Chapitre 26 « Les amants du
Louvre »
Roman épistolaire sur les amours
d 'Adélaïde de Flahaut et Charles -Maurice de
Talleyrand-Périgord
L'art d'être présentée à la reine !
Lettre de Sophie de Barbazan à
Adélaïde de Flahaut
Versailles, 19 avril 1785
Ma chère Adélaïde,
Nous voici arrivés sains et saufs mais
à demi morts de peur dans « ce pays-ci » et déjà tu me
manques horriblement .
Mon Dieu ! Adélaïde, tes descriptions de
ce monde extravagant me semblaient si folles, et maintenant, m'y
voilà ...
Créature transparente et misérable face à tant de
splendeurs, de divinités pomponnées, de parfums capiteux, de
déploiement de robes gonflées comme la machine de ces Messieurs de
Montgolfier, de laquais impassibles, de gardes impavides et de pages
prestes et goguenards, de je ne sais quels ambassadeurs escortés de
serviteurs qui leur forment un étincelant rempart !
Quel enchaînement de salles d'or, de
salles d'argent, quelle vision prodigieuse que cette galerie
écrasante de reflets et longue à n'en jamais voir la fin, quel
paradis de jardins, de fontaines, de bassins, quel peuple majestueux
d'habitants de l'Olympe transformés en statues de pierre sur les
eaux !
Je m'évertue à garder une noble contenance, à
m'efforcer à une réserve détachée, mais mon cœur bat à se
rompre, ma tête se vide, je redoute de sombrer dans le ridicule,
faute impardonnable en ce cruel univers dont les lois non écrites
échappent à la noblesse de province
Nous devons à notre parente, la
comtesse d'Ossun élevée à la fonction de Dame d'Atours (autrement
dit d'habilleuse de Sa Majesté si je ne m'abuse ! bien que
cette haute fonction soit une source de querelle et de rivalités
infinies entre nobles dames de la cour) la bonne fortune d'un logis
décent, à défaut d'être confortable, sous les combles du
château !
Nous voici quasiment à la même
enseigne toi et moi, locataires des greniers des palais de nos rois !
Or, ton appartement du Vieux Louvre est un château tout entier à
côté de notre réduit royal …
Et pourtant, quel honneur est le
nôtre !
Le croirais-tu ? Ce galetas pourvu
d'un lucarne agite les esprits et provoque des commentaires méchants
et narquois sur les faveurs dont la reine aime à combler les obscurs
cousins, sentant la bouse de vache et le foin des montagnes cela va
de soi, de sa Dame d'atours.
Or, ma chère Adélaïde, aucune de mes
soubrettes ne voudraient de cette mansarde humide et si mal protégée
du bruit que l'on y entend les secrets et les amours de nos arrogants
voisins comme si tout se passait en public ...
Devinez qui est ma
consolation ! Certes pas Monsieur mon époux tout ronchon et
contrit d'être en ce beau séjour qui lui donnera la gloire insigne
et mirobolante, si monsieur Chérin l'accepte, de monter dans le
carrosse du roi pour la promenade de sa vie ...que non pas, mon
réconfort vient d'un chat bien nourri, gros et gras, ainsi que le
disait Monsieur de La Fontaine : Versailles cache un second
royaume, celui des animaux furtifs qui dévorent les restes des
cuisines ; Leur sort paraît plus enviable que celui des pauvres
hères croisés sur notre route ...
Ce beau chat blanc au regard de lac des
Pyrénées se prélasse sur la banquette et son air de propriétaire
déclenche l'ire de Monsieur mon époux. On me menace de me
planter-là et d'aller chercher fortune plus aimable à Paris, on me
prie aussi d'aller amadouer l'horripilant généalogiste Chérin qui
nous tance jusqu'à ces hauteurs pour avoir omis de lui apprendre le
nom d'un ancêtre auteur de prouesses singulières à Roncevaux.
Je sais que la noblesse immémoriale
s'enorgueillit d'avoir servi Charlemagne, mais a-t-on besoin de tant
de preuves noyées dans les brumes des temps chevaleresques afin de
plier le genou devant un monarque indifférent ?et que dire de
moi !
Ne dois-je demain supplier Madame d'Ossun et ses amies de
me prêter les diamants à porter sur ma robe de présentation comme
si j'étais une pauvresse ! Mais quel protocole absurde qui
exige que l'on sacrifie le bénéfice de ses moissons et de ses
récoltes de pommes afin d'être présentée à une reine
indifférente, assurée de ne plus jamais vous revoir ; et qui
vous accordera, si son humeur l'y conduit, un sourire vague... à
condition que vous ne manquiez point vos trois grandes révérences !
Pourquoi maintenir ce rite alors que la
reine vit presque à sa guise sans se soucier des rigueurs de
l'antique étiquette ?
Une robe blanche, un fleur pour parure,
voilà qui est à la mode, voilà qui m'irait à merveille. Au
contraire, je vais susciter les rires engoncée dans mon « grand
corps », ce corset de torture lacé par derrière et serré à
m'empêcher de respirer. Ajoute à ce désagrément la queue de ma
robe risquant de m'amener aux pieds de Sa Majesté si je trébuche
dedans.Ma gorge sera exagérément découverte aussi, une mauvaise
fièvre me viendra certes récompenser de ces efforts somptuaires
afin de maintenir un rang qui n'existe plus que dans la vive
imagination de mon époux …
Ensuite, le supplice se poursuivra de
plus belle avec l'épreuve du gant, agenouillée aux pieds de ma
souveraine, à l'instar d'une esclave achetée par un féroce
barbaresque, j'ôterai et remettrai mon gant, sans maladresse,
rougeur, pleurs intempestifs et sans faire choir un seul des diamants
empilés savamment ,juste avant la cérémonie, au sommet de mon
crâne, à la façon d'un bouquet précieux par un « Figaro »
condescendant …
Quelle catastrophe cela serait si je répandais ces pierres sur le tapis ! Je crains un fou-rire qui me fera jeter à la Bastille !
Quelle catastrophe cela serait si je répandais ces pierres sur le tapis ! Je crains un fou-rire qui me fera jeter à la Bastille !
Ou, bien pire, qui me désignerait comme un objet
absolument scandaleux et incorrect …A bannir de la cour !
Mais, si je réussis à me relever avec une exquise candeur, une
délicieuse modestie, je recevrai l'accolade du roi, des princes, et
d'une foule de grands de ce monde: perspective qui me donne le
frisson quand j'y pense !
Madame d'Ossun a beau prétendre que la
reine est charmante pour son entourage et les princes toujours
courtois quand il s'agit de donner l'accolade à une jeune beauté
inconnue, je crains fort que cette amabilité ne touche point les
provinciales nigaudes. Je n'ai qu'une envie : repartir sans plus
attendre à Barbazan !
On n'a que faire de notre passé de
gentilshommes en ce « pays-ci », nous payons l'impôt du
sang, nos pères, nos époux, nos frères, nos fils n'ont que le
choix d'entrer dans les armées et d'y mourir pour le roi.Mais ce
dernier sait-il au moins que nous existons ?
Adélaïde ! Ne tiens-je un
discours qui amuserait Monsieur l'abbé de Talleyrand-Périgord ?
Surtout, brûle ce billet que je confie
à mon domestique qui te le portera dissimulé au fond de ses
chausses .
Mon égoïsme me rend confuse, j'en
oubliais tes couches, tu m'annonçais ta délivrance pour la fin du
mois d'avril, je tiens à t'assister, dans certaines circonstances,
les conseils de tes beaux esprits, y compris ceux de Monsieur
Rousseau, te seront moins utiles que l'expérience d'une mère de
famille Appelle-moi et je laisse cette présentation en plan.
Que m'importe ces honneurs fallacieux et cette foule de gens à la figure barbouillée de blanc et de rouge ? Seule l'amitié illumine la vie, l'amour sans doute aussi, hélas, je ne l'ai point rencontré …
Que m'importe ces honneurs fallacieux et cette foule de gens à la figure barbouillée de blanc et de rouge ? Seule l'amitié illumine la vie, l'amour sans doute aussi, hélas, je ne l'ai point rencontré …
Des nouvelles ! Vite ! Je
t'embrasse,
Sophie
Lettre d'Adélaïde de Flahaut à
Sophie de Barbazan
Aux bons soins de la comtesse d'Ossun
Le 21 avril 1784
Ma chère Sophie,
Ton billet me parvient au moment le
plus doux de ma vie : je suis mère depuis ce matin …
Ma fatigue cède devant ma joie, l'une
et l'autre sont immenses, mais c'est la joie qui l'emporte !
Monsieur de Flahaut a un héritier,
j'ai mis au monde un petit Charles, solide, vigoureux, et rouge comme
un coq ! Même le duc de Normandie que la reine a donné au roi
et à la France le mois dernier ne peut autant éclater de force et
de santé que mon enfant !
Un miracle est arrivé : Monsieur
de Talleyrand-Périgord semble presque ému face à ce bonheur neuf
comme le printemps.
Ma Sophie, je t'attends à mon chevet
dés que tu auras la permission de t'échapper de la cour !
Pour l'heure, je vais tenter de
suivre les préceptes de monsieur Rousseau : cet enfant a faim
et je suis la seule à le pouvoir nourrir … tu as beau me proposer
ta nourrice de Lourres- Barrousse, je suis déterminée à faire mon
devoir de mère.
Mon époux et Monsieur de Talleyrand s'accordent à
me mettre en garde avec horreur, je ne les écoute point.
Nous verrons bien si nourrir mon fils
est un mal ou un bien …
La cour t'admirera demain, ma Sophie,
tu apporteras la grâce et la candeur en ce pays de médisances !
Je ne doute point que tu enlèves tes épreuves ! Qu'est-ce que
trois révérences et un gant ôté pour une montagnarde dansant sur
les rochers ?
Je t'embrasse, accours au plus vite,
Adélaïde
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