend votre bateau à l'abordage !
Et sur le pont, chacun de s'exclamer,
ou de se taire, d'embrasser son prochain ou de lui serrer la
main , une émotion absurde vous
étreint …
Si on lève le nez, en guise de
bienvenue, au plus élevé de la falaise, vos yeux accrochent une
espèce de temple, se posent sur d'étranges ruines, suivent plus
loin une guirlande de maisons blanches, une rivière de fleurs et de
vergers.
Capri vous étonne déjà … La mer
est d'une nuance verte filée de cristal bleu, les falaises vous
contemplent, vous êtes revenu en un lieu qui fut vôtre il y a des
siècles.
L'ami Alberto Savarin murmure alors :
« Ce port minuscule, fermé par
quelques pierres disposées en arc de cercle, je me souviens de
l'avoir construit moi-même lorsque j'étais enfant de mes propres
mains. Voilà qu'à peine le pied posé sur cette île où
chacun se souvient d'être né, d'une naissance non pas réelle mais
métaphysique, je retrouve le petit port construit lorsque j'étais
enfant . »
Alberto Savinio a pour lointain ancêtre un poète grec et même plusieurs, il est ainsi tout naturel que la magicienne Circé, guette depuis le Monte Solaro ce visiteur qui lui produit la meilleure des impressions ! Elle accourt de toutes ses jambes divines, intriguée par ce fou au regard éperdu d'amour pour une île qu'il connaît depuis cinq minutes ! La voilà qui écarte les vendeurs de colliers de corail s'agitant devant ce voyageur sidéré; puis, elle hausse le ton ...
L'ami Alberto Savinio n'entend plus que la voix de « la déesse aux cheveux bouclés » qui lui intime le conseil de fuir, au plus vite et sans pitié, la horde des messagers des palaces dont les appels bourdonnent aux oreilles comme un essaim de guêpes ! il se logera dans un austère logis d'Anacapri, cela lui suffira bien !
Alberto Savinio a pour lointain ancêtre un poète grec et même plusieurs, il est ainsi tout naturel que la magicienne Circé, guette depuis le Monte Solaro ce visiteur qui lui produit la meilleure des impressions ! Elle accourt de toutes ses jambes divines, intriguée par ce fou au regard éperdu d'amour pour une île qu'il connaît depuis cinq minutes ! La voilà qui écarte les vendeurs de colliers de corail s'agitant devant ce voyageur sidéré; puis, elle hausse le ton ...
L'ami Alberto Savinio n'entend plus que la voix de « la déesse aux cheveux bouclés » qui lui intime le conseil de fuir, au plus vite et sans pitié, la horde des messagers des palaces dont les appels bourdonnent aux oreilles comme un essaim de guêpes ! il se logera dans un austère logis d'Anacapri, cela lui suffira bien !
Voyageur solitaire, le poète ingénu
fait comme tout le monde : il se jette dans la bouche béante du
funiculaire et une fois sur la Piazzetta grouillante, avance en
aveugle et se réfugie sur une terrasse aux blanches colonnes . Le
soleil se couche, l'air devient musique , une peur verte plane sur la
mer avec le prélude de Debussy : « Les collines
d'Anacapri » , bizarre sortilège !
Mais l'ami Alberto a faim, et encore
plus ; soif, envie de vivre ! adieu paysages secrets, vive
les plaisirs, le vacarme, l'autre Capri, le café le plus torride de
la planète, le Morgano, endroit farfelu où fraternisent les buveurs
invétérés des vins de l'île !
La nuit a pris son manteau épais quand
le voyageur, passablement "pompette," mais frémissant de l'audace des héros d'Homère quitte le monde clos
du bourg de Capri et se lance sur l'escalier phénicien qui l'amènera
vers le village taciturne d'Anacapri , s'il parvient à vaincre sa peur
d'homme seul face aux précipices bordant ces marches construites par
des géants !
Anacapri, citée éthérée, village
s'épanouissant vers l'ancien hameau paisible de Caprile, lumière au
bout d'une ascension haletante,rompue par la grâce d'une humble
chapelle à mi-course, et enfin le repos , et un rêve , un bien
étrange rêve …
L'empereur Auguste en personne sermonne le poète repentant ! Comment ? Aurait-il oublié que ce fut lui le premier à succomber aux sortilèges de l'île ? « Tu es un étourdi et un impertinent ! »
L'empereur Auguste en personne sermonne le poète repentant ! Comment ? Aurait-il oublié que ce fut lui le premier à succomber aux sortilèges de l'île ? « Tu es un étourdi et un impertinent ! »
Et l'empereur drapé dans sa toge de
raconter d'une voix émue la légende des Pélasges, ces « hommes
forts, courageux, aux membres immenses » venus d'un continent
englouti qui, à l'aube du monde, s’installèrent sur le belvédère
verdoyant capricante.
Mais toute l'île s'empara du cœur
d'Auguste après qu'il y vit une yeuse morte bourgeonner
miraculeusement. Capri , échangée contre l'opulente, l'immense
Ischia, se métamorphosa en Apragapoli, ou citée de la douce
oisiveté …Quel bienfait après l'agitation et les intrigues politiques de Rome ...
Soudain Auguste change de ton,
impétueux et furibond, le voici défendant son œuvre, avant Tibère,
c'est lui qui fut la source de son attrait invincible, de ce bonheur qu'elle procure à chaque mortel !
L'aube laisse l'ami Alberto tout
envoûté au sein d'Anacapri .Le monte Solaro l'enivre encore plus que le vin de la veille.
Puis ,un écho de sa visite nocturne lui saute à la figure sous la forme massive d'une grosse maison peinte en rouge du plus bel effet antique. Au dessus du porche, quelques mots en grec ancien, langue des esthètes et des érudits au temps d'Auguste, langue immortelle en dépit de l'obscurité de notre époque : « Salut, ô habitant d'Apragapolis ! ».
Puis ,un écho de sa visite nocturne lui saute à la figure sous la forme massive d'une grosse maison peinte en rouge du plus bel effet antique. Au dessus du porche, quelques mots en grec ancien, langue des esthètes et des érudits au temps d'Auguste, langue immortelle en dépit de l'obscurité de notre époque : « Salut, ô habitant d'Apragapolis ! ».
Moi-même, chaque fois que je reviens sur l'île,
cette courtoise inscription se dresse sur mon chemin; j'aime à
déchiffrer ces mots, ce sont des vieux amis ! ne saluent-ils le
visiteur, le poète, le curieux, l'amateur des boutiques d'artisans
du village, le promeneur qui ne sait ce qu'il cherche, les habitants
qui sourient, les enfants qui se pressent vers l'école voisine ?
Les mots naïfs et enthousiastes scintillent sur la maison rouge
hantée par son créateur d'autrefois, un officier anglais qui savait
le grec et recevait certainement la visite du fantôme d'Auguste ...
Par contre, je n'ai jamais encore lutté
avec le chien noir qui, selon une légende parmi tant d'autres, renfermerait l'âme de Tibère !
Anacapri, au contraire, rassemble des chats éclatants
de santé qui s'adonnent sans complexes à une vie vouée à la paresse et au bien-être, allongés sur les toits, les escaliers ou les fleurs odorantes des
vergers. L'ami Alberto Savinio est pourtant catégorique, un cauchemar canin
a gâté son périple si délicieusement commencé à Caprile.
Qu'est-ce que Caprile d'ailleurs ?
Selon moi, le meilleur de Capri, une
suite de ruelles gracieuses descendant de toutes leurs vagues de
glycine vers la mer promise au delà des sentiers des forts.
Un monde clos, bienveillant, où la
marche se poursuit sans peine tant les beautés généreuses des
champs suspendus, des jardins sauvages, des bois de citronniers et
d'oliviers vous rendent allègres et vaillants !
J'accompagne en songe Alberto Savinio vers une maison blanche qui de nos jours a perdu son faste afin de mieux conquérir les âmes éprises d'amour et de mélancolie.
J'accompagne en songe Alberto Savinio vers une maison blanche qui de nos jours a perdu son faste afin de mieux conquérir les âmes éprises d'amour et de mélancolie.
Nous frappons de concert à la porte de ce manoir rayonnant, aux terrasses levées
vers la mer, au toit bordé de créneaux chevaleresques, qui abrita
la reine Victoria de Suède dont le cœur fragile battait pour la
gloire d'Anacapri : Axel Munthe, le sauveur de la Villa San
Michele.
Ces amoureux des années vingt ont-ils
vu l'irascible chien noir, créature maudite, qui tenta de ses
rauques aboiements de précipiter Alberto Savinio du haut du
Castiglione ?
Les songes fantastiques du docteur
Munthe le guidèrent en tout cas vers la renaissance de la plus
évocatrice et élégante maison de l'île . Aurait-il reçu la
bénédiction du vieil empereur à la réputation peut-être
calomniée ?
Qu'importe ! Plongez sans crainte
dans ce « Capri », d'Alberto Savinio, chant d'amour et
de malice, pareil à un torrent alerte et primesautier !
A bientôt,
Nathalie-Alix de La Panouse
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