samedi 10 novembre 2018

Talleyrand amant jaloux d'une belle dame intrépide ! chapitre 22, "Les amants du Louvre"


"Les Amants du Louvre"

Chapitre 22 Jalousie de monsieur de Talleyrand

Lettre d'Adélaïde de Flahaut à Charles-Maurice de Talleyrand

Capri, le 15 juillet 1784

Monsieur mon ami,

Je n'y puis croire: une lettre de vous en ce séjour riant où règne un éternel printemps !
Ainsi m'avez-vous retrouvée ! Je rends grâce à la comtesse d'Albany qui vous rassura sur mon sort tout en vous livrant le nom de mon compagnon et sauveur au travers de mes périples.
J'ai certes échappé à quelques fâcheux et à l'ennui d'une mission à laquelle depuis mon rendez-vous de Trianon je ne compris jamais goutte.
J'ai adressé, de ma propre autorité, le malencontreux paquet, qu'une initiative royale saugrenue avait remis entre mes mains maladroites, à la Reine Marie-Caroline.
Ceci tout simplement par le truchement du meilleur orfèvre de Florence qui a ses entrées partout où l'on croit que les diamants sont une consolation pour les cœurs affligés.
Monseigneur de Bernis m'a libérée de mes mystérieux devoirs grâce à une lettre obligeante de votre parent, le baron de Talleyrand, notre nouveau secrétaire d'ambassade qui remplace Monsieur Vivant de Non à la cour de Naples.L'un est enchanté, l'autre maudit ce départ obligé ...
Monsieur Vivant de Non, inconsolable d'être chassé de cette cour napolitaine où il fit tant de conquêtes, et de la Campanie où il fit tant de fouilles, a décidé de m'ouvrir les yeux sur les vestiges antiques, les beautés perpétuelles, les sites enchantés de l'île si chère à Auguste, Tibère, et à la comtesse de Flahaut !
Vous devinez comme je suis bien aise de ma nouvelle situation  de voyageuse inutile n'écoutant que son caprice sous le climat le plus doux et dans la compagnie la plus plaisante !
La mer est si tranquille en cette saison torride que votre lettre, non seulement n'a point coulé au fond de ces eaux merveilleuses mais a délié les langues, coloré les teints et provoqué les pâmoisons des jeunes filles qui eurent la vaillance d'escalader en troupe jacassante les marches taillées par un peuple de géants qui relient l'humble bourg de Capri au hameau d'Anacapri.
Vous ne pouvez, monsieur mon ami, vous représenter l'effet inouï que provoqua votre billet sur les esprits prompts aux romans tragiques de ce peuple de pêcheurs, de paysans, d'enfileuses de colliers de corail et de jardiniers œuvrant du haut au bas de cette île si petite sur la carte et immense si l'on se donne la peine d'aller à sa découverte.
Du port où l'on arrive chahuté sur une barque fleurant bon le poisson encore agité des ultimes
soubresauts de la vie, aux vergers d'orangers regardant vers la plantureuse Ischia, une foule s'est précipitée vers la blanche maison enroulée comme un coquillage où on loge les rares visiteurs, s'est massée à l'ombre fleurie de notre tonnelle, et n'a cessé de se répandre en exclamations insensées disant à peu près ceci :
"Un malheur venait de se produire en France, l'époux de la contessa avait rejoint ses magnifiques ancêtres, ou, pire, cet homme jaloux avertissait de sa prochaine arrivée sur l'île afin d'assassiner son cavalier si aimable, si dévoué, si bienveillant !
Hélas ! ce grand artiste toujours un crayon à la main serait  vite empoigné par l' Illustrissime époux et projeté, comme jadis les esclaves pantelants d'effroi, du Saut de Tibère » .
Le Saut de Tibère, qu'est-ce donc , me direz-vous ?
Représentez-vous, Monsieur mon ami,  une espèce de roc bordant la villa de Jupiter, balcon fatal
surplombant de plus de quatre cent pieds les flots blanchis d'écume coléreuse...
Aviez-vous déjà entendu les horreurs, Monsieur mon ami, de cette funeste légende ?
Trente bonnes années après sa mort, le farouche empereur, qui bâtit douze palais sur cette île inexpugnable en hommage aux douze grands dieux, qui sauva les humbles insulaires en établissant des citernes, qui combla ces misérables d'une prospérité digne des citoyens de Rome, fut accusé de crimes inconcevables à l'entendement humain par le sieur Tacite dont la franchise me paraît des plus fantasques.
Mon compagnon de voyage, dont le renom libertin enchante les épicuriens et fait glousser les dames de l'entourage de la reine Marie-Caroline, Monsieur Vivant de Nom, cette facile particule est une coquetterie dont on s'amuse sous cape, me soutient que j'idéalise un monstre et que Tibère était un être : 
« Défiant, farouche, voluptueux et cruel » !
Je ne sais , Monsieur mon ami , où se situe la vérité et où commence avec fougue le roman à la napolitaine ! Laissons ce sujet qui nous voit, Monsieur de Nom et moi, emportés dans l'amusement d'une joyeuse querelle !
 Eh bien, mon ami ? Que devenez-vous au delà des mots assez peu amènes de votre billet fort péremptoire ? Vous affectez une rudesse qui sonne faux et me donne envie de vous planter là !
Autour de moi le paysage est  blanc de fleurs exhalant un parfum d'une puissance exaltante, la brise de mer enivre coeur et âme et vous me cassez la tête avec votre prose exaspérée!
Aimons-nous, mon ami, ne gâchons point nos rapides années ! Un âpre pressentiment me gouverne et me hante, quel sera l'avenir ? L'amour  ne vaut-il  tous les refuges ?
Et, si vous ne m'aimez plus, si je ne suis plus pour votre cœur qu'une amante jalouse, une source de désagréments, un encombrant souvenir d'une aventure qui s'achève, oubliez-moi , ne m'accablez point d'une ire injuste, et daignez me laisser en paix .
Laissez-là vos mots rudes, vos jugements qui ne se soucient d'aucune galanterie et cessez de me tenir coupable de fautes nées des rumeurs éparpillées par la calomnie.
Oui, Monsieur Vivant de Nom me plaît ! Je vous le dis et n'en ai point honte !
 A qui ne plairait-il d'ailleurs ? N'est-ce là son fond de commerce ?A votre instar, Monsieur mon ami, les femmes servent sa cause avec une ardeur admirable !
Il a commencé sa carrière en plaisant à la Marquise de Pompadour qui s'ingénia à graver de beaux camées sous son égide, et à en gâcher beaucoup aussi d'après les méchantes langues toujours enclines à se moquer de cette malheureuse...
Avant si haute protectrice, Monsieur Denon ou de Nom comme il vous plaira, fréquenta les actrices de la Comédie Française, c'était de la fièvre, c'était de l'adulation, il a plu au centuple à belles créatures qui , du coup, ont cru à son talent d'auteur qui reste encore fort méconnu.
Le feu roi le jugea assez plaisant pour écouter ses contes qui ne pouvaient plaire à toutes les oreilles tant la verve étincelante du conteur éclaboussait de feux insolents certains grands personnages fort imbus d'eux-mêmes ...
Notre feu roi fit ce charmeur audacieux gentilhomme de la chambre, honneur exagéré pour ceux qui craignent de forcer le destin afin de s'imposer là où l'on ne saurait vous attendre !
Saviez-vous que ce fripon de Monsieur de Nom supporta d'interminables heures d'ennui pour le bonheur de sourire au roi ! Madame de Pompadour, au temps où elle ne portait que le nom de son infortuné époux, osa semblable stratégie...
 Notre feu roi était un homme qui aimait les têtes nouvelles, il fit de l'une sa maîtresse royale puis son amie de cœur, et il admit l'autre en ses jardins , ensuite auprès de sa bien-aimée, enfin dans sa diplomatie .
Comment avec cela ne voudriez-vous que je raffole de ce fou qui n'aime rien tant qu'un morceau de colonne romaine, un fragment de mosaïque, quelques tessons de verre datant d'Auguste et un pied de patricienne en marbre blanc arraché aux champs de vignes des paysans qui crachent sur ces trésors en s'exclamant :
« Roba di Timberio ! » .
Monsieur mon ami, la haine de Tibère se transmet de générations en générations, elle est confuse, ardente, et a permis le triste saccage de monuments splendides couronnant jadis cette forteresse ancrée sur les courtes vagues diaphanes.
Enfin, souffrez, Monsieur, que mon cavalier du moment, mon sauveur au sein de mes aventures étranges, déploie une charmante bonté à l'égard d'une exilée qui cherche le repos avant de prendre le chemin du retour. Bonté ne signifie point séduction, encore moins goût du libertinage !
Vous émettez des doutes sur Monsieur de Nom, sachez que « Point de Lendemain » , ce roman d'amour quasi courtois n'est qu'un incident mineur dans la vie fort agitée de mon exquis compagnon de route.
Vous persistez à croire que l'inoffensif auteur de ce conte subtil serait également celui de ce roman que les âmes sensibles se refuseront toujours à lire, cette « Nuit merveilleuse », bible du libertinage qui ne saurait être mise entre des mains pures, telles que les vôtres, cela va de soi…
Oui, vous allez lire cette plaisanterie et vous écrier :  « Assez de railleries, Madame, vous êtes insupportable à la fin ! »
Bien, Monsieur, mon ami, je ne raille ni ne me moque, mais laissez-moi dans cette humeur enjouée que mon séjour renforce à chaque instant !
Écrivez-moi à nouveau si vous m'aimez encore...
Que pourrait-il m'importer davantage ?
Quelle est cette discorde qui nous oppose au sein d'une absence qui ne me charme pas autant que vous le mériteriez ? Que de bruit, que de soupçons, que de dureté de votre part, et pour si peu !
Ne savez-vous, vous auquel rien n'échappe en ce monde, que Monsieur Vivant de Nom n'est guère attrayant ? Que sa taille est courte, et que s'il est aimable, c'est par les grâces et l'espièglerie de ses réparties  ?  Sa malice d'ailleurs ne peut égaler la finesse de vos sarcasmes qui touchent leur cible avec une précision implacable, une élégance qui n'appartient qu'à vous...
La figure de Monsieur de Non amuse par ses mimiques, sa physionomie mobile, mais  ne prétendant point à autre chose, elle ne se compare point à la vôtre, toujours d'une retenue qui force un instinctif respect ... Ses yeux n'ont point cet éclat fascinant, ni cette nuance qui me fait songer à vous en plongeant les miens dans ce bleu  jaillissant de la mer , du ciel, et, le croiriez-vous, des vapeurs de l'air …
Monsieur, la seule chose qui me rapproche de ce fantasque Monsieur de Nom, c'est notre étoile !
Une bohémienne rencontrée sur la terre paternelle en sa Bourgogne natale, s'obstina à lui prédire que la sienne brillerait, même au sein des périls .
On me promit pareille destinée quand j'étais au couvent,  ne sommes-nous deux cousins unis fraternellement par les astres ?
Viendrez-vous me voir en mon grenier du vieux-Louvre le mois prochain ? Car mon retour est ordonné, je vous l'aurais appris au début de cette lettre si votre humeur épistolaire n'avait point brisé mes tendres élans
J'ai la faiblesse de vous embrasser de tout cœur !

Adélaïde

A bientôt !

Nathalie-Alix de La Panouse


La beauté parfaite du golfe de Naples: une vue qui inonde de bonheur les mortels les plus blasés

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire