samedi 3 novembre 2018

Vivant Denon: un gentilhomme libertin au secours d'une voyageuse en détresse chapitre 21 "Les amants du Louvre"

Chapitre 21

Dominique-Vivant Denon, libertin et diplomate au secours d'une dame en déroute

"Les amants du Louvre", chapitre 21

Histoire de la comtesse de Flahaut et de Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord

Lettre de Monsieur Dominique-Vivant de Non à la comtesse d'Albany
 Capri, le 5 juillet 1784

Madame,

Il faut bien vous l'avouer : j'avais la chimère de trouver une âme sœur au cours de mon studieux périple de ces dernières années au Royaume de Naples. 
Vous le savez, on m'a prié d'accomplir cette nouvelle Odyssée afin de satisfaire les lecteurs que les pesants volumes de Monsieur l'abbé de Saint-Non ont laissé affamés de plaisantes péripéties !
Vous aussi , Madame, ne raffolez-vous de maints détails évocateurs ? Souvent saupoudrés de cette saveur qui ne peut être du domaine d'un auteur épris des seules beautés religieuses au sein d'un pays qui en comporte tant d'un genre varié et aimable …
« Taisez-vous, impertinent personnage », me direz-vous en dérobant votre sourire à l'abri de votre éventail. Eh bien, Madame, vous auriez grand tort et vous vous priveriez d'une grande joie .
Les menues histoires attrapées dans l'élan d'un voyage sont des cadeaux du destin qui rendront vos aventures soit charmantes, soit dignes de votre plus bel espoir.
Ne craignez cependant un récit sentant son libertin , ou pire encore, son libertin repenti ! Je ne renie certes pas mon ouvrage de jeunesse, cette gracieuse et fort vaine intrigue qui ne fut qu'une bagatelle que l'on a voulu métamorphoser soit en chef d'oeuvre, soit en pure abomination.
 Je suis  cependant sans illusions, « Point de lendemain », ma fable qui se piquait d'impertinence ne restera aux yeux de la postérité littéraire qu'un mince roman honni par les esprits affichant leur rigoureuse vertu dans un monde pervers …
De plus vives ambitions nourrissent ma vie, j'aspire en des temps nouveaux, à des bouleversements qui récompenseront le mérite, le goût de l'action, et celui de l'invention de rites neufs, de lois répandant leurs bienfaits sans restriction de naissance ou de fortune . Je vous confie ces folies car vous savez tout entendre et tout taire aussi … Madame, vous êtes une héroïne vous-même d'un roman, vos amours avec le chevalier d'Homère, monsieur d'Alfieri vous placent au-dessus de la vue bornée du commun des mortels. 
Je vous entends déjà vous écrier : « Enfin, Monsieur, allez-vous cesser ce bavardage, et me dire qui vous a causé une surprise si agréable que vous jugez opportun de me la raconter en plein galop vers Naples ? »
Je vous entends fort bien , Madame, et voici mon aventure.
Au fond de la voiture malodorante m'enlevant avec mes carnets de dessins de Rome vers les fastes de la reine de Naples, je découvris une misérable créature engoncée dans un lourd manteau de lainage rustique qui ne cachait point cependant ses formes sveltes et la blancheur d'une peau lisse. Ce hasard piqua ma curiosité que vous savez toujours aux aguets. Je crus voir une servante tremblante à l'idée d'affronter l'inconnu, je me précipitai au secours de cette pitoyable voyageuse livrée à un sort incertain, « Ma mie, dis-je, avec douceur, vos maîtres y pensent-ils d'envoyer une si jeune personne parcourir une si longue route e? A moins que vous ne quittiez cette voiture infecte avant peu ?D'où nous arrivez-vous d'ailleurs ? « 
J'avais employé l'italien qui m'est une seconde nature, et à mon étonnement, la gracieuse bergère ouvrit des yeux incompréhensifs.
Sans doute n'entendait-elle qu'un pittoresque patois , je suppléai à mon ignorance en la matière par un sourire exprimant ma sympathie, et ce fut un rire qui me récompensa !
Puis une main soignée se présenta, le manteau épais roula à mes pieds, et on me dit d'un ton malicieux :
« Monsieur, je ne pouvais désirer compagnon de route plus féru d'Art et d'Antiquité !
Notre tout récent chargé d'affaires auprès de la cour de Naples, cet infatigable chercheur de trésors à Pompéi ,Monsieur Dominique-Vivant de Non tant chéri de mon amie la comtesse d'Albany !
Une étoile brille au ciel en votre honneur, vous avez la confiance du roi et l'oreille du cardinal de Bernis sur de délicats sujets de diplomatie auxquels je ne comprends goutte !
Voici que nos bonnes étoiles nous amènent l'un à l'autre ! Je suis ravie de ce tour-là et remercie l'astre qui présida à ma naissance ! »
Pantois, je reculai, considérai ce minois radieux, et saluai l'adorable apparition, du mieux que les encombrants voyageurs empestant l'ail et le fromage rance me le permirent.
Ce n'était point du tout une servante, mais bel et bien votre amie, la jeune et primesautière comtesse de Flahaut, mariée à la sortie du couvent à un barbon distingué ; la locataire de ce grenier du Vieux-Louvre, cette enjouée maîtresse du plus plaisant des cercles cultivés de Paris !
Je suis souvent son obligé quand mes affaires me ramènent à Paris et m'obligent à traverser ces cours et ces galeries du Louvre où les artistes pérorent et se querellent, où les enfants du quartier jouent comme des galopins dans les salles qui virent les rois gouverner le royaume de France …Comme il faudrait ramener l'ordre et la salubrité dans ce dédale garni de paille, de chiens, de chevaux et de peintres suppliant leurs modèles de se dévêtir au mépris des courants d'air ! je ne vous parlerai point de la décence, l'hypocrisie à la mode n'est pas de mon fort.
La charmante et charmeuse Adélaïde de Flahaut m'a maintes fois salué d'un sourire espiègle et d'une esquisse de révérence, celle, un tantinet insolente, que l'on réserve à un homme respectable mais qui ne saurait appartenir tout à fait à votre monde, quoique en connaissant les usages et, peut-être, en étant capable de fournir un aliment singulier à son salon de beaux esprits.Ne suis-je un citoyen du monde et surtout un habitué des intrigues napolitaines autour de la reine Marie-Caroline?
Avouez que cela excite les imaginations et attise l'insatiable curiosité des têtes féminines. ..
J'admire chez la petite comtesse de Flahaut sa physionomie mutine autant que son extraordinaire talent de réunir un aréopage de courtisans, gens d'argent, gens à la mode et vieillards lettrés dans un grenier où l'on meurt de froid !
C'est dire à quel point votre amie sait ensorceler autrui en dépit d'une préférence exagérée envers un certain jeune abbé fort ambitieux et passablement dissipé .. .
Et je la voyais en face de moi, lasse à faire peur mais belle comme un ange, secouée d'importance par les chaos de la plus mauvaise route qui soit ! 
« Vous, Madame, dans cette boite malodorante ! Vos grâces masquées par ce tissu de paysan,je n'y puis croire ! Fuyez-vous votre époux ? Allez-vous prier une amie de vous offrir un refuge en quelque couvent de Toscane ? »
« Mon Dieu, Monsieur, vous créez des romans sans y penser ! Pourquoi fuir l'époux le plus aimable du monde ? J'ai choisi de voyager sans risque que l'on m'importune, mais le ciel vous envoie, sous votre protection, qu'aurais-je à redouter jusqu'à Naples ? Car, vous allez bien à Naples ? » 
« Madame, pour vous servir du mieux que vous méritez, j'irai où bon vous semblera, Naples d'abord, ensuite, j'avais .. .»
La belle enfant me coupa d'un sourire radieux, puis se cramponnant à mon bras, de chuchoter : 
« On me veut à Naples pour je ne sais quelle raison, or, moi, je ne veux qu'une chose et vous m'aiderez afin d'y trouver matière à vos dessins ou mémoires. Vous me suivrez, je connais le batelier qui nous fera traverser le golfe sans dommages et vous serez presque en Paradis . Ensuite, nous reprendrons la mer, et si la Providence daigne veiller sur moi, je reverrai Paris . »
A ces derniers mots, son visage animé pâlit , rougit, son regard moqueur se voilà de mélancolie et sa main cessa de tenir ferme mon bras.
« Paris ? N'est-ce point la ville de vos amours , dis-je avec douceur, vos amis, votre salon, et ... »
Pour toute réponse, elle eut un léger soupir .
« Je ne parcours point l'Italie afin de former mon goût, murmura-t-elle, ne me demandez rien , sachez juste que je fuis un danger redoutable et inconnu. Naples m'inspire la crainte la plus vive, mon existence y sera menacée dés que j'aurai posé un pied sur son sol. Si vous voulez m'être un chevalier, écoutez-moi, nous devons descendre à la nuit, sur les quais du port, surtout ne pas attendre que l'on vienne nous quérir via Chiaia, selon la coutume. »
Je me sentis fort excité par tant de mystère !
La-dessus, notre halte nous amena à une chambre fort laide et fort sale dans l'auberge la plus miteuse qui se puisse imaginer ; les poules caquetaient devant les convives , le vin coulait plus que de raison et le brouet servi pour toute pitance soulevait le cœur. Nous nous présentâmes comme frère et sœur en voyage d'étude et exigeâmes une paillasse supplémentaire que je considérai avec effroi.
Allais-je vraiment dormir sur cette couche infecte ? A moins que la jeune comtesse n'attende de moi un réconfort au sein de sa solitude …
Cette exquise créature me priant de la laisser seule,
j'allais me dégourdir les jambes vers les écuries.J'éprouvai soudain un picotement bizarre derrière mon dos. La nuit ôtait sa réalité à la cour silencieuse, hormis la fange collante. Je ne voyais pas plus loin que ma canne. Je fis l'acteur, marchai à grands pas, grommelai entre mes dents, et me retournai d'un coup.
Une ombre se sauva sans que je visse à quel olibrius j'avais affaire !
Inquiet, je revins à la chambre fraternelle, la comtesse était à la fenêtre, blême, affolée, frissonnante ! elle se jeta contre moi avec une candeur enfantine, je ne fus guère fâché de cette familiarité. Mais, au lieu de s'abandonner à de doux transports, elle m’annonça notre départ immédiat.
«  Mais comment, Madame ? Les chevaux sont à l'écurie, il n'y a pas moyen, protestais-je, reposons-nous et partons à l'aube en payant les palefreniers ; contre un peu d'or, tout s'achète au plus vite.
La jeune comtesse refusa par ce mot outrageant  qui ne lui ressemblait point: « Je vous laisse, Monsieur, vous me décevez, allez,allez, je saurai bien me défendre seule. ». 
Que vouliez-vous que fasse  l'homme dévoué au beau sexe que je m'efforce d'être ?
Nous nous enfonçâmes dans la nuit sur des chevaux volés, et au matin, nous embarquâmes sur un bateau de pêche, dont le batelier portait foulard rouge et anneau d'or, un pirate qui s'empara de nos pièces d'or en les mordant à pleine dents ! Où étions-nous,je n'en saurai jamais rien, tout se passa comme un rêve ; la comtesse , pareille à un blessé privé de son sang, les yeux brillant d'un éclat délirant, me montra un point invisible, et me dit :
 «  Nul être au monde ne songera à nous chercher sur cette île.Mais quand vous aborderez sur sa plage minuscule, vous aurez pour elle les yeux d'Auguste... »
« Caprée ! On vous attend à Naples pour une mission de la plus haute importance si j'ai saisi votre secret, et vous nous amenez à Caprée ! vous êtes folle, Madame, la mer est mauvaise et nous rejoindrons les demeures de Poséidon avant d'atteindre l'île du plus cruel des empereurs ! »
« Eh, Monsieur, croyez un peu en votre étoile qui vous épargnera de servir de pitance aux poissons !
Invoquez vos amies les Sirènes, elles vous feront les yeux doux , ne parlez-vous leur langue natale ? »
Là-dessus, le pirate me fit empoigner de rude façon par son second dont la face brune luisait dans le soleil du matin, j'étouffai un cri , la comtesse rayonnait comme si un amant la guettait du sommet de cette île maudite. Nous mîmes à la voile sur une mer enragée qui étrangement s'apaisa sitôt le château d'Ischia passé ; les vagues se firent suaves et d'une nuance perlée de bleu pur.
L'île reposait dans une brume couleur de lait irisé d'or, soudain les nuées s'ouvrirent.
« Nous débarquâmes à la Marine de Caprée. C'est une grande anse en demi-cercle, défendue des vents d'est et d'ouest par deux grands rochers qui s'avancent dans la mer, et de celui du sud par l'élévation du terrain, qui est en amphithéâtre dans cette même forme de demi-cercle ;
C'est là qu'est placée la ville de Capri, dans la situation la plus douce et la plus agréable pour elle, et en même temps la plus pittoresque pour les voyageurs qui arrivent dans l'île. »
Madame, votre amie est décidément folle, mais nous sommes vivants et je vous livrerai bientôt mon journal de Caprée. Cette lettre d'une longueur extraordinaire vous rejoindra-t-elle ?
Je la confie à un batelier qui me loge avec plus de confort et de soin que les aubergistes de la terre ferme.
Je suis dans le bonheur le plus vif grâce aux charmes incomparables de cette fameuse île de Caprée.
Votre jeune amie m'échappe toutefois, on ne peut l'attraper et elle semble voler sur les falaises !
L'île m'offre heureusement d'autres charmantes sujets à étudier …

Mais je n'en demeure pas moins, Madame, votre très humble serviteur,

Dominique-Vivant de Non, ancien chargé d'affaires auprès de la cour de Naples

Chapitre 21 d'un roman épistolaire inventé par Nathalie-Alix de La Panouse

A bientôt !


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