mercredi 10 octobre 2018

Pages Capriotes : Le bel octobre à Capri


Le bel octobre à Capri : Lumière subtile sur l'Escalier Phénicien

 Octobre est un mois suspendu entre la douceur et la mélancolie, la ferveur et la résignation .
Ne porte-t-il porte sur son dos la fin d'une saison de lumière, l' annonce de l'entrée vers la solitude hivernale?
 Ne passe -t-il du rire au silence, de la chaleur au vent froid?
C'est un mois parfait pour ceux qui désirent voyager sous l'égide de leur seule bonne et mauvaise fortune, sans prévoir rien d'autre que l'esprit de l'instant .
C'est aussi, dit-on, le mois idéal si l'on veut déambuler sur les sentiers escarpés de l'île de Capri !
Octobre vous épargnerait de subir les cohortes disciplinées de touristes en proie à leur terrible manie de photographier absolument tout ce qui a le malheur de bouger sur leur passage !
Hélas ! trois fois hélas ! les armées pacifiques de voyageurs zélés ne craignent ni le vent d'automne ni la mer houleuse, ni les tièdes averses lustrant buissons de clématites et guirlandes de chèvrefeuille parant d'échos chuchotés les places et ruelles de Marina Grande et Capri !
Les voici victorieuses déferlant en masse compacte, bousculant leur prochain, imposant leur langue, leurs goûts, leurs préjugés, dictant leurs lois, s'évertuant à tuer les rêveries charmantes, les "cappuccinos" interminables, les pas alanguis des promenades entre les vergers de la via Tiberio, l'envie d'écrire un mot sur une carte naïve, d'envoyer un" bacio " qui s'envolera au gré d'une poste fantasque et n'arrivera peut-être jamais.
Vous pensiez trouver une solitude inspirée en cette fin de saison sur les sentiers sauvages des falaises, vous vous imaginiez arpentant une île mystérieuse, déambulant de forts en belvédères, et vous voilà perdu dans une foule qui vous donne l'horrible sensation d'étouffer.
Seriez-vous victime d'une malédiction ? Où fuir ?
Votre île bien-aimée, celle que vous attendiez  depuis longtemps avec une impatience entêtante vous aurait-elle abandonnée ?
Or, les divinités antiques protègent encore Anacapri et l'ancien hameau de Caprile, ces beautés discrètes qui se dérobent et s'offrent en jardins secrets, maisons romaines, maisons de princes, de bergers, de vignerons, de poètes!
 Ces maisons aux toits arrondis, ces palais blancs, ce palais rouge,  et encore l'église Santa Sofia, bordée de volutes immaculées, et sa soeur voisine, l'église San Michele qui abrite un miraculeux Paradis terrestre en majolique façonné avec  un amour et  une naïveté sublimes vers 1761, veillent sur des places  sans voitures où les enfants courent et s'exclament à l'heure jacassante des retrouvailles vespérales .
Maisons bordées d'escaliers où l'on converse avec des chats philosophes, chemins pavés pareils aux voies antiques, terrasses accrochées au falaises, chant sonore du vent, capricieuse mer à l'éclat de perle tôt matin, d'améthyste en fin de jour, de pourpre et d'or le soir, et de turquoise liquide à midi, habitants doués de la plus extraordinaire gentillesse qui puisse être rêvée en ce monde, la vallée d'Anacapri est à elle seule une contrée parfaite.
L'aimable Axel Munthe,jeune amoureux fou d'Anacapri avant de devenir un docteur cosmopolite au coeur plein de bonté, a donné son nom à la Villa d'où Tibère observait les étoiles.
C'est un temple parcouru des vents marins, de la brise descendant de la montagne, c'est un navire éclaboussé de soleil, une figure de proue au dessus d'un chemin de pierre serti de marches énormes qui sort de la nuit du monde antique.
Cet escalier porte haut le titre de "Scala Fenicia", il se pare de la noblesse d'un mythe vigoureusement ancré dans la réalité ; peut-être un vestige en très bonne santé de l'Atlantide, peut-être l'oeuvre magistrale de Grecs conquérants, nul ne le sait et cela n'a aucune importance .
L'aimable docteur Munthe décida de couronner son belvédère, sans doute le plus beau du monde, d'un sphinx de granit rose que de braves gens acceptèrent de hisser de Marina Grande au portail médiéval d'Anacapri, avec l'énergie des idéalistes, l'enthousiasme contagieux de leur docteur adoré et l'assistance de Saint Antonio, patron du village  (et rival de San Costanzo, patron du bourg de Capri), le long cette escalade prodigieuse de 777 marches taillées pour des créatures immenses et robustes.
Les visiteurs de sa belle maison aux gracieuses statues et exquis visages sculptés dans le marbre se pâment devant le digne postérieur du sphinx hiératique, les malheureux ignorent que l'animal irradie  la montagne de sa splendeur ensorcelée côté face, spectacle récompensant  les âmes courageuses  qui grimpent sans se plaindre l'escalier phénicien.
Prêt à sauter du haut de la falaise, le sphinx incarne la magie immémoriale de l"île merveilleuse: cette vision inoubliable vous hantera à jamais ...
Axel Munthe , admirable conteur, prétend avoir reçu l'appel du sphinx en un songe étrange, il est parti à sa rencontre en un région désertée des hommes, et guidé par un berger jouant de la flûte à son troupeau de chèvres, tel le dieu Pan en personne, il l'a ramené du fond d'une caverne ...
Les pays privés de légende, murmurait autrefois un poète oublié, sont condamnés à mourir de froid.
Les légendes de Capri nous tiennent chaud au coeur et c'est un des bienfaits que vous recevrez sur cette île pareille à une citadelle.
Mais, se hisser de marche en marche de la plage de rochers au parapet d'Axel Munthe est une déambulation incantatoire, amusante, pittoresque, et surtout humaniste. Vous en revenez très fier et affreusement courbaturé, mais cette douleur vous remplit d'orgueil ! vous vous sentez l'égal d'Ulysse, d'Achille ou tout simplement proche des vrais Capriotes, ce qui est bien plus glorifiant.
C'est une aventure qui se vit, se respire, et vous laisse l'impression de rejoindre les invisibles promeneurs qui avant votre pas hésitant, votre effort inquiet, votre léger vertige, montèrent cet escalier qui semble atteindre un autre univers.
Qui furent-ils ? Quelles silhouettes furtives vous accompagnent-elles au fur et à mesure que la fatigue vous courbe sur la pierre , que la peur se glisse dans votre dos, que la vue sur la mer vous arête comme une déesse exigeant qu'on lui rende hommage ?
Vous frôlez sans les voir les jeunes filles des siècles passés portant de lourdes corbeilles d'oranges ou de citrons sur leurs cheveux noirs réunis par une épingle d'argent, vous imaginez les processions d'enfants rieurs, les cortèges d'hommes vêtus de tuniques blanches, les pirates de l'affreux, du terrifiant pirate Barberousse, se hâtant de rejoindre leur chef en sa forteresse,  et aussi les  amoureux chassés par leurs familles ennemis qui  découvrirent un refuge paisible sous la protection du Monte Solaro. Un peu plus tard, frappés coeur et âme par la sauvage poésie de l'île, voici  les hardis et curieux voyageurs du"Grand Tour" qui s'extasièrent à l'instar de Vivant Denon, arbitre des élégances incontesté à la fin de l'Ancien régime, sur les jolies femmes d'Anacapri...  plus exaltant et émouvant encore, les ombres tenaces et vaillantes des héroïques soldats de Murat s'exténuant à pousser les canons qui délivrèrent l'île des troupes anglaises .
Toutefois, le rêve s'efface quand vous croisez un voyageur en chair et en os qui vous salue comme s'il était perdu dans la jungle ! vous échangez force amabilités et soudain n'en croyez pas vos yeux: l'homme transporte une splendide valise à roulettes sur cette passerelle surplombant le vide !
Vous n'avez pas le coeur de lui conseiller de rebrousser chemin ...
Vous l'accablez de compliments et le laissez souffler à l'emplacement où les belles Anacapriotes déjeunaient à mi-ascension...Reverrez-vous ce héros qui s'ignore un jour ? Quel sera son destin au bord du précipice sa valise déchiquetée par le roc aigu ?
Dix minutes plus tard, voici trois dames respectables qui avancent d'un pied sûr  dans la descente, sacs à main élégants se balançant au milieu du bras, chapeaux coquets, colliers de perles, boucles d'oreille, sautillantes sur la pierre rude, elles daignent répondre à nos saluts. Vers quelle réception mondaine en cette nature rude se dirigent-elles ? Là encore, nous ne le saurons jamais !
Ensuite, c'est une charmante  et volubile jeune femme de Locarno qui nous explique combien elle est heureuse de gravir l'échelle des dieux en guise de convalescence: elle vient de se casser deux jambes il y a quelques mois !
 L'homme-mari et vous-même la quittez sans savoir que vous la retrouverez, ses deux jambes en bon état de marche, merci aux divinités de Capri, sur le bateau quelques jours plus tard, en gardant intacte une amitié née de cette communauté de "marcheurs de la "Scala Fenicia".
Vous passez sous la route construite en 1874, vous tremblez que les roches gigantesques ne s'effondrent, vous montez le souffle court, un voile sur les yeux, vous trébuchez, puis vous redressez la tête, un couple de votre pays descend avec vigueur et une précieuse bouteille d'eau, il s'agit de faire bonne figure et de ne pas  leur quémander une seule goutte ! voici encore la mer violette et moqueuse, ensuite, un sanctuaire, une minuscule chapelle qui vous insuffle la force d'aller plus haut.
Vous continuez ivre de fatigue, vous donneriez tout Capri pour une bouteille d'eau, quelle idée saugrenue que de gravir cette montagne comme une déambulation facile !
L'homme-mari pousse une clameur, vous sursautez: "Regarde!".
Vous levez les yeux, l'homme-mari a raison: allongé sur son parapet surnaturel, le sphinx de granit rose vous adresse un sourire d'une bienveillance amusée.
Vous avez vaincu la Scala Fenicia ! vous êtes presque une habitante de l'île !
Vous franchissez la porte médiévale d'Anacapri, le paysage est suave, l'air parfumé, vous vous croyez au paradis, un bruit sourd retentit, une troupe caquetante et gesticulante d'humains excités se précipite, vous reculez, vous êtes épouvantée !
Ce sont des touristes obéissant aux injonctions de leur mentor, vous les aviez oubliés... il ne vous reste plus qu' à fendre la foule, ou à redescendre ...

A bientôt pour la suite du roman-feuilleton retraçant les capricieux amours Adélaïde de Flahaut et Charles-Maurice de Talleyrand,

Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse

Anacapri ou  la douceur d'un  paysage d'octobre 2018  :
La vallée de Caprile et ses jardins de paradis,
un aspect inconnu du "divin rocher"de Capri
Crédit photo: Vicomte V.de La Panouse









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